dimanche 8 mars 2015

Souvenir 2013

Aujourd'hui encore j'ai fais une grande sieste, de 13h00 à 16h00, et depuis 1h00 je suis dehors, histoire de profiter des derniers rayons de soleil de la journée. D'ici deux heures ce dernier devrait avoir disparu et la température, en conséquence, va vite descendre.  J'écris pour ne pas voir le temps passer, pour ne pas m'ennuyer, pour avoir l'impression d'être actif. Cette semaine, il faudra que je pense à appeler la CAF de Saint-Étienne afin qu'elle m'envoie des documents relatifs aux versements qu'elle m'a fait en 2103, tout ceci pour la CPAM de Rennes qui étudie ma possibilité ou non de toucher une rente d'invalidité. Déjà, elle m'a reconnu invalide. Mais de quelle catégorie fais-je partie, mystère ? Cette semaine j'irai également faire des machines de linges. Et oui, je deviens une véritable petite femme d'intérieur et essaye de soulager au mieux, mais pas toujours en temps et en heure, de ces activités fastidieuses. La seule chose que je ne fais pas, c'est cuisiner. Cela n’est vraiment pas mon truc et, lorsque je suis seul, je préfère me passer de dîner ou déjeuner plutôt que de m'attaquer aux fourneaux. Toute ma famille aime cuisiner, sauf moi.

En face de moi, de la terrasse où je suis assis, je vois la crêperie de la gare, lieu où j'ai souvent dîné avec Cynthia. On y mange très bien et, comparativement à Paris, les prix sont imbattables. Si j'en avais les moyens, je forcerai Cynthia à me rejoindre pour que nous y mangions ce soir en terrasse. Mais comme j'ai négocié avec la mère de ma fille de prendre ma fille, Jade, toute les vacances d'avril, je me dois de surveiller le budget. Rien que son trajet, de Vichy à Rennes, aura déjà un coût conséquent. Lorsque je prends ma fille, parce que je ne verse pas de pension alimentaire à sa mère, je prends systématiquement tous les frais en charge, quel qu'ils soient. Oui, dès le départ, dès que la mère de ma fille a essayé de tout faire pour m'enlever ma fille, allant jusqu'à la kidnapper pendant quatre mois, je me suis juré de ne jamais rien lui verser, aucune pension alimentaire, tant que je ne serai pas satisfait de la fréquence de mes relations avec ma fille. En treize ans, du fait des déménagements des uns et des autres, je ne voyais ma fille qu'un mois par an. Ce n'est que lorsque je déménagea sur Lyon, du fait de ma maladie, que je vis ma fille plus souvent. Effectivement, une fois par mois elle venait me voir le week-end. Ce n'est qu'à cette période que nous avons commencé à mieux nous connaître. Cela a duré six ou sept mois, car après Cynthia et moi avons déménagé pour Rennes. Depuis Août dernier je n'ai vu ma fille que quatre jours, ce qui est peu. Cependant la mère de ma fille commence à mettre de l'eau dans son moulin et même si elle cherche toujours la petite bébête pour tout et rien, je la sens moins réticente à ce que je vois ma fille. Jade y est-elle pour quelque chose ? Discute-t-elle de cela avec sa mère ? Lui dit-elle qu'elle a envie de me voir ? Et a-t-elle vraiment envie de me voir ? Je ne suis pas dans sa tête pour le savoir.

Là, je cherche un sujet, un thème sur lequel je pourrai écrire, mais ne me vient en tête que la maladie, le cancer, la mort, ceux et celles qui sont dans le même cas que moi, ceux et celles qui entourent les cancéreux, hors corps médical. Parfois je me demande comment je réagirai si les choses étaient inversées, si c'était Cynthia qui avait un cancer et non moi. Nul doute que je serai dans l'angoisse et le stress, voulant la soulager de tout, y compris de la cuisine. De plus, moi qui n'aime pas me sentir impuissant, je me vivrai alors bien mal.

Une semaine ou deux après avoir appris mon cancer en novembre 2013, voici ce que j'écrivais :

« Je m’appelle Hicham tout comme j’aurai pu m’appeler Jacques, Tchang ou je ne sais quoi d’autre encore… : ampoule, lumière, planète… néant ou tout. En ce moment je ne pense plus. J’entends mon cerveau ou plutôt je le sens qui, lui, cherche encore à raisonner… mais ma pensée ne le suit plus.

La maladie est un curieux état enfin de compte… certainement quelque soit le type de maladie…
Mais nous savons qu’il est des types de maladie que nous pouvons guérir définitivement, comme si elles n’avaient jamais existé…, et il en est d’autres dont on ne guérit pas. Celles-ci, si on les vit, nous accompagnent chaque jour. Elles existent, leur présence est bien réelle, que le corps l’éprouve ou non.

Ainsi donc j’ai un cancer… un cancer… Hier encore je pensais comprendre la signification de ce terme, mais aujourd’hui je constate que je ne comprends pas... Ou, plutôt, je comprends que cette maladie sera avec moi tous les jours… tous les jours… quelques soient les soins, le traitement que je poursuivrais et qui me permettront, normalement, de durer encore quelque temps.

Depuis l’annonce de ma maladie, il y a trois semaines maintenant, je me sens comme dans un bilan. Le bilan de ma vie, de ces quarante-six années passées déjà… et, aujourd’hui, je crois que je n’ai rien compris de ces quarante-six années, que je n’ai pas compris ce que je vivais, ne sachant même pas si je comprenais que je vivais alors.

Il est étrange de savoir que l’on va mourir. Pourtant je l’ai toujours su, comme tout le monde ! Tout le monde sait qu’il va mourir un jour. Mais, bizarrement, au quotidien, qui l’éprouve ? Personne, et moi pas plus qu’un autre…

Avec la révélation de ma maladie, le temps qui semble compté, tout d’un coup, subitement, soudainement, avec une brutalité que je n’aurai pas pensé possible… il me semble que c’est seulement aujourd’hui que je sais que je vais mourir.

En ce moment j’ai l’impression de penser sans penser. Plus exactement d’essayer de réfléchir mais sans pensées. Aucune pensée ne me vient…
Est-ce que je pense réellement à une personne en ce moment ? A quelqu’un en particulier ? Et bien…, je crois que non. Et pourtant il me semble qu’en ce moment, pour la première fois de ma vie, je vois enfin ces personnes. Dit autrement je ne les vois plus comme hier, tel que moi je voulais les voir, que je le sache ou non, ou tel qu’elles voulaient se faire voir, qu’elles le sachent ou non... Non, j’ai l’impression de voir ces personnes pour la première fois, comme lorsqu’on découvre un train, un tableau ou une sculpture pour la première fois. C’est brut, c’est en bloc et rien ne peut être caché… C’est comme si je voyais tout. Du coup, alors que déjà je ne pouvais savoir qui était réellement en face de moi, y compris moi-même dans mon propre miroir, là il me semble que je ne sais plus du tout qui elles sont, qu’il s’agisse de ma compagne, de mon frère, de ma fille ou, d’ailleurs, de quiconque que je rencontre. Ainsi, de fil en aiguille, toujours dans ce bilan de ces quarante-six années passées à me regarder, à regarder les autres, à essayer de comprendre, de voir… il me semble m’apercevoir qu’enfin de compte je n’ai jamais rien vu… ni de moi-même, ni d’autrui.

Nous intéressons-nous réellement aux autres… ?
Qui qu’ils soient, famille, amis, anonymes, nous intéressent-ils vraiment ? Les regardons-nous vraiment ou ne voyons-nous, à travers eux, que ce que nous avons envie de voir… parce que cela nous convient, tout simplement ? Et bien je crois que c’est ainsi, oui, je crois que nous ne regardons, retenons, ne voyons, que ce que nous voulons voir, que ce soit dans le pire ou dans le meilleur. A partir de là, y compris soi-même vis-à-vis de soi-même, tout être est étranger, forcément… puisque nous ne le voyons pas.

Face à ce premier constat, plus ou moins correct,  je ne le saurai que plus tard, mon sentiment est donc que j’ai gâché ma vie. Gâché non dans le sens, comment dire, que je n’en ai pas profité, bien au contraire, oh oui j’en ai profité de ces moments de vie… Non, je l’ai gâché car même mes joies étaient des leurres, des leurres parce que je ne voyais pas ! Ce que je dois comprendre, oui, c’est qu’enfin de compte jamais je ne verrai et que même dans ce qu’il me semble aujourd’hui voir pour la première fois,  là-aussi,  je suis à côté de la vérité.

Savoir que l’on va mourir est une chose… pas forcément agréable, c’est vrai… mais amplement supportable. La preuve : nous n’y pensons pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais éprouver que l’on va mourir change tout. Cependant, je ne réalise toujours pas quel est ce changement fondamental que pourtant j’éprouve, que je sens dans ma chair, dans mon esprit, dans mon corps, dans l’air ambiant. Tout a changé, tout… mais je suis bien incapable de nommer ces changements.

Aujourd’hui je peux le dire : enfin de compte j’ai toujours été un être dur. Dur parce que tranché, inapte au compromis. Inapte, non pas parce que je ne peux pas faire de compromis, mais inapte car je crois qu’il a toujours été hors de question que ma volonté passe après ou avec une autre volonté. Aussi je pense que c’est la ou l’une des raisons qui peut expliquer que j’ai toujours jugé durement, sévèrement, autrui et moi-même.

Enfin, toujours par rapport à la maladie… ce cancer… je ne sais pas quoi penser. Non, je ne sais pas vraiment quel comportement adopter au quotidien, heure par heure, minute par minute, seconde par seconde, car c’est ainsi que je me vis à présent, à la seconde … Non, face à cette maladie, cette maladie qui me signifie ce que veut dire le temps, ce terme si abstrait en général… non, je ne sais pas quoi faire face à elle. Parfois, même souvent d’ailleurs, je me dis qu’il serait plus simple de la laisser se propager. Mourir pour mourir… autant la laisser faire. Mais d’un autre côté est-ce que nous sommes faits, nous, êtres vivants, pour nous laisser volontairement succomber à la maladie ?

Jamais je ne pourrai expliquer le pourquoi du vivant. Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien, pourquoi y-a-t-il des êtres animés plutôt que de l’inanimé ? Mais si tout cela est présent, forcément, il y a un sens derrière tout çà. Et si nous, êtres humains, êtres vivants parmi d’autres êtres vivants, c’est ainsi que l’existence nous a conçu plutôt que de faire de nous des rochers, des algues, de l’eau ou je ne sais quel gaz… et bien je crois que c’est pour nous donner la possibilité, parce que justement nous sommes animés, de pouvoir animer des parties de notre corps ou de notre environnement, pour ne pas succomber justement à quelque maladie que ce soit, à quelque agression extérieure que ce soit.

Si dame nature nous a doté de possibilités d’agir, qu’il s’agisse des possibilités inhérentes à notre corps et, ce, dès le fœtus, ou qu’il s’agisse des possibilités que nous avons de créer, d’inventer… grâce à nos facultés mentales, à notre imagination, à notre créativité… non, je crois que si tout çà est là c’est pour que nous nous en servions. Bien entendu on peut s’en servir pour plusieurs choses, mais il me parait évident, qu’à la base, nous avons été doté de ces possibilités pour vivre à tout prix, pour éloigner le temps à tout prix, le temps du moment de notre mort bien entendu.

Néanmoins cela ne me renseigne pas plus sur ce que je dois penser ou non de ma maladie actuelle. »

J'ai redécouvert cet écrit ce matin, alors que je voulais écouter un dossier que j'ai nommé « bilan » composé d'enregistrements. Effectivement, à l'époque j'étais tellement diminué physiquement et psychiquement que je n'arrivais plus à écrire ou à me concentrer pour lire. Alors je m'étais procuré un dictaphone et m'enregistrait tous les jours. Le texte qui précède est donc une retranscription de mon tout premier enregistrement. A l'avenir il va falloir que j'écoute les autres et, si le courage me prends, que je les retranscrive à leur tour.


(8 mars 2015)

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