dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 2

II


J’ai mis les doigts dans la prise vers la rencontre du 20ème siècle, exposant sur le secteur le palmarès de ma bêtise. Dehors l’hiver nous dorlotait, fidèle au froid qui nous glaçait, deux solitudes anonymes s’entrechoquant comme deux flocons tombés du ciel. Derrière les mots, avec nos maux, nous désirions sur le standard de l’inter net – exposition de mondes détruits, à déballer sans plages horaires – étaler toute la pourriture accumulée dans ces tunnels qu’étaient nos vies. Respiration ? Contemplation ? Où l’oxygène quand le mouvement n’est que succion du désespoir… ?

Deux cœurs en peine
Chrysanthèmes
Promenade du vague à l’âme
Courent dans la plaine
La gorge pleine
A l’affût d’une autre trame


Pas un soleil, pas un nuage, uniquement du vague à l’âme – marées de lune, cages de fauves, circuits fermés, pathos fidèle de nos errances - telle une seconde suspendue au bout d’un fil inachevé. J’écris ces phrases comme une lettre que l’on destine, offrant un sens, une direction à une boucle imprécise. Rangée de briques que j’élabore, je les enfonce dans un ciel creux, créant ainsi une ligne droite qui supposerait notre destin. Mais quel fichier du disque dur de l’existence, programme parfait pour marionnettes prises dans le piège de l’unique rail de sa démence, déciderait qu’un mois de Mai 2008, où un et un ne firent plus qu’un, serait printemps de notre été ? Même si trop tôt pour la moisson, les vendanges ou la cueillette, la graine de l’avenir décida néanmoins de lancer notre danse en ces jours d’ankyloses. Aussi «Bien à toi !» rose de mes sables, château d’Espagne de rêves futurs, des tournesols si capricieux qui furent le lys de notre entente. Il n’est plus de royaume à l’horizon sans tes pétales pour lire mon verbe… Première des claques au son des clics dans ma lecture si boulimique, je t’épousais, loin de ma clique, en un déclic fulgurant.

Te poursuivre puis te saisir
Du délicieux à l’indigeste
Du belliqueux au fabuleux
Me désistant des autres fleurs
Pour n’avaler que tes seuls murs
Anorexie des mondes ambiants…

Je pensais être l’Homme fort
Objet d’or de mes seuls pas
Savourant mes vains efforts
Y compris vers le trépas

Telle la nuit prise dans la foule
J’ai erré loin de ton jour
Balancé par cette houle
Au son diffus de tes contours

Où étais-tu mon tendre espoir
Lors de ma mort de chaque soir ?
Préparais-tu ma mise à nu
Telle une étape convenue ?


Que dire du mal, de la souffrance, du désespoir d’une solitude, quand cette dernière est encensée, bien qu’insensée dans l’âme-même de nos chairs ? Qu’y peut le cœur, puis son parfum, quand la raison nous fait victime du gris reflet d’autres miroirs, chassant en nous le goût sucré de la victoire sur l’injustice, condamnant chaque état d’âme à succomber sous la flamme noire du vain espoir ? Rêve d’un rêve qu’illuminerait un seul soleil présumé - astre à atteindre dans le silence de pluies acides qui grignotent l’âme jour après jour en des plaintes si acerbes qu’elles défenestrent à coup de masse l’espoir précaire qui tourne en rond dans notre cage thoracique – … oui, je le demande, qu’y peut le cœur et son parfum lorsque la chair n’est plus que braises, ascèse de ces désirs aux couleurs âpres de tous nos jours morts avant l’heure? Mais l’équivoque n’a pas d’époque et change de toque quand bon lui semble, se moquant bien des pas peureux de mornes loques qui s’accrochent, du bout de l’ongle, aux seules ficelles des illusions de leurs tourments.

C’est donc par là que j’ai croisé une reine en noire à peine sorti de mon éveil … Etat fécond de l’improbable, impensable ajustement d’une rencontre si redoutée, j’ai trinqué à la subite démesure d’un clair de lune qui, jusqu’alors, n’illuminait que les nuages de mon volcan. A l’écoute d’un tel moment, bien étrange devient la perception de l’esprit trouble qui compose, puis décompose, réordonnant ses lignes droites parallèles en quelques rondes sinueuses… même si le triangle reste l’exclusive modalité de l’expression qui soulagerait, selon ses dires, l’agonie lente de ses rêves. Il n’en demeure pas moins l’esclave intime de sa recherche d’équilibre, là, sur cette pente glaciale où chaque repère est brûlé vif. Si délicate est la frontière entre existant et intangible, coincés que nous sommes entre ce qui, peut-être, se pourrait, et ce qui, selon des termes propres à notre désespoir apprivoisé, jamais ne se pourra. Néanmoins, au-dessus du couvercle de ce lieu-dit, est-il possible de s’empêcher de supposer qu’un jour, peut-être,  vivra le rêve ?
Dans ce tunnel moribond, je rejetais l’idée d’être confronté, ne serait-ce qu’une fois, une fois seulement, à une reine dans mon cœur, certes désirée,  mais cependant trop étrangère au bon vouloir des mil couloirs de mon destin. Chaque joie, chaque larme de mon histoire semblait l’unique vérité de mon demain, cet avenir à la seule gloire de l’ordinaire de ma torture si ordinaire. Mais, et plus certainement que le croyable factuel des pas certains qui m’entrainèrent vers tant de rives désolantes, lorsque je la vis si face à moi, si face en moi, le dernier de mes donjons acheva de s’écrouler. Oui, si vrai je te vivais - corps explosé par ta présence si intense – qu’aucun des mondes déterminés, entretenus et assignés à résidence dans le chimique de ma raison, ne pu survivre à ton soudain débarquement. Où m’étais-je égaré tant de siècles, au gré d’haltes d’infortunes et du constat univoque de mon bancal itinéraire ? Qui était ce mort porté en moi, dans le corps même de ma chair, sans l’avoir su ni jamais vu ?

Parce que les murs furent abattus
Que leurs nuits n’eurent plus d’odeur
A force de ronces débattues
Ton malheur devint ma fleur

Détruire les chaînes de ta rage
Te libérer de tes présages
A t’enfermer dans une cage
Mon pari était-il fou ?

Que m’importait donc ta vindicte
Où que tu cries, quoi que tu dictes
Chaque missive de ta flamme
Réanimait enfin mon drame

Aller vers toi, aller à toi
Toi qui d’un coup me dépouilla
Sans que jamais tu ne t’émoies
Le diable lui-même s’émerveilla…

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