dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 16

XVI


Je ne peux rien faire de concrètement positif, je me sens si inutile dans nos systèmes qui, inexorablement, induisent le rejet. Aucune action positive n’est utile, d’où qu’elle vienne, car forcément une autre, négative, la réduira à néant, la détruira. Tout est vain. Je ne trouve même plus de sens à l’effort de survivre. La vie n’est qu’une grosse merde qui nous jette tous ces non-sens à la gueule. A nous de nous démerder pour les gérer, prisonniers de labyrinthes sans issues connues. J’en veux au monde car il en est parmi nous qui parviennent à être heureux, joyeux, tandis que moi je n’y arrive pas. Je ne cesse de chercher quel serait le moyen le moins violent, le plus doux pour mettre un terme à ma vie. Je voudrai mourir sans avoir peur, c'est mon seul et véritable souhait. Mais j’ai peur. Alors j'attends...
Le bien, le mal, le positif, le négatif, le Ying, le Yang, tout cela n’est que luxe de la pensée. Je le laisse à d’autre, à ceux et celles qui veulent vivre. Je ne suis plus intéressé. Je pense à la beauté et en face de moi j’ai un rond-point, ses voitures, ses feux-rouges et l’ordre public qui tente de mettre bon ordre à tout ce cirque. Les piétons dépendent de lignes blanches et de feux mécaniques qui leur intiment la droite, la gauche,  selon un ordre donnée par une ampoule électrique. Il y a bien peu de liberté dans tout cela. J’ai la chance d’être atterré devant ce spectacle lamentable, assis dans un café, bien au chaud, alors que je constate dehors des gens transis par le froid qui se pressent pour aller travailler. Je crois que la lune est fatiguée de tourner en rond autour de nous, tout autant que je suis fatigué de tourner en rond autour de moi.

Le cœur... savez-vous le cœur, le sentiment, cette corde à laquelle vous vous accrochez, tenue par cet autre qui bien souvent ne la remarque qu’à peine ? Je suis las de cette corde. Et vous ? Ma tête bouffe mon cœur de l’intérieur, à moins que ce ne soit le contraire. J’aimerai une pause, un répit, un souffle comprenez-vous ? J’aimerai voir votre main se tendre vers ma colère, mon amertume, mon dégoût. Le fardeau peut sembler très lourd, c’est vrai. Je n’ai pas envie de vous convaincre, plus envie, je dis uniquement : je suis las à présent.

Libre est l’incertitude de l’inaccompli 
Elle terrorise ma marche vers le repli
Force est d’aller plus en avant
De trouver un rythme à mes élans
La peur bien sûr est l’atout maître
Je la désigne pour renaître
Le cœur serré le cœur tendu
La liberté est si ardue...
Se dépasser, tenter
De taire mes nuits hantées
Mes jours gâchés
Respirer sans se cacher
Où cela me mènera-t-il
Ce jeu est-il vraiment utile
Là réside l’inconnu
Le libre choix est mis à nu


Les nœuds de l’existence sont ceux de l’âme, de la conscience. A conscience torturée, vie de torture. Alors il faut faire la paix, la paix avec soi-même, son passé, son présent. Il n’est qu’ainsi que l’avenir peut être ouvert et large. Il est plus facile de subir que de lutter pour obtenir cette paix qui demande tant de travail et d'efforts. Mais suis-je encore capable du moindre effort ? C’est bien là tout mon travail, celui d’Hercule ! Rien n'est impossible à qui le veut. Mais est-ce que je veux véritablement encore quelque chose ici-bas ? A seize ans je désirai encore des choses. C’est à cet âge que j’ai découvert les brasseries, leurs atmosphères, les comptoirs et les flippers. Le bar où je me rendais tous les après-midi s’appelait « Le Vélodrome ». Il était également le rendez-vous de quelques lycéens âgés de seize à dix-huit ans. C’est dans ce bar que j’ai rencontré Luc pour la première fois, ainsi que ses amis. Ils étaient une autre forme de jeunesse, bien différente de Georges et de la bande. Néanmoins, comme nous, ils souhaitaient tous mordre la vie à pleine dent, la croquer, la savourer. Simplement ils n’étaient pas dans l’interdit, la violation de la loi ou la provocation arbitraire pour se sentir exister. C’est donc autour d’un flipper que j’ai découvert, ou plutôt redécouvert, cette autre manière d’être, de vivre, cette autre manière de nouer des relations amicales ou de bon voisinage. Comme moi, Luc était un métis. Son père était un français blanc de blanc et sa mère une nigérienne restée au pays. Luc était et est toujours mon antithèse, mais aussi étrange que cela puisse paraître il devint rapidement mon meilleur ami et, tout comme j’avais une seconde famille au cinquième étage de mon immeuble, les Saint-Savin, ma famille devint la seconde famille de Luc et, lui, le quatrième enfant de ma mère. Non seulement il était un élève studieux, mais de plus il était d’une admirable gentillesse, d’une bonté innée et d’une politesse qui ferait plus d’un jaloux. Serviable, toujours à l’écoute de l’autre, toujours prêt à aider, c’était un ange sur cette terre peuplée de démons dans mon genre. Aujourd’hui encore il est toujours là, à mes côtés, fidèle parmi les fidèles, et même si sur presque tous les sujets nous avons des points de vue divergents, voire complètement contradictoires, il est ce type d’ami que beaucoup désireraient avoir. En cela il a été une chance dans ma vie, comme la famille Saint-Savin, car il me semble évident que si je n’avais pas connu, côtoyé, vécu avec ce genre de personnes, j’aurai été bien pire que je ne l’ai été.

Dès notre arrivée à Paris, Les Saint-Savin devinrent rapidement les amis de mes parents. Ils avaient quatre enfants, Charles, Isabelle, Bertrand et Anne qui, à l’époque, étaient déjà tous des adolescents. Je me souviens que lorsque mes parents s’absentaient le soir pour je ne sais quelle invitation, c’est Anne qui nous gardait, ma sœur, mon frère et moi. Elle m’intimidait car, déjà, c’était une ado décomplexée, toujours prête à rire, y compris à mes dépends. Souvent elle disait que plus tard nous nous marierions ensemble et moi, du haut de mes sept ou huit ans, j’étais paniqué. Je me disais qu’elle était folle, car je prenais tous ses dires au premier degré, comme tout enfant le fait généralement. Du coup je ne savais plus où me mettre, où me cacher, lorsque commençait ses déclarations d’amour et ses projets concernant notre avenir commun. Bref, si vous voulez traumatiser un enfant, faites-lui ce genre de déclaration et sa conscience, son subconscient et son inconscient feront le reste. Pour vous dire à quel point le traumatisme peut être grand, elle m’a récemment rappelé que lorsque j’avais treize ou quatorze ans je lui avais fait des avances, pas moins que çà, alors qu’elle était déjà majeure. Chaque été les Saint-Savin louait une maison à Notre-Dame de Mont, tout près de la mer, de ses vagues et de son sable et, chaque année pendant un mois,  mon frère, ma sœur et moi étions à leurs côtés. C’est là-bas que nous avons appris à nager et c’est avec eux que j’ai découvert après-coup, après les disputes violentes entre mes parents, ce qu’était une famille normale, soudée, avec des parents dignes de ce nom. Contrairement à chez mes parents, leurs enfants n’étaient pas condamnés à rester enfermer dans leur chambre, isolés, laissés à eux-mêmes. Ils avaient toute latitude pour se mouvoir dans leur appartement, de leur chambre au salon, de la cuisine à la salle de bain. Mon père, et ma mère qui le laissait faire, était dans un tout autre état d’esprit. Lui voulait la paix, le calme, et c’est sans vergogne qu’il nous cloisonnait dans nos chambre. Tonton Jean, car c’est ainsi que j’appelais Monsieur de Saint-Savin, et tante Babette, sa femme, étaient mes seconds parents. Puisqu’avec mon père je n’avais pratiquement aucun échange, c’est donc tonton Jean que j’allais voir lorsqu’une question me taraudait. De même, lorsque le bordel commença entre mes parents, c’est encore lui que j’allais trouver, à chaque fois, pour qu’il tempère la situation. Combien de fois ne l’ai-je pas vu à l’œuvre, essayant de raisonner mon père, de lui expliquer que la violence, les coups, n’étaient pas une solution à la mésentente. Parfois cela marchait et lorsqu’il redescendait chez lui, mes parents se calmaient. D’autre fois c’était l’échec et, à peine la porte d’entrée refermée derrière oncle Jean, la dispute reprenait ses droits, les coups avec. Alors, pour la seconde fois je repartais le chercher et lui, une fois de plus, s’évertuait à calmer mes parents. Pour ma part, à chaque fois que j’agissais ainsi, allant chercher Monsieur de Saint-Savin pour qu’il mette un terme à ces conflits, je me faisais engueuler après-coup et ce, presque systématiquement, par mes parents, tant mon père que ma mère. Je m’enfermais alors dans ma chambre, me demandant comment sortit de cet enfer. Charles, leur fils aîné, un grand costaud avec qui il ne valait mieux pas chercher querelle, est mort alors que j’avais douze ou treize ans dans un accident d’hélicoptère. C’était à Nouméa. Lorsque j’appris la nouvelle, ce fut un véritable choc. Dans mon entourage proche je n’avais jusqu’alors connu qu’une seule mort, celle de ma grand-mère maternelle. C’est d’ailleurs tante Babette, alors que je rentrai du collège et que mes parents étaient absents, qui m’apprit la mort de ma grand-mère. Je me suis effondré en larme dans ses bras et, pendant de longues minutes, elle ne cessa de me consoler. Là aussi je ne compris pas que ce ne soit pas ma mère qui m’apprit cette triste nouvelle. Là encore je la considérai comme démissionnaire, léguant à d’autres les tâches ardues. Lorsque Charles est mort, ce fût pour moi un non-sens. A cette époque je croyais encore naïvement que l’on ne mourrait que lorsque l’on était vieux, mais pas à vingt ou vingt-cinq ans. Je me rappelle de la tristesse profonde que j’ai pu lire sur le visage d’oncle Jean lors de cette période et je me sentais démuni, impuissant, car que pouvais-je faire ou dire pour le consoler. Sa tristesse m’a profondément ébranlé et c’est là, peut-être pour la première fois, que j’ai éprouvé de la pitié, de la compassion envers quelqu’un. Le reste de la famille avait l’air de mieux gérer ce drame et, là encore, cela me posa question. Comment se faisait-il que tous ne réagissent pas de la même façon ? Certains étaient-ils plus insensibles que d’autres ? Cela me laissa longtemps perplexe car à cet âge, je ne savais pas encore que l’on pouvait contrôler ses émotions, ses sentiments, et que l’absence de larme, d’atermoiements, n’était pas une preuve d’insensibilité, mais juste une espèce de force propre à chacun. C’est d’Anne dont j’étais le plus proche, même si je n’en menai pas large dans mes baskets à cause de ses déclamations d’amour. Elle avait cinq ou six ans de plus que moi et était la petite cadette. Même si à l’époque je ne me souviens pas avoir véritablement échangé avec elle sur mes problèmes familiaux, il n’en demeure pas moins que je la considérai comme une espèce de complice, de sœur aîné un peu foldingue, certes, mais mon cœur battait pour elle. Isabelle était le second enfant de cette fratrie et du fait de notre grande différence d’âge, au moins une dizaine d’année, je n’eus pas beaucoup de rapport avec elle. Cependant, comme ses frères et sœurs, elle était avenante, gentille sans pour autant être douce, et je savais que je pouvais également compter sur elle le cas échéant. Enfin il y avait Bertrand. Contrairement à Charles qui était un molosse, lui était grand et fin. Je pense qu’il devait mesurer au moins 1,90m et il était d’une douceur remarquable. Jamais un mot plus fort ou plus haut que l’autre, toujours égal à lui-même avec une espèce de sérénité que je lui enviais. Lui était alors mon modèle car j’avais le sentiment qu’il était vraiment bien dans sa peau, que ses idées que je méconnaissais étaient néanmoins très clairs pour lui, qu’il n’était ni dans la peur ni l’appréhension de qui que ce soit ou de quoi que ce soit et, en cela, je voulais lui ressembler. Les rares fois où il s’exprimait je l’écoutais très attentivement, mes disant que j’aurai certainement une leçon à tirer de ses dires. Lorsque mes parents créèrent leur entreprise d’import-export, je me souviens qu’il travailla avec eux. A quel poste ? Pour faire quoi exactement ? Je ne l’ai jamais su. Quoi qu’il en soit, c’est tout de même Anne que je préférai, avec laquelle je me sentais le plus d’affinité, même si à cet âge, le début de l’adolescence, je n’aurai su expliquer en quoi consistait cette affinité. Mon désir d’alors était de grandir le plus rapidement possible afin d’arriver à son niveau de maturité pour qu’enfin nous ayons une véritable relation amicale. Quelque part elle est comme un premier amour de jeunesse, non dans le sens où mes sentiments étaient attirés par l’être physique, mais dans le sens d’une communion d’esprit, de pensée, voire d’idéologie pleine et entière. A ce jour encore et malgré que nous n’ayons pu établir ce genre de relation, il m’est évident que si quelqu’un lui faisait du mal, celui-là ou celle-là deviendrait mon ennemi. Oui, les Saint-Savin étaient ma seconde famille et, aujourd’hui, il en est toujours ainsi dans mon esprit et dans mon cœur.

Mais revenons à Luc et à cette autre forme de jeunesse que je découvris à seize ans. Au début j’étais déstabilisé de rencontrer des jeunes si différents de moi. Eux ne semblaient pas en vouloir au système, aux adultes ou à quiconque. Ils cherchaient des points d’ententes, ne se provoquaient pas et ne cherchaient nullement la bagarre. Je m’interrogeai donc sur leur maturité. Étaient-ils aveugles, ne voyaient-ils pas ce qui se passait autour d’eux ? Il suffisait d’allumer la télé et de regarder un quart d’heure les actualités pour comprendre que nous vivions dans un monde de merde. Étaient-ils indifférents ou tout simplement égoïste, ne pensant qu’à leur petit bonheur présent sans se soucier du malheur, de la tristesse ou de la déconvenue des autres ? Parmi eux, certains avaient un talent pour la musique, d’autre pour le dessin ou la danse et, d’autres encore, avaient un goût prononcé pour le sport. Toute ces formes d’expression de soi m’étaient complètement étrangères, mais je dois le dire, elles me séduisirent. C’est ainsi que petit-à-petit, lentement mais sûrement, je me mis à m’éloigner de George et de la bande, fréquentant de plus en plus souvent Luc et d’autres copains ayant son même état esprit. Lorsque nous n’étions pas au café, nous nous retrouvions tous à la maison des jeunes du quartier. J’entrai dans une nouvelle bande où la violence n’était pas de mise, où seuls comptaient la bonne entente, le rire et l’amusement paisible. George prit très mal mon départ de sa bande et, de fil en aiguille, nous en sommes un jour arrivés à nous battre à cause de cela. Nous étions devant la maison des jeunes, tous mes nouveaux copains étaient là et il me provoqua devant eux. N’acceptant pas qu’il tente de m’humilier verbalement devant eux, nous en sommes venus aux mains. Je le mis par terre et, suite à ça, je n’eus plus de contact avec lui. A mon grand regret, ce fût la fin de notre histoire d’amour et ce, définitivement. Mais je ne compris pas sa jalousie, car que pouvait lui importer que je fréquente également d’autres personnes puisqu’en aucun cas je ne l’avais rejeté pour autant.

Avec Luc nous nous voyions tous les jours. En semaine j’allais le chercher à la sortie de son lycée ou le rejoignais au « Vélodrome » et chaque soir je le raccompagnais en bas de chez lui. Jamais je ne suis monté dans son domicile et jamais il ne m’y invita. C’était sûrement le résultat d’une consigne de son père, consigne qui me semblait étrange tant chez ma mère la porte était grande ouverte à qui le voulait. Tous les week-ends ou presque, Luc venait déjeuner ou dîner chez nous, mon père n’était plus là, et l’ambiance était véritablement à la décontraction. A l’époque nous avions un autre très bon ami qui s’appelait Bruno. Lui était majeur et était apprenti-ébéniste. Bruno, je le connaissais depuis l’enfance. Effectivement, juste à côté de la maison des jeunes il y avait un grand stade et tous les week-ends les gamins du quartier s’y croisaient pour jouer ensemble au foot. C’est là que je l’ai rencontré et, en dehors des week-ends, nous ne nous voyions pas. Ce n’est que lorsque j’ai connu Luc, allant également joué au foot dans ce stade, que j’ai commencé à mieux connaître Bruno. Lui, c’était clair, il aimait et voulait s’amuser, là semblait le but de sa vie. Mais un soir, alors que nous étions devant la maison des jeunes, il me fit peur. Il fit une crise d’épilepsie, ce qui me désempara complètement, car je n’en avais jamais vu et ne savais même pas qu’existait cette maladie. Impressionné par ses premières convulsions, je pensais au début qu’il nous faisait un sketch de film d’horreur, puis il tomba à terre, sur le dos, ses convulsions et tremblements ne cessant point. Paniqué et ne sachant que faire, immédiatement je parti en courant chez ses parents qui habitaient à l’autre bout de la rue. C’est sa mère qui m’ouvrit et après lui avoir expliqué la situation, très tranquillement, elle se couvrit d’un gilet en laine et m’accompagna pour retrouver son fils. En chemin elle m’expliqua toujours aussi calmement qu’une crise d’épilepsie n’était pas quelque chose de grave et que, rapidement, Bruno reprendrait conscience et tous ses états d’esprit, ce qui advint effectivement. En se relevant, il était néanmoins quelque peu sonné et c’est bras-dessus bras-dessous qu’il repartit avec sa mère. Par pudeur ou par peur de sa réaction, je n’ai par la suite jamais interrogé Bruno sur cette maladie, son pourquoi, et notre relation ne pâtit pas une seule minute de cette pathologie. Malheureusement, un an plus tard, alors qu’il se trouvait dans son studio, il fit une nouvelle crise d’épilepsie et, cette fois, trouva la mort. Etait-il mal tombé, s’était-il fracassé la tête dans sa chute. J’appris par la suite qu’il était tombé sur le dos, avait vomi et qu’il s’était étouffé avec. Ce fût un nouveau choc, non seulement pour moi, mais également pour Luc, sa famille évidement, et tous ceux qui l’aimaient. Suite à son décès il y eut une messe pour son enterrement. C’était la première messe mortuaire à laquelle j’assistais et j’avoue avoir été outragé par cette dernière. Mon ami était mort à vingt ans et le prêtre ne parlait que du Christ, de l’au-delà, mais point de Bruno ou de sa famille qui étaient pourtant les principaux concernés par ce drame. De concert avec Luc, nous décidâmes d’aller trouver ce prêtre quelques jours plus tard afin qu’il nous explique le sens de cette cérémonie qui n’avait laissé que bien peu de place au souvenir de notre ami. A cette époque je n’ai pas souvenir que Luc cherchait un sens à l’existence à travers la religion. De mon côté, n’ayant pas la foi, n’éprouvant pas l’évidence d’un Dieu quelconque ayant créé notre monde, c’est perplexe que j’écoutais le prêtre nous faire sa prêche et suis resté dans mon idée, à savoir que cette cérémonie n’était qu’une mascarade, que mon ami n’avait été qu’un prétexte à l’apologie d’une croyance et que lui, l’être qu’il avait été, ne comptait finalement pour pas grand-chose dans cette histoire.

Ainsi, en compagnie de Luc et des autres copains de cette époque, ma vie se calma quelque peu jusqu’à mes dix-huit ans, jusqu’à ce jour où je commis le braquage qui me mena en prison. Je commettais moins de délit, provoquais toujours verbalement les uns et les autres, mais plus dans un esprit de revanche ou d’attaque, uniquement pour le plaisir de rire, y compris de moi-même. Je ne dénigrai plus personne, mais j’ouvrai tout le temps ma gueule, pour oui ou pour un non, affichant ouvertement ma pensée envers le système, la société, les adultes. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Léon. Il était professeur de Judo et sous-directeur de la maison des jeunes. Un jour il vint vers moi et m’incita à écrire, à mettre sur des pages toute ma colère, mon amertume, ma vision du monde. C’est ainsi que j’ai commencé à écrire et, sans cette rencontre, peut-être que cela ne me serai jamais venu à l’esprit. J’ai alors découvert qu’écrire incitait, forçait à la réflexion. Effectivement et ce, quelque soit notre point de vue, lorsque l’on argumente il faut une certaine cohérence, une certaine logique, afin d’être éventuellement compris, à défaut de rallier les autres à notre cause. Mes premiers écrits ont été publiés dans le journal de la maison des jeunes. Cependant, alors que j’invectivais les adultes, leur mode de fonctionnement, les valeurs qu’ils voulaient transmettre à la jeunesse, il n’y avait pour ainsi dire aucune réaction de leur part. Aussi, j’ai vite cessé d’écrire pour ce journal, mais cela ne m’empêcha de poursuivre chez moi, isolé dans ma chambre. De même, parce que la poésie m’attirait, ses métaphores, son abstraction parfois bien plus éloquente et convaincante que le plus beau des discours, je me mis à écrire des poèmes. Oui, encore aujourd’hui je trouve que la poésie est la plus belle forme d’expression, la plus aboutie si on la maîtrise, qu’il s’agisse de rimes ou de prose.

Ce n’est que lorsque j’eus dix-huit ans que je commençai à m’interroger sérieusement sur mon avenir. Luc et les autres passaient ou avaient déjà passé leur BAC et moi je n’avais rien, même pas un CAP. Dans cette fin des années 80, on parlait déjà du chômage de masse, de la difficulté pour les non-diplômés de trouver un emploi et, en conséquence, je ne me voyais pas d’avenir. J’étais face à un dilemme car j’avais réalisé au contact de Luc, de Bruno et du reste de la bande qu’il était bien plus agréable de vivre paisiblement, que cela n’empêchait pas la critique ou la revendication, plutôt que de vivre dans l’illégalité, le délit, la peur comme compagne, peur d’être arrêté ou retrouvé par la police, peur de devoir rendre des comptes à la justice et, le cas échéant, peur d’être envoyé en prison. Mais je n’eus pas le temps de trouver une solution à mon problème, celui de mon insertion dans la société, puisque quatre mois après avoir atteint ma majorité, je commis le braquage que vous savez.

J’avais alors été condamné à un an de prison dont six mois avec sursis et à trois ans de mise à l’épreuve. A la fin de ma peine, je fus convoqué par un juge d’application des peines, juge chargé de me suivre pendant trois ans, et il me dirigea vers un service social dont j’ai oublié le nom. Là je rencontrai une assistante sociale, le but étant de mettre au point un projet de vie, de commencer à construire un avenir loin des prisons. Je lui fis part de mon désir de reprendre mes études et, grâce elle, cela put se faire au Lycée autogéré de Paris, rue de Vaugirard dans le quinzième arrondissement. C’était un lycée expérimental où l’on tentait d’enseigner d’une autre façon que dans les lycées traditionnels. Le niveau des cours allait de la seconde à la terminale et chaque élève était libre de suivre les cours qu’il désirait, leur niveau, tout comme il était libre de ne participer à aucun cours. Il n’y avait pas de conseil de discipline, de renvoi pour absence, de cahier de présence à remplir et les élèves qui le désiraient, qu’ils soient studieux ou non, pouvaient participer activement à la vie du lycée, au même titre que les professeurs. C’est là que j’ai rencontré Virginie qui, elle, habitait en grande banlieue parisienne, près de Corbeil-Essonnes. C’est également à cette  même époque que je rencontrai Laurent, dit Dédel, mais pas au lycée. Nous nous sommes croisé la première fois chez l’un de mes potes de la porte de Saint-Cloud, un dealer de cheat, puis recroisé régulièrement chez lui et, de fil en aiguille, une véritable sympathie s’instaura entre nous et, très rapidement, il devint mon meilleur ami. Depuis que j’étais sortie de prison je voyais de moins en moins souvent Luc et tous les autres. Eux étaient plongés dans leurs études supérieures ou déjà insérés dans la vie active, un emploi en poche. La meilleure amie de Virginie s’appelait Laure. Elle faisait ses études dans un autre lycée et habitait la même ville que Virginie. Avant de les connaitre, jamais je n’avais franchi les enceintes de Paris. La banlieue était juste un mot que je connaissais, un terme à connotation négative, un lieu où ne pouvait résider que des pauvres et des délinquants. C’est donc en allant chez Virginie que, pour la première fois, je m’aventurai dans cet autre monde. La ville où elle habitait était exclusivement faite de pavillons individuels. Pas de tour, pas d’immeubles de huit étages, de la verdure, bref c’était un peu comme la campagne. Mois après mois je m’y rendais de plus en plus souvent, presque tous les week-ends je dormais chez elle, avec elle dans son lit, et pourtant nous n’étions pas ensemble, nous n’étions pas un couple. Ce n’est que l’année suivante que nous décidâmes de nous mettre en couple et sa maison devint ma seconde demeure. Un jour j’invitai Dédel à se joindre à nous dans cette grande banlieue. Là il découvrit Laure pour la première fois et, très rapidement, ils se mirent également en couple. Je me souviens que Dédel qui n’avait pas la langue dans sa poche signifia à Laure, le soir-même de leur union, qu’il ne voulait pas d‘enfants et que si jamais elle tombait enceinte, il la tuerait elle et l’enfant. Lorsqu’il me raconta cette anecdote j’avoue avoir été surpris et qu’un frisson de peur parcouru mon corps. Face à moi, alors que je pensais bien le connaître, je compris qu’il détestait plus que moi encore notre monde, notre société, et qu’il était hors de question qu’il inflige à un enfant ce spectacle détestable. Les trois années qui suivirent, nous fûmes la bande des quatre, pratiquement toujours ensemble, que ce soit sur Paris, là-bas ou ailleurs. Là encore, ce fut une parenthèse heureuse dans ma vie. Où que j’aille c’était paisible, y compris chez moi. En effet, ma mère s’était enfin décidée à se séparer de mon père alors que j’avais dix-sept ans et, depuis, l’ambiance était bien plus sereine au domicile. Avec Dédel, très régulièrement, nous refaisions le monde avec des si et des si. J’adorai nos conversations car, même si nous n’avions pas toujours les mêmes points de vue,  nous étions l’un et l’autre en rébellion contre les pratiques de ce monde. Dédel était un français pure souche, mais avait grandi à Dakar. Ses parents travaillaient là-bas comme coopérants. C’est donc tardivement qu’il a découvert la France, vers dix-sept ans, nos valeurs et notre mode de fonctionnement. Comme il me l’a souvent dit, cela l’avait déstabilisé et il avait beaucoup de mal à trouver de nouveaux repères. Je ne sais comment fonctionne le mode relationnel à Dakar, mais je sais qu’il exécrait celui des parisiens. Il nous trouvait faux, hypocrites et peu digne de confiance. Bien entendue, moi qui connaissais les codes parisiens, je ne voyais pas tout à fait les choses comme lui, mais je ne pouvais qu’être d’accord avec lui lorsqu’il disait que Paris était le royaume de l’apparence, du trompe-l’œil. Avec Virginie, notre histoire dura presque quatre ans lors de laquelle je dû la quitter deux ou trois fois. Effectivement il m’arriva à trois reprises d’entamer une relation amoureuse avec d’autres filles. Par honnêteté, j’en fis part à chaque fois à Virginie, n’imaginant pas un seul instant le mal que je pouvais lui faire. Plus con que cela, est-ce possible ? De même, lorsque mon aventure était terminée avec telle ou telle fille, je revenais vers elle, Virginie, et nous repartions ensemble comme en quarante.
Lorsque nous n’étions pas ensemble, chez elle ou chez moi, nous passions notre temps à nous téléphoner. Pendant des heures nous discutions de tout et de rien, parlions de nos projets communs ou individuels, de comment nous avions hâte de nous retrouver, d’être déjà à demain pour pouvoir nous serrer dans les bras. De même nous avons failli nous marier. Nous étions alors dans la ville d’Alençon, chez l’ami d’une bonne sœur que j’avais croisé alors que j’étais enfermé dans l’une des geôles des sous-sols du palais de justice de Paris, suite à mon braquage. J’avais passé la nuit dans cette cellule en compagnie de huit autres prévenus, attendant mon procès le lendemain, procès qui me conduisit tout droit à la prison de Fleury-Mérogis. A cette époque ma petite copine, Hélène, dès qu’elle eut vent de mes déboires, entra en contact avec le prêtre de la paroisse Sainte-Jeanne de Chantal, située porte de Saint-Cloud, ce même prêtre qui avait conduit la cérémonie d’enterrement de Bruno, celui-là même que j’avais été voir avec Luc. C’est lui qui entra en contact avec la bonne sœur pendant mon incarcération, lui demandant de venir me trouver. Effectivement, dans les sous-sols du palais de justice de Paris, se trouvent deux sections, celle des hommes et celle des femmes. La section des hommes est gérée par des gendarmes ou la police, et la section des femmes est gérée par une communauté de bonnes sœurs. Donc cette bonne sœur, la mère Thérèse, me fit sortir de cette geôle puante pendant quelques minutes, me demandant si j’avais besoin de quelque chose pour mieux supporter mon incarcération. Je lui demandais simplement des cigarettes et, quelques minutes plus tard, elle revint avec deux paquets que je partageai par la suite avec mes codétenus. Après cette nuit, après Fleury-Mérogis, je mis tout en œuvre pour la retrouver et, par la suite, nous nous vîmes une à deux fois par an pendant cinq ans. C’est à l’une de ces occasions, alors que j’étais avec mon amour, Virginie, que je lui fis part de mon désir de partir un peu en vacance. Elle se mit donc en contact avec l’une de ses connaissances à Alençon, un directeur de foyer de la DASS, qui accepta que Virginie et moi passions deux semaines dans sa demeure. C’était la première fois que nous nous retrouvions seuls, sans Dédel et Laure, sans nos parents, dans une totale liberté de mouvement, tant dans la demeure de ce monsieur que dans la ville. Un soir, alors que nous étions allongé face à face dans notre lit, je lui demandais si elle accepterait que l’on se mari. Oui me répondit-elle immédiatement, comme si c’était une évidence. Ne connaissant rien à la procédure civile pour se faire et, pour ma part, n’ayant assisté qu’à des mariages dans des églises dans mon passé, le lendemain nous nous rendîmes dans une église afin de rencontrer l’aumônier.  Lui ayant exposé notre souhait de mariage, c’est là qu’il nous expliqua que cela n’était pas possible, qu’un mariage religieux ne pouvait se faire qu’après un mariage en bonne et due forme dans une mairie. Quelle ne fut pas ma déception car, déjà, je nous avais vus rentrer chez nous mariés, unis devant le ciel et son non-sens, faisant ainsi la surprise à tout le monde. Devant cette impasse je me m’y à réfléchir. Voulais-je passer devant un maire, me plier à une loi, moi qui, même si je ne faisais plus de bêtises, maudissais notre société et ses règles, règles qui encadrent mais privent aussi de liberté. Je ne puis me résoudre à cette hypothèse, à cette éventualité, car le faire serait entrer dans le système, système que je dénonçais pour toutes ses incohérences et privilèges qu’il ne réservait qu’à quelques-uns, les plus nantis évidement.

En matière de vacance, nous avions également un autre point de chute très agréable. Les parents de Dédel possédaient une résidence secondaire en Normandie. Plus d’une fois nous nous rendîmes tous les quatre dans cette typique maison normande, le plus souvent en hivers. Au centre du salon il y avait une grande cheminée et pendant que les branches et les troncs flambaient, nous réchauffant et inondant la pièce par la lumière de leurs flammes, nous refaisions encore et toujours le monde. A cette époque j’avais quitté le lycée autogéré de Paris et avait trouvé mon premier emploi. Je vendais des autoradios, des alarmes pour véhicules et les tous premiers téléphones portables qui, avec leur batterie, pesait au moins cinq kilo. Dédel, lui, travaillait au noir chez des particuliers, s’occupant de petits ou de gros œuvres chez ces derniers, qu’il s’agisse de peinture, de maçonnerie ou de toute autre forme d’activité liée au bâtiment. Virginie, quant à elle, poursuivait ses études au lycée autogéré et mettait tout en œuvre pour passer le Bac. Laure avait fini ses études et travaillait dans un magasin d’optique. Contrairement à Virginie et moi, Laure et Dédel avaient pris un logement, une petite chambre de bonne de six ou huit mètre carré situé sous les toits d’un immeuble, près de la tour Montparnasse. Régulièrement, au moins une fois par semaine, nous mangions chez eux. La chambre de bonne était si petite qu’il était impossible de bouger une fois tous les quatre assis. Seul Dédel se levait pour aller chercher le repas, nous servir, faire ensuite la vaisselle, puis sortir les bouteilles de digestifs. A cette époque je n’étais pas encore un alcoolique, désireux de me rétamer la gueule pour oublier ou digérer je ne sais quelle tare de mon existence. Je m’enivrai lors de ces soirées-là, certes, mais pas au point d’être complètement ivre. De même, une à deux fois par semaine, nous mangions tous les quatre dehors, au restaurant. Je me souviens surtout de l’un d’eux, « Le Module », qui était situé boulevard du Montparnasse. Sa spécialité était la viande rouge, viande que nous commandions au poids. C’est ainsi que nous retrouvions avec des pièces de boucher d’un kilo dans nos assiettes et des frites comme ornement. Bien entendu, avant de passer à table, nous prenions nos apéritifs et, pour accompagner le repas, commandions une ou deux bouteilles de vin rouge. N’étant pas très porté sur l’alcool en général, je laissais Dédel choisir les bouteilles. Une fois le repas terminé, nous entamions alors la danse des digestifs et c’est toujours enivrés que nous quittions le restaurant. Dans la consommation d’alcool, Virginie et Laure était beaucoup plus modéré que nous. Elles, elles prenaient un apéro, un ou deux verres de vins et parfois, exceptionnellement, un digestif. Ce restaurant proposait également à ses clients des cigares, de vrais barreaux de chaise venant de Cuba et, toujours à la fin du repas, Dédel et moi en achetions un. Virginie et laure ne fumait pas. Lors de ses repas, il n’y avait place que pour le rire, la bonne humeur et cette entente parfaite qui existait entre nous. Oui, nous étions la bande des quatre et c’est bien peu de le dire, soudée, collé les uns aux autres, et il n’y avait de place pour personne d’autre.

Puis vinrent les vacances d’été de l’année 1991. Seule, Virginie partit dans une espèce de club méditerranée en Grèce. A son retour je l’accueillais à la gare de Lyon et là, à son tour, elle m’apprit qu’elle avait entamé une relation amoureuse avec le prof de danse de ce club. Instantanément j’ai suffoqué, n’en revenais pas et me suis mis à pleurer. Je me souviens très bien de l’endroit où nous étions assis à la sortie de la gare, de mes larmes qui n’arrêtaient pas de couler, de Virginie qui me prenait dans ses bras, tentant vainement de me consoler. C’est là que je compris tout le mal que j’avais pu lui faire dans le passé, que j’ai compris les douleurs, les torsions et contorsions que j’avais forcément instauré dans son cœur lorsque je l’avais trompé. Constatant mon état, elle me signifia qu’elle quitterait immédiatement son prof de danse, que nous reformerions notre couple et, à cela, je lui répondis que non, qu’il fallait qu’elle vive cette expérience. Oui, je n’avais que ce que je méritais, le sale morveux que j’avais été à son égard méritait ce coup de bâton. Puis, pendant un mois peut-être, nous ne nous sommes plus vus. C’est alors dans les bras de Dédel, de Laure ou de ma mère que je pleurai. Oui, j’étais complètement effondré, ne parvenant plus à envisager des lendemains sans Virginie. Un mois plus tard j’appris qu’elle avait rompu sa relation avec le prof de danse et c’est alors que nous avons eus une grande explication. Bien évidement je m’excusai de tout le mal que j’avais pu lui faire dans le passé, mais lui signifiais également que je ne savais pas si je pourrai encore lui faire confiance tant j’avais peur que cela se reproduise avec un autre. Pendant six mois, tant bien que mal, nous avons néanmoins essayé de reconstruire notre couple, mais ma confiance n’étant plus là, ne revenant plus, je mis un terme définitif à notre union. Malheureux je le fus, au-delà du descriptible, et je me mis à boire, boire et encore boire. A l’époque je travaillais comme commerciale en assurance-vie, avais quitté la boutique d’autoradios. Je travaillais en porte à porte, allant déranger chez eux des personnes qui ne m’attendaient pas afin de leur vendre des produits d’assurance. Avant la rupture avec Virginie, j’excellais dans ce domaine et, chaque soir ou presque, je revenais avec un contrat signé en poche. Mais lorsque notre rupture fut consommée, n’ayant plus goût à rien et commençant à boire comme je n’avais jamais bu jusqu’alors, comme un ivrogne, un alcoolique, je perdis mon emploi. N’ayant plus le moral, déprimant, c’est à cette époque que j’ai commencé à faire des séjours à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne. Paumé comme je le devenais, je commençais à retomber dans les travers de mon adolescence. J’allais et trainais avec d’autres paumés, entamais des relations avec des petits jeunes qui, comme moi à leur âge, voulaient en découdre avec le monde entier. En plus de l’alcool, des médicaments, je me mis également à prendre de l’héroïne, une drogue qui coûte chère, et de fil en aiguille je redevins petit-à-petit un délinquant car incapable d’assumer quelque travail que ce soit, de m’astreindre à la discipline des horaires, d’accepter des ordres, de me soumettre à quelque hiérarchie que ce soit. Oui, ma rupture avec Virginie m’avait littéralement mis à terre, je n’étais plus que l’ombre de moi-même, malgré les efforts désespérés de Dédel, de Laure ou de Luc pour me sortir la tête hors de l’eau. J’avais vécu quatre année de bonheur, de réel bonheur et si j’avais compris avant l’heure que tromper sa femme, même s’il ne s’agissait que d’histoire de cul sans lendemains, de pulsions animales ne demandant qu’à être assouvi une fois et une seule, je suis certain que ce bonheur durerait encore. Je l’avais trahis, voici ce que j’avais fait, je l’avais nié, n’avait pas pris en compte son amour, son attachement à ma personne, pas plus que je n’avais compris, aveugle que j’étais, à quel point je l’aimais et cela, à mon insu.

L’amour est une chose et aimer une autre chose. L’amour est un sentiment qui est en nous, uniquement en lien avec nous-même. Celui ou celle aimé n’a pas besoin d’être là, physiquement à nos côtés, pour que nous ressentions néanmoins notre amour envers lui, envers elle. Le sentiment est là et se suffit à lui-même, nous n’avons nul besoin de le justifier envers nous-même ou quiconque. Aimer par contre, c’est vouloir sortir ce sentiment hors de soi, le propager vers l’extérieur en lui donnant ainsi une forme à travers nos actes, nos mots ou nos expressions corporelles. Un sourire, une larme, de la colère, une main tendue, une lettre ou des cadeaux comme témoignage, tout cela est « aimer ». Autrement dit, garder secret notre amour pour un être n’est pas l’aimer. C’est uniquement apprécier le sentiment qu'il nous procure et ça s’arrête là. Dans l’absolu il peut bien mourir, cela ne changera rien à la satisfaction que nous avons d'éprouver cet amour. Par contre, entrer dans la démarche « d’aimer » peut considérablement changer la donne sur l’appréciation que nous avons de notre sentiment d'amour. Selon l’accueil qui sera fait par l’être aimé des diverses expressions que nous donnerons à ce sentiment qu’il aura induit en nous, notre joie ou notre tristesse de le ressentir deviendra alors soit du plaisir soit de la souffrance. Éprouver de l’amour pour quelqu'un ne demande aucun effort, strictement aucun. Cela s’installe en nous et nous ne pouvons qu’en prendre acte. Mais aimer cette personne en conséquence est par contre un choix, celui de le lui faire savoir ou non pour commencer et après... qui sait ?
Sans doute est-ce pour cette raison que la mort d’un être aimé, mort physique, ruptures, séparations, est si souvent pénible à vivre. Le désir d’exprimer notre amour, d’aimer donc, se retrouve face à un vide... il ne peut plus être accueilli. Virginie n’était plus, ses bras ouverts s’étaient fermés, j’étais ainsi face au vide et ce, inexorablement.

Chacun dans son silence
Le mal comme seule anse
Expectative de la douleur
A quoi sert-il d’avoir un cœur 

Imperturbable le temps défile
Supprimant tous ces instants
Perdus, l’espoir en sang
Mon cœur encaisse mais il s’effile

Pleureras-tu le jour de ma mort
Toi que je veux mon château fort
Oublieras-tu pour penser vivre
Tous ces moments où nous fûmes ivres

Mais à quoi bon y croire un peu
Quand je ne sais ce que tu veux
A quoi bon vouloir ta main
Si c’est ailleurs que vit ton sein

Je me résigne sans aucune joie
Ne serai pas ton rabat-joie
Te laissant libre de tes choix
Et peu importe ma foi en toi

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