vendredi 13 mars 2015

5 décembre 2013

5 décembre 2013


Quelle heure est-il ? 7H50 ? J'ai demandé à ce que l'on me réveille à 6h30 car à 9h30 j'ai une consultation en stomato, avec le peu de temps qu'il me reste pour élaborer, comment dire, la possibilité de me mettre un dentier, je ne sais pas. Honnêtement je ne comprends pas l'utilité de cette consultation que je n'ai pas demandé. Mais bon, peut-être est-ce à cause du traitement à venir, la chimiothérapie évidemment, peut-être a-t-elle des conséquences sur la dentition, sur la gencive, je ne sais pas. Je comprendrai peut-être mieux ça tout à l'heure.

Quoi qu'il en soit, même si je me suis couché relativement tard comparativement à d'habitude, où d'habitude à 10h00 du soir je tombe, et quand je dis tomber c'est tomber, cette nuit j'ai dû m'endormir vers, allez, 1h00 du matin, entre 1h00 et 2h00 du matin. J'ai bien dormi, oui, je peux le dire, j'ai bien dormi. Pas une seule fois je ne me suis réveillé et à 6h30, lorsque l'infirmière est donc venu me réveiller à ma demande, je n'avais dans ma tête aucune idée, aucun rêve, aucun cauchemar. J'appelle cela passer une bonne nuit, ma tête semblait vide. Au moins, et je commence à comprendre à force,  néanmoins je suis déjà dans la réflexion alors qu'ordinairement, une demi-heure après mon réveil, il m'était impossible d'être dans la réflexion, même si j'avais passé auparavant une excellente nuit. Auparavant mon esprit mettait une heure, deux heure, voire parfois trois heures avant d'être complètement réveillé, à sortir de sa léthargie de la nuit. Non, là, cinq minutes après, déjà ma tête était dans la réflexion, comme si j'étais en pleine journée d'action, comme tous ces gens qui sont déjà au travail, qui s’agitent, qui s’agitent, qui s'agitent... Pourtant je suis bien, bien dans le sens où je n'éprouve aucune tristesse, aucune colère, aucune amertume. Oui, je suis bien dans ce sens-là. Mais je sens en moi la tension, toujours, et quand je dis que je sens la tension, ce n'est pas mon esprit, mon esprit est plutôt comme un loup aux aguets qui observe cette tension, cette tension dans mon corps, jambes, dans mes bras, je la sens qui circule dans mes veines, tension prête à bondir. Je commence à comprendre un peu, maintenant, ce que je deviens, en tout cas pour l'instant, car je me demande toujours, demain, à quoi je ressemblerai ? La tension étant présente je sais maintenant, comment dire, pour que j'agisse de suite, le plus rapidement possible, pour qu'elle redescende, que la seule chose à faire pour que ma journée soit bonne et que je ne la sente plus couler dans mes veines, couler dans mon sang, oui, il va falloir que je trouve un moyen. Le seul que j'ai à l'heure actuel c'est de m'isoler. Là, à cette heure-ci, dans l'hôpital, la majorité des patients dorment encore, c'est l'heure des relèves, les infirmières de nuit rentrent chez elles, les infirmières et infirmiers de jour arrivent, prennent leur poste, leur petit café du matin, leur dernière cigarette avant d'attaquer leur journée. Pour éviter de croiser tout ce personnel, pour éviter de croiser ce ballet de va et vient de tous les matins qui n'aident pas justement à ce que mon corps se détende, le matin je prend donc mon café dehors, comme d'habitude donc, mais dans un autre coin de l'hôpital. Je suis sur une espèce d'esplanade qui est située tout en haut de l'hôpital de La Croix-Rousse, aucun escalier n'y mène directement, aucune voiture ne peut passer, aucun parking alentour, donc à cette heure c'est, je crois, l'un des endroits les plus solitaires, disons-le comme ça, de l'hôpital. Je suis assis sur un banc et en face de moi, car l'hôpital, comment dire, car l'hôpital est situé à Lyon dans ce quartier que l'on appelle La Croix-Rousse, et pour moi il me rappelle curieusement Montmartre, c'est la même chose, un village en hauteur, en haut d'une butte, et l'hôpital est le Sacré-cœur de ce quartier, tout en haut. De là on domine la butte, de là, s'il n'y avait pas tous ces immeubles en face de moi, je verrai, j'en suis sûr, Lyon à perte de vue, comme lorsqu'au  Sacré-cœur, penché sur l'un des petits murets, on voit Paris à perte de vue.

Le silence m'a toujours fait du bien, même s'il est vrai que je n'ai jamais pu supporter trop longtemps en continu le silence, et toujours, le silence, lorsque je dis silence, j'entends l'absence d'activités humaines autour de moi, absence d'êtres de mon espèce autour de moi, voilà ce qu'est pour moi le silence, sans tous les bruits inimaginables, naturels, que l'on peut entendre, présents ou absents, sans activités humaines ni humanité au sein de ce milieu. Le silence, toujours, m'amène, me plonge même, dans une espèce de torpeur, torpeur que là, de suite, je ne pourrai pas définir. Torpeur, quelque soit, comment dire, quelque soit le sujet de la réflexion entamée, réflexion intérieur évidemment, toujours intérieur, en moi, bien au fond de moi, au creux de mon estomac, toujours il s'agit de réflexion que j’appellerai métaphysique, existentielle, et il n'y a que dans le silence, que dans le silence, que je peux plonger au fond de l'abîme du sujet.

En ce moment, comme depuis quatre semaines d'ailleurs, j'ai donc envie de parler, toujours envie de parler, mais parler pas pour papoter, parler non plus pour être écouté, sinon je parlerai directement à quelqu'un plutôt que dans ce dictaphone, non, parler comme si j'avais besoin de vider mon sac, de le vider. Cela veut bien dire qu'en moi il est des malles entières de choses non dites, que je relis à des choses non su que j'aurai voulu faire savoir, mais, toujours en l'état, je ne sais pas exactement ce que contient ce sac. Je ne sais pas quelle est la panoplie d'idées, de pensées, d'amertumes, de regrets, de joies ou de bonheurs qui veulent s'extirper de moi, s'enfuir, s'envoler, comme les oiseaux, comme les hirondelles dans l'air libre. C'est un peu comme si sachant mon corps mourir ou allant mourir, je voulais libérer tout cela de moi, leur rendre enfin leur liberté.

Bien que l'idée me traverse chaque jour l'esprit, oui, chaque jour depuis le début, pourtant je n'ai envie de m'attarder sur aucune personne en particulier, dans le sens où je n'ai pas envie, ou ne peut pas pour l'instant, bloquer ma réflexion, ma pensée, sur une seule personne en particulier. Pourtant j'aimerai dire des choses sur toi Cynthia, sur toi mon frère, sur toi ma sœur, sur ma mère bien évidemment, ma fille, évidemment, bien plus qu'évidemment d'ailleurs, ma nièce que j'adore, ma nièce qui, je l'éprouve encore, je m'en souviens encore, le vois encore, moi qui n'est pourtant pas de mémoire et très très peu de souvenir, qui, lorsqu'elle est apparu dans la vie, dans notre vie familiale, a été, je ne sais comment dire, je ne sais comment dire, comme l'irruption d'un nouvel univers, une nouvelle galaxie. Lùa, pour moi, est le premier enfant de ma famille. Quand je dis de ma famille, cela sous-entend qu'avant son arrivée, enfin de compte je ne me sentais pas appartenir à une famille. Évidemment j'avais un frère, j'avais une sœur, une mère, un père, un peu comme tout le monde, mais pour autant je ne me sentais pas dans une famille. Sans doute parce que l'histoire, notre histoire commune, était tout sauf un long fleuve tranquille, peut-être parce que notre histoire commune était tout sauf amour, amour au sens où l'on veut le bien de l'autre et, en acte, on agit en conséquence. Non, le souvenir que j'ai de cette « famille », ce groupe que nous formions, c'était plutôt, comment dire, l'alignement d'histoires individuelles, solitaires, les unes ayant très peu de rapport avec celles des autres, les unes se confondant très très rarement, ou exceptionnellement, avec celle de l'autre. Non, le souvenir que j'ai de cette « famille », ce groupe, c'est ça, c'est l'aventure de cinq histoires parallèles, pas unies, jamais, sauf peut-être lorsque j'étais enfant, très jeune, mais sinon jamais il me semble que nous ayons pris ensemble tous les quatre ou tous les cinq la même route, une même voie, avec une même envie, un même but et de mêmes objectifs.

Toujours j'ai trouvé que les bébés, les petits enfants, en deçà de trois ans, étaient de petits êtres mignons, adorables, tellement ils n'étaient que des petites merdes, des petites merdes, comment dire, des petites merdes inoffensives. Quand ma nièce est née, Lùa, toi n'est-ce pas, tout a changé. Brusquement, immédiatement, elle, et tout les autres enfants d'ailleurs, tous les autres bébés je ne les ai pas considéré ainsi. Immédiatement  elle m'est apparue comme l'une des miennes, comme si quelque part elle était moi, comme si quelque part j'étais elle, comme si quelque part nous étions un, je ne peux pas expliquer ça mieux que je ne viens de le faire. Donc pour la première fois de ma vie il me semble, j'ai vu, je me suis senti appartenir à une famille, mais à une famille où, à l'origine, nous n'étions que deux. C'était elle et moi, moi et elle, mais elle, comment dire, elle était là, parce  qu'elle avait un père, parce qu'elle avait une mère, ma sœur, Ilham n'est-ce pas, et du coup, comme un enchaînement logique, évident, comme des chaînes qui se mettent en place toutes seules, c'est alors seulement peut-être que j'ai senti que ma sœur était aussi ma famille et le père de Lùa également. Peu m'importe, encore aujourd'hui, que ma sœur, Ilham, et Laurent, le père de Lùa, se soient séparés, peu m'importe cela, Laurent est dans mon cœur, c'est aussi ma famille. Toujours dans cet embrigadement mécanique d'enchaînage, mon frère aussi, subitement, n'était plus seulement mon frère, il est devenu aussi ma famille.Et ma mère qui, pour la première fois de sa vie, devenait grand-mère, elle aussi m'est apparue, bizarrement, comme étant ma mère, ma mère au sens de la mère de la famille. Lorsque je regardais Lùa, quant elle était bébé, qu'elle ne pouvait pas encore marcher, qu'avec Nathalie, souvent, pour que ses parents, comment dire, lorsque les parents de Lùa avaient des choses à faire, des sorties de prévues, des amis à voir, peu importe quoi, donc avec Nathalie, régulièrement, nous allions garder Lùa. Je m'en rappelle encore, elle ne marchait pas, elle était un petit bébé et je la contemplais. Mon dieu, qu'est-ce qu'elle était belle déjà. Je ne sais pas si c'est elle enfin de compte que je voyais ou celle qu'elle deviendrait, mais mon Dieu, qu'elle était belle déjà. De la même façon, je ne saurai expliquer là non plus pourquoi, avec elle, envers elle, je me sentais des devoirs. Pour autant j'étais incapable, et même aujourd'hui à l'heure d'aujourd'hui, je suis toujours incapable de dire de quels devoirs il s'agit. Pourtant, toujours aujourd'hui, j'estime, et ce n'est même pas j'estime, je l'éprouve, j'ai des devoirs envers elle, un devoir, et en ce moment, depuis ces quatre semaines, à chaque fois que je pense à elle, je ne cesse de chercher pour pouvoir mettre en acte cette émotion, ce sentiment que j'éprouve, je ne cesse de chercher quel est ce devoir ? Il m'apparaît clairement que c'est un devoir de transmission, mais transmission de quoi ? Que dois-je lui transmettre ? Que dois-je lui transmettre pour qu'elle, contrairement à moi, contrairement à sa mère, contrairement à mon frère ou à ma mère, elle puisse se vivre dans son corps, dans sa chair et dans son esprit comme un être heureux, quel est cette chose que je dois lui transmettre et qui, je le sais, j'en suis convaincu, si je parviens à cerner ce que c'est, donc je suis convaincu qu'elle comprendra et qu'elle saura mettre à profit. Aujourd'hui elle a 17 ans. Depuis 17 ans je l'ai vu et la vois toujours évoluer, je l'ai vu grandir,  je l'ai vu mûrir, je l'ai vu heureuse et surtout, il me semble, oui, et cela donne des larmes, je l'ai vu souffrir. A chaque fois que j'ai vu ma nièce souffrir, pour moi c'était horrible, et quand je dis horrible c'était un déchirement de la chair. A chaque fois que je l'ai vu souffrir, bien souvent, ses souffrances n'étaient que la conséquence de son comportement, de son comportement essentiellement envers sa mère, sa mère qu'elle ne respectait pas. Mais je ne peux pas jeter la pierre à Lùa, car si elle ne respectait pas sa mère, c'est que ni sa mère ni moi ni personne d'ailleurs, n'avons su, comment dire, lui apprendre ce respect. Ainsi, manquant de respect à sa mère ou à d'autres personnes, il est bien entendu que les autres, chacun à sa sauce, la punissait, et je voyais donc ma nièce souffrir. Même moi, et oui, même moi je l'ai puni. Je me souviens d'un noël où je ne sais plus trop pourquoi, à un moment donné je l'ai envoyé balader. Elle est partie dans l'une des chambres, nous étions chez ma mère, pleurer je pense, dans son coin, et à un moment donné elle est revenue dans le salon, nous étions tous à table à poursuivre ce repas de noël, elle est venue vers moi pour s'excuser. Et je me souviens très bien que j'ai refusé ses excuses en public, une humiliation de plus pour elle, elle a redoublé de pleurs. J'ai refusé ses excuses parce que je pensais qu'ainsi, une fois, une seule fois et une bonne fois pour toute, elle comprendrait que les excuses, comment dire, ou plus exactement que tous les comportements ne sont pas forcément excusables et qu'avant d'adopter tel ou tel comportement, quitte à s'excuser après, il faut s'assurer qu'il pourra être excusable. Si tel n'est pas le cas, il ne faut s'étonner que l'on nous envoie balader, que l'on nous rejette ou que l'on nous nie. Éduquer un enfant, élever un enfant ou le ré-éduquer, un être, tout simplement, quelque soit son âge, n'est vraiment pas chose simple. Tout cela est un conditionnement. Le problème est la méthode, non pas le fond, le fond est simple, car celui ou celle qui conditionne sait exactement ce qu'il attend de l'autre, de celui ou celle qu'il va conditionner. Donc, le fond est très très simple. Non, la difficulté réside dans la forme. Comment s'y prendre, comment faire pour atteindre l'objectif ? Comment s'y prendre, comment faire pour que l'enfant nous respecte, nous obéisse, nous aime ou nous craigne ?

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