dimanche 15 mars 2015

17 et 18 décembre 2013

17 décembre 2013

Il est 8h00 du matin, je suis dehors à Saint-Étienne, à marcher sur le trottoir, lentement, parce que je ne peux aller, je ne peux plus aller, marcher dans un rythme plus rapide. Les lumières de la ville viennent de s'éteindre et je me sens, comme bien souvent, comme régulièrement on va dire, depuis, depuis mon réveil, il y a un mois et demi maintenant, je me sens comme un extra-terrestre... dans un nouveau monde, un monde auquel je ne me sens pas, bizarrement, appartenir. Bref, je me sens comme un mourant, ou plutôt comme un mort, comme quelqu'un qui va mourir bientôt... je ne sais pas comment formuler la chose. Je suis comme un errant, oui, comme quelqu'un qui errerait dans le désert, sans avoir le souci de sortir de ce désert, marchant, marchant, sans direction précise, sans but, sans objectif, dont sa raison d'être serait de marcher, marcher,... marcher, uniquement marcher.


18 décembre 2013

Il doit être à peu près 16h00, je me trouve aux urgences de l'hôpital nord à Saint-Étienne, à attendre qu'un psychiatre me reçoive. Ce matin, alors que j'étais chez mi, j'ai passé donc la matinée à passer des appels, les assistantes sociales, j'ai appelé le centre Léon Bérard à Lyon, là où je vais être traité, à la MDPH pour avoir des renseignements, et quelque soit l'interlocuteur ou l'interlocutrice que j'avais au téléphone, systématiquement, à la fin de la conversation, je pleurai.

Hier, à chaque fois que je suis là-haut, au quatrième étage donc de l'immeuble où j'habite, sous les toits, je me demande à quoi ça sert tout ça ? Si tout cela n'est vain, s'il ne serait pas plus simple pour moi d'en finir maintenant ? Tranquille, avec les personnes que j'aime et qui, je le sais, m'aime, si j'accomplissais un tel acte, ce serait quelque part leur manquer de respect. Alors, en désespoir de cause, je suis sorti dehors. Effectivement, lorsque l'on est sur le trottoir et si je me laissais tomber, oh pas de bien haut, de mes 1,80 mètre, la chute, quelque soit la partie de mon corps qui frappera le bitume, la chute ne pourra pas entraîner ma mort. Donc je pensais qu'en étant dehors, ces idées que d'aucun appellerons macabres, que pour ma part j'appelle çà solutions, solutions, oui, radicales, certes, mais une solution pour échapper définitivement à mes états d'âme actuels, je pensais en étant dehors à mes état d'âmes justement, après, mais ce ne fut pas le cas. Alors j'ai pris un Xanax 0,50, sachant parfaitement que de toutes les façons ce n'est qu'un pansement, que ce n'est tellement pas la solution. Rapidement, peu après, il commence à agir et mon corps se détendre, mais mon état d'esprit, lui, non, il ne se modifiait pas. J'ai donc pris alors la décision de partir à l'hôpital nord de Saint-Étienne afin de rencontrer un psychiatre. Vendredi, vendredi qui arrive, le 20, je dois être au centre Léon Bérard le matin, que c'est là que débutera ma première opération, la radiothérapie pour attaquer ma tumeur au cerveau. Sincèrement, je n'ai même pas envie d'y aller, pas envie d'y aller non pas parce que je ne crois pas en l’efficacité, comment dire, des actes médicaux, mais au fond de moi, je pense que quelque soient les soins à venir, radiothérapie, chimiothérapie, opération pour enlever ma tumeur cancéreuse au poumon, je ne sais pas pourquoi, au fond de moi, je suis convaincu que tout cela ne servira à rien, que le cancer qui est en moi commence déjà à se développer et que cela ne l'éradiquera pas, ça reprendra ailleurs. Je ne sais pas pourquoi, mais je pense que ce sera rapide. Je suis dans le doute et d'ailleurs je ne sais même pas quoi penser de cette vue des choses. Pourquoi moi je vois les choses ainsi alors qu'autour de moi tous les médecins sont optimistes, tous, sans exception. Je ne comprends pas pourquoi moi, je vois les choses ainsi. Voilà, je suis aux urgences et j’attends, j’attends, qu'enfin un psychiatre me reçoive et me délivre des médicaments qui, quel qu'ils soient, me fasse me contenir au moins jusqu'à vendredi, médicaments qui, quel qu'ils soient, feront que je ne ferai pas marche arrière, que j'irai à ce rendez-vous pour cette opération. Voilà, je m'en remet au chimique, à la technique, parce que ma raison, ma faculté de réflexion, en ce moment, ne m'aide guère à me battre.

Tout comme la mort de votre père, de votre mère, ou pire encore de votre enfant, vous plonge malgré vous dans un état second, état que vous n'auriez pu jamais imaginer, exister auparavant en vous, et bien, c'est pareil là, je me sens également dans un état second, comme si tout ce qui est autour de moi, oui, tout, comme les nuages que je vois passer dans le ciel sous la couleur du ciel bleu, là, comme si cela ne me concernait pas, je n'en ai plus du moins envie, comme dans un film, une marionnette, marionnette, un objet que l'on lâche comme çà, je ne me sens plus du tout appartenir à ce décor. Où est-ce que tout cela va me mener ? Je n'en sais strictement rien, je n'en sais strictement rien, strictement rien. Je n'ai plus aucune idée de l'avenir, plus aucune idée sur mon avenir, plus aucune idée sur ce que demain serait, sur qui demain serait, et sur comment je serai envers vous, qui que vous soyez, oui, je n'ai plus aucune idée. Je continue à regarder là-haut, le ciel, je regarde le décors sous mes yeux.

S'il n'en tenait qu'à moi, je crois que, même je ne crois pas, je suis sûr que je me laisserai aller, je n'entamerai aucun soin, que tranquillement, paisiblement, que justement je me sens dans un décors, je me saurai finir ainsi, dans le cancer, propagé un peu plus encore en moi, que de l'intérieur il me mange entièrement. Je suis là, aux urgences, si hier j'ai fait tous les examens que j'ai fait et vendredi j'ai fais le choix, comment dire, d'entreprendre les soins, c'est pour deux personnes seulement. La première de ces personnes c'est ma fille, oui, car que ma bêtise d'avoir un jour commencé à fumer et de m'être jamais arrêté, c'est juste que ma bêtise fasse qu'elle vive la triste expérience de voir son père mourir, elle n'est même pas encore adolescente, elle ne mérite pas ça. La deuxième personne pour qui je me bat, évidemment c'est Cynthia, car si j'ai été à sa rencontre, si je suis, si j'ai voulu être à ses côtés et suis encore à ses côtés, et que je veux encore être à ses côtés, c'est parce que j'ai voulu lui donner, à l'époque où nous nous sommes connus, le goût de vivre, le goût de la vie, le goût du plaisir. En quoi serait-il juste, alors que j'ai voulu lui transmettre tout ça, que je lui donne maintenant le sens inverse, en me laissant aller, me rabattre, cela voudrait dire que tous les messages que je lui ai fait passer, ou que j'ai voulu lui faire passer, comment dire, n'étaient pas crédibles, que dans les faits, là, si je me laissais aller, cela voudrait dire que la vie ne mérite pas d'être vécu, qu'elle n'aurait donc aucun goût ? Ce serait comme si je lui avait menti toutes ces années. Je l'aime trop pour pouvoir imaginer penser ça un jour. De même, ayant horreur du mensonge, ça que j'ai voulu lui transmettre, allons jusqu’au bout, il faut que j'assume ce message dans les faits. Demain ils seront, comment dire, quatre qui, dans chaque spécialité dont il s'agit, le neurologue, l'oncologue, le radiothérapeute et le psychiatre pourront m'aider, même si c'est chimiquement, aujourd'hui je l'accepte. La tâche, c'est un devoir, une devoir de ne pas décevoir.

Là, je pense aux assistantes sociales, c'est pareil, aux populations qu'elles croisent tous les jours, toute la journée. Véritablement, il y a l'argent, oui il est évident que toute personne qui s'adresse à eux, comment dire, il est évident que les problèmes d'argent amplifie inévitablement, forcément, fatalement, tous les autres problèmes. Là, le problème étant mortel, ne plus être en bonne santé, autant être non mortel on va dire. Cela nécessite des frais, pourtant l'argent que l'on a pas, alors on s'adresse, et quelque soit notre problème de santé, quelque soit notre moral face au problème de santé en question, certains, pour une raison ou une autre, pour se prendre en charge nécessite de l'argent que nous n'avons pas, cela amplifie notre mal, quel qu'il soit, car ça instaure dans notre esprit un problème supplémentaire, alors que c'est déjà bien assez difficile de se concentrer, de se prendre en main et de gérer sa santé.

Si notre monde est de la merde, une vraie merde, faite par nous d'ailleurs, ce n'est pas parce que, comment, l'être humain est ce qu'il est, non, c'est parce que nous avons instauré un jour des rapports entre nous basés sur l'argent, la richesse, la fortune, pauvreté, misère, et comme c'est à partir de ces critères et uniquement de ceux-là que nous entretenons ou non des relations avec l'autre, comme c'est à cause de ces critères, uniquement pour cela, que nous aidons ou non l'autre, et bien ça pourri tout. L'argent en soi, la fortune en soi, n'est pas un problème, non, en soi ce n'est pas un problème. Mais si l'aide que l'on doit accorder à autrui coûte, qu'on lui donne ou non, est basé sur le critère des biens que cet autre possède ou non, alors ça pourri tout. Et comme malheureusement, partout dans notre monde de merde, sur ces critères nous nous basons pour agir, ne pas agir, et juger l'autre, il est très clair dans mon esprit que tous ceux et celles qui favorisent un tel système, je les honni. S'il n'en tenait qu'à moi, si cela était possible, tous, un par un, les uns après les autres, je les buterai. Je commencerai par le premier, ensuite, à l'attention de tous ceux et celles qui seraient dans cette file d'attente, je ferai en sorte qu'il sente arriver leur mort certaine. Alors ils seraient comme moi, et repensant aux critères qu'étaient les leurs, le revolver qui tôt ou tard se pointera sur eux, les faire disparaître une bonne fois pour toute, c'est donc alors seulement qu'ils comprendraient que leurs critères étaient de la merde.

J'en ai assez du bruit humain, chaque cas humain, tout ce brouhaha, ça part dans tous les sens, et où malheureusement derrière il n'y a pas de véritable sens, non, derrière tout ce brouhaha, derrière tous ces bruits, mil objectifs, souvent divergents, cohabitent, coexistent, aucune unité derrière tout ça, non, aucune. Chacun voit midi à sa porte, c'est bien clair, même moi, moi qui dénonce, moi qui critique, je fais de même néanmoins, je vois midi à ma porte. Puisqu'il en est ainsi, puisque l'objectif ou les objectifs de l'autre ne nous parlent que s'ils sont concordants avec les nôtres, et que dès lors ceux qui dérangent nos objectifs, nous sommes prêts à nous battre contre l'autre, à combattre cet autre, oui, je ne vois pas comment un jour notre espèce, comment dire, pourra permettre à chacun de nous, sans exception, de se vivre sereinement, agréablement, alors que pourtant cela est parfaitement possible. Non, nous avons fait le choix, volontaire, car tôt ou tard tout le monde réalise ce que je viens d'énoncer, donc c'est volontairement que nous nous conformons, ou volontairement que nous essayons de changer ces états de faits, quoi qu'il en soit, que la majorité fait le choix volontaire de laisser le système tel qu'il est, avec ses critères de merde, la majorité fait le choix volontaire de le soutenir, de laisser le système et les gens qui nous dirigent donc, donc ceux qui dirigent qui sont-ils, pas nos amis, des politiques, des riches, des fortunés, et la majorité fait le choix volontaire de laisser ces derniers, comment dire, faire perdurer les systèmes où ces critères dominent, oui, alors il n'est pas étonnant qu'il y ait autant de gens mal dans leur peau, qu'il y ait autant de gens qui souffrent, alors qu'il serait parfaitement possible, encore une fois, que cela ne soit pas.

Celui ou celle qui n'a pas d'argent, ou qui en a peu, n'a que très très peu de chance de se vivre heureux et serein, car la sérénité, la joie, ne se constitue pas, comment dire, avec des objets matériels, ce n'est pas l'amoncellement d'objets matériels qui procure cet état, ce sentiment dans le cœur. Se vivre serein, joyeux, est toujours la conséquence de notre rapport à l'autre. Si ce rapport est serein, alors nous sommes serein. Si ce rapport est joyeux, alors nous sommes joyeux. Si nous avons besoin d'aide et que l'autre, en face de nous, nous le savons, peut rendre cette aide, nous donner cette aide et le fait, alors quelque soit le problème pour lequel nous l’interpellons, le problème n'est plus un problème angoissant, nous nous vivons toujours sereinement puisque nous savons que l'autre, qui que soit cet autre, comment dire, peut nous aider à résoudre le problème.

Cependant, dans mon cas particulier, je suis confronté à une maladie telle, ça c'est un problème insoluble. L'autre, aussi serein soit notre rapport avec cet autre, ne peut pas nous aider à résoudre ce problème. Dès lors que notre corps est malade, malade, pouvant nous mener à la mort, non, inévitablement, personne, personne, personne ne peut nous aider. D'où, en ce qui me concerne, je ne peux être dans un état serein, je n'y parviens pas, je n'y parviens plus, le joyeux ne me parle plus non plus, être heureux je ne vois plus à quoi ça sert. Ma raison, comment dirai-je, plus les minutes passent plus je me sens mourir, chaque minute qui passe est la dernière de mes minutes, comme si, juste derrière la porte, tout se referme.

Je repense souvent ces derniers temps à Emil Cioran,  Emil Cioran qui, il faut bien le dire, avant l'annonce de ma maladie, était mon écrivain, mon philosophe de prédilection. Tout, ou presque, qu'il affirmait, supputait, me parlait, j'étais d' accord. Aujourd'hui je m'aperçois que tant qu'on est pas confronté à sa propre mort, dans sa chair, en la vivant, je m'aperçois que tout cela n'est que théorie, tout comme l'on peut écrire une chanson, rédiger un poème, oui, tout cela est théorique, quelque part c'est superflu. Superflu, dans mon cas, par rapport aux écrits de Cioran, à sa pensée, c'est superflu qui me donne une raison, comment dire, de ne pas faire d'effort dans ce monde de merde, de me donner une raison de ne rien attendre des autres, non pas parce qu'ils ne peuvent pas me donner, mais simplement que je sais qu'il me donnerait qu'en fonction, comment dire, du niveau de mon compte en banque, à-priori.

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