lundi 2 mars 2015

Ce matin j'ai vu mon psychiatre

Ce matin j'ai donc vu mon psychiatre, mais je n'avais pas grand chose à lui dire. Rendez-vous a été pris pour vendredi prochain. Je le vois deux fois par semaine, c'est la seule personne avec qui je m'entretiens régulièrement, hormis Cynthia évidemment. Les sujets que nous abordons sont pratiquement toujours les mêmes, ma maladie, mon couple, ma fille et certains événements de mon passé, les moins agréables évidement. Je ne sais si ces séances servent à grand chose, mais puisque je continue à y aller c'est qu'elles doivent m'être utiles quelque part.

En ce moment, dans mes écouteurs, j'écoute le groupe « Dead Can Dance », une musique et des chants presque lyriques, d'église. Je pense également au roman que j'essaye d'écrire, mon nouveau monde, et petit-à-petit des trames se mettent en place, les rôles des divers personnages m'apparaissent pus clairement et j'ai même commencé des ébauches de dialogues entre quelques uns d'entre eux. Pour autant je n'ai toujours pas assez de matière pour attaquer franchement le roman à proprement parlé. Je balance sur mes feuilles des jets d'idées, de situations, de trames, les une à la suite des autres sans qu'il n'y ait de véritable cohérence entre tout çà. C'est un puzzle dont je construit les pièces une par une, le temps que se dessine enfin le paysage complet qui me permettra de remettre tout cela dans l'ordre. De même, de parler de ce roman me fait penser à Emil Cioran, par association d'idée, cet écrivain, voir ce philosophe nihiliste dont la pensée à beaucoup marqué la mienne. « De l'inconvénient d'être né » est le premier de ses ouvrages que j'ai lu. Dans ses phrases, ses métaphores, je me suis immédiatement reconnu. J'ai découvert cet écrivain en 1998, alors que j'avais 31ans, à l'initiative du psychiatre qui me suivait alors, Cahn, et qui me suggéra de le lire. Moi qui avait déjà les idées bien noires à cette époque, j'ai pensé que Cahn était fou de me faire lire un tel auteur pour qui tout est vain, absolument tout, y compris cherché à guérir, à aller mieux, à ne pas tomber plus bas que l'on ne l'est déjà. Cioran n'est pas pour tout le monde, de cela je suis sûr, et pour peu que vous ayez le moral à zéro il est même à éviter. Il est l'auteur que j'ai le plus lu et il me semble avoir lu presque l'intégralité de son œuvre. Ses constats, ses analyses, qu'ils soient métaphysique, philosophique ou sentimentaux, m'apparaissent encore aujourd'hui tous juste. Je n'ai pas trouvé de fausse note dans ses écrits, il était en quelque sorte ma bible, mais depuis l'apparition de ma maladie ma vision de sa pensée s'est modifiée. Contrairement à hier il n'est plus une icône intouchable et même si ce qu'il dit est vrai, que tout est vain au bout du compte, je m’aperçois néanmoins que je m'accroche à la vie puisque je me soigne, retardant ainsi l'instant de ma mort. Oui, il y a la théorie à laquelle l'on peut totalement adhérer, puis il y a la pratique qu'il n'est pas forcément aisé de mettre en adéquation avec la théorie.

Aujourd'hui le soleil est présent sur Rennes, ce qui met instantanément du baume au cœur, même s'il souffle néanmoins un petit vent frais. Oui, souvent je me suis interrogé sur les quatre saisons, sur la pluie, le soleil, la neige, etc, et de leur impact sur notre moral. Forcément, des études scientifiques ont été fait sur le sujet, expliquant l'impact du soleil, de la chaleur ou de la lumière sur notre psyché. Il doit en aller de même sur la pluie, l'absence de lumière, le ciel voilé, etc. Mais plutôt que de lire toutes ces études, je me contente de constater que mon moral va toujours mieux lorsqu'il y a du soleil, quelque soit la température. Mais par ailleurs, l'absence de soleil, comme lorsqu'il y a les pluies régulières qui traversent la Bretagne, correspond mieux à celui que je suis intérieurement. Vous dire qu'il pleut continuellement dans mon cœur serait mentir, mais par contre son ciel est toujours voilé, les éclaircies sont très rares, voire exceptionnelles. Donc, même si le temps est presque constamment couvert, cela fait des années qu'il n'y a pas plut. Même lorsque j'ai appris ma maladie, mon cancer, même si cela m'a complètement déstabilisé sur le moment et après, il n'a pas plut pour autant. C'était plutôt comme des orages secs d'où sortaient mil et un éclairs, perturbant complètement mon regard car, tant ils étaient nombreux, je ne savais plus où regarder. Je n'ai plus de souvenir exacte sur mon état d'esprit d'alors, mais je sais que j'avais un dictaphone sur lequel j'enregistrai chaque jour mes états d'âme. L'année dernière j'avais commencé à retranscrire par écrit tous ces mini-discours, mais je ne me rappelle plus la teneur de ces derniers. A l'occasion il faudra que je les relise, histoire de me replonger dans cette période bizarre où je pensais que chaque jour était mon dernier jour. Oui, le traumatisme a été fort, même énorme, et m'a depuis complètement transformé. Dans ma vie, j'ai connu pas mal de traumatisme, mais de cette intensité-là, je n'en ai connu que deux autres qui, eux-aussi, m'ont alors radicalement transformé. Le premier, c'est quand j'avais onze ans et que pour la première fois de ma vie je vis mon père frapper ma mère, scènes qui se répétèrent pendant de nombreuses années. Le second traumatisme est la mort que j'ai causé, la mort de Michel, mort bêtement dans une bagarre d'ivrogne alors que j'avais 26ans. Oui, là aussi le choc fut énorme. Être responsable de la mort de quelqu'un, quand bien même ce n'était pas notre attention, surtout si ce n'était pas votre intention, ne peut vous laisser indemne, c'est impossible, à moins d'être sans cœur. Là aussi, comme lorsque j'ai appris que j'avais un cancer, plus rien n'eus plus de sens, j'étais face à un mur infranchissable, ne pouvant plus faire un pas, ne pouvant plus avancer car demain n'existait plus. J'ai mis plus de sept ans à me remettre du décès de Michel, sept longues années de calvaire où j'étais plus un zombie qu'autre chose, un mort-vivant plutôt que quelqu'un dans la force de l'âge. C'est depuis cette époque qu'il n'y a plus eu d'éclaircie dans mon cœur, que le ciel s'est couvert à jamais et, lors de sept longues années à ressasser en long, en large et en travers sur ma responsabilité quant au sort de Michel, ce fut sans cesse des pluies et des pluies avec de brèves accalmies, de brefs moments de repos qui ne duraient jamais plus de deux jours d’affilés. Quelque part je me suis plus facilement remis de la découverte de mon cancer que de la mort de Michel. Aujourd'hui encore, je sens que je ne suis pas complètement en paix avec cette histoire, que c'est une tâche sombre à jamais gravé au centre de mon cœur, tel le sceaux de l'innommable, de ce qui n'aurait jamais dû être et qui, pourtant, a été.

Même si le contexte est différent, je pense souvent aux accidents de la route où deux véhicules se télescopent, faisant ainsi un ou plusieurs morts. Je me met à la place de celui qui est à l'origine de l'accident, le fautif, et me demande tout ce qui doit lui traverser l'esprit lorsqu'il apprend qu'il est également la cause, l'origine d'un décès. Lui aussi ne doit pas être bien dans sa peau et, ce, pour un long moment également. Oui, c'est horrible d'être responsable de quelque chose d'aussi tragique, surtout lorsqu'on prend conscience au fur et à mesure du temps qui passe que derrière le mort, il y a souvent toute une famille, une femme, des enfants qui sont dans le deuil. Ce n'est pas une seule vie que vous avez brisé, mais plusieurs et, ce, de manière irrémédiable. Vous aurez bon vous confondre en mil eu une excuse, vous ne ramènerez ni le père, ni la mère ou l'enfant à la vie, et sa famille, tant bien que mal, devra apprendre à vivre avec cette absence injuste. Comment voulez-vous avoir un cœur ensoleillé après cela ? Certes, comme l'on dit, avec le temps tout passe, ce qui n'est pas faux, mais n'est pas vrai pour autant. Certains événement, même s'ils sont intégrés, en partie ou complètement digérés, laissent des traces, des marques que le temps lui-même ne saurait effacer. C'est alors un bagage, une valise à porter toute sa vie et son poids, selon la force de notre personnalité, est plus ou moins lourd à porter. Néanmoins ce bagage nous accompagne à chacun de nos pas, que nous en ayons conscience ou non, et rend souvent ardu notre marche en avant, nos efforts pour essayer de passer à autre chose. Oui, la monté est non seulement à pic, mais de plus se fait sous une pluie glaciale accompagnée d'éclairs foudroyants tout les deux mètres. La tentation est souvent grande de tout laisser tomber, d'arrêter de tenter d'affronter la montagne et de se laisser rouler jusqu'au bas de cette dernière, ce que j'ai fait régulièrement à cette triste époque. Du coup, lorsque vous reprenez l’ascension c'est encore plus pénible, plus âpre, parce que vous avez tout le parcours à refaire, exactement les mêmes difficultés à affronter, il ne serait y avoir d’échappatoire si l'objectif est de sortir sa tête du trou afin de pouvoir découvrir enfin d'autres horizons.


(2 mars 2015)

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