jeudi 26 mars 2015

Aujourd'hui le temps est morose

26 mars 2015

Ma nuit a été similaire à celle d'avant-hier, nausée, vomissement, nuit troublée. Dont acte, je vais cesser de dîner le soir et ce, jusqu'à mon prochain rendez-vous avec mon radiothérapeute début avril. Je ne comprends pas tous ces effets secondaires, surtout ceux liés à la digestion, car je ne vois pas le rapport qu'il y a entre mes neurones, mes deux métastases cérébrales irradiées au rayon X et ma digestion. Encore une fois, je me demande quelle partie de mon corps contrôle l'endroit de mon cerveau où sont situées ces deux métastases ?

Aujourd'hui le temps est morose. Ce matin il n'a pas cessé de pleuvoir et, en ce début d'après-midi, c'est le vent qui prend le relais. Le ciel est totalement couvert de nuages plus ou moins gris et, parallèlement, je me demande sur quoi je vais écrire aujourd'hui. J'aimerai avoir assez d'imagination pour écrire une histoire. Chaque jour j'en écrirai un nouveau chapitre et verrai là où ça me mènerait. Mais je n'ai pas cette imagination-là, celle qui est propre à l'écriture de roman. Des idées de romans, j'en ai plein. Par contre, leur contenu est un désert abyssal devant moi. Oui, trouver des trames est aisé, mais en faire un roman est une autre paire de manche. A côté de cela, écrire son autobiographie est un jeux d'enfant, tout au moins pour moi.

Je suis dans le quartier Saint-Anne et tout à l'heure, lorsque je suis arrivé à la terrasse où je suis attablé, le café était plein de jeunes. Pas un, pas une n'avait plus de vingt-cinq ans. Parmi eux je faisais donc ancêtre, dinosaure, et lorsque je les entends parler, discuter, converser, je mesure le fossé qui nous sépare, des mondes entiers qui nous isolent chacun dans notre coin. Oui, lorsque je les écoutes, je constate que leurs centres d'intérêts correspondent peu ou prou à ceux qui étaient les miens lorsque j'avais leur âge. Faire la fête, la musique, les série télé, la découverte du monde professionnel, les premières liaisons solides. Oui, même si je les sens un peu tendu, ils sont néanmoins encore dans l'insouciance, ignorant la pénibilité du travail sur le long terme, ignorant que l'on ne peut être éternellement et en permanence amoureux, ignorant tous les compromis qu'exige la création d'un couple, ignorant ce que signifie devoir payer ses factures chaque mois, ignorant ce qu'est la responsabilité d'être un parent, de devoir assumer ce choix. Oui, ils sont encore dans le bel âge, mi-enfant mi-adulte, menant malgré tout leur petit bout de chemin sans savoir pour autant où ce dernier les mènera. Pas un seul d'entre eux ne peut se visualiser à quarante ans, c'est certain, pas un seul n'a idée de ce qu'il vivra alors. Parmi eux, il en est peut-être quelques uns qui n'atteindront même pas cet âge, qui seront mort avant. Je me souviens de l'hécatombe qu'il y eut autour de moi lorsque j'avais leur âge. Sur une année j'avais perdu pas moins de trois amis. Deux sont morts dans des accidents de motos et le troisième d'une overdose, dans les toilettes de l'un des cafés de la porte de Saint-Cloud. Ils n'ont même atteint l'âge de vingt-cinq ans. En pensant à ça, malgré mon cancer, je me dis qu'enfin de compte j'ai bien de la chance, même si une grande part de ma vie a été tout sauf agréable. Oui, si j'étais mort à leur âge, je n'aurai connu ni Cynthia, ni Tony, ni quelques autres. Si j'étais mort à leur âge, ma fille n'existerait pas et, même s'ils n'ont pas été très nombreux, je n'aurai donc pas connu les quelques moments de plaisirs que j'ai passé en sa compagnie. D'un autre côté, si j'étais mort à vingt ans, je n'aurai pas connu tous les déboires que j'ai rencontré par la suite, déboires et déconfitures que j'aurai préféré ne pas vivre.

Aujourd'hui encore je pense à la mort, à la fin de vie, m'imaginant mourant, entrain de vivre mes derniers jours, ma dernière semaine. Dès que j'entends un peu de calme, un peu de silence lorsque je suis dehors, cela me replonge dans cet état d'esprit, état d'esprit que j'apprécie.

Je viens de quitter le quartier Saint-Anne, il y avait trop de jeunes, trop de bruits, et suis maintenant rue Vasselot, la rue piétonne du quartier République. Ici c'est beaucoup plus calme, presque silencieux et, fatigué comme je le suis parce que j'ai le ventre vide depuis trois jours, cela me repose. Si j'étais raisonnable, je m'efforcerai de manger quelque chose, là, de suite, mais je suis tellement ballonné que je n'en ai nulle envie. Peut-être grignoterais-je quelque chose en rentrant chez moi tout à l'heure, des gâteaux, mais même de cela je ne suis pas sûr. Pourtant je sens que j'ai faim, mais l’appétit n'est pas là.

Plus les heures passent depuis que je suis sorti, plus le soleil se manifeste. C'est agréable. Pour autant le vent ne cesse de souffler, ce qui est nettement moins plaisant. Je pense à ma mère, au mois d'avril, aux quinze jours que nous allons passer ensemble et j'espère qu'elle ne va pas m'épuiser à coup de conseils en tout genre. Sans même parler de conseil, ma mère est un moulin à parole et lorsqu'elle démarre une conversation, on ne sait jamais à quelle heure elle va s’arrêter. Elle a un avis sur tout, absolument tout, ça en est épuisant à la longue. De même, mais sans doute ne s'en rend-t-elle pas compte, elle se répète souvent, ce qui ne fait qu'en rajouter une couche supplémentaire sur ma fatigue, sur l'effort que me demande d'écouter l'autre et de me concentrer sur ses dires. Lorsque je lis, ce même type d'effort me fatigue également rapidement, raison pour laquelle je ne lis presque plus rien, même pas ce que j'écris car la relecture m'épuise vite.

Demain soir l'amie de Cynthia, Estelle, arrivera de Lyon. Elles vont passé un week-end ensemble, un week-end entre copines, et j'en suis très content pour Cynthia. J'espère que cela lui changera un peu les idées et qu'elle vivra de véritables moments de plaisirs en compagnie d'Estelle.

Dimanche dernier mon frère a fait une crise d'épilepsie. Il a eu ses premières crises lorsqu'il avait vingt ans et, depuis, épisodiquement, d'autres surviennent. Je n'aime pas çà car cela me rappelle Bruno, un ami d'enfance, qui est mort suite à une crise d'épilepsie alors qu'il n'avait que vingt ans. J'ai donc appelé mon frère hier afin de prendre des nouvelles et, au son de sa voix, j'entendais qu'il n'avait pas encore complètement récupéré. La fatigue se faisait sentir dans le son de sa voix, une sorte d'épuisement qui ne voudrait dire son nom. Mon frère est devenu insomniaque avec le temps. Donc il dort peu et il dort mal. A côté de cela, ceci expliquant peut-être cela, il n’arrête pas de boire, de faire la java le soir avec ses copains et copines, même s'il me dit qu'il a calmé la cadence. Lui, comme moi, ne prenons pas vraiment soin de notre santé, contrairement à ma mère et à ma sœur. Les personnes obnubilées par leur santé ont toujours été des mystères pour moi. Pourquoi cherchent-elles à vivre le plus longtemps possible ? Quelle est leur idée de la mort, que signifie-t-elle pour elles ? Et la vie, qu'est-ce que cela représente à leurs yeux ? Il est de toute façon claire qu'elles et moi ne sommes pas sur la même longueur d'onde tant je ne sacralise pas la vie, le fait de vivre, y compris s'il y a des plaisirs, de réels plaisirs. Oui, pour moi la vie n'est qu'un passage, une transition entre deux je ne sais quoi, un moment bref et futile pour soi-même si l'on se penche sérieusement sur la question. A la limite, notre vie est plus utile à autrui qu'à nous-mêmes et, parfois, elle est plus importante pour l'autre que pour soi-même. Oui, je ne sais de quand date cette mise en sacralisation de la vie, sacralisation mis en avant par toutes les religions monothéistes, mais également polythéistes. Est-ce ainsi depuis que l'homme est homme, du jour où il a pris pleinement conscience que vivre signifiait mourir ? De même, pourquoi avons-nous aussi peur de la mort alors que nous ne savons pas du tout ce qu'elle est ? Nous savons uniquement ce qu'elle n'est pas, autrement dit la vie, ses rires et ses pleurs, mais elle, la mort, qu'est-elle donc ?

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