dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 8

VIII


Est-il possible de parler de ma personne, de ce que je suis aujourd’hui, sans vous entretenir sur ma fille et toutes les inégalités dont les hommes sont victimes dès lors qu’ils se séparent de la mère de leur enfant ? Il y a l’enfant roi et il y a la reine mère. L’homme n’est qu’un vulgaire spermatozoïde dans ces histoires et plaise à Dieu ou à ses démons que le père convienne à la mère de sa progéniture afin d’accéder librement et pleinement à son enfant. Il y aurait tant à dire sur la discrimination à l’encontre des hommes, discrimination dont la plupart n’ont même pas conscience, à plus forte raison lorsque ceux-ci sont des pères divorcés ou séparés, que c’est à vomir bien plus qu’à pleurer, même si je ne peux empêcher mes larmes de couler à l’évocation de cette période qui est loin d’être terminée. Je ne peux oublier et ne pourrais jamais oublier je crois que sa mère ne nous a pas toujours permis de nous voir. C'était quand elle le voulait, au moment où elle le voulait et là où elle le voulait. J’ai rencontré Nathalie, la mère de ma fille, en 1996 et en 2001 elle tomba enceinte. En avril 2002 ma fille naissait et six mois plus tard sa mère décida de notre séparation.

Elle est ma fille
Elle est le centre dorénavant
Elle est sa mère
Elle est au centre évidemment
Lecteur de leur romance
Contraint d’imaginer leurs regards qui se croisent
Pour comprendre chaque fois
Les chapitres terminés qu’elles déposent dans mes bras
Je n’ai plus d’horizons à lorgner
Dans ces chemins qui se dessinent à l’abri de mon regard
Mon cœur n’est que saison de leur histoire
Même si l’histoire n’est pas la mienne


Je ne peux oublier, alors que ma fille avait quatre ans, que du jour au lendemain je n’ai plus eu aucune nouvelle. Ce fût ainsi pendant quatre mois, quatre longs mois, quatre fois trente jours, deux fois soixante, etc.  Une journée qui ne dure que vingt-quatre heures nous semble parfois longue, interminable, alors imaginez comment j’ai vécu ces cent-vingt jours  et  nuits consécutives. Je ne remercierai jamais assez mon ami Tony et sa femme, Patricia, de m'avoir obligé à me battre et non à me laisser abattre à ce moment-là. Sans eux, peut-être serai-je déjà éparpillé aux quatre vents. Je ne peux oublier également que c’est pendant ces quatre mois que la mère de ma fille pris la décision de déménager, mettant ainsi plus de distance et de kilomètres entre moi et notre enfant. Cela s’est fait sans aucune concertation, moi qui lui avais pourtant permis de devenir une mère lorsqu'un jour elle l'a souhaité, mère d'un enfant particulier, d'un enfant  qu'elle aime plus que tout autre, notre fille. Je ne sais pas qui j'étais alors dans son esprit, mais certainement pas le père de notre enfant, pas plus que je ne devais l’être le jour où elle décida de tomber enceinte, sans aucune concertation avec ma personne. Devant le fait accompli, voici la situation devant laquelle je me suis retrouvé un beau soir en rentrant de mon travail. J'ai donc été nié, n'étais plus rien, n'existais pas... éparpillé aux quatre vents une fois de plus.

A cette période, aux yeux de nos lois, la mère de ma fille et moi-même avions exactement les mêmes droits et devoir vis-à-vis de notre enfant. Ainsi, à chaque fois qu’elle a agit de manière à ce que je ne puisse accéder à notre enfant, elle violait purement et simplement mes droits, ceux de notre fille, elle violait la loi. J’aurai pu saisir la justice à maintes reprises, mais je ne l’ai pas fait car je pensais, très naïvement, que nous parviendrions à agir comme des adultes responsables, soucieux de leur enfant et non plus d'eux-mêmes. Je pensais qu'elle me laisserait enfin prendre ma place de parent à part entière et non plus de sous-parents après elle, sa mère, ma mère, ma sœur et toutes les femmes de ce monde. Puis un jour, pendant ces quatre fameux mois où je ne savais plus où était ma fille, si elle était vivante ou morte, si elle était en bonne santé ou malade, je reçu la convocation d’un juge aux affaires familiales, ainsi que les motivations de cette dernière. Je passe sur les détails, sachez seulement que la mère de ma fille demandait à notre justice que me soit accordé deux après-midi par mois avec mon enfant et uniquement une semaine de vacance par an, soit dix-neuf jours par an au total!

Alors dites-moi qui que vous soyez,  ce que je dois répondre à ma fille lorsqu'elle m'interroge sur ces quatre fameux mois, lorsqu'elle veut savoir ce que je pense des actes de sa mère? Pour justifier cette demande de mise à l'écart, la mère de ma fille, sûrement sur les conseils de son avocat, profession qui est loin d’être honorable, n’a pas hésité à mentir et à essayer de me salir. Cela aussi je ne peux pas l'oublier, ne le pourrai jamais. Mais dans mon malheur j’eus la chance d’avoir face à moi un juge qui n’était pas dupe de ses allégations. Il faut dire que je lui avais fourni les preuves de ses mensonges. J’ai alors demandé à notre bonne justice, équitable n'est-ce pas, gardienne de nos libertés et de l'égalité, parce que nous en étions là justement, à ce qu'un juge tranche et décide à notre place de notre avenir à tous les trois, j'ai donc demandé à ce juge qu'il accepte que la résidence habituelle de ma fille soit mon domicile. C’était et je le pense encore, l’unique moyen de ne plus jamais être séparé de mon enfant. A la fin de cette procédure, la justice de notre pays n’a cependant pas jugé utile de sanctionner les délits commis par la mère de ma fille, ni pour ses accusations mensongères, ni pour soustraction d’enfant à l'égard de l’autre parent - dans ce cas, on ne parle pas d'enlèvement d'enfant - ni pour atteinte au droit de notre fille d'avoir accès à ses deux parents. De plus, mais je pense que cela ne vous surprendra pas, la résidence habituelle de ma fille fut bien sûr fixée au domicile de sa mère.

Deux questions me viennent donc à l'esprit, tout de suite, immédiatement. Si c’est moi qui avais fait subir à notre enfant et sa mère ce qu’elle nous a fait subir, qu’aurait fait la justice à mon égard? M'aurait-elle laissé notre enfant? Tout se serait-il passé comme une lettre à la poste? Ma seconde question est plus politique car elle aborde un problème de société: Est-ce que la mère de ma fille, ou n'importe quel parent capable d'accomplir ce genre de délire se le permettrait s'il n'était pas convaincu de pouvoir agir en totale impunité ? Dans l'absolu je comprends parfaitement qu'énormément de mères agissent de la sorte. Ce n'est pas elles que je blâme le plus. Elles le font que parce que  notre justice, qui n'est que le reflet de notre mentalité en la matière, la reine mère et un père dont on peut se passer, le leur permet en ne les sanctionnant jamais. Je ne vais pas m’attarder plus longtemps sur ce que je pense de notre justice en matière d’affaires familiales, mais il faut retenir qu’un père n'est strictement rien en face d'une mère dans les murs de nos palais. Pour ma part, à cause d’une femme, une seule, et parce que la justice aux affaires familiales soutient le type de comportements et de délits qu'elle a commis - les sanctions contre les mères sont exceptionnelles, à griefs équivalents, ce n’est pas du tout le cas envers les pères -  mon regard s’est alors  complètement transformé envers les femmes. Aujourd’hui, alors que ce n’était pas le cas hier, si je vois une femme se faire agresser je n'ai plus envie d'intervenir. Mais croyez-vous que ce constat me rend heureux ? Lorsqu’à présent j’entends une femme se plaindre des inégalités dans le monde du travail, cela me laisse froid. Mais là aussi, croyez-vous que je peux apprécier cette image de moi ? Lorsque j’entends des mères séparées ayant leurs enfants à charge, croyez-vous que leurs plaintes me parlent à présent? Certes je comprends parfaitement ce qu’elles endurent, je sais que c’est dur, même très dur parfois. J'ai vu ma propre mère à l'œuvre. Bien que vous ne sachiez pas qui j’étais hier, moi je le sais. Je vois donc à quel point je suis descendue bien bas, trop bas, plus bas que bas. C'est comme si j’avais attrapé une maladie, une maladie sale et mortelle. Je suis devenu ce que j’exécrai auparavant, un con, un sale con, une grosse merde qui ne voit plus que midi à sa porte maintenant.

Voilà... voilà... je ne sais plus comment m’y prendre avec moi-même. Je ne sais plus comment m’y prendre avec vous, les femmes. Je ne sais plus comment m’y prendre avec ma fille, cette future femme. Je ne sais plus comment m'y prendre  avec sa mère. Je ne sais plus comment m'y prendre avec les autres cons de mon genre. Je ne sais pas comment m'y prendre avec ma famille qui ne m'a pas soutenue, excepté mon frère que je remercie. Je ne sais plus comment m'y prendre avec tout. Je vis dans la peur, voilà, la peur d’être séparé à nouveau de ma fille. J'ai été violé, violé moralement, psychiquement, psychologiquement et cela a atteint la partie la plus intime, la plus humaine de ma personne, autrement dit mon cœur. Il a été détruit... Je le sais parce que je sens les briques qu'il  lui manque, les trous qui sont à leurs places, et je me demande comment il tient! Il faut que ceux et celles qui ignorent ces choses sachent avant d’agir, sachent pour ne pas briser celui ou celle qui a partagé leur vie, une personne déjà brisée de toute façon, il faut qu'ils sachent qu'ils crèveront le cœur  de leurs enfants. La mère de ma fille n'est pas responsable de tous mes "malheurs". Nous étions deux et chacun a une même part de responsabilité dans ce qui s’est passé ou non, que les choses marchent ou pas. Simplement elle a réussi à m'administrer le coup de grâce. Pas en temps et en heure comme elle l'aurait voulu, mais c'est fait néanmoins. Elle peut être satisfaite maintenant. Notre fille, j'en suis nettement moins sûr.

D'un pas lourd je regarde ma blessure
La facture de cet autre qui me nie
A toi l'enfant qui toujours fut béni
Je suis père de nos mil fractures

Plus mon jour n'entendra ton sourire
Plus ma nuit ne verra ton doux rire
Quelle morale peut combler notre histoire
Pris au piège de nos mil au revoir
Seules mes larmes à présent veulent se dire
C'est le prix du besoin de te voir

Toi si cœur de mon cœur
Au cœur même de ma douleur
J'abandonne notre amour
Enfant objet des illusions

De n'être mère je dois me taire
L'humiliation n'en est que claire

Je n'ai d'enfant que ma colère
Sans condition loin de ma terre
D'être alibi de vos consciences
D'être prétexte à vos sciences

Oui ma fille j'ai perdu l'avenir
Oui ma fille comme un être à bannir
Quand le monde te fait femme
Quand le monde te fait homme
L'unique rôle est ainsi à porter

La trinité dé-confortée
Il n'est de place pour toi et moi
Il n'est de place pour nos émois

Demain n'est plus
Demain est mort
Est-ce donc ainsi que tout s'achève ?


Ce conflit parental a fortement contribué à ma décision de quitter Paris. Tout ce que je voyais, qui que je fréquente, me ramenait à mon enfant inaccessible, à l’indélicatesse, l’hypocrisie, la lâcheté et les mensonges de sa mère. De même, ma mère, ma sœur, ne disant mot et donc consentantes à ce carnage, recevant Nathalie comme si tout allait de soi, était normal, l’enfant avec sa mère et le père dans la poubelle, oui, tout cela m’était devenu insupportable.

Fin 2007, au début du mois de décembre exactement, je décidais d’en finir avec la vie. C’est alors que j’ai créé mon blog, pensant que par ce biais il resterait une trace de ma personne pour ma fille. C’était un blog testament dans lequel je publiais chaque jour un article, vidant ainsi ma conscience, ma pensée, ma rancœur et mes colères. Parallèlement j’entamais ma grève de la faim, me forçant à manger un petit peu moins chaque jour pour finir, fin décembre, à n’avaler qu’un croûton de pain par jour. J’étais hébergé dans le cinq pièces de ma mère et ne sortais plus de ma chambre. Je m’étais cloisonné, isolé, déterminé à mourir afin de ne plus souffrir. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que mon blog attirerait des lecteurs, des commentaires sur mes divers états d’âme et, au fur et à mesure des jours, une certaine forme d’affinité, d’amicalité, s’instaurait entre nous. A travers ces relations virtuelles et nos échanges réguliers, petit-à-petit j’ai retrouvé le moral. Mes lecteurs, essentiellement des lectrices, m’encourageaient, m’incitaient à me battre, à rester debout, à ne pas laisser le sort décider seul de mon présent et de mon avenir. Mais le véritable déclic vint en mai 2008, lorsque j’ai découvert « Judith », son blog récent aux textes acerbes, empli d’une colère aussi dense que la mienne, un ras le bol qu’aucun mot ne pourrait exprimer. Lorsque notre couple s’est formé, ma fille n’existait pas encore dans notre histoire, mais lorsque fut venu le temps d’exposer le sujet sur la table, plus rien n’a été simple. Évidement je ne peux que la comprendre car seul ma personne l’intéressait et c’est avec moi qu’elle voulait construire, bâtir, aimer et se faire aimer, non avec le reste du monde, ma fille y compris.

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