dimanche 1 mars 2015

A Zazou et l'anonyme

Il est 18h00 et c'est seulement maintenant que je me met à écrire. Du coup cela a un peu gâché ma journée. Effectivement j'ai tant pris l'habitude d'écrire tous les jours et que tant que je ne l'ai pas fait, je ne me sens plus entièrement  mon aise, comme si le besoin de me vider l'esprit, et peu importe que j'écrive sur la pluie, le beau temps ou des sujets plus profonds, était devenu un acte vital. Donc ce matin, dès mon réveil, j'aurai dû faire comme d'habitude plutôt que de me forcer à rester à la maison parce que Cynthia était là. Effectivement, nous n'avons que les week-end pour faire des choses ensembles. Aussi, comme aujourd'hui il y avait une compétition de saut au centre équestre où elle prend ses cours d'équitation, nous avions convenu que nous irions ensemble y assister si le temps était clément, ce qui fût le cas. Du coup je ne suis pas sorti ce matin et nous sommes partis vers midi. Cependant mon esprit n'était pas là, pas plus qu'il n'a été là lorsque nous étions au centre équestre. Je ne faisais que penser à la brasserie où je n'étais pas, entrain d'écrire sur mon ordinateur portable afin de me vider la tête, comme chaque jours. Je suis devenu accro à mes heures d'écritures hebdomadaires et, visiblement, tout les reste passe après, chevaux y compris. Mais à présent que je suis face à mon ordinateur, comme d'habitude également, je ne sais pas pour autant quoi écrire, sur quoi écrire.

Alors je pense à Zazou et à une autre personne, anonyme, qui m'ont laissé des commentaires que j'ai découvert tout à l'heure. Cette anonyme qui est mère de famille semble être une personne que connaît Zazou. Font-elles partie de la même famille, cette anonyme est-elle sa mère, sa grand-mère, l'une de ses tantes ? Je ne sais pourquoi, mais je la pense plus âgée que Zazou, peut-être à tort. C'est une normande, premier bon point dans mon esprit, car je ne peux oublier tous les week-end que j'ai pu passer là-bas, dans les terres près de Dieppe, alors que j'avais entre vingt et vingt-trois ans. Les parents de mon meilleur ami de l'époque, Dédel, avait leur résidence secondaire là-bas, une maison typiquement normande, avec poutres apparentes et immense baie vitrée dans le salon. Lorsqu'il ne pleuvait pas, nous faisions des barbecues dans le jardin et lorsqu'il pleuvait ou faisait trop froid, comme en hivers, nous faisions marcher la cheminée. Nous allions chercher sous le hangar une grosse bûche et le bois, la broussaille nécessaire à faire le feu. La cheminée était dans le salon et seule une table basse la séparait du canapé confortable dans lequel nous étions installés. Lorsque Dédel nous emmenait dans sa maison de campagne, nous étions toujours quatre. Il y avait lui et Laure, le premier couple, moi et Virginie, le second couple. Une fois ou deux il nous est arrivé d'y aller sans nos compagnes, mais nous avions avec nous deux autres potes parisiens.

Mais revenons à cette anonyme qui me laisse des messages d'encouragement face à ma maladie. Aujourd'hui elle m'a écrit qu'il fallait que je vive, en lettre majuscule s'il vous plaît, peu importe les résultats de ma prochaine IRM. Ce la m'interpelle sur son rapport au cancer, une maladie qui ne lui semble pas du tout étrangère. L'a-t-elle elle-même vécu dans sa chair ? Était-ce un cancer du sein ? Un autre ? S'en est-elle sortie, est-elle en rémission ? En tous cas je veux le croire. Là encore, je pré-suppose que c'est elle qui a été ou est encore concernée par cette maladie. Mais peut-être n'est-ce pas le cas et que dans son entourage se trouve une ou des personnes cancéreuses. Quoi qu'il en soit, pour qu'elle me laisse des messages alors que nous ne nous connaissons même pas, c'est qu'elle se sent impliquée par cette maladie. Un jour peut-être connaîtrais-je son prénom, un jour peut-être me racontera-t-elle sa propre histoire en la matière, un jour peut-être ?

Donc, me dit-elle, il faut que je vive et non que je m'encombre l'esprit avec des choses qui ne changeront rien à ma condition actuelle. Bien entendu elle a parfaitement raison, c'est d'ailleurs la seule chose sensée à faire, car se lamenter, pleurer sur son sort ou avoir peur de ce qui pourrait advenir ne modifie en rien le processus à l’œuvre dans mon corps et, puisque j'ai la chance de ne pas être trop handicapé, parce que je peux encore penser, écrire, marcher, alors oui il faut que je profite au maximum de chaque moment présent, car pour moi vivre c'est cela. Alors femme anonyme qui m'encourage, merci pour tes mots qui, au même titre que ceux de Zazou, sont toujours une agréable surprise.

Autour de moi la terrasse du café est pleine, toutes les tables sont prises, et de voir tout ce monde m'encombre un peu l'esprit. Je pense à mon cancer et je vois autour de moi des gens prendre du bon temps. Mais peut-être s'en trouve-t-il parmi eux des gens malades, voire gravement malade. Effectivement, quiconque me verrait en ce moment pianoter sur mon ordinateur ne pourrait se douter que j'ai presque un poumon en moins et trois métastases au cerveau. En apparence je semble être un individu sain, en bonne santé. De même qui pourrait penser que j'ai à présent une carte d'invalidité dans mon portefeuille ? D'ailleurs cette carte d'invalidité dont je ne compte pas me servir m'encombre car elle me ramène à ma juste condition, celle d'une personne diminuée physiquement, idée qui me déplaît fortement mais qui est malheureusement ma plate condition, la juste réalité des choses.

Cynthia vient de m’appeler et je sais qu'elle aimerait que je rentre pour que nous dînions ensemble. Pour lui faire plaisir je serai tenté de ranger de suite mon ordinateur afin de la rejoindre. Mais je n'ai pas envie de me retrouver enfermé à la maison, c'est comme si je n'avais pas assez pris mon bol d'air en solitaire, loin d'elle et de toute personne. Me retrouver seul avec moi-même me fait énormément de bien, c'est seulement dans ces moments-là que je me sens complètement vrai avec moi-même, sans subterfuges, sans apparences, sans faux-semblants.Cela ne veut pas dire pour autant que les choses sont plus aisés à affronter pour moi, loin de là, mais je vis comme une espèce de délivrance de savoir que je n'ai nul endroit où me cacher, nulle phrase à dire pour rassurer, car il est clair que j'en est ras-le-bol d'avoir à rassurer tout le monde, que j'en ai ras-le-bol d'avoir des gens inquiets autour de moi et, même si je ne peux les blâmer, c'est éprouvant au possible. Eux-aussi j'aimerai qu'ils vivent pleinement leur moment présent, que soyons côte-à-côte ou non, et qu'ils oublient un peu ma maladie.


(1 mars 2015)

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