mercredi 11 mars 2015

3 décembre 2013

3 décembre 2013


5h00

Il est 5h00 du matin, je me suis couché vers 2h00 ou 2h30, d'une traite, mais je suis déjà réveillé. Je suis déjà, si ce n'est dans le stress, en tout cas dans la tension de l'examen à venir, celui qui doit avoir lieu normalement à 9h30 et pour lequel on aurait du me réveillé normalement à 8h30, pour qu'il s'écoule le moins de temps entre le moment de mon réveil et cet examen. Je ne sais pas pourquoi, mais le simple fait de savoir qu'il faut être à jeûne, c'est à dire pas de café, pas de cigarette, dès mon réveil et, ce, jusqu'à mon examen, opération même ce matin, rien que de savoir qu'il fait être à jeûne me stress. C'est comme si je n'arrivais pas à l'accepter, que je n'arrivais pas à le vivre. Néanmoins j'ai demandé à l'une des deux infirmières de nuit de me donner un café, parce qu'il paraît que j'ai le droit à un petit déjeuner léger, normalement au alentour de 8h20. Et bien ce sera à 5h00. Donc entre deux mains, là, dehors dans le froid, je bois mon café et même si cela ne m'apaise pas, au moins ça me tranquillise. Évidemment j'allume un cigare, je fume un vrai cigare. Là aussi, de le faire, savoir que je peux le faire alors que normalement je n'en ai pas le droit, à cause de l'examen qui m'attend justement à 9h00, là aussi je m'apaise, et alors que je suis levé depuis 10 minutes à peine, et donc en tension, je le sens, dans mon esprit, déjà, prêt à s'agiter, à partir en live, dans mon corps déjà tendu le simple fait de prendre un café, là, tout de suite, prenant le temps que je veux pour le boire, de fumer ce cigare que je ne devrai pas fumer pour le bien de l'examen, déjà je sens que oui, je m'apaise.

Toujours sur ma fameuse échelle de tension allant de zéro à dix, on va dire que je me suis levé à 5 déjà. Et là, en dix minutes, du simple fait d'un café et d'un cigare, je suis à 2. Comme il n'est que 5h00 et que l'examen est prévu à 9h00 ou 9h30, je ne sais plus, que normalement ce cigare que je fume devrait être le dernier, si j'étais un peu raisonnable, si j'avais un peu de volonté, si je pouvais prendre sur moi-même ce temps d'attente sans fumer, alors que j'ai également entre les jambes une cigarette électronique qui, je le sais parce que je l'ai expérimenté, donne à mon corps, à mon esprit, à mes neurones, toute la nicotine dont je peux avoir besoin, alors que cette cigarette électronique on m'a autorisé à pouvoir la fumer et, ce, sans limite de temps, et bien non, le simple fait de me dire que c'est avec elle que je vais devoir gérer le reste du temps, non, cela aussi me stress. Et de 3, je remonte déjà à 4 sur mon échelle de tension. Donc je sais que je ne toucherai pas à cette cigarette électronique, que le cigare que j'ai allumé ne sera que le premier et que d'ici 9h00 j'en fumerai d'autres.

Enfin il y a les médicaments, le fameux Xanax, ce fameux Xanax qui me réussit si bien, trop bien, là aussi, si j'étais raisonnable tout de suite j'en prendrai deux ou trois pour que cela m'assomme d'un coup et, très certainement, comme j'ai peu dormi, je me ré-endormirai d'un coup et à 8h30 on viendrait me réveiller. Ainsi, entre-temps, plus de café, plus de cigare. Mais là aussi, pour une raison que je n'arrive pas à expliquer de suite, si ce n'est que peut-être je n'ai pas envie de passer cet examen. Ou plutôt non, l'examen, si, j'ai envie de le passer, car sincèrement je ne l’appréhende pas du tout, il ne me dérange pas, mais tellement je n'ai pas envie de faire l'effort d'être à jeûne, dans le sens de me passer de ces deux vrais plaisirs que sont le café et mes cigares, et bien là, au moment où je parle, je sais que je ne prendrai pas non plus les Xanax. On verra tout à l'heure...

Je me rends compte à quel point je suis tendu, encore une fois, parce que la preuve est sans effet. Hier soir, vers minuit je crois ou un peu avant, les infirmières sont passées pour me donner mes derniers cachets. Parmi ceux-là, il y avait un Xanax 0,50. Tout de suite après, dans le quart d'heure qui a suivi, de mon propre chef j'ai pris deux autres Xanax 0,50 pour être sûr de m'endormir assez vite, d'une traite et d'un coup. Pourtant la réalité est là, je suis donc réveillé depuis 5h00, je viens de boire mon deuxième café et j'ai allumé mon deuxième cigare, mais néanmoins la réalité est que depuis 5h00 je suis dans le stress. Encore une fois, ce n'est pas à cause de l'examen, examen dont je ne sais strictement rien à faire et dont je n'ai aucune peur, non, simplement parce que l'on m'a demandé et certainement à juste titre, d'être à jeûne entre mon réveil et cet examen, et tout ce laps de temps me paraît interminable, insurmontable à affronter sans cigare et sans café.

L'interdit de ce qui nous tente bien entendu, l'interdit de ce qui nous tente ou le manque dont nous pensons, à tort ou à raison, avoir besoin, toujours, toujours, je crois depuis que je suis né a été une torture pour moi. Une torture, non pas parce que je n'ai pas ce que je veux tout de suite en temps et en heure, cela m'est arrivé un million de fois, mais l'obligation de ne pas avoir, de pas pouvoir prendre ou de ne pas pouvoir toucher ou approcher quelque chose dont on estime, toujours à tort ou à raison, avoir besoin, parce que ça nous donne un plaisir, cette obligation de s'astreindre à faire l'effort, car c'est une véritable effort, comment dire, de ne pas y toucher, de ne pas aller vers, cette astreinte, cette obligation, je n'ai jamais compris pourquoi il fallait la faire. Je n'ai jamais trouvé de bonnes raisons, ou rarement, pour la faire.

Ce matin mon examen consiste en une ponction pariétale. On va me mettre en anesthésie locale une partie de mon torse ou de mes bronches, en fait je ne sais pas quelle partie exacte de mon corps, pour pouvoir y enfoncer je ne sais quel appareil afin de récupérer des cellules cancérigènes. Il n'est qu'ainsi, si j'ai bien compris évidement, que l'on pourra connaître la nature exacte de mon cancer et adapter un traitement en conséquence. Mais là encore ma logique ne comprend pas pourquoi il faut être à jeûne pour cette opération. Quoi que je boive, quoi que je mange, ce n'est pas dans mes poumons que cela arrive. C'est dans l'estomac, dans les intestins, ça passe par ma gorge, enfin peut importe le circuit emprunté par ma nourriture, par les aliments ou le liquide, ce n'est pas dans ma poche de poumon que cela va être stocké, ce n'est pas mon poumon qui va traiter tous ces mets, donc je ne vois pas déjà en quoi il est dérangeant que je boive ou que je mange. De la même façon, puisque ma maladie est un cancer, un cancer dû au tabac, il y a 90% de chance pour çà, mais franchement, que je fume ou ne fume pas, en quoi cela va changer la nature des cellules cancéreuses qui sont en moi actuellement ? Est-ce parce que je vais fumer une cigarette, subitement elles vont se transformer en un autre type de cellules cancéreuses ? Je ne le crois pas une seconde. Donc là aussi, je ne comprends pas pourquoi je dois faire cet effort. Est-ce parce que je fume qu'ils ne pourront pas prélever avec leur appareil un échantillon de mes cellules cancéreuses ? Là aussi, je n'y crois pas une seconde. De même, imaginez que je suis un cas d'urgence, qu'ils leur faillent intervenir en cas d'urgence alors que ce n'était pas prévu,  et que juste auparavant j'aurai fait un bon repas, bien arrosé tous ces mets, bien fumé avec mes amis, non mais est-ce que vous pensé sincèrement, oui, que si l'urgence le nécessitait, que s'il était important de savoir tout de suite, immédiatement, ce qui se passe dans mes poumons, on ne me ferait pas de ponction pariétale ? Là aussi je suis sûr que non, que même en n'étant pas à jeûne, que même en ayant fumé, si l'urgence l'exigeait ils me feraient cette ponction pariétale. Ils prélèveraient ces cellules et feraient leurs analyses. Donc dans tout ce que j'entrevois, non, je ne vois strictement aucune raison de faire cet effort, très difficile pour moi, qui est de rester à jeûne alors que je viens de me lever, de ne pas prendre mon café, ce café qui, de suite, m'apaise, de fumer ma cigarette qui, de suite, m'apaise également, quoi que j'ai à faire ou non dans la journée, non, je ne vois aucune raison, aucune, aucune, aucune obligation de jeûne.

Après, il y a évidemment la théorie, après il y a forcément ce qu'on appelle « le mieux », puisque nous sommes de toute les façon dans une société où, comment dire, le bien, juste le bien ou le suffisant est l'ennemi du mieux. Alors oui, quelque soit l'examen concerné, il y a toujours des conditions qui permettrons que cet examen soit meilleurs, que les résultats soient meilleurs et que les analyses en conséquence seront meilleures, oui çà, évidemment, je le conçois, y compris pour l'examen qui m'attendait ce matin. Néanmoins je pense, et même j'en suis certain, comment dire, que même si nous ne sommes pas dans le mieux et qu'il faut faire avec ce qu'il y a et comme c'est, on peut néanmoins faire des examens qui donnent de bonnes réponses, même s'ils n'ont pas été faits dans les conditions les plus idéales.

Là je suis entrain de terminer mon deuxième cigare et pour bien être tranquille dans ma tête, tout ça est psychologique aussi et peut-être même, quelque part, placebo, je sais qu'il va falloir que j'en allume un troisième. Tant que je n'ai pas fumé mes trois cigares du matin, mon sentiment est que ma journée ne sera pas bonne, que je serai tendu, qu'il me manquera toujours quelque chose. Donc je termine ce deuxième cigare et après je me lèverai, j'irai chercher mon troisième café car c'est toujours pareil, dans les sales habitudes que j'ai pris, je ne peux concevoir de fumer sans boire un café et inversement. Après seulement je remontrai à mon étage, j'irai voir les infirmières et leur dirait en toute franchise, comment dire, ce que je viens de faire. Je leur dirai que j'ai bu trois café et fumer trois cigares, je leur dirai qu'à-priori je compte poursuivre ainsi et que s'il faut annuler l'examen à cause de ça, alors annulons-le et tout sera réglé et tant pis, et tant pis...

Quoi qu'il en soit, il y a une chose que j'ai bien comprise depuis maintenant cinq semaines. Quiconque écoutera un jour ces mots, quiconque écoutera ma logique, pourra être en désaccord avec tout ce que je dis, bien entendu, je le sais, mais sincèrement je n'en ai strictement plus rien à foutre. Je n'en ai strictement plus rien à foutre non pas parce que je pense que j'ai raison, pas du tout, je sais bien que j'ai tort, que j'ai tort de faire ainsi, que ce n'est pas comme ça, en commettant des actes qui vont à l'encontre de ce que tous les médecins essayent de faire pour m'aider, j'ai bien compris et je le sais que ce n'est pas la bonne façon d'agir. Néanmoins, la maladie c'est moi qui l'ai, ce ne sont pas eux ni toute personne qui écoutera ces mots. Ce cancer, cette maladie qui tue, cette maladie mortelle, c'est moi qui l'ai et personne d'autre, et c'est moi qui doit vivre avec dans mon corps et dans ma tête avec cette putain de maladie. Étant donné que c'est moi qui doive vivre avec cette saloperie de maladie et que personne, heureusement d'ailleurs, ne peut éprouver, ressentir, penser tout ce qui me passe par l'esprit, il est clair que vos avis, vos opinions sur ma manière de vivre cela, sur ma manière d'agir en conséquence, non pas qu'ils ne m'importent pas, mais de toute les façons ils ne peuvent pas me parler parce que depuis trois semaines maintenant j'ai changé de monde,  j'ai changé de perspective de vision du monde, j'ai changé de perspective de vision de la vie, et surtout, surtout, j'ai changé de perspective de vision de la mort. Dit autrement, c'est toute ma perspective, ma notion du temps qui s'est complètement métamorphosés. Cette notion du temps, cette manière de le voir, cette perspective, non, je crois qu'il faut être conscient, comment dire, qu'on est dans une phase finale, et peu importe la maladie qui en est la cause, pour pouvoir la comprendre. Dit autrement, toute personne qui ne vit pas dans sa chair et dans son esprit la réalité que son temps est définitivement limité, définitivement, et peu importe que ce temps dure une semaine, un mois, dix mois, mais qui s'est définitivement limité, que la projection, quel qu'elle soit, ne peut plus aller aussi loin, comme dire, qu'auparavant, et bien alors on change d'univers et en changeant d'univers, en découvrant ce nouvel univers, l'opinion, l'avis des autres, oui je le dis en toute franchise, n'a plus d'impact. Cela ne veut pas dire que nous ne vous écoutons pas, cela ne veut pas dire que nous n'admettons pas que vos paroles sont plus sages que les nôtres, cela ne veut pas dire que nous n'admettons pas, n'acceptons pas, réalisons, savons que sur bien des points de nos comportements vous avez raison et non nous. Néanmoins, parce que nous entrons dans un univers, comment dire, incompréhensible, qui vous est incompréhensible, c'est évident que vos paroles, quel qu'elles soient, aussi sages, aussi nobles soient-elles, aussi sensées soient-elles, y compris à nos propres yeux, n'ont plus aucun impact, aucun.

Lorsque j'ai commencé à fumer, je me souviens, j'avais treize ans. Comme tout le monde, les médias le répercutaient assez, je savais que fumer était dangereux pour la santé, dangereux parce que, justement, on pouvait attraper un cancer et j'avais bien compris, déjà à l'époque, que de cette maladie on pouvait en mourir. Mais pour moi, tout ça c'était intemporel. La projection que je faisais d'un cancer éventuel que j'aurai et de la mort en conséquence, alors que j'avais quatorze ans, je me projetais à cinquante ans, je me disais que cela m'arriverait peut-être quand j'aurai quarante ans, cinquante ans, mais quand on a quatorze ans cette projection dans vingt ans, dans trente ans, mais c'est comme une projection qui n'existe pas, c'est tellement irréel également ce laps de temps, ce temps futur, que ce serait comme se projeter dans mil ans, ça revient exactement au même. On a l'impression que ce temps, même si on le projette, même si on sait théoriquement, intelligemment, qu'un jour ou l'autre on le traversera ce temps, on y arrivera, et bien non, c'est complètement irréel, comme s'il n'existait pas. On y pense, on le sait, mais quelque part ce temps-là que nous projetons n'existe pas, comme si jamais nous ne pourrions l'atteindre tellement il paraît loin loin loin loin loin...

Et un jour vous apprenez que vous avez la maladie. Peu importe encore une fois quelle maladie, mais que vous avez la maladie, ou l'une des maladie qui tue et, elle, à coup sûr. Autrement dit, une maladie que la médecine actuelle ne peut pas éradiquer. Oui, au moment où vous prenez conscience, réellement, que cela devient clair, et là ce n'est plus intemporel, que vous avez une maladie que la médecine ne peut pas éradiquer, il devient clair que quelque soit le temps que vous projetez, qu'il s'agisse de demain tout simplement, de tout à l'heure, dans un mois, dans dix ans, tout ce laps de temps devient réel, mais il devient réel avec la mort qui l'accompagne. Si je me projette demain, je ne peux penser demain sans penser en même temps à la mort qui peut être présente demain, et ce sera la fin. Si je me projette dans dix ans, et ce serait bien que je vive encore dix ans, néanmoins ces dix ans je les projette avec la mort au bout du chemin, je vois la mort au bout de ces dix ans, je vois mon cercueil et moi dedans au bout de ces dix ans. De ce fait, quelque soit le laps de temps que je projette devant moi, qu'il s'agisse d'une minute, d'une année ou d'un siècle, comment dire, comment dire, parce que là je vois enfin réellement et il n'y a plus rien d'intemporel, la mort et le cercueil qui va avec, et moi dedans, et donc la fin, la fin de ma vie, la fin de mes rapports avec ce monde, peu importe avec qui et avec quoi, donc ce laps de temps quelque part n'est enfin de compte plus désirable, non, plus désirable, il n'a plus aucun goût, aucune saveur, aucun plaisir n'y est associé, aucun, car quoi que je projette le cercueil est là.

En l'état actuel de mes connaissances sur le cancer du poumon, puisque c'est de ça que je suis atteint, donc en l'état de mes connaissances, forcément incomplètes, et donc peut-être que j'interprète de manière erronée l'avenir de ma maladie, j'en ai compris et conclu qu'on ne peut pas le guérir, qu'on ne peut pas l'éradiquer. Ça veut dire que quelque soit le type de mon cancer, de l'allure à laquelle il évoluera ou non, quelque soient les traitements que l'on me donnera pour le résorber, le stabiliser ou me faire durer plus longtemps dans le temps, enfin, de toute façon le cercueil est là, le cercueil est là... De toute façon je ne peux plus penser l'un sans l'autre et quelque soit encore une fois les progrès de notre médecine, quelque soit les laps de temps, qu'il s'agisse d'un jour ou de décennies que la médecine me permettra de vivre encore, néanmoins le cercueil est là, je le vois là, à ses côtés, comme si maintenant se promenait à mes côtés la mort et sa faux. Elle est devenue ma compagne, c'est elle qui m'accompagne, pas comme une amie, pas comme une ennemie, mais comme mon destin clair et net.

Avec Cynthia, d'un commun accord, nous nous sommes dit que quelque soit l'évolution de ma maladie, quelque soit le temps que durerai ou pas, quelques soient les épreuves à passer ou pas, nous nous marierons. Là encore, le fait de me marier avec Cynthia, comment dire, me fait plaisir, c'est vrai, mais me fais plaisir parce que je pense qu'à elle cela fait plaisir. Et moi, de mon côté, comment dire, à côté de ce plaisir que j'ai envie de lui donner, sincèrement, et c'est pour ça que j'accepte et veux me marier avec elle, néanmoins moi je sais que je me marie avec la faux de la mort à mes côtés, je sais que je me marie en mourant. Autrement dit je sais que c'est un mort qui va se marier et franchement, oui franchement, ce n'est pas que je me demande à quoi ça sert, ce à quoi ça sert je l'ai compris, je le sais et je le veux encore une fois, c'est faire plaisir à l'être que j'aime, mais, comment dire, cela n'a aucun sens.

Les médecins, y compris les spécialistes bien sûr, je le pense, je le crois sincèrement, ne peuvent pas comprendre des patients comme nous. Certes ils comprennent bien mieux que nous la maladie que nous avons, évidemment, certes ils savent bien mieux que nous ce qu'il faut faire ou ne pas faire pour éviter que la maladie progresse trop, pour permettre éventuellement l'éradication, partielle ou totale de la maladie, quel qu'elle soit, mais sincèrement je pense qu'ils ne nous comprennent pas. Ils ne nous comprennent pas parce que eux sont dans un monde intemporel, ce monde intemporel qui ne peut plus être le mien, qui n'est plus le mien d'ailleurs. C'est quoi ? C'est la projection, l'avancé de la médecine, eux ils sont là-dedans, et c'est d'ailleurs pourquoi je pense qu'ils font cette profession, pourquoi ils y croient tant, et pourquoi ils se donnent tant à leurs patients. Et ils pensent que sincèrement, le temps aidant, ils trouverons des solutions, qu'avec les progrès actuels de la médecine, même s'ils n'ont pas la solution, je parle de vraies solutions, celles qui éradiquent la maladie, qu'ils l'enlèvent, qu'ils fassent qu'elle n'existe plus, un peu comme quand Pasteur a inventé le vaccin contre la rage, ils sont quand même dans la conviction que même si on n'a pas trouvé de traitement définitif pour éradiquer des maladies tel que le cancer du poumon, avec les moyens du bord néanmoins, ils peuvent nous faire vivre plus ou moins longtemps dans le temps, et à un moment donné, entre-temps, peut-être que la solution sera trouvée. Ils peuvent vivre, eux, avec cet espoir, parce qu'ils ne vivent pas avec la faux de la mort à leurs côtés. Ils ne la voient pas et nous, nous qui savons qu'à l'heure d'aujourd'hui on ne peut éradiquer cette maladie, tout au plus on peut la contenir ou la résorber un peu, nous qui vivons avec la faux de la mort à nos côtés, ce type d'espoir directement dépendant de notre projection dans le temps, ce type d'espoir, non, du jour au lendemain il a disparu, il n'existe plus.

A partir de là, ce type d'espoir qui, justement, donne la volonté de se battre, de poursuivre, de combattre, jusqu'à trouver la solution, donc ce type d'espoir ayant disparu, c'est cette volonté de combattre qui disparaît parce que l'on ne croit pas en la solution. Ce n'est même pas que l'on ne croit pas en la solution, c'est que l'on sait qu'il n'y en a pas, en tout cas de solution définitive pour éradiquer encore une fois, éradiquer, ôter, faire disparaître à jamais la maladie, ce type d'espoir donc ne peut plus nous habiter. Pourtant, et ça aussi c'est étrange, on veut combattre, mais le mot combat n'a alors plus du tout le même sens. Il ne s'agit pas de combattre pour gagner quoi que ce soit, il ne s'agit pas de combattre pour obtenir une victoire sur quoi que ce soit, non, c'est un autre type de combat, et en ce moment je cherche à le définir, mais je n'ai pas encore trouver quelle était la définition de ce type de combat, car c'en est un tout de même, on combat, bien sûr, bien sûr, moi je combat et pas que moi, toutes les personnes qui ont des pathologies mortelles qui font qu'elles vont mourir et qu'elles le savent, toutes, j'en suis sûr, combattent également, mais elles combattent dans cet esprit que je n'arrive pas encore à définir, à clarifier. De même, ce n'est pas que nous sommes sans volonté, là aussi nous avons toujours de la volonté, toujours toujours, mais comment dire, plus du tout pour les mêmes raisons. Ce n'est pas la volonté de trouver, la volonté de réussir encore une fois, non, c'est un autre type de volonté. Là aussi je n'arrive pas à clarifier, tout n'est pas encore bien clair. Quoi qu'il en soit, ce dont je suis sûr, c'est que dans ce nouveau type de volonté, la volonté de rester, de subsister, de continuer à avoir des plaisirs est toujours présente. Ça, j'en suis certain, intimement convaincu, c'est évident. Même si nous nous savons condamné nous avons toujours la volonté, ou le désir serait peut-être un meilleur terme, ou le souhait, le souhait de rester, de continuer à vivre et à éprouver des plaisirs. Là où cette forme de volonté est différente de l'autre, de la volonté liée à l'intemporel, à l'espoir que l'on peut projeter très loin dans le temps, aussi loin que l'on le veut, puisque de toute façon ce temps que l'on projette n'existe pas quelque part, puisque nous ne l'éprouvons pas, parce que nous n'éprouvons pas la mort qui nous accompagne, néanmoins ce nouveau type de volonté que je découvre, comment dire, oui, je crois qu'elle est simplement la volonté de vivre, ni plus ni moins, sans, comment dire, sans fioriture autour. C'est une volonté de vivre, simplement, déjà le quotidien, le présent, sans y ajouter de but, sans y ajouter d'objectif supplémentaire, quel qu'il soit, quel qu'il soit, quel qu'il soit... Non, oui, c'est simplement la volonté de rester là, encore, à pouvoir regarder les parterres, à pouvoir regarder les sacs poubelles à moitié plein, à moitié vide, de cette volonté de pouvoir continuer à ressentir le froid de l’hiver ou la chaleur de l'été, mais sans la rechercher, cette volonté de la vivre se présente aussi simplement que ça, et de la vivre dans le moment présent.


20h00

Ce soir, en ce lundi soir où il est prêt de 20h00, j'apprécie l'air que je respire, j'apprécie de voir le ciel, les étoiles, même si je trouve que dans mon champs de vue il y a trop de murs, trop d'immeubles, de bâtiments, de voitures, tous ces objets matériels inventés par l'homme, néanmoins ce soir tellement j'apprécie à travers l'air libre, sentir que je respire, sentir l'air, donc la vie, la vie au sens de la nature, avec ses étoiles encore une fois, le ciel un peu brouillardeux, tellement donc j'apprécie ce moment où justement à cette heure les gens rentrent chez eux, les rues se font plus calmes, moins bruyantes, je vois donc toutes ces façades d'immeubles avec les lumières, les pièces illuminées, d'autres éteintes, je vois des enseignes de magasins, certains laissant les lumières allumées à l'intérieur, je vois les phares des voitures qui roulent, les feux arrières, rouges, je vois les piétons qui se dirigent vers la sortie de l'hôpital pour atteindre la bouche de métro la plus proche ou l'autobus, ou peut-être leur véhicule, quoi qu'il en soit, ce soir, tellement il m'est agréable d'être à l'endroit où je suis que j'apprécie néanmoins ces murs ou, plus exactement, j'aime ce qu'ils signifient, et toutes leurs lumières signifient que la vie est là, face à moi, sous mes yeux. Cette lumière que je contemple, chaque pièce éclairé que je contemple signifie qu'il y a de la vie. J'aime ce soir, j'aime cet instant.


2h00

Je ne sais pas pourquoi, comme toutes les nuits entre 1h00 et 2h00 du matin, j'ai tout le temps envie de vomir. D'ailleurs je vomis, que je n'ai ou pas mangé auparavant. Pourquoi à cette heure, je l'ignore. Si je dort, l'envie me réveille et il m'est impossible de me rendormir tant que je n'ai pas vomi. Si je ne dort pas, cette envie s'éveille, toujours dans ce même créneau horaire, et là encore il m'est impossible de me sentir à nouveau apaisé tant que je n'ai pas vomi, peu importe la quantité, peut importe ce que j'ai mangé auparavant ou non.

A cette heure, il est donc entre 2 et 3h00 du matin, je me suis donc réveillé vers 23h00 alors que je m'étais endormi peut-être une heure auparavant, donc à cette heure je me sens désespéré, je crois que c'est le bon terme, désespéré dans le sens où je ne vois plus l'espoir. De quel espoir, me demanderez-vous peut-être ? C'est de pouvoir vivre à nouveau sans penser que je vis, comme le fait la majorité du monde, pouvoir vivre sans penser que demain je peux mourir comme le fait la majorité du monde, pouvoir vivre en me disant, en projetant plein de belles journées à venir sans penser qu'il se peut que jamais elles ne soient, oui, je ne sais pas pourquoi, ou alors, plutôt, je sais trop pourquoi, là, maintenant, je suis comme un désespéré. Il n'est pas pareil de voir, ou savoir la mort, et de l'éprouver monter en soi. Il n'est pas pareil de voir la mort, un corps mort, et de sentir telle une armée sur un champs de bataille gravir petit-à-petit chaque parcelle de son propre corps. Bien sûr, tout cela n'est qu'idée, pensées, pourtant c'est bien là ce que j'éprouve. Je sens la mort monter à l'assaut de mon corps intérieur, comme si les fantassins étaient des mineurs construisant, ou plutôt démolissant chaque parcelle, chaque cellule de mon corps, construisant justement une mine.

Hier, lorsque j'étais beaucoup plus jeune, je trouvais déjà étrange que je vivais tout en sachant qu'un jour j'allais mourir et, pourtant, de vivre tout cela sereinement. Aujourd'hui je trouve angoissante cette même pensée. Le temps est un leurre, en tout cas c'est ce qu'il y a trois semaine encore je croyais, c'est toujours ainsi que j'ai vécu le temps. Depuis trois semaines le temps est devenu une réalité, et cette réalité ressemble à un mur, un mur infranchissable, incassable, incontournable. Étant donné que j'ai peur, peur de quoi exactement je ne saurai le dire, hormis dire que j'ai peur de mourir, mais qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'est-ce que signifie mourir ? Et comme j'ai peur, je n'ai pas envie de penser, ou plutôt je n'ai pas envie de réfléchir, de me lancer dans de longues réflexions, et c'est la raison pour laquelle je n'écris pas, je n'écris plus. De la même façon je n'ai plus envie d'exercer des activités, ou plutôt je ne peux plus exercer d'activités, parce que le faire, tout comme l'on réfléchit, quelque part c'est vivre, alors que moi je me sens mourir. Alors je regarde, je regarde tout, sans m'attarder pour autant. Je ne m'attarde sur rien, je ne fais que regarder comme si j'étais dans l'attente, dans l'attente du moment fatidique qui, je le pense, arrivera bientôt, ce moment fatidique où je ne serai plus un être vivant.

Cioran disait : « De l'inconvénient d'être né ». A l'époque, où mourir, la mort, était dans mon esprit, dans ma chair, plus virtuelle qu'autre chose, j'étais entièrement d'accord avec sa maxime. L'inconvénient d'être né, il faut le dire, dans ce monde de merde. Mais aujourd'hui la maxime ne me parle plus parce que je ne suis plus dans l'inconvénient d'être né, je suis dans l'inconvénient de mourir, ce qui n'est pas du tout pareil. L'inconvénient de naître, c'est de passer sa vie à devoir faire des projections pour pouvoir agir afin de vivre, ou survivre, peu importe. L'inconvénient de mourir, c'est qu'aucune projection, aucun acte, ne pourra empêcher cette mort, comment dire, enfin en marche, mais une marche que l'on ne peut pas arrêter. Il est vrai que j'ai envie de pleurer, les larmes sont là, elles sont prêtes, prêtes à couler. Elles n'attendent, comment dire, que mon intention de le faire. Elles sont là, pour moi, oui, pour moi si j'en ai besoin, prêtes à couler. Mais je sens qu'elles se retiennent, que pour elles cela ne leur pose aucun problème de ne pas couler, mais de rester là néanmoins, comme si elles étaient à mon écoute, prêtes à couler si j'en avais le besoin. Mais pourquoi cette envie de pleurer, de pleurer sur quoi exactement ? Aujourd'hui je le sais, ou plus exactement depuis trois semaines je le sais, j'ai envie de pleurer parce que arrivera le moment où je ne pourrai plus éprouver en moi, ni même savoir les gens que j'aime. Ce sera comme une amnésie totale, un oublie total. J'ai envie de pleurer parce que je vais devenir un aveugle, un aveugle, un sourd, un muet, quelqu'un, ou plutôt une chose qui aura perdu cinq sens, ces cinq fameux sens qui font que j'aime ces personnes et que je pleure déjà à l'idée de les quitter.

Là, en cet instant, oui, je comprends mieux, beaucoup mieux que l'on ai envie de croire en un Dieu, je comprends beaucoup mieux toutes ces personnes qui hier étaient pour moi, comment dire, des êtres dérangés quelque part, oui, aujourd'hui je comprends mieux pourquoi ces personnes veulent croire à un après, à un après qui ne serait pas si différent du maintenant, du présent, car seule cette croyance, ou cette foi, appelons ça comme l'on veut, peut donner à quelqu'un qui éprouve la mort en lui, la mort le gagner, oui, il n'y a que cette espèce de foi qui puisse lui donner assez d'espoir pour néanmoins continuer à se projeter dans la vie d'ici-bas. Mais celui pour qui la mort est bien la fin de tout, tel que c'est encore le cas pour moi aujourd'hui, cet espoir d'un après plus ou moins similaire à maintenant, ne pouvant être, aucune projection n'est possible, non, vraiment aucune, car aucune n'a plus de sens. Alors je me demande, oui, franchement, je me demande comment ma pensée du demain va évoluer dans les jours, semaines et mois à venir. Est-ce que, malgré ce que je pense encore aujourd’hui, je vais trouver une espèce de foi en un après ? Vais-je me fabriquer une idée sur un après qui me permettrait de me redonner l'espoir, une projection possible dans ma vie de maintenant, car il ne faut pas se leurrer, seules des projections, positives bien sûr, des projections positives dans notre vie présente nous donnent de l'énergie, nous donnent l'envie, quitte à se battre, combattre et faire tous les efforts que nécessite la réalisation de cette projection.

Donc je n'ai plus envie de rien faire, dans le sens où je ne veux plus commettre d'acte, car tout acte, une fois accomplie, devient quelque chose de figé, et toute chose figée, aujourd'hui, m’apparaît comme la mort, toute chose figée, comme les murs qui se trouvent face à moi, m’apparaît comme un miroir de ce qui m'attends, la mort. Alors non, je ne veux plus rien figer. Encore une fois, c'est pour cela que je n'écris plus, pour ne pas figer des mots, des idées, ou quoi que ce soit d'autre. C'est pour ça, comment dire, que je ne m'occupe plus, ni de mes sites internets, ni de rien du tout d'ailleurs, pour ne plus rien figer. Par contre je laisse libre ma parole car rien ne peut retenir le son, hormis le dictaphone qui enregistre mes paroles, certes, mais elles sont déjà en route, elles se propagent autour de moi dans l'air ambiant, et que le dictaphone soit là ou non, le son, lui, n'est pas quelque chose de figé. Il est là ou il n'est pas là, on l'entend ou on ne l'entend pas, il y a le son ou le silence, peu importe, c'est toujours en mouvement. Je laisse d'autant plus libre ma parole que je n'ai pas assez de mémoire pour retenir tout ce que je peux dire. Du coup, et même j'en suis sûr, c'est pour cela que je pense de moi que la seule chose vivante qu'il reste encore est ma parole. Il n'est qu'elle et tout ce qu'elle dit, que ce soit le ton, l'intonation, oui, il n'est que sur elle que je ne sens pas les chants de la mort parvenir.

Ainsi va la vie
Ainsi va le monde
Ainsi va la mort
Elle est là, elle est là, elle est là

Ainsi va la vie
Ainsi va le monde
Ainsi va la mort
Elle t'attend, te réclame, elle t'attend, te réclame

Ainsi va la vie
Ainsi va le monde
Ainsi va la mort
Elle est là, elle attend que tu cèdes, que tu cèdes


Le sordide, le morbide, mais où est la fable, elle pète un câble, elle est si sale, la souillure, d'avoir su, d'avoir pu, tant de pue, qui me ronge, d'avoir su, d'avoir tu, cette mort qui me ronge, d'avoir su, d'avoir tu, que tu n'es qu'une larve, une merde. Nul n'es grand, car le sang, comme le vent, nous emporte, vers la mort.

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