dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 6

VI


Hôpital psychiatrique dont la rime est la trique à coup de sévices physiques, psychologiques, dont le fer de lance est le médicament sacralisé – bénit de psychiatres et de malades qui puisent en lui un peu de paix – à vocation sociale pour les premiers ; pansement de l’âme pour les seconds. Qui pourrait remettre en cause un tel système qui, vu de l’extérieur, semble arranger tout le monde, soulageant et rendant ainsi plus « heureux » dans nos fantasmes les pensionnaires de ces forteresses psychiatriques ? Le chimique est devenu la clef de nos problèmes sociaux, familiaux, et ses apôtres, tant médecins que patients, n’imaginent même plus d’autres issues moins nocives. Toi médecin qui te fait sorcier de nos neurones, neurones dont tu ne connais strictement rien, sinon la seule surface, tu administres et ordonnes pour que ton malade soit ce que tu veux qu’il soit, ce que notre société attend qu’il soit. Et toi le souffreteux qui ne sait le pourquoi de ta souffrance insistante, tu gères tant bien que mal tous ces traitements en espérant néanmoins rester toi-même. Quoi qu’il en soit, toi et lui participez du même système, d’un même enfermement. Un prisonnier connaît la durée de sa détention, ainsi que ses gardiens. Le malade et le médecin n’en savent rien. Comment en sortir alors ?

J’ai donc vu des fous gentils, des fous dangereux, de pauvres femmes et de pauvres hommes qui ne supportaient plus leur condition de parias inutiles. Avaient-ils torts de se penser ainsi ? Moi le premier, bien avant de connaître l’univers psychiatrique, je les pointais du doigt du haut de mes quinze ans, les voulant loin de moi, hors de ma vue.  Effectivement, j’appliquais à merveille le principe fondateur de notre société dite « civilisation », son adage du fond des âges qui, encore aujourd’hui, affirme que seul le fort a une valeur. Marcher sur l’autre afin d’être reconnu ou alors crever, seul, enfermé quelque part à l’abri des regards, c’était déjà le chemin hier, il est encore celui d'aujourd’hui. Hôpitaux, maisons de retraite, prisons, foyers sociaux, que de lieux pour cacher, dissimuler, nier et mettre à l’écart des regards ce qui troublerait ce sacro-saint principe. Le faillible n’a pas sa place à nos côtés, ainsi en fût-il décidé bien avant que nous ne soyons de ce monde et nous poursuivons admirablement cette œuvre grandiose. Compétition, appât du gain, pouvoir pour le pouvoir, accumulation de biens, hiérarchies autoritaires, profits, productivités, bénéfices, combien de moyens n’avons-nous pas inventés dans le droit fil de cette logique sidérante, combien d’autres verront encore le jour ? Aussi  je vous le dis comme je le pense, nous ne sommes que des malades, les vrais malades de ce monde. Les internés des hôpitaux psychiatriques ne sont que des baltringues comparés à nous. Toi qui es face à moi, crois-tu que c’est ta vie que je vois quand tu te montres ? Crois-tu que ta carrière, tes biens, ton érudition, tes muscles ou ta beauté sont l’objet de mes sentiments envers toi ? Tu n’y es pas du tout, sais-tu ? Lorsque je te regarde, je vois ta fin, ce jour où tu seras allongé sur l’une des planches en bois d’une morgue, un cadavre à ta droite et un autre à ta gauche. Vous dévisageant tous les trois, je ne peux que me demander et m’interroger sur ce que je dois penser de vous, de moi et de tout le reste. Avec tes deux congénères, tu n’es plus rien, tu es le rien, et de ce fait, aujourd’hui tu l’es déjà. Prends soin de toi tant que tu veux, bannis la cigarette, l’alcool, la religion, les OGM ou tout ce que tu voudras de ta vie, tu n’en demeure pas moins une putréfaction en puissance, un ridicule monticule de poussière que le plumeau de la mort balaie déjà vers l'un des murs de sa pièce, nonchalamment et passivement, attendant uniquement que ton heure arrive avant de te jeter dans le grand vide-ordure du néant. Voilà ce que tu entretiens toute ta vie, voilà ce que je sais de toi, voilà qui tu es.

Écorché de la joie
J’ai dit merde à la foi
L’avenue s’est vidée
De n’avoir plus d’idées

Point poète malheureux
Mais une forme dilatée
Oscillant et  fiévreux
Car terré tant d’années
Les remords de ma conscience
Ont assourdi mon essence
Depuis je cherche le  répit
Entre nuits et dépits


Parce que je suis fatigué, je ne me battrais plus avec à toi, qui que tu sois. Crois en ce que tu veux, considère-toi comme différent d’une simple vétille insignifiante si cela t’enchante, continues à montrer d’un doigt accusateur, persistes à cacher tous les signes susceptibles d’embarrasser ton ego, à présent je m’en fous royalement. J’ai décidé de me reposer à présent et je n’aurai de cesse d’aller dans cette direction dorénavant. Peu importe que tu me montres du doigt en conséquence, que tu m’acceptes ou me rejettes, que tu m’aimes ou non. S’attarder sur le désagréable, c’est cesser de vivre et j’ai décidé de vivre pour ma part. Alors à l’avance je dis merde à ceux et celles qui me voudraient autre, différent, attendant ou espérant de moi que j’agisse, pense ou respire à leur image. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre où était mon bien, mais je ne le regrette pas et ce, quelles que soient les épreuves du passé ou à venir. Mon bien est dans mon cœur, point ailleurs. Si lui ne va pas, alors rien ne peut aller. Aussi, les reproches, les jugements hâtifs et sectaires, la mesquinerie, l’hypocrisie ou la méchanceté, je n’en veux plus une goutte en face de moi, ne sachant plus gérer ces choses-là. Je me fais fort de vivre ainsi au quotidien, tel que c’est le cas depuis que je vis avec Cynthia. Fini la télé, les infos, les journaux et toutes les prises de tête sans fin qui ne nous protègent en rien du fond du trou où, fatalement, nous finirons tous et toutes. J’aurais belle mine, six pieds sous terre, à me dire que j’aurais été le plus fort, le plus incisif, le plus riche, le plus cultivé ou le moins con d’entre nous. Toutes ces fleurs pour mon égo empêcheront-elles les vers de terre de se farcir leur bon repas ? Et dire que nous nous pensons plus qu’eux, supérieurs, signifiants… Comment ne pas en rire ? Nous ne sommes que des steaks, des tas de chair engraissés par la vie, à l’image de ces oies que nous-mêmes engraissons pour pouvoir savourer leur foie le jour de leur jugement dernier. Alors je ne veux plus être emmerdé par un steak, qu’il soit tendre ou non, délicieux ou pas. Cela est trop absurde, trop insensé. J’ai assez de mes nerfs pour que les siens m’encombrent malgré moi. De pression, je n’en veux plus. En réaction, je suis dans l’expéditif à présent, car je n’ai plus de temps à perdre avec des inepties… une vie est un bien trop éphémère, je l’ai bien compris ces derniers mois, et je n’en aurai pas de seconde.

Je précise cependant, afin qu’il n’y ait pas de méprise sur mes propos, que l’on peut me dire tout ce que l’on veut, m’affirmer des touts et leurs contraires dans un même temps, m’aimer éventuellement, je n’ai aucun problème face à cela. Par contre, je ne veux plus que l’on m’impose une seule attente, quelle que soit la bonne raison de cette dernière, dès lors que j’ai fait savoir ma position sur le sujet. Ce serait alors le début de la fin entre nous. Pas plus que vous n’avez d’obligation de répondre favorablement à mes attentes, à mes espoirs, je n’ai cette obligation envers quiconque. Personne ne nous demande d’avoir les attentes et les espérances qui sont les nôtres, chacun les construit seul avec lui-même et décide de la tournure à leur donner, en les entretenant ou non. Comme tout ce qui est vie, je suis mouvement et j’ai mon propre rythme. Il en est ainsi pour chacun d’entre nous et faire porter sur autrui le poids de l’une de nos attentes, c’est toujours remettre en cause le rythme qui est le sien. Mais si tu es mécontent, indigné ou exaspéré par le morceau de viande qui est en face de toi, n’oublie pas que les vers ne feront aucune distinction entre lui et toi, que tu n’es pas davantage que lui, et que jamais tu ne le seras. Aussi, quoi que mon cœur éprouve pour une personne, famille, ami ou autre, je n’hésite plus à fermer le rideau définitivement et à m’en aller plutôt que d’avoir à subir des attentes qui m’indisposent. Ne voulant plus m’imposer nulle part, ni en société ni dans les cœurs, il est clair que je veux ce même état d’esprit à mon égard. Toutes mes relations, sans exception, s’instaurent sur cette seule base, le reste - idées, pensées, convictions ou statut social - n’ayant que peu d’incidence sur mon engagement ou non envers autrui. Je ne suis rien et vous n’êtes rien, ce que je crois et ce que vous croyez n’est que pacotilles inopinées, même pas une question subsidiaire dans la courbe de l’espace-temps.

La vie ne sert à rien, convenons-en, car rien ne s'emporte dans le mort, aucun bagage, ni souvenirs, ni sentiments. Le paradis ? Le purgatoire ? Une chance sur deux pour que l'après nous mène par là, là-bas ou bien ailleurs... Aussi, que faire sur la terre ferme, entre tempêtes et ouragan, entre besoins à assouvir et normes sociales pour ligne de mire ? Je m'interroge et interpelle le silence, au son du tic-tac continu de cette pompe qu'est mon cœur, là où raisonne le souffle constant de son appel pour de la vie... mais où l'espace pour l'exprimer, pour le sentir et, enfin, pouvoir se vivre ? Tout de même, il faut être furieusement cinglé pour accepter de vivre dans les conditions qui sont les nôtres, comme si cela allait de soi, était inéluctable. D’un côté nous pleurons sur la misère du monde, hurlant à qui veut l’entendre toutes les injustices qui y règnent, monde pourtant construit, bâti, pensé et entretenu par nos seules mains, et chaque matin nous allons néanmoins travailler, chercher l’argent, entretenant par cette simple action l’ensemble du système. Mais pour qui travaillez-vous au juste ? Pour l’Afrique et ceux qui y meurent de faim, pour les femmes battues, voilées, les tibétains ou je ne sais quel autre peuple auprès duquel vous vous sentez brusquement certaines affinités, tranquillement assis chez vous devant votre télé ou autour d’un verre ? Cette liberté que nous réclamons pour eux n’est qu’un prétexte, un vulgaire trompe-l’œil pour notre bonne conscience, cette même conscience qui nous fait lorgner chaque jour sur des objets dont nous aimerions être les heureux propriétaires. Aussi qu’on se le tienne pour dit, « propriété » ne s’accordera jamais avec le « bien de l’humanité ». Revendiquer la liberté pour autrui n’est qu’une manière différente de dire que nous ne voulons surtout pas que l’on nous retire la nôtre, lançant ainsi un message subliminal à l’attention de ceux et celles qui auraient les moyens de nous la restreindre, voire de nous la supprimer, famille, amis, patrons ou gouvernants. Donc vous me faites rire, d’un rire jaune, c’est vrai, mais je suis contraint de rire pour ne pas m’écrouler face au spectacle lénifiant de nos incohérences si flagrantes. Hormis nos proches, personne n’existe dans notre bulle individuelle, pas plus le Tchadien que notre voisin. Ces derniers ne sont que des alibis que nous sortons de temps à autre de notre poche, des arguments de propagande bien plus que des êtres que nous considérons. Eux, on s’en fou royalement, ils ne sont pas notre véritable enjeux. Nos valeurs, elles par contre, le sont. C’est uniquement en leur nom que nous prenons position ou pas, car il n’est qu’elles pour nous faire remuer un petit peu la queue et partir aboyer dans tous les sens jusqu’à ce que notre maître, l’état ou ceux qui le représente, s’allie à notre cause. Une fois le relais pris par ce dernier, nous retournons dans notre niche, « déléguant » notre soi-disant révolte venue du fond du cœur. Mais eux, nos cœurs, ont-ils seulement été inquiets un seul instant ? Faites-le croire à vos voisins, mais épargnez-moi, je vous en conjure…

Est-ce que je suis en colère ? Pas plus qu’hier et pas moins que demain. Simplement je suis arrivé à un point où je ne supporte plus les « biens pensants », les donneurs de leçons incapables d’envisager leur propre limite, prêt à dénigrer, et donc à rejeter, quiconque serait dans une optique différente de la leur. En agissant ainsi, quelle liberté peuvent-ils donner et à qui, je le demande ? Là aussi je le dis très clairement, car je suis un être faillible et qui se revendique comme tel, je me sais également n’être qu’un guignol lorsqu’à mon tour je me permets de juger, de rejeter ou de casser des idées qui me déplaisent et donc les personnes concernées. Mais qui suis-je pour me permettre de donner la leçon, pour affirmer haut et fort ce qu’est la droite, ce qu’est la gauche, le mal, le bien ? Le fils de Dieu ? Dieu lui-même ? Mais contrairement aux « biens pensants », je ne prône ni la liberté pour tous, ni l’égalité, pour la simple raison que je n’y crois plus. Alors oui je commets des erreurs et en commettrais encore. Tant pis, c’est ainsi et j’assume, sans pour autant me sentir coupable d’être contestable, faillible, récusable, voire douteux dans l’esprit de certains et certaines.

Les murs de la politesse
N’ont de cesse de me blesser
Monstrueuses apparences
Impasses de vérités
Point de noblesse dans leurs caresses
Ils sont cette laisse à mon cou
Qui s’évertue à m’égarer
Dans le maintien artificiel
De nos danses officielles
Où toutes et chaque nous nous perdons
Loin des bords de plage de notre enfance

Plus de paradis perdu ou retrouvé
Via le chant moelleux, mielleux
De ce coton savant qui avance à tâtons
Dans le creux orgueilleux de nos oreilles
Plus de téton à fignoler
A fabriquer ou à séduire

Je dis « dégage »
A cette star pornographique
Son soleil mort
Sa  mer liquide
Est bien trop flasque
Pour que ses claques
M’atteignent encore

Le monde est brique
Du diabolique au féerique
Réalité virtuelle, éloge de nos prétextes
Seules nos fesses sont sur une chaise
Bancale, banale, qui rime pourtant
Avec le fleuve absurde que sont nos vies
Tous et toutes nous dansons
Faisons danser, parfois valser
Cramponnés à la chimère
De l'avenir si prometteur

Professionnels du rêve permanent
Il n’y a plus aucun espoir...


Fort heureusement, il n’y a pas que des gens qui me déplaisent autour de moi, loin de là d’ailleurs. Pourtant il est bien rare que nos idées concordent, que nos centres d’intérêts soient identiques, que nos rythmes soient similaires et que nous nous comprenions parfaitement. Cependant il est une clef magique qui nous unit, elle s’appelle « tolérance ».  Je précise que « tolérance » ne veut pas dire « acceptation » ou « compromis ». Cependant elle-seule peut permettre, le cas échéant, cet avènement. Effectivement, la tolérance autorise l’indépendance d’esprit et l’autonomie de mouvement à celui ou celle qui se trouve face à nous, ce dernier ou cette dernière ne se sentant pas remis en cause du simple fait d’un désaccord éventuel. Avec ma muse, ma femme, ma compagne, c’est cet esprit qui nous unit et qui, je le crois profondément, fait que notre couple est aussi solide. N’allez pas croire que sous prétexte de son jeune âge elle dit amen à tout ce que je pense, croit ou fait. L’inverse est également vrai et, bien souvent, elle me déstabilise par ses prises de positions ou certaines de ses humeurs. Mais est-ce si grave, si primordiale de n’être pas toujours sur la même longueur d’onde, de n’avoir pas toujours les mêmes goûts, les mêmes ambitions, dès lors que de part et d’autre nous pouvons les exprimer et, surtout, les vivre ? A bien y réfléchir, bien plus que les valeurs ou les priorités de chacun, je crois que toute union harmonieuse, amicale ou amoureuse, provient de la concordance ou non des caractères, des tempéraments. Il en est qui s’accorde parfaitement, c’est quasi chimique, alors qu’aucune valeur commune ne les réunis vraiment et d’autres qui, bien qu’ils s’accordent sur tout intellectuellement, ne peuvent s’entendre. Je crois que nous avons encore beaucoup à apprendre de la biologie, de la génétique et des neurosciences pour véritablement comprendre comment nous fonctionnons en la matière.

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