dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 19

XIX

Alors que Nathalie était enceinte de deux ou trois mois, mon anniversaire approchait et nous étions chez ma mère. Ma sœur était également là et toutes trois planifiaient et se faisaient fort de l’organiser. Pour ma part, je n’avais nullement le cœur et la tête à faire la fête, à faire semblant que tout allait bien parce que la coutume le veut pour ce jour précis, tout comme pour noël ou un jour de l’an. Très calmement je leur signifiais qu’il était hors de question que je fête cet anniversaire, que je n’en avais pas l’envie. Là, quelle ne fût pas ma surprise de les entendre toutes les trois me faire des sermons, de me faire la morale, elles qui avaient foiré leur vie au moins autant que moi. Qui étaient-elles pour m’imposer un cérémonial dont je ne tirerai aucun plaisir ? Ces trois connes égoïstes ne pensaient qu’à elles, à leur joie de participer à cet anniversaire, se foutant complètement de mon avis et de mes désirs. Est-ce cela aimer quelqu’un, qu’il soit son frère, son fils ou son compagnon ? Lui balancer à la gueule que l’on se contrefout de ses souhaits, que seuls comptes les nôtres et que s’il faut les lui imposer, alors ce sera ainsi. Elles réussirent à me mettre en colère et toutes les trois, sans exception, je les envoyais balader et partais de chez ma mère. Suite à cet épisode où, une fois de plus, Nathalie me soula avec ses attentes qui ne correspondaient en rien aux miennes, je décidais de la quitter quelques jours plus tard. Ne sachant où aller, chez qui loger, j’appelais le 115, le Samu social afin de trouver un hébergement pour la nuit. On m’attribua une place dans un foyer près de la Porte de la Chapelle. Pendant une bonne semaine je dormis là-bas, dans leur dortoir puant, au milieu de clochards et de SDF. Le foyer ouvrait ses portes vers dix-neuf heure et, sitôt à l’intérieur, nous ne pouvions plus ressortir jusqu’au lendemain matin, sous les coups de huit heure, heure à laquelle tout le monde était viré, retrouvant la rue et devant se démerder toute la journée pour assouvir des besoins essentiels tel que se nourrir, boire et trouver un endroit où se poser. Certains, comme moi, demandait l’aide d’une assistante sociale pour trouver une solution d’hébergement plus humaine, que ce soit une chambre dans un hôtel ou, mieux, un petit studio en HLM. J’eus de la chance, car rapidement j’eus le droit à des bons pour l’hôtel et avec l’assistante sociale qui me suivait nous avions monté un dossier auprès des HLM. Trois semaines plus tard elle m’annonça la bonne nouvelle. Mon dossier allait passer en commission et il y avait de forte chance que j’obtienne un logement. Là encore, du fait de l’enfant à venir, j’ai hésité à prendre ce logement. Je retournai voir Nathalie afin de clarifier la situation. Je lui dis que j’étais prêt à me remettre en couple avec elle, mais à une condition. Je ne voulais plus que sa famille vienne se mêler de nos affaires et que sa mère, surtout elle, cette être abjecte qui vampirisait sa fille, soit mis à l’écart. Effectivement il était hors de question dans mon esprit qu’elle déteigne sur mon enfant comme elle avait déteint sur sa fille. Une fois de plus Nathalie me promit qu’il en serait ainsi et moi, comme un con, je l’ai cru, lui ai donné ma confiance une fois de plus. Ma fille, Jade, est née en avril 2002 et très vite je m’aperçus que sa mère ne tenait pas la promesse qu’elle m’avait faite. Cela nous valut de vraies disputes, non plus des petits désaccords dont je m’accommodais dans le passé, car là c’est l’avenir mental de ma fille qui était en jeu et non plus seulement mon ego. Lorsque j’ai connu Nathalie, rapidement je fis également la connaissance de ses cousins. A ma grande surprise deux d’entre eux, Arnaud et Eric, vinrent me trouver pour me mettre en garde contre elle, m’expliquant qu’elle n’était qu’une menteuse et que l’on ne pouvait se fier à elle, qu’eux-mêmes avaient pâti de ses mensonges dans leur jeunesse. De même aucun de ses trois cousins ne pouvaient blairer sa mère, mais faux-semblant familial oblige, ils faisaient semblant de s’entendre avec leur Nathalie et sa mère afin d’éviter les problèmes. Rapidement il m’apparut que c’était une famille de faux-cul et à l’époque, n’étant pas encore remis de la mort de Michel et du reste, je ne les ai écouté qu’évasivement. Je me disais que c’était leur histoire de famille, famille dont je ne faisais pas partie et dont je ne comptais pas faire partie. J’aurai du écouter ses cousins, les entendre, surtout que les actes de Nathalie étaient régulièrement en totale contradiction avec les promesses qu’elle me faisait, confirmant ainsi leurs dires. Mais le légume que j’étais alors ne voulait pas en savoir plus, j’ai fait l’autruche et me contentait de prendre les choses comme elles venaient, sans me poser plus de question que çà. Un jour c’est Nathalie qui me fit une confidence sur l’un de ses cousins, Eric. A ses dires il aurait tenté de la violer alors qu’ils étaient adolescent. Là-aussi, que croire, comment la croire ? Mais si c’était faux, pourquoi m’inventait-elle ce mensonge ? Qu’attendait-elle en retour ? Et si c’était vrai, une fois de plus, que penser de cette famille ? Ils m’ont épuisé avec tous leurs non-dit, leurs laisser-entendre, leur unité de façade et leur manque de franchise les uns envers les autres. Trois mois après la naissance de Jade, à l’une de leur réunion de famille, je finis par être exaspérer par tout ce beau monde, la belle-mère en tête. Elle et ses deux sœurs, ces deux tantes qui n’avaient jamais connu d’hommes et eu d’enfant, s’appropriaient ma fille. Elle était leur objet, leur nouveau joujou, et ne me laissaient guère de place pour prendre en charge mon enfant. Ce jour-là je les ai toutes envoyé se faire foutre et suis rentré à Montrouge, seul, sans Nathalie et ma fille. De ce jour il était clair que je ne voulais plus jamais revoir cette famille, qui qu’il soit, homme ou femme. Trois mois plus tard, alors que Jade avait six mois, Nathalie pris donc la décision de me quitter. Elle retourna chez sa mère, à Fresnes, en proche banlieue parisienne. Je fus ravi de cette initiative car enfin j’étais débarrassé d’un sac de merde. La seule chose qui m’importait était d’avoir accès à ma fille, uniquement cela. Les premiers temps j’allais la voir quatre à cinq fois par semaine, jusqu’au jour où sa mère commença à me mettre des bâtons dans les roues. Je n’étais plus libre de voir ma fille lorsque je le souhaitais, mais uniquement dépendant de la volonté de sa mère de me mettre en présence ou non de mon enfant, selon ses seules desiderata.  A quoi jouait cette conne ? Pensait-elle sérieusement que je la laisserai faire, que notre fille n’était qu’à elle, à sa mère ou à ses tantes ?

A la même époque, puisque j’étais enfin libre d’agir et de rencontrer qui je voulais, quand je le voulais, sans avoir subir la jalousie, la possessivité maladive de Nathalie, je rencontrai de nouvelles personnes qui habitaient également Montrouge. Il y avait Isabelle que j’avais connu deux mois avant ma séparation avec Nathalie. A l’époque je cherchai un job d’été et avais postulé auprès des Éclaireurs de France pour être animateur dans l’un de leur centre. Ma candidature fut acceptée et mon emploi consistait à encadrer et créer des animations pour des adultes handicapés mentaux. Isabelle était la directrice de ce centre et avait une dizaine d’années de moins que moi. Elle venait de Maubeuge et avait terminé ses études supérieures. Rapidement nous nous entendîmes très bien et au détour d’une conversation, alors qu’elle me parlait de sa recherche d’emploi difficile dans sa région, je lui proposais de descendre à Montrouge si elle le désirait un jour, que je lui offrirai l’hébergement le temps qu’elle trouve un emploi. Nathalie est partie avec ma fille en septembre 2002 et Isabelle est arrivée en octobre ou novembre de cette même année. Elle avait sa chambre, j’avais la mienne, et chaque soir nous passions de long moment à discuter. Parfois nous parlions des handicapés mentaux, de leur condition de vie dans les centres hospitaliers, hôpitaux que j’avais connus et type de malade que j’avais côtoyé pendant des années. D’autre fois nous parlions du travail, de notre société, de la pression qui était mise sur les employées. Enfin, nous avions une passion commune : la musique. A l’époque je jouais déjà de la guitare et un peu de piano. Elle, elle aimait chanter. Alors nous composions des chansons, à moi la musique, à elle la voix. Dans ce même laps de temps je devins amis avec ma voisine de pallier, Christèle, qui était convoyeur de fond, un métier peu orthodoxe pour une femme, reconnaissons-le. Régulièrement nous nous réunissions tous les trois chez elle ou chez moi, autour d’un bon repas. Christelle aussi aimait chanter et, souvent, elle accompagnait Isabelle lorsque je prenais ma guitare. En bas de mon immeuble il y avait un petit café. C’est là que nous avons rencontré trois autres personnes qui, de fil en aiguille, devinrent également mes amis. Il y avait Élise, une chercheuse à l’institut Pasteur, et son mari dont j’ai oublié le prénom. Lui travaillait comme technicien chez France-télécom. C’est eux qui nous présentèrent Farida, une artiste peintre qui animait également des ateliers de peinture dans les hôpitaux psychiatriques. Pendant deux ans, ce fut une nouvelle bande. Nous étions tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. Élise écrivait et, de mon côté, j’avais auparavant participé à des ateliers d’écritures, vu et compris leur fonctionnement, et c’est ainsi que je proposais que nous  montions notre propre atelier, entre nous, entre amis. Deux fois par semaine nous nous réunissions chez moi, tous les six, un stylo et des feuilles blanches à la main, pour nous prêter à des exercices littéraires. Parfois, sur un thème donné, nous avions un poème à rédiger. D’autres fois, avec quelques mots imposés, c’est un texte que nous rédigions. De même, dans la droite ligne d’André Breton, nous faisions de l’écriture automatique, des cadavres exquis, etc. Comme je faisais de la musique, il est également arrivé que nous composions des chansons et, histoire de laisser une trace de ces dernières, Isabelle investi dans l’achat d’un douze piste afin que nous puissions nous enregistrer. J’ai toujours ces démos en ma possession et parfois, avec un peu de nostalgie, je les réécoute.

Cependant, malgré l’excellente entente qui régnait entre nous six, la loi de la nature, celle des pulsions et désirs sexuels, vint troubler puis mettre à mal notre groupe. Hormis Elise, nous étions tous célibataires et je n’avais pu que constater que je plaisais à Isabelle, Farida, mais y compris à Élise. N’étant de pas indifférent à leur charme respectif, j’étais donc toujours dans le contrôle de moi-même afin qu’il n’y ait pas de quiproquo entre nous. Je sortais de mon aventure avec Nathalie et en aucune manière je ne voulais me réinvestir dans une autre aventure. Seule m’intéressait ma fille et mon accès à cette dernière. J’aurai voulu leur dire, à toutes les trois, qu’un homme ne peut pas être l’ami d’une femme. Un homme ne sera jamais l’ami d’une femme comme il peut l’être vis-à-vis d’un autre homme. Derrière tout homme qui s’investit dans une relation dite amicale envers la femme, il y a toujours le désir sexuel, et inversement, je le pense. Cela ne veut pas dire qu’il va le laisser parler ou qu’il va vouloir le concrétiser en essayant d'obtenir une relation dite de « couple » ou « d'amant ». Mais quand un homme prend à cœur ce type de relation avec vous, ce n’est jamais anodin. Ce n’est pas comme prendre le bus ou le métro tous les matins et tailler causette à sa voisine. Ce n’est pas non plus se sentir obligé de faire preuve d’amabilité envers ses collègues féminines que nous ne chercherons jamais à voir en dehors du cadre de notre travail. Ce n’est pas non plus agir par devoir envers nos belles-sœurs, les copines de notre épouse ou la voisine du septième étage.
 
Un ami, à mon sens, est celui qui fait sien chacun de nos problèmes, ainsi que nos moments de joie et de bonheur. Autrement dit, c’est une empathie totale. Rien de ce qui nous arrive ne peut le laisser indifférent. Derrière l’homme qui noue ce genre de relation avec une femme, encore une fois, il y a toujours le désir sexuel. C’est l’unique raison qui explique qu’il ait désiré et accepté d’être votre « ami » plutôt que celui d’une autre. Par contre, si un jour son désir sexuel n’était plus, il se peut qu'il cesse de s’investir petit à petit, voire brusquement dans cette relation. C’est pareil qu’en couple, lorsque ce dernier bat de l’aile, le fonctionnement est absolument identique. Dans mon esprit un ami peut tout me dire et réciproquement. Mais rares sont les hommes qui osent dire à une femme « amie » qu’il la désire, uniquement parce qu’ils ont envie de le lui dire, sans plus, sans cherchez midi à quatorze heure. Mais que cela soit exprimé ou non, il m’apparaît clairement que l'homme est dans une relation de type amoureuse envers vous et non amicale dans le sens où, entre  nous hommes, nous l’entendons. Si ce sentiment amoureux n’était pas là, nous ne pourrions nous investir, avoir de l'empathie envers vous.
 
Avant d’aller plus loin je tiens à préciser qu'un sentiment amoureux n’est pas de l’amour, celui qui se construit à petits pas chaque jour et qui se solidifie avec les années. Être amoureux, c’est désirer et uniquement cela, quoi que l’on désire. On peut être amoureux d’un être comme d’un animal, d’un tableau, d’un morceau de musique ou d’une voiture. Ce sentiment peut conduire à l’amour mais, en l’état, il ne  l'est pas. L’amour n'est amour que lorsque la souffrance y est intimement liée. Quand un être aimé disparaît, ne serait-ce qu’en idée, nous en souffrons, c'est un véritable manque. Etre amoureux peut certes mener à la déception mais pas à ce type de souffrance.
 
Revenons au désir sexuel de l’homme à présent, à ce désir sous-jacent a toute relation profonde de type non sexuel que nous acceptons d’établir avec vous. Si un homme se veut être votre ami, ne pensez jamais que l’acte sexuel soit sa finalité envers vous, avec vous. Si c’était le cas il ne pourrait rester des mois ou des années à vos côtés. Cependant, il ne peut pas être fermé à cette possibilité lorsqu’il se regarde honnêtement dans une glace. Son état d’esprit est similaire à celui de votre mari quand il vous a connu. Est-ce que votre « ami », comme votre mari hier,  pourra également passer du sentiment amoureux à l'amour ? Bien sûr. Néanmoins son désir sexuel envers vous ne va pas disparaître pas pour autant. Est-ce que celui de votre mari a disparu quelques mois seulement après votre union ? Mari ou pas mari, un homme est un homme et ce n’est pas la fonction sociale qui commande ce type d’élan.
 
Deux amis hommes peuvent parler de sexe entre eux s’ils le veulent. Ils peuvent se faire des confidences et nommer celles qu’ils désirent sans que cela prête à conséquence. Comment pourrions-nous faire de même avec à vous si déjà, pour une raison ou une autre, nous ne nous autorisons pas à exprimer notre désir envers vous, ce désir qui est en grande partie la cause de notre présence près de vous ? De même, les formules creuses du type « il n’y a pas que le sexe dans la vie », je les laisse à ceux et celles que la sexualité, d’une manière générale, dérange. Certes il n’y a pas peut-être pas que le sexe dans la vie mais si tout le monde désire être en couple néanmoins, ce n’est pas pour le seul plaisir de se regarder dans les yeux. Lorsque l’on choisit son compagnon ou sa compagne, le désir et l’acte sexuel ne pèse pas un peu dans notre balance ce jour-là. Je serai même tenté de dire qu’il est l’élément qui conditionnera entièrement notre choix, que l’on soit un homme ou une femme. Vous viendrait-il à l’esprit de vous marier avec quelqu'un dont  l’idée seule de faire l’amour avec lui vous repousserait ? Soyons sérieux et arrêtons de nous moquer. Au même titre que nous avons faim et soif, nous avons des désirs sexuels. Ces trois états sont complètement indépendants de notre volonté et peu importe que le désir sexuel s’exprime différemment chez la femme et l’homme. Ces désirs sont là, bien en nous, au même titre que la plus petite de nos pensées.
 
Plus ça va et moins je comprends qu’entre nous ne puissions parler sereinement de cela, sans être sur ses gardes, au cas où. Au cas où quoi ? Lorsque vous êtes dans une boulangerie et qu’un gâteau vous tente, vous ne vous ruez pas dessus pour autant. Vous savez vous contrôler, vous arrivez à aller à l’encontre de votre désir, non ? Cela veut-il dire qu’il n’est plus là, qu’il a disparu? Volatilisé comme par magie ? Un homme qui vous désire c’est la même chose. L’immense majorité des hommes n’a rien à voir avec les pitbulls ou autres chiens d’attaque qui meublent vos fantasmes. Nous ne cherchons pas systématiquement à tout mettre en œuvre pour vous amener à nous dire oui et heureusement ! Comme vous, nous savons nous contrôler et aller à l’encontre de ces pulsions si nous estimons que notre relation avec vous en vaut la peine. Notre seul souci sera alors de vous plaire, de vous séduire afin que vous acceptiez notre présence auprès de vous sans peur et sans crainte. C'est ainsi que cela se passe entre deux amis hommes et deux amies femmes. Pourquoi serait-ce différent entre un homme et une femme? Je précise également que vouloir plaire n’est pas la même chose que vouloir assouvir une envie sexuelle. De même, je ne comprends pas l’amalgame qui est trop souvent fait entre une « envie » sexuelle et le « besoin » sexuel. Des envies, tout le monde en a, hommes et femmes. Le besoin de les assouvir, lui,  relève d’un autre ordre et là, c’est vrai, n’importe qui peut faire l’affaire en face. Mais c’est également valable pour les femmes. Maintenant, est-ce qu'un homme éprouve le besoin d’assouvir ses envies sexuelles plus souvent qu'une femme ? Je ne vais pas le nier évidemment. C’est ainsi. Et alors ? Celles qui s’en plaignent devraient aussi nous demander d’arrêter de respirer. C’est exactement du même ordre, autrement dit un véritable non-sens où même l’absurde est dépassé par la folie. Que penseriez-vous si certains hommes vous demandaient de limiter, voire d’éradiquer définitivement vos pertes menstruelles? Vous diriez que ce sont des malades et vous auriez bien raison de le criez ! Nous acceptons vos règles et nous acceptons également que vos besoins d’assouvir vos envies sexuelles soient moindres que les nôtres. Il serait peut-être temps de nous rendre la pareille et de cesser de nous prendre pour des obsédés sexuels permanents. Alors oui, l’homme ne peut s’empêcher de désirer la femme qu’il choisit d’approcher, C’est notre vérité. S’il ne la désire pas, jamais il ne l’approchera, jamais il ne cherchera à construire quoi que ce soit avec elle. Ceci est un fait, c’est notre nature, du génétique et de l'hormone, il ne peut en être autrement. Pourquoi s’obstiner à nier cette évidence, à faire comme si elle n’existait pas ? Personne ne peut minimiser l'importance de nos désirs sexuels puisque c’est le nœud même du plus petit de nos pas envers vous, pour vous et avec vous. Le jour où les hommes penseront qu’ils peuvent parler librement de sexualité avec vous, je crois que cela modifiera considérablement la donne entre vous et nous. Réciproquement peut-être ? Alors à vous de nous le faire savoir.

N’étant pas un surhumain, surtout en matière sexuelle, et constamment en contact avec ces trois femmes, un jour j’ai fini par céder à la tentation. Ce fût avec Isabelle, mais notre aventure ne dura guère longtemps. Un ou deux mois après le début de notre relation, comme Nathalie en son temps, elle m’annonça qu’elle était enceinte et qu’elle voulait garder le bébé. Cette fois-là j’eus de la chance, car elle eut un problème aux ovaires, subit une opération qui l’obligea à avorter. Suite à cela je la quittai car elle-aussi avait trahi ma confiance. De son côté, ce que je peux comprendre, elle éprouva le besoin de quitter notre domicile et c’est ainsi qu’elle emménagea avec Christelle, dans une colocation qu’elles trouvèrent à Villejuif, une autre banlieue parisienne. Puis vint ce soir où Farida m’invita à dîner chez elle. Là elle me fit part explicitement de son souhait d’être en couple avec moi. Gentiment, je lui signifiai une fin de non-recevoir et, là encore, la distance commença à s’installer entre nous. Puis il y eut Élise. Je ne sais plus où et comment cela s’est passé, mais nous nous sommes embrassé, longuement, amoureusement dirai-je. Au début nous avons gardé notre liaison secrète, mais quelques semaines après elle révéla tout à son mari. Ils divorcèrent peu de temps après et, parce que je n’étais prêt à retravaillé, à m’insérer de nouveau dans le monde du travail, Élise me quitta. Quelques mois après je rendais mon appartement de Montrouge, allait habiter chez ma mère, et c’est ainsi que nous ne nous vîmes plus les uns les autres.

Quand la nuit est la compagne
Où se croise tant de hasard
Qui de moi ou d’elles
Sur l’autre jette son regard ?
Pensez-vous qu’il y ait erreur
Lorsque nos yeux fuient vers nos cœurs
Déployant ainsi un voile
Entre nous et les étoiles ?


Entre-temps Nathalie me pourrissait toujours autant la vie, m’empêchant régulièrement d’accéder à ma fille. A force j’en eu plus qu’assez et me mis en tête de faire appel à la justice, afin que mes droits soient respectés. La première association que j’ai contactée, la plus connu, était SOS Papa. Lors de ma première entrevue avec eux je fus frappé par la violence du discours de celui qui nous recevait, moi et d’autres pères dans le même cas. C’était un discours guerrier ou, explicitement, il nous signifiait qu’il nous fallait prendre un avocat, monter un dossier décrédibilisant au maximum la mère, car si tel n’était pas le cas, jamais nous n’aurions gain de cause. J’étais ahuri par ce discours car, naïvement, je pensais que naturellement chaque parent avait les mêmes droits et qu’il n’était nul besoin de se faire la guerre pour les faire reconnaître. La même semaine, j’allais dans une autre association, la FMCP, où là, encore plus clairement, on me fit comprendre qu’un père n’était rien face à une mère dans le bureau d’un juge aux affaires familiales. Au FMCP, contrairement à SOS Papa, il nous incitait surtout à trouver un terrain d’entente avec la mère, hors des tribunaux, en passant par exemple par un médiateur ou une médiatrice. Leur approche me semblait plus sensée, plus saine, que celle de faire la guerre. Cette dernière je l’avais connu enfant, entre mes parents, et il était limpide que si j’entamais une guerre contre Nathalie, c’est ma fille qui en pâtirait. C’est ainsi que pendant trois ans, je pris sur moi pour renouer le dialogue avec Nathalie, mais c’était un dialogue de sourd car pas une fois elle ne m’a proposé une véritable place auprès de notre enfant. Puis vint ce jour où elle disparue du jour au lendemain, enlevant ma fille pour aller s’installer chez ses tantes, Rolande et Suzanne. C’est à ce moment-là, pendant ces quatre longs mois, que je n’eus plus aucune nouvelle de Jade.

A cette époque j’avais donc quitté Montrouge, la bande des six, et étais hébergé par ma mère car je n’avais plus argent ni travail et c’est dans l’un des cafés de la Porte de Saint-Cloud que je rencontrai pour la première fois Tony. Comme je l’ai déjà écrit précédemment, très vite nous nous sommes liés d’amitié. Bien qu’ayant grandis en France, en grande banlieue, il se réclamait comme portugais. Ses parents l’étaient, donc il l’était, c’est aussi simple que cela. A ses cotés j’ai donc découvert la communauté portugaise du quartier et leur esprit chaleureux, convivial, aimant rire et faire la fête. Bien entendu et ce, très rapidement, je fis part à Tony de mes déboires avec Nathalie et ma fille. Plus d’une fois j’ai tout voulu laisser tomber. Tant pis pour ma fille, elle grandirait comme ma mère, sans connaître son vrai père. Mais Tony ne l’entendait pas de cette oreille et m’encourageait à poursuivre mon combat, à ne pas me laisser aller, prétextant que c’est ma fille qui en pâtirait, elle qui n’était responsable de rien. Alors je repartais de l’avant, ruminant ma frustration d’être ainsi nié par sa mère. Tony travaillait au théâtre de Chaillot, place du Trocadéro, et grâce à lui je pu assister gratuitement à de nombreux spectacles. Cela me changeait les idées, le temps d’un ballet ou d’une pièce de théâtre, mais sitôt dehors je m’employais à ranger mon frein, à essayer de ne pas penser à la connasse de mère qu’avait ma fille, car vous qui connaissez maintenant mon histoire, vous pensez bien que l’idée de la tuer m’a traversé plus d’une fois l’esprit. Mais quand cette idée macabre m’assaillais, je faisais tout pour ne penser qu’à Jade, à son bien, et il devenait alors clair qu’elle ne pourrait être une enfant épanoui si ma mère était morte, qui plus est tuée par son père. Ce genre de combat contre moi-même était quasi quotidien, m’épuisant littéralement, et c’est dans des moments de profonde déprime que j’envisageai de délaisser ma fille définitivement. Mais c’eut été un acte lâche, comme me le faisait justement remarquer Tony. Contrairement à moi, il était et est toujours à l’image de ma mère, un battant, quelqu’un qui en veut et peu importe de quoi il s’agit. Hormis cette dissemblance entre nous, car moi je ne suis pas un battant, je suis juste quelqu’un qui est prêt se battre verbalement ou physiquement, mais pour un temps seulement. Assez rapidement je lâche prise et c’est alors ma nonchalance, voire mon dégoût de vivre qui reprend le dessus. Un battant, il se juge et tient sur la distance. Un bagarreur, c’est tout à fait autre chose. Il est dans le ponctuel, dans l’instant, dans l’éphémère. En cela, malgré mon parcours de vie et ses épreuves, je ne suis pas un battant. Je suis un rescapé, un survivant, un miraculé qui ne doit d’être en vie que grâce à la chance, une chance que je ne comprends pas. Même si Tony et moi sommes bien différents sur ce point, nous avons pourtant beaucoup de point communs. D’abord nous sommes tous deux des grandes gueules. Si nous avons un avis, un point de vue ou une explication à mettre sur la table, nous n’hésitons pas et tant pis pour les âmes sensibles. Personne ne nous impressionne, dans ce sens où nous ne nous sentons ni plus grand ni plus petit que les autres, qui que soit notre interlocuteur, quel que soit sa verve ou son statut social. Notre opinion n’a pas moins de valeur que celle d’autrui, ceci est une chose acquise. De même nous n’aimons pas les cons, ceux ou celles qui ont des raisonnements incohérents, voire qui n’ont aucun raisonnement, qui réagisse avec des à-priori, des préjugés dont ils ne savent même pas expliquer le pourquoi, leur fondement. Enfin, et en cela il m’a converti à son point de vue et ce, définitivement, seuls les actes ont une valeur dans la vie, seuls les actes sont une preuve, bien plus que les belles paroles, les promesses ou les vœux. Combien de fois n’avons-nous pas débattu sur l’état de notre monde, de nos sociétés, de la France et, à chaque fois nous arrivions exactement au même constat. J’ai trouvé en Tony un autre Dédel, mais bien plus profond. Très rares sont les personnes avec qui j’ai pu aller aussi loin dans la réflexion et plus rares encore sont celles qui sont parvenues à me faire douter de mes raisonnements. Tony en fait partie. Souvent je m’interroge sur lui car, d’expérience, j’ai compris que les gens ne se forçaient à la réflexion qu’à travers les épreuves, mais lui, même si c’est une grande gueule, est quelqu’un de très discret sur sa vie. Pour ainsi dire, il n’en parle jamais et à l’heure d’aujourd’hui je ne connais toujours rien de son histoire. Je ne connais que ce qu’il veut bien me montrer, mais jamais il ne me parle de son passé. Oui, dans ce domaine c’est un être discret et réservé, un peu à l’image ce Cynthia. Donc, dès que nous nous sommes connus, nous ne nous sommes pour ainsi dire plus lâchés. Tous les soirs nous nous rejoignions au café et chaque week-end nous nous réservions des moments à nous, à l’écart des autres, pour parler, discuter, philosopher et, pour ma part, me vider également de toute cette amertume que j’emmagasinais à cause du comportement de Nathalie. Tony dut la croiser deux ou trois fois avant qu’elle ne se barre avec ma fille. D’entrée de jeu, en écoutant le peu de ses discours, il m’a dit que c’était une conne. Les quatre mois où elle m’a confisqué ma fille, il était là également, à mes côtés. Il a vécu toute cette période et la suite, vue de ses yeux, entendues de ses oreilles les inepties qui sortaient de la bouche de Nathalie et, surtout, il a constaté les faits, des faits qui parlent d’eux-mêmes sur la bêtise, la sottise de cette dernière. J’étais tellement abasourdi par l’enlèvement de ma fille que Tony m’incita, exigea même, que je me remette à travailler, histoire de m’occuper l’esprit le temps que cette histoire se décante. Alors j’ai cherché un travail qui m’userait, qui me demanderait un tel investissement que sitôt fini, ma tête n’aurait plus la force de penser. C’est ainsi que je me suis reconvertis, entrant dans la restauration. Grâce à une relation je trouvais une place de garçon de salle de nuit dans un bar de la place de Clichy. J’entamais mon travail à dix-neuf heures et ne finissais ma soirée qu’à sept heures du matin. Travaillant douze heures par jour, au noir, je rentrai chez moi le matin épuisé. Immédiatement je m’endormais et lorsque je me réveillais, c’était l’heure de repartir au travail. Mes jours de congé étaient le dimanche et le lundi. C’est là que je revoyais Tony et sa femme, Patricia, et systématiquement je les invitais au restaurant. Avec eux, en leur compagnie, je soufflais un peu, respirai comme je le pouvais, essayant de ne pas trop penser à ma fille, car mon envie de descendre chez les tantes qui l’hébergeait, elle et sa mère, était plus que grande. Vous dire que je voulais en découdre, tuer ces trois salopes, ces trois connes, est un euphémisme. Si elles s’étaient trouvé face à moi, avant de les crever, je les aurai torturé, les aurai fait souffrir, transperçant lentement mais sûrement leur peau à l’aide de n’importe quel objet tranchant. Je me serai bien vu les cramer à petit feu à l’aide d’un tison, enfonçant celui-ci dans leur peau jusqu’à qu’il touche l’os, n’importe quel os. Oui, encore aujourd’hui, ma haine est toujours aussi intacte et mieux vaut pour ces tantes que jamais elles ne croisent ma route. Quant à ma fille, si sa mère est toujours de ce monde et qu’elle me voit encore, même si elle ne le sait pas, c’est uniquement grâce à Tony et Patricia qui se sont toujours évertuer à ce que je reste dans le droit chemin, que j’évite la vengeance et le meurtre, que je ne coupe pas ma relation avec Jade. Ensuite il y eut ce que vous savez, ce que j’ai narré au début de mon histoire, une convocation chez un juge aux affaires familiales pour sceller notre sort à tous les trois, Nathalie, Jade et moi. Nous devions être en 2005 ou 2006.

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