samedi 28 février 2015

Un samedi de corvée

Un samedi de corvée ce matin, courses, vaisselles, puis enferment chez moi. Oui, je ne supporte vraiment pas d'être enfermé chez moi, seul ou avec Cynthia. De loin je préfère être dehors, sentent et respirant l'air frais, peu importe qu'il pleuve ou non, qu'il fasse froid ou pas, je me couvre en conséquence et part, solitaire, au milieu du monde, au milieu de la foule, anonyme et tranquille.

Depuis mercredi, début de mes séances de radiothérapie, je ne me sens pas à l'aise. Aujourd'hui j'ai compris pourquoi. C'est parce qu'inconsciemment j'étais déjà dans l'attente des résultats de l'IRM que je passerai dans trois mois, IRM qui me dira si ma tumeur régresse ou non. En fait j'ai peur qu'elle ne régresse pas ou que l'autre, ma seconde métastase, se remette à grossir. J'ai donc tout un travail qui m'attend sur moi-même les prochains jours pour relativiser tout çà, ne repoussant aucune éventualité et acceptant que le pire arrive.

Ce matin, avec Cynthia, nous parlions de notre emménagement à Besançon ou alentour. L'affaire est entendu et c'est là-bas que nous irons, qu'elle achètera peut-être sa première maison. Moi qui ne suis pas très montagne, même si je n'y vais pas à reculons, je n'y vais pas pour autant avec enthousiasme.
Oui, j'aime mes petites habitudes dans les cafés, j'aime les fréquenter, habitude que j'ai commencé à prendre à l'âge de quinze ans, dans mon quartier de la porte de Saint-Cloud à Paris. Le café s'appelait « Le Vélodrome » et c'est là que j'ai croisé pour la première fois Luc Césard, autour du flipper, et que par la suite nous sommes devenus les meilleurs amis du monde. Je me souviens qu'il fallait avoir seize ans pour entrer dans un café et pouvoir consommer. Alors je mentais sur mon age, commandait un café et commençais à jouer au flipper. Pendant deux ans, ce fut le café où je me rendais journellement. A cette époque j'avais définitivement quitté le circuit scolaire, pourtant obligatoire jusqu'à seize ans, traînais la journée avec Georges, Frank et toute la bande et, sous les coups de 17h00, je me rendais au vélodrome pour rejoindre Luc et ses copains qui, eux, sortaient du  lycée. Un soir, Luc me proposa de l'accompagner chez des amis  à lui, des musiciens. Ils habitaient juste au-dessus des « Trois Obus », un autre café de la porte de Saint-Cloud. Ils étaient trois. L'un était à la guitare électrique, le second à la Bass et le dernier au clavier. Ce fut une véritable révélation pour moi d'écouter en direct des instruments de musique, moi qui n'avais jamais été à un concert de ma vie. Le trio jouait leurs propres compositions et je sais que c'est là, à leur rencontre, que j'ai également voulu me mettre à jouer d'un instrument. J'avais une prédilection pour la guitare car je trouvais que cela faisait plus viril. Malheureusement, ma mère étant alors au chômage et mon père ayant disparu de la circulation, je n'avais ni les moyens de m'acheter une guitare ni de me payer des cours. C'est également à cette époque que j'ai commencé à fréquenter la Maison des Jeunes et de la Culture de notre arrondissement. Elle était situé juste en bas de chez moi et comme avec la bande du flipper nous cherchions un lieu autre que le Vélodrome pour nous réunir, je proposais justement la MJC. C'est ainsi que du jour au lendemain, tout le staff de la MJC nous vit débarquer. Nous étions une bonne dizaine et, ma foi, ils nous firent plutôt un bon accueil. La MJC proposait beaucoup d'activité, certaines sportives, d'autres artistiques et enfin des activité musicales, dont le piano. Le responsable avec qui nous étions souvent en contact s’appelait Léon. Il était professeur de judo et sous-directeur de la MJC. Pendant les deux années que j'ai passé là-bas, en compagnie de Luc et des autres, il a été comme un guide spirituel pour moi. Il savait que je faisais des conneries, que je me droguais, que je n'allais pas  l'école, que je volais, etc. Néanmoins il essayait de m'aider, de m'empêcher d'aller plus loin encore dans mes conneries et souvent nous parlions ensemble, profondément et sans tabou. C'est lui qui me dit un jour de mettre par écrit toute la rage, toute la colère que j'avais en moi. Je ne sais pourquoi, mais je l'ai écouté et c'est ainsi que je me suis mis à écrire et, depuis, je ne me suis plus jamais arrêté. Pourtant, au début, je n'en voyais pas l'intérêt. Je n'ai compris l'utilité de cette exercice que quelques mois plus tard, car une fois étalés mes divers constats sur le rôle des parents, sur la place des jeunes dans notre société, sur nos rapports avec le monde adulte, cela m'incita à aller plus loin dans la réflexion, à essayer de comprendre pourquoi il en était ainsi et pas autrement, pourquoi on cataloguait les gens aussi facilement et durablement, etc.
C'est également Léon qui accepta que j'essaye de faire du piano en dehors des horaires de cours. Mes débuts furent laborieux, ne connaissant ni le solfège ni la manière dont était conçu un piano. Effectivement je n'imaginais pas une seconde que les touches d'un piano, comme n'importe quel autre instrument de musique, n'étaient qu'une succession de sept notes, toujours les mêmes, dans le même ordre, seule la tonalité changeante. C'est ainsi que je fis la connaissance d'Hélène. Elle prenait des cours de pianos depuis de nombreuses années et était également répétitrice, c'est à dire qu'elle faisait répéter leurs cours de piano à des débutants. Elle me proposa de me donner des cours gratuitement et c'est ainsi que j'ai pu mieux me familiariser avec cet instrument. Le premier morceau qu'elle m'apprit et que je connais encore par cœur a été « Let it be » des Beatles.

De même, entre mes quinze ans et mes dix-huit ans, mon obsession était les filles. Toutes, je les voulais toutes, qu'elles soient belles ou non, grosse ou pas, n'importe laquelle faisait l'affaire dès lors qu'elle acceptait de coucher avec moi. Je les draguai donc toutes, sans exception, et lorsque je connus Hélène, celle-ci ne dérogea pas à ma règle. Seulement Hélène n'était pas du tout comme les filles que j'avais l'habitude de côtoyer. Déjà elle s'appelait Hélène De Gaulle, de la famille de l'illustre général dont je ne connaissais que brièvement l'histoire, et cela en imposait déjà dans mon esprit. De même, les filles que je fréquentais habituellement étaient déjà sorties du circuit scolaire après un CAP ou un BEPC. Même si elles n'étaient pas des délinquantes, elles étaient néanmoins aussi larguées, aussi paumées que moi, ne se voyant pas plus d'avenir que çà. Hélène, quant à elle, était déjà dans les études supérieures, même si je n'ai plus mémoire de la filière dans laquelle elle était. Enfin, une ou deux fois je fus réunis avec ses amis et j'avoue que je me suis senti complètement étranger à ce monde-là. Tous et toutes étaient issus de ce que l'on appelle les bonnes familles, aisées, et avaient un langage châtié, à mil lieux de celui de la rue. Moi et mes potes, nous ne parlions jamais de politique. Eux, on avait l'impression qu'il n'y avait que ça qui les intéressait. Quoi qu'il en soit, je draguai donc Hélène, première fille avec qui je pouvais avoir des conversations profondes, tant sur le sens de l'existence, de notre présence ici-bas, que de l'utilité ou non d'enfreindre les règles, les lois,etc. Un mois après notre première rencontre, nous étions donc en couple et je n'allais pas tarder à avoir dix-huit ans. Comme Léon, je senti qu'elle voulait vraiment m'aider, que je trouve une voie autre que celle de la délinquance, mais moi je ne me voyais pas d'autre issue. Sans diplôme, sans aucune formation, comment pourrai-je trouver un emploi et, surtout, dans quel secteur. Non, je voyais mon avenir bouché et imaginais que mon futur serais fait de vols divers, voire de braquage de boutique ou de banque. Un temps j'ai même pensé me lancer dans le business de la drogue, de l’héroïne exactement, car j'ai vite compris qu'avec cette drogue qui partait comme du petit pain dans mon quartier, il aurait été rapide de me constituer un bon magot. Mais comme pour tout business, il faut une somme de mise au départ pour investir dans l'achat de la marchandise que l'on veut vendre, et cet argent je ne l'avais pas. Alors à cette époque je volais essentiellement des auto-radios que je refourguais à un patron de bar, histoire d'avoir quelques liquidités.Ainsi, de mes seize à dix-huit ans, ce fut deux années relativement calme. Mes parents s'étaient enfin séparés, le calme était revenu à la maison, avec tous mes potes tous se passait bien, excepté avec George qui n'appréciait pas que je délaisse sa bande au profit d'autres personnes, dont Luc. Nous en sommes même arrivé aux mains, à nous battre pour cela, ce que j'ai trouvé bien dommage. Mais bon, visiblement j'avais vexé son ego et ce dernier voulait réparation.

Quoi qu'il en soit, même si je commettais ponctuellement des délits, la fréquentation de Luc, d'Hélène et de Léon me tempérait. Je devenais de moins en moins insolent, provoquais de moins en moins les gens. On peut dire que dans un certain sens je m'assagissais, que je devenais plus sociable, acceptait plus facilement que les autres soient différents de moi, qu'ils soient sages ou érudits. Non, je n'éprouvais plus de jalousie ou d'envie envers eux.


(28 février 2015)

vendredi 27 février 2015

Dernière séance de radiothérapie

12h00

Ce matin troisième et dernière séance de radiothérapie et je suis chaos, complètement au ralenti. Cette nuit j'ai été pris de vomissement par deux fois, effets secondaires des séances précédentes, et me suis levé vers 7h00 avec un bon mal de tête. A l'issu de ma séance, j'ai rencontré une radiothérapeute, histoire de réajuster mon traitement, d'éviter les vomissements et les maux de tête. Cependant je me sens bien, dans le sens de calme, détendu, ne sachant pas quoi faire pour autant, car je n'ai ni envie de me promener, de flâner, d'errer dans les rues, de marcher. Oui,je suis très bien assis, à écrire comme d'habitude, à une terrasse de café.

Les soins sont donc terminé, je n'ai plus que des médicaments à prendre, une partie pour palier aux effets secondaires des séances de radiation et des inflammations que provoquent mes métastases, l'autre partie pour me détendre à coup d'anxiolytiques et de neuroleptiques, mes médicaments de prédilection depuis mes vingt ans avec une interruption de dix ans seulement.

Aujourd’hui, peut-être du fait de mon état léthargique, j'ai envie de me shooté comme je le faisais au bon vieux temps, lorsque j'étais adolescent ou quand j'avais vingt ans, fumant joint sur joint jusqu'à atterrir sur une autre planète, ayant une vision des choses qui n'avait strictement rien à voir avec l'ordinaire. Mais aujourd'hui, ne prenant plus ces drogues depuis bien longtemps, je n'ai que le Xanax pour me shooter. Certes il me rend somnolent, état que j'apprécie, mais cela ne va pas plus loin. Il ne me dépayse pas, ne modifie pas véritablement ma perception des choses. Bref, c'est un calmant, il détend, il apaise, et il ne faut pas en attendre plus.

Je crois qu'aujourd'hui je ne vais pas rester longtemps à écrire. Je pense que je vais rentrer chez moi, m’affaler dans le canapé et comater devant la télé.


17h40

J'ai donc dormi toute l'après-midi et ne suis réveillé que depuis 17h00. Immédiatement, malgré mon estomac qui me joue des tours, j'ai éprouvé le besoin de sortir, de prendre l'air. Quelque part je ne supporte plus ma demeure où je suis inactif, avec pour seul ornement la télé et ses programmes qui, généralement, ne m'intéresse pas. Pourtant il y a la vaisselle à faire. Je la ferai tout à l'heure si je me sens un peu mieux réveillé, sinon ce sera demain.

Ma sœur, Ilham, m'a appelé ce matin pour prendre de mes nouvelles. Je lui ai dit que tout allait bien, ce qui n'est pas faux, et du coup ce sont de ses nouvelles dont nous avons parlé. A son boulot, la cadence, le rythme, le manque de personnel, la met sur les nerfs. Ce week-end elle devrait aller en Normandie avec Frank, un ami d'enfance, pour se changer un peu les idées. Une copine qu'elle hébergeait depuis un mois, Sandrine, une ex de mon frère, est enfin partie. Chez ma sœur, dans son petit trois pièces, tout le monde se marchait dessus. Sa fille vit là-bas avec son mec, il y avait Sandrine et en plus il y a leur gros chien, un bouledogue américain et les quatre chats. Comment ne pas étouffer au bout d'un moment, où s'isoler pour respirer ? Sandrine partie, ma sœur aura au moins sa chambre pour elle-seule, ce qui n'est pas un mal.

Ce soir le ciel est bien sombre. Après une journée ensoleillé, les nuages de pluie couvrent le ciel. Pleuvra-t-il dans les deux heures qui suivent, dans la nuit ou seulement demain ? Je suis d'avis que cela commencera dans la nuit, même si j'ai encore du mal à comprendre le fonctionnement du climat breton.

Je ne sais pourquoi, mais j'étais entrain de m'imaginer discuter avec ma fille de la liberté, lui expliquant que cette dernière n'existait pas. Tous les interdits, toutes les lois sont des murs à notre liberté. Ces derniers encadrent notre liberté ou, dit autrement, notre liberté ne réside que dans un cadre. Le totalitarisme est aussi un cadre, il permet également une certaine forme de liberté à ceux qui y sont assujettit, ne serait-ce que la liberté de mouvement, de manger ce qu'ils veulent, de choisir leur ami. Oui, la liberté n'est pas uniquement celle de l'expression et cette dernière, même si elle nous met le plus souvent dans l'illusion que notre avis peut avoir une importance quelconque dans le fonctionnement de notre société, celle-ci n'est généralement pas d'une grande utilité. En cela la démocratie, quel qu'elle soit, est une vaste fumisterie. Une fois votre bulletin de vote introduit dans l'urne, seul celui ou celle élu aura le droit à la parole, aura le droit de pouvoir agir ou non, votre parole, votre liberté d'expression et d'agir devenant néant si votre élu décide de ne pas l'entendre. Oui, la démocratie est bon système de musellement parce qu'il ne dit pas son nom, autorisant chacun à râler ou applaudir comme il le veut, mais dans les faits, seuls quelques milliers de personnes décident, dirigent, tout au moins en France, des millions d'autres personnes. Oui, la liberté, quelque soit le cadre, trouve rapidement ses murs. Nous qui sommes conditionnés, habitués à la démocratie, pensons que c'est le meilleurs des cadres. Je ne suis pas sûr que les russes, les chinois ou que les habitants des systèmes totalitaires arabes, tel le Maroc, la Jordanie, soient de cet avis. Je pense que comme nous, la majorité s’accommode du système, du cadre dans lequel il a grandi, ayant appris à en apprécier certains aspect et à en détester d'autre, comme nous nous comportons nous-même face à nos démocraties.

Là, de suite, peut-être parce que nous avons souvent parlé de ce sujet lorsque nous avions vingt ans, je pense à Dédel, mon meilleur ami de l'époque. Depuis il s'est suicidé il y a de cela six ou sept ans, laissant derrière lui sa femme, Laure, et leur deux filles. Pas plus que moi il n'a jamais aimé notre monde, ou plus exactement la société française. C'est pourtant un français de souche, mais ses parents étant coopérants français à Dakar, c'est là-bas, dans ce cadre qu'il a grandi. Il n'a du arriver en France qu'à l'âge de quinze ou seize ans et, comme il me l'a souvent dit, il avait l'impression de débarquer dans un autre monde, sur une autre planète. Bien entendue, sur le moment, je ne voyais pas à quoi il faisait allusion, pensant naïvement que nos anciennes colonies avaient été rebâtie sur notre système démocratique et qu'il ne devait pas y avoir tant de dissemblance que ça d'un côté ou l'autre de la méditerranée. Je regrette de l'avoir délaissé un jour, de l'avoir abandonner, d'avoir fais le choix de la mère de ma fille, une conne avec laquelle il est impossible d'aborder quelque sujet de fond que ce soit, surtout philosophique. Oui, j'ai préféré une histoire de cul, bancale dès son origine, à la relation d'amitié que me liait à Dédel et Laure. Nous avions alors vingt-six ou vingt-sept ans. Jusqu'à ce que je rencontre Tony, dix ans plus tard, je n'ai plus d'autres amis. J'avais certes beaucoup de relation et avec certaines personnes des relations mêmes profondes. Je pense à Isabelle surtout et à Élise. Cependant, le sexe, les sentiments amoureux sont venu foutre le bordel au bout du compte, et c'est ainsi qu'après trois années à nous côtoyer tous les jours, nous en sommes venus à partir chacun de notre côté. Mais revenons à Dédel. En 2003 ou 2004, alors que j'étais séparé de Nathalie et de notre fille, je l'ai recroisé par hasard dans les rues de Montrouge, ville où nous habitions tous les deux sans le savoir. Moi j'étais locataire et lui, avec Laure, avaient acheté un appartement. Le soir-même nous dînions ensemble et ce ft vraiment un moment agréable de se retrouver ainsi, après tant d'années de séparation, sans rancœur ni rancune à mon égard. Il me laissa sur un bout de papier son adresse et son numéro de téléphone, papier que j’eus le malheur d'égarer, et c'est ainsi que le perdu de vue à nouveau. Puis, six ou sept ans après Laure m'apprit son décès, son suicide dans sa baignoire. A l'époque j'étais à Lyon, mais sans me poser de question je fis le trajet jusqu'à Paris afin d'assister à la messe funéraire et aux funérailles. Oui, je regrette de ne pas avoir été là avant, d'avoir bêtement perdu ses coordonnées, coordonnées que j'aurai pu facilement avoir puisque je savais où travaillait Laure. Malheureusement à cette époque j'avais d'autre priorité en tête, ma fille et mes batailles pour accéder à elle. C'est la seule époque de ma vie où je suis entré dans le militantisme, dans une association qui défendait le droit des pères, droits des pères sur lesquels notre société crache comme l'on cracherai sur un sale connard. Puis j'ai du quitter Montrouge, n'ayant plus d'argent ni emploi me permettant de payer mon loyer. C'est ainsi que de fil en aiguille Dédel disparu petit à petit de mon esprit et que je fis la connaissance de Tony quelques mois plus tard. Je pense que le rêve secret de Dédel aurait été de retourné à Dakar, y habiter de nouveau, car je sentais bien lorsqu'il m'en parlait que c'était là-bas sa véritable demeure, pas la France. De toutes les personnes avec lesquelles je me suis réellement entendu et que je n'ai plus revu par la suite, il est le seul que je regrette, et comme je sais pour qui je l'ai quitté je ne peux m'empêcher de me dire quel con j'ai été. Comme moi, il était quelqu'un d'entier, peut-être plus entier que moi encore. Il n'avait pas la langue dans sa poche, ses avis étaient tranchés et avait une volonté de fer. Contrairement à moi qui suis plus enclin à suivre le mouvement, lui était quelqu'un d'entreprenant. Il aurait fait un bon dirigeant d'entreprise, mais il a préféré travailler en indépendant,  son compte, le plus souvent en travaillant au noir, exécutant du petit ou du gros œuvres chez les particuliers. Avec ses chantiers il gagnait bien sa vie. Seule sa relation avec Laure était un mystère pour moi. Elle aussi avait de la volonté, mais était d'une discrétion qui contrastait avec l'extraversion  de Dédel, de son vrai prénom Laurent. Vu de l'extérieur on avait l'impression que c'est lui qui dirigeait tout dans leur couple. Pourtant, cela ne pouvait être ainsi car Laure avait forcément ses propres désirs, ses propres souhaits, et ne la voyant pas malheureuse, c'est qu'elle avait une bonne latitude de liberté. Enfin, tout cela est le passé, un passé lointain qui a certes participé à la construction de celui que j'étais alors, avec ses bons côtés et ses travers. C'est la seule époque de ma vie que je regrette, où tout coulait de source, époque où j'étais avec Virginie qui était elle-même la meilleure amie de Laure, époque où nous rentrions tous les quatre dans la vie active, avec nos premiers salaires, nos premiers revenus, époque où nous étions presque toujours tous les quatre réunis, tantôt chez les uns, tantôt chez les autres. Oui, une époque bel et bien révolue, mais qui est quand même comme un soleil dans la nuit que fut ma vie par la suite.


(27 février 2015)

jeudi 26 février 2015

Le syndrome de la page blanche

Le syndrome de la page blanche, le vide, le nul part, où l'on ne sait quoi imprimer, quoi écrire, quoi rédiger, quoi raconter, parce que rien ne surprend l'esprit, n'éveille l'attention, l'intérêt, mais l'on reste fixé sur sa page, écrivant ce qui traverse alors l'esprit tout en se demandant ce qui l'en sortira au final, si tant est qu'il en sorte quelque chose.

A priori Cynthia et moi d'accord pour aller à Besançon, déménager une nouvelle fois, quitter Rennes, la mer, pour la montagne et ses rigoureux hivers. Ce n'est pas fait pour me déplaire, amis une fois sur place, dans la place, que ce soit à Besançon ou alentour, qu'en sera-t-il ? Comment sont les jurassiens ? Renfermés, ouverts, accueillants ?

Il est 15h30 et je suis sortie de ma séance avec mon psy il a 1h30. Je ne suis pas satisfait de cette séance. Est-ce parce que je l'endormais, mes propos étant sans doute sans intérêts ? Est-ce parce qu'il m'a posé une question que je n'ai relevé qu'à la fin de notre entretien, question pour laquelle je n'ai pas de réponse particulière ? Je lui parlais du roman que j'ai le projet d'écrire et lui décrivait le décors de ce nouveau monde que j'ai en tête. Il me demanda alors pourquoi j'éprouvais le besoin de lui en parler. Sur le moment je n'ai pas relevé sa question et j'ai continué dans ma description. Je lui ai simplement répondu que je voulais dénoncer la merde qu'était notre monde actuel à travers mon roman, mais que le nouveau monde que j'imaginais ne valait pas mieux. Certes mon nouveau monde est un monde sans guerre, sans violence, où tous et toutes vivent en parfaite entente, mais la discrimination y est néanmoins présente, ainsi qu'une certaine forme d'injustice. Mais cela ne répond pas à la question qu'il m'a posé : pourquoi éprouvais-je le besoin de lui en parler ? Pour l'heure, je n'ai toujours pas de réponse et ne sais si je vais me triturer la tête pour en trouver une.

Ainsi, comme chaque après-midi et matinée, je suis en terrasse de mon café habituelle afin d'écrire, de me vider, comme si je voulais rentrer chaque soir chez moi la tête vide de questionnement. Pourtant des questions il y en a toujours, sur tout et sur rien, sur du futile et de l'important, sur le choix du programme télé ou sur le plat à manger, etc. Oui, ne m'est véritablement agréable que le moment où je me couche. Je met un documentaire en fond sonore sur mon ordinateur, me couche et m'endort quasi-instantanément. De tomber ainsi, d'un coup, sans que la moindre pensée ne traverse mon esprit, est un véritable régal. Le sommeil en lui-même est moins agréable car, contrairement à hier, avant ma maladie, je me réveille une à deux fois par nuit et j'ai toujours peur de ne pas arriver à me ré-endormir, tel que ce fut souvent le cas ces derniers mois.

Je pense également à demain, à ma troisième séance de radiothérapie et à la prochaine IRM, dans trois mois, qui dira si oui ou non la taille de la troisième métastase diminue ou non. L'IRM dira également ce qu'il en est de la seconde métastase, si elle stagne toujours ou non. Bref, pendant trois mois ce va être l'incertitude, voire parfois de l'inquiétude, et il va falloir que je gère tout ça, car même si je me fais fort de tout faire pour vivre uniquement le jour présent, je sais néanmoins que dans trois mois je ne serai pas mort, quelque soit la tournure que prendra mon cancer d'ici-là.

Depuis hier, depuis que le traitement par radiations a commencé, je ne pense plus la mort comme avant. Je ne perçois plus l'inconnue à mes côtés, pas loin de moi, m'attendant patiemment et gentiment. Non, avec le traitement, c'est comme un retour brutal dans le processus de la vie, les médecins et leur médecines me reprenant en main pour que je vive, non pour que je meurt, et du coup je suis entre deux eaux. En me rendant à ces séances j'agis donc pour vivre, alors qu'en parallèle, dans ma tête, je me prépare pourtant à mourir. Curieux paradoxe, non ? Peut-être arrivera-t-il un jour où je cesserai de me déplacer pour quelque soin que ce soit. Je crois que cela finira ainsi, lorsque j'aurai l'intime conviction que l'on ne plus rien faire pour moi, hormis atténuer mes douleurs physiques. Oui, il est étrange de se sentir, de s'éprouver mourant et non plus vivant, allant de l'avant, ressentant en soi l'énergie, la force propre à l'élan de vie. Je ne sais s'il y a un élan de mort, mais je sais ce qu'est ressentir la vie nous quitter, de palier en palier, par petite touche successive. C'est en même temps une sensation étrange, presque paralysante parce que sentir l'élan de vie nous quitter fait peur, tout du moins au début, le temps que l'on s'y habitue, et c'est en même temps euphorisant car d'une certaine manière tout, absolument tout, y compris soi-même, sa propre vie, perd du poids. Oui, il y a de moins en moins de fardeau, ce qui l'était avant-hier ne l'est plus et pourtant les problèmes sont toujours les mêmes. Ce peut être des factures, un découvert, un manque d'argent, un proche qui ne va pas bien, mais c'est comme si les conséquences, quel qu'elles soient, devenaient sans importance, n'étaient plus dérangeante, devrais-je me retrouver à la rue. Oui, c'est cela, les conséquences, heureuses ou non, ne me parlent plus ou, plutôt, me parle de moins en moins. Ma belle-mère va mourir, pas forcément avant moi, mais je sais que la maladie aura raison d'elle. Si sa vie présente m'affecte, pour autant son avenir ne m'inquiète plus du tout, je le sais tout tracé et seul la date m'est inconnue.

D'un côté je suis content de me soigner, mais je le suis parce que je sais que cela fait plaisir à mon entourage. D'un autre côté je trouve cela inutile et je serai plutôt favorable de laisser la nature, mon corps en l’occurrence, faire ce qu'elle a à faire, sans intervention extérieure. Là aussi, tous ceux et celles qui mettent sur un piédestal la nature, les animaux, l'agriculture bio, etc, sont également dans le paradoxe. Tous sont pour ce qui est naturel, sauf si cela touche à la mort d'un proche. Mourir d'un cancer est pourtant comme mourir de vieillesse, c'est une mort somme toute naturelle. Mais pour lutter contre la mort, ils seront pourtant prêt à accepter le chimique, les opérations chirurgicales,etc. Oui, nous sommes remplis de paradoxe et certainement plus encore dès que le sujet est la mort. Elle nous fait si peur que nous ne savons quoi inventer ou faire pour essayer de la contrer. Toujours je me suis demandé comment réagissaient les autres formes de vie face à cette fatalité. Est-ce qu'un chat est conscient qu'il va mourir ? Sent-il sa fin venir ? Et si oui, qu'éprouve-t-il en conséquence ? Il en va de même pour les plantes. L'arbre sait-il qu'il va mourir ? Est-ce qu'une plante peut éprouver quelque chose ? Faut-il être un corps organique pour sentir, ressentir, éprouver ? Oui, le monde du vivant est bien mystérieux, tant d'une variété à l'autre, notre rapport à la vie et la mort sont dissemblables. Les animaux s'interrogent, je l'ai remarqué. Mais comment se formule leur interrogation dans leur esprit dépourvu de vocabulaire. Pourtant un chat ou un chien reconnaît son prénom. Est-ce à dire qu'il peuvent posséder des rudiments de vocabulaire propre à leur espèce, ou est-ce uniquement une reconnaissance de sons ? De même, parce qu'ils s'interrogent, c'est qu'ils ont forcément une notion, aussi vague soit-elle, de l'avenir, du futur, de tout à l'heure. ? De même, si un chien voit un autre chien mort à ses côtés, aura-t-il conscience que lui aussi connaîtra ce sort ? Est-il capable de faire ce rapprochement ? Parfois je me dis que plutôt que d'étudier l'homme, ce que j'ai passé mon temps à faire, j'aurai également du m'intéresser de plus près à la nature des animaux. La seule fois que je l'ai fait, c'était pour étudier leur forme de sexualité, qu'ils soient oiseaux, mammifères ou reptiles, afin de la comparer à la nôtre. J'avais alors une trentaine d'année et voulait me faire une idée claire de la sexualité humaine et j'en arrivais à la conclusion que nous n'étions pas fait naturellement pour la monogamie, que l'on soit mâle ou femelle. Depuis ceci est mon intime conviction et le restera, je le pense, jusqu'à ma mort. Comme quoi, nous avons bien été conditionné par notre environnement, à commencer par nos parents, pour arriver à croire que la monogamie était non seulement la seule relation respectueuse envers l'autre, mais de plus de croire que cela était naturel. Rien n'est rien moins naturel que ce genre de relation, c'est une évidence dans mon esprit, et de plus elle n'implique pas le respect de son partenaire dans la majorité des cas. Si la monogamie était le café au lait de notre nature, il n'y aurai pas autant de séparation, c'est là aussi une évidence. Dès lors que nous sommes capable de changer de partenaire, c'est bien que nous sommes tous interchangeable en la matière et qu'il n'est pas un mâle ou une femelle prédestiné à qui que ce soit, n'importe qui pouvant faire l'affaire en matière d'ordre sexuel. Bien entendu, je ne parle pas de l'amour, qui est complètement autre chose à mes yeux, même si dans une relation d'ordre amoureuse le sexe est souvent présent, mais pas toujours, pas forcément. L'amour est un attachement, un lien bâti dans le temps, dans la durée, dans la fréquence et qui n'a rien à voir avec l'acte sexuel en lui-même. Ceux et celles qui mélangent les deux, qui ne savent pas dissocier ce qui relève de notre nature de ce qui relève de notre conditionnement, sont dans l'erreur. C'est parce qu'il y a cette méprise que la jalousie existe. Coucher avec quelqu'un d'autre que son compagnon n'implique pas du tout que nous aimons cet autre. Cela indique seulement que nous avons une attirance physique, naturelle, pour quelqu'un d'autre et c'est tout. De là à aimer cet autre, c'est une toute autre paire de manche car, encore une fois, il faut qu'il y ait entre eux un minimum d'affinité, de concordance d'esprit dans les idées, voire dans les actes. Là encore, aimer n'est pas aussi simple que ça. Il ne faut pas confondre apprécier quelqu'un et aimer quelqu'un. Ces deux sentiments n'ont rien de comparable car celui que nous aimons, contrairement à celui que nous apprécions, est comme une partie de nous, l'est devenu avec le temps. De même, si nous l'aimons c'est également parce que nous pouvons partager des choses entre nous, raison pour laquelle où il est des familles ou certains frères et sœurs ne se voient jamais ou ne voient plus leurs parents. Certes  il reste souvent une petite trace de lien affectif, en souvenir du bon vieux temps dirai-je, mais l'amour n'est pas là. L'amour est si difficile à construire et à entretenir que c'est la raison pour laquelle nous avons si peu d'ami au cours d'une vie. Par contre nous croiserons souvent et régulièrement des personnes que nous apprécierons pour telle ou telle facette de leur personnalité ou tout simplement pour leur physique. Mais cela ne suffit pas à bâtir une relation d'amour, car l'amitié est une relation d'amour, n'en déplaise à ceux et celles qui veulent faire un distinguo. Mais à sexualiser l'amour, cela génère plus de confusion que d'éclaircissement sur le sujet. Le sexe est une chose naturelle, l'amour ne l'est pas.

(26 février 2015)

Deuxième séance de radiothérapie

Voilà, je suis sorti de ma deuxième séance de radiothérapie et, contrairement à hier, je n'éprouve aucune gène dans mon cerveau. Tout à l'air clair, je peux penser, réfléchir un peu, et ne me sens pas du tout assommé. Je me suis également renseigné pour savoir si les rayons que l'on m'envoyait étaient radioactifs ou non. Il en découle que non, ils ne le sont pas. Enfin de compte ce sont des rayons X qui irradient mes métastases, rayon X qui servent à faire des radios, mais dans mon cas ils sont mille fois plus puissants. Je me demande donc qu'elle est la nature des rayons X, de quoi sont-ils faits, quelles sont leur capacité puisqu'ils peuvent tuer des métastases, du chimique, des cellules ? Oui, en quoi le proton, le neutron, l'électron agissent-ils ou inter-agissent-ils avec du chimique, de la molécule, du vivant ? Si j'y pense, si je ne n'oublie pas cette question comme j'en oublie tant d'autres, je ferai des recherches pour essayer d'obtenir un semblant de réponse.

Ce matin, j'ai également reçu un appel de Fouzzia, ma cousine qui habite à Paris avec ses deux enfants, deux jumeaux, un garçon et une fille. Son appel m'a surpris car depuis que nous nous sommes revus à Paris il y a maintenant quinze jours, j'ai régulièrement de ses nouvelles. Auparavant, nous nous appelions au maximum une ou deux fois par an, mais depuis qu'elle a appris maladie, elle m'appelle régulièrement et, de mon côté, je fais de même car c'est une femme courageuse que j'apprécie beaucoup. Comme Cynthia elle est aussi professeur, mais d'anglais. Depuis un an elle est en arrêt de travail, elle est en dépression et, d'après ce que j'ai compris, a déjà fait deux tentatives de suicide lors de ces dernières années. J'aimerai pouvoir l'aider à retrouver le moral, à repartir dans la course de la vie, car je pense que tant que nous ne sommes pas mourant ou face à une mort inéluctable, tel le cancer, il faut tout faire pour se battre, combattre, afin d'atteindre les objectifs qui nous sont chers, qui seuls nous épanouissent. J'ai proposé à Fouzzia de venir un week-end, car j'aimerai qu'elle connaisse Cynthia, qu'elle rencontre celle qui m'a donné tant de bonheur ces dernières années, celle qui est responsable de ma résurrection.

J'ai connu Fouzzia vers la fin des années 90, pas longtemps après mon procès en cour d'assise. A cette époque elle était célibataire et moi j'étais encore dans mes cachets, dans mes médicaments, tous des psychotropes, et entamais parallèlement une psychothérapie, psychothérapie qui dura trois ans à raison de trois séances par semaine les premiers temps. Oui, je me suis investi à fond dans cette thérapie, voulant sortir définitivement du gouffre dans lequel j'étais alors. Ce furent trois années intenses pendant lesquelles, intérieurement et psychologiquement, je suis passé par tous les états. Au début mon psychiatre, Cahn, ne voulu pas s'occuper de mon traitement médical. Pour cela j'allais donc consulter un autre psychiatre et, même si j'ai changé souvent de traitement, je prenais toujours et invariablement du Xanax 0,50. La posologie. Cahn, toujours aussi imperturbable, me fournissait les ordonnances nécessaires pour que j'ai ma dose quotidienne. Il ma fallait une ordonnance par semaine, ordonnance prescrite pour un mois de traitement, afin que j'ai assez de boite pour ma semaine. De même, je devais chaque semaine changer de pharmacie pour que me soit délivrer toutes ces boites. Puis un jour j'ai réalisé que si je prenais autant de Xanax c'est qu'il ne me faisait plus d'effet. C'est alors que germa en moi l'idée de faire un sevrage complet de tous les médicaments que je prenais alors. J'en parlai à Cahn et il me dirigea vers une clinique privée spécialisée située en banlieue parisienne. Mon séjour dura trois semaine et le sevrage eu bien lieu. Cela me valu néanmoins deux crises d'épilepsies, les premières de ma vie.

Je ne sais pourquoi je parle de tout ça maintenant, je ne sais pourquoi ce souvenir remonte en moi en ce moment précis, mais je suis certain qu'il y a une raison, raison qui ne me saute pas aux yeux en l'état, mais ma certitude est que mon esprit, ma conscience ou mon inconscient, veut que je comprenne quelque chose, que j'ai de cette expérience une leçon à tirer. Peut-être est-ce une manière détournée de me faire comprendre que je devrais de nouveau faire un sevrage, mais un sevrage de tabac cette fois. Effectivement, je me suis remis à fumer depuis deux ou trois mois et j'ai du mal à envisager d'arrêter. Mais si je n'arrête pas, risquant ainsi de déclencher une nouvelle tumeur au poumon, à quoi aura servi tout ce qui a été fait jusqu'à présent pour tenter d'éradiquer mon cancer ? A cela je répondrai prosaïquement que cela m'a permis de gagner quelques mois, voire une année de vie supplémentaire, mais que cela ne change en rien le fond de l'affaire. Mon cancer n'est pas éradiquer, des métastases se forment régulièrement dans mon cerveau et ma certitude est que cela va se poursuivre. Puisque je vis mes dernières années, de cela je suis également certain, pourquoi me priverais-je d'un plaisir, pourquoi m'imposerais-je la contrainte, l'effort à la place ? Vous me répondrez qu'il faut que je le fasse pour les gens qui m'aiment, qui désirent me voir vivre le plus longtemps possible. A cela je répondrai que ce serait donc leur plaisir contre le mien, leur plaisir qui n'empêchera cependant pas ma mort prochaine et, quelque soit cette date, de toute les façons elle ne leur conviendra pas. Non, en l'état, je ne vois aucune raison valable de privilégier le plaisir d'autrui au détriment de l'un des miens. Cependant je sais que le plus sage serait que j'arrête de nouveau de fumer, au moins par respect du travail fournit par mes médecins. Je vais donc prendre mon temps pour bien réfléchir à la question et, tôt ou tard, je prendrai ma décision. D'un côté je penche pour cesser car, en tout cas en ce moment, je trouve ma vie agréable et sereine et si elle peut perdurer ainsi le plus longtemps possible, j'en serai fort content. Alors pourquoi tenter le diable et ne pas se donner les chances qu'il en soit ainsi ? D'un autre côté, comme je vis vraiment au jour le jour et que fumer amplifie mon plaisir d'écrire, écriture qui est ma seule activité quotidienne, j'ai bien du mal à résister à la tentation. Oui, dans mon état d'esprit, demain n'est plus qu'un rêve, une chimère. Tant mieux si je vois le jour de ce lendemain, ce sera encore une journée agréable que je passerai, je n'en doute pas, mais il est vrai également que je ne suis plus en quête de ces lendemains, de l'avenir, du futur.

Plus le temps et les jours passent, plus je me détache un peu plus chaque jour de tout. Cela se fait sans effort de ma part, de manière tout à fait naturelle, comme si c'était une évidence qu'il en soit ainsi. La conséquence première que je constate est que cela me rend de plus en plus serein face à tout ce que je peux rencontrer, il n'y a plus en moi de sentiment extrême, hormis l'attachement qui me lie à certaines personnes, dont Cynthia évidement. Il y a bien longtemps que je n'ai pas éprouvé de colère ou d'empathie. J'ai juste çà et là parfois quelques frustrations qui génèrent sur le moment une réaction d'agacement, mais dix minutes plus tard j'ai relativisé tout çà et, dès lors, cela n'a plus d'importance. De même, j'ai parfois de petit accès de compassion, mais tellement je ne me sens plus concerné par les autres, par leur vie, ma compassion disparaît presque aussi vite qu'elle est venue. Oui, seule la vie des personnes que je connais et auxquelles je suis attaché m'importe, les autres ne m'intéressent plus. Par exemple je pense tous les jours à ma belle-mère, mais je n'ai plus de compassion à proprement parler. Avec elle, du fait que nous ayons la même maladie, je me sens plutôt en emphase et n'ai aucune attente à son égard. Quoi qu'elle décide de faire ou non pour se soigner, pour perdurer, je l'accepte sereinement, y compris si certaines de ses décisions devaient précipiter sa mort. Par contre je compatis pour sa famille qui, elle, ne peut se résoudre à l'idée de sa fin. Je compatis parce que je sais à présent qu'il souffre plus que nous, qu'ils sont dans l'inquiétude alors que nous le sommes beaucoup moins, voire plus face à certaines nouvelles, certaines situations conséquentes de notre maladie. Oui, notre maladie est plus difficile à vivre pour notre entourage que pour nous-mêmes, en tout cas pour ce qui me concerne car je ne sais pas du tout ce qui se passe dans la tête de ma belle-mère. Veut-elle vivre ? Le plus longtemps possible ? A-t-elle peur de la mort ? Croit-elle encore en un demain pour elle ? Et si oui, quel type de lendemain et où ? Oui, il se peut parfaitement que nous ne vivions pas le moment présent de la même façon et que notre rapport à la mort soit fort différent. Parce que je ne l'ai plus vu depuis septembre dernier, jamais nous n'avons parlé de ces sujets ? Mas le désirerait-elle ? C'est là aussi une autre inconnue.


(26 février 2015)

mercredi 25 février 2015

J'ai envie d'écrire

J'ai envie d'écrire, j'en ai besoin comme quelqu'un qui suffoque a besoin de respirer. Mais depuis que je suis sortie de ma séance de radiothérapie, il y a deux bonnes heures maintenant, c'est comme si mon cerveau ne réagissait plus, comme s'il ne fonctionnait plus normalement. Je le sens assommé, non dans le sens de la fatigue ou d'un quelconque maux de tête, mais comme s'il était trop plein, si plein qu’aucune idée, aucune pensée ne puisse s'étendre au-delà du périmètre où elle stagne. Effectuer une déduction logique me semble impossible en l'état, je ne sais même pas d'où partir, de quelle idée, de quel constat. Je n'ai pas souvenir que mes séances de radiothérapie antérieurs m'aient mis dans cet état. De même, tout à l'heure quelque sifflement strident se sont fait entendre dans ma tête, en interne, mais ça n'a pas été long. Néanmoins, même si rien ne semble fonctionner comme d'habitude dans mon cerveau, je veux écrire car c'est ainsi que je me sens pleinement respirer.

Aujourd'hui Cynthia a reçu le nom de l'académie dont elle dépendra l'an prochain. Il s'agit de Besançon. Mon cerveau est tellement assommé ou trop plein que je ne sais quoi penser de cette affectation. Dans un sens, elle n'est pas faites pour me déplaire car quelque soit la ville où nous habiterons, Besançon ou alentour, ce sera calme et tranquille, contrairement aux villes de la banlieue parisienne, lyonnaise ou autres. Par contre, au niveau médical, comment vais-je pouvoir être suivi correctement là-bas ? Serais-je obliger de me rendre sur Lyon ? Car le Cyberknife, l'appareil dont on se sert et dont j'ai besoin pour mes radiations, pour soigner et tenter d'endiguer mes métastases cérébrales, il clair que Besançon n'en possède pas. D'un autre côté je me dis que là-bas Cynthia sera plus proche de Lyon et donc de sa mère. Elle pourrait faire l'aller et retour dans la même journée pour aller l'avoir, ou y passer un week-end. Elle ne serait plus aussi dépendante des vacances scolaires pour être proche de sa mère, mais qu'en pense-t-elle ? Le seul véritable point contraignant est le déménagement, un de plus, le troisième en l'espace de deux ans, et pour ma part je sais que je ne pourrai être d'aucune aide pour le déménagement lui-même, qu'il  s'agisse de faire les cartons ou de les déballer. Cela nous obligerait également à prendre un crédit pour payer le déménagement, alors que rester à Rennes nous ôterais toutes ces contraintes ? Je vais donc plaider notre cause auprès de l'éducation nationale, afin que Cynthia reste affecté à Rennes, et je vais essayer de le faire du mieux possible, quitte à me rendre à Paris pour avoir un entretien avec une personne responsable des affectations. Dans la même veine, je me rendrait au rectorat de Rennes pour voir si je peux avoir des soutiens à leur niveau. La semaine prochaine je commencerai à réunir tous les documents médicaux me concernant, tous les documents attestant que Cynthia et moi vivons maritalement  depuis 2009, ainsi qu'un courrier de chacun des médecins qui me suivent, quatre au total, témoignant que pour mon bien-être, pour ma santé tant morale que physique, je dois rester à Rennes. Oui, je vais me battre pour obtenir gain de cause et, comme je l'ai déjà écrit par ailleurs, j'espère que nous aurons des personnes compréhensives comme interlocuteurs.

De même, si nous devions habiter Besançon, cela me rapprocherait également de ma fille et, comme lorsque j'étais à Lyon, nous pourrions nous voir plus souvent. Cependant, et même si c'est malheureux, ma fille n'est plus ma priorité. Elle commence à entrer dans l'adolescence, les frictions avec sa mère démarre pour de bon et, pas plus que je n'ai été mêlé à leur vie auparavant, je tiens à l'être présentement. Effectivement, cela impliquerait que je m'ingère dans l'éducation que lui donne sa mère, rôle qui aurait dû être le mien dès la naissance de ma fille, rôle dont sa mère m'a radicalement éloigné, et comme je me porte mieux moins j'ai de contact avec sa mère, m'ingérer dans leur histoire ne fera que me fatiguer et, je le pense, ne sera pas d'une grande utilité dans l'émancipation que ma fille commence à réclamer. Pour que j'ai un rôle efficace il faudrait que ma fille décide de venir vivre avec moi, mais comme elle me l'a dit, elle ne le souhaite pas. J'en déduis qu'elle n'est si mal que ça chez sa mère et qu'elle monte en épingle des peccadilles, comme tout enfant gâté, parce que sa mère lui interdit certains loisirs, prétextant le manque de respect de notre fille à son encontre, ce qui est fort possible vu le tempérament de notre enfant.

Mais assez parlez de ma fille et de sa mère, sujet qui n'a jamais été une source de satisfaction pour moi. Je préfère, et de loin, parler de Rennes, de la vie que j'y mène avec Cynthia ou sans elle. J'aime m'y retrouver toute la journée dehors à écrire. Je me sens ici comme dans un petit village et les endroits où je circule, où je marche, où je m'installe, sont tous des zones piétonnières. Je suis loin des voitures, de leur bruit, dans les cafés, autour de moi il y a plein de jeunes, à croire que les gens de mon âge ne sortent pas au bistrot ou vont dans des endroits, d'autres brasseries, où les différentes générations ne se côtoient pas. C'est ainsi que j'ai repéré deux ou trois bars où la clientèle était à la retraite, tous et toutes dans un âge avancé. De même, près de la gare, il y a quelques cafés où se réunissent des personnes de ma génération. Cependant, comme je ne cherche pas à faire de rencontre, j'ai pris mes habitudes dans les cafés situés dans les zones piétonnières, habitudes qu'a également la jeunesse rennaise.

Cela fait un peu plus d'une heure que j'écris et je constate que même si je ne parviens pas à coordonner quelque sujet que ce soit dans mon esprit, j'arrive néanmoins à développer quelques thématiques. Cependant c'est sur d'autre chose que j'aimerai écrire, mais quoi ? Je ne sais pourquoi mais je pense au salon de l'agriculture qui se déroule actuellement à Paris. Sarkozy s'y est rendu aujourd'hui, en tant que président de l'UMP, et tout cela me fait sourire, mais d'un sourire désolant. Je vois une fois de plus la politique en marche, mais pas la politique noble, celle politicienne où il s'agit de rassembler le plus de monde dans son camps, sans programme claire, sans ambitions véritables si ce n'est gouverner, être appeler aux commandes, pour le seul plaisir d'exercer le pouvoir, d'avoir du pouvoir. Comment voulez-vous que je considère ce type d'homme, qu'il s'agisse de lui ou d'un autre, d'une autre, comment voulez-vous que leur démarche me parle, m'attire ou me plaise ? Pourtant nous n'avons d'autre choix que d'avoir des ambitieux pour nous diriger, notre système est ainsi fait, mais je n'ai jamais vu que l'ambition faisait la qualité d'une personne, ce qui la rendait d'emblée respectable, honorable. J'ai plus souvent vu des gens modestes, humbles, faire le plus grand bien au plus grand nombre que l'inverse. J'avoue être abasourdis par l’ego démesuré de beaucoup de nos dirigeants politiques. Pourtant je ne suis pas sans ignorer que l'ambitieux se doit avoir un ego important, car il ne doit pas douter de lui-même s'il veut réussir, s'il veut atteindre ses objectifs. Oui, la confiance en soi est un facteur important pour se faire une bonne place dans notre société, qui que l'on soit, et ceux et celles qui doutent trop d'eux-mêmes, de leurs qualités, de leur compétence, sont voués à vivre de long calvaire, soit périodiquement, soit de manière continue. On dit souvent que la confiance en soi dépend de l'amour que l'on a reçu enfant. A quel point cette assertion est-elle fondée ? J'aimerai pouvoir développer sur ce thème, mais mon cerveau ne me le permet pas en l'état.

Hier, Cynthia et moi avons beaucoup discuté, ce qui nous arrive rarement, tant d'habitude elle est affairée aux problèmes qui lui sont propres et moi aux miens. Mais là nous avons parlé de nous, de notre couple, de son issu à court ou moyen terme. Il est manifeste que nous ne le regardons pas de la même manière et même s'il me semble qu'elle comprend ma vision de la chose, vision qu'elle ne partage pas, moi je ne parviens pas à saisir son point de vue. Il est une énigme, mais néanmoins lorsqu'elle me l'explique, elle parvient à me convaincre du bien-fondé de ce dernier. N'est-ce pas étonnant que d'être convaincu par quelque chose que l'on ne comprend pourtant pas ?


(25 févriers 2015)

mardi 24 février 2015

Une matinée comme une autre

Une matinée comme une autre où, à peine réveillé, j'éprouve déjà le besoin de quitter mon logement, demeure dans laquelle j'habite mais où je ne me suis pas installé. Elle est un lieu de transition, toutes mes affaires ou presque sont encore dans leurs cartons depuis septembre dernier, et dans l'attente de savoir où sera affectée Cynthia pour l'année scolaire 2015-2016, je suis en suspend. Notre appartement est pourtant superbe, bien agencé, seule la salle de bain est trop petite. Cependant je ne m'y sens pas chez moi tant ma présence dans ces lieux me semble provisoire.

Actuellement je met au point le décors et les trames d'un roman. Cela m’occupe agréablement et me change les idées. Je pense à des personnages fictifs, eux-mêmes dans un monde fictif, et j'essaye d'imaginer leur relation, la nature de leur relation, ne sachant pas encore exactement quel message je désire faire passer à travers cette histoire. De même je m'interroge sur la pertinence de vouloir faire passer un message, car ces derniers, à peine dévoilés, sont vite oubliés par les lecteurs. Peut-être sera-ce un roman sans message, à prendre tel quel,brut, et libre  chacun d'en penser ce qu'il en voudra. Cependant je m'aperçois que la tâche n'est pas facile. Autant je n'ai aucun problème à décrire le type de monde, de société, dans lequel évoluent les personnages, autant je ne sais pas quoi leur faire faire pour les mettre en relation les uns avec les autres. Bien sûr, je pense à l'amour qui est un bon prétexte à un roman, mais je veux plus, je veux une autre trame en plus de celle-ci, une trame plus philosophique, plus politique.

Je viens de recevoir un appel du centre Eugène Marquis, un centre qui ne s’occupe que des cancers. Mes séances de radiothérapie sont programmées pour les trois jours à venir. Il y aura donc trois séances et non cinq où le Cyberknife enverra sur ma troisième métastase ses rayons. Sont-ils radioactifs ? Je m’aperçois que je n'ai jamais posé la question à mes radiothérapeutes, mais je pense qu'ils le sont. Si tel est les cas, quels sont les effets réels sur une zone sensible comme le cerveau de la radioactivité ? Je suis sûr que les radiothérapeutes eux-mêmes l'ignorent. Comme les patients, ils doivent constater les effets, essayer d'en tirer des conclusions, mais sont bien incapable de prévoir à l'avance ou de tout simplement dire en quoi le fonctionnement du cerveau peut s'en trouver modifié. Donc rendez-vous est pris pour demain, pour ma première séance, et adviendra ce qu'il adviendra. Oui, je ne vois aucune bifurcation sur ma route, le chemin est tout tracé, il s’appelle le cancer. Il est mon itinéraire, que cela me plaise ou non, est c'est lui qui fixe la trajectoire, programme mes journées et mes nuits, mes humeurs, mes joies et, bien souvent, une espèce de mélancolie qui n'en est pourtant pas une. Cela ressemble à des moments d'absences où je me sens comme dans une espèce de vide à m'en donner le vertige. J'ai alors comme l'impression de chuter de l'état d'esprit dans lequel j'étais auparavant, de chuter dans un trou noir, mais cela sans peur, sans appréhension, comme si je savais que là était mon destin, ma véritable direction, la chute.

Je pense également à Cynthia et au couple désormais étrange que nous formons. Hier notre couple était étrange à cause de notre différence d'âge, aujourd'hui il l'est parce que je me sais être un mourant vivant avec quelqu'un qui a toute la vie devant elle. Notre état d'esprit réciproque ne peut donc être le même. Tandis que j'attends patiemment que la faux de la mort vienne me prendre, elle, elle espère que je vais durer le plus longtemps possible, ce qui n'est pas du tout mon ambition. Tandis qu'elle s'inquiète de la réussite des traitements que l'on me prescrit, pour ma part je me fou des résultats, sachant que ce n'est que retarder un peu les choses pour mieux sauter après. Elle s'évertue à me rendre la vie agréable, tandis que moi je ne lui donne pas la réciproque.Je suis dans mon silence et seuls ces lignes que j'écris l'informe sur ma tournure d'esprit. Oui, si je pensais réellement à elle, à son bien-être, je lui rendrai sa liberté, idée qui revient souvent dans mon esprit, car que peut-on attendre d'un mourant, qui plus est handicapé à présent ? Tout ce qu'elle souhaite pour son avenir, bien entendue je souhaite de tout mon cœur qu'elle l'obtienne, mais cela ne me concerne pas, plus, car de mon côté je suis assis dans un bon fauteuil attendant uniquement mon dernier moment. Le décor, mon environnement n'a plus aucune importance, car nul part je ne me sentirai plus chez moi. Ma maison, je ne l'éprouve que trop, est la mort à présent, et l'endroit où elle s'emparera de moi n'a que peu d'importance. Donc oui, si je pensais sincèrement au bien-être de Cynthia, je la quitterai malgré elle afin de lui rendre toute sa liberté. Effectivement, qui a-t-elle à ses côtés à présent si ce n'est un être qui s'éteint un peu plus chaque jours. Certes je ne suis pas taciturne pour autant, mais on ne peut dire de moi que je respire la joie de vivre. Pourtant j'apprécie l'instant, le moment présent, ce cadeau que me fait ma maladie. Cependant, parce que je suis sans doute devenu trop blasé sur les inepties de notre monde, il me tarde de le quitter définitivement, malgré la présence de Cynthia et de quelques autres. Ils ne suffisent pas à alléger le paysage, à le rendre de nouveau attrayant, raison pour laquelle je ne m'acharnerai pas à lutter contre ma maladie, que je n'essayerai pas de reprendre des forces musculaires, physiques, dans l'espoir de mieux vivre quelques minutes supplémentaires. Non, tout cela n'est plus pour moi. J'ai pris le partie de ne faire qu'écrire et, parfois, me promener, de ma détacher complètement du monde ambiant et d'espacer mes relations avec mes proches, famille ou amis. Oui, je veux être seul dorénavant. Tant que je le pourrai j'essayerai d'être avec Cynthia et non à côté d'elle, mais je ne sais si je tiendrai sur la distance tant le besoin d'être seul me pénètre avec une force incroyable. La solitude ne me dérange plus, elle n'est plus une souffrance, et je me vis très bien coupé de mes semblables.


(24 février 2015)

lundi 23 février 2015

Ecriture

Désert, monticules de dunes, je n'écris plus comme avant. La forme a changé, cette forme que je m'étais tant appliqué à créer, elle a disparu. Plus de poésie dans mes textes, plus rien qui ne berce ou transperce, juste une écriture plate, sans relief, sans écorce, sans tronc. C'est ainsi depuis que je me suis remis à écrire, mais depuis quand avais-je déjà perdu la forme d'écriture qui était encore mienne il y a trois ou quatre ans ?

Je ne peux m'empêcher de mettre ma maladie en cause. Depuis qu'elle est là, je n'arrive plus à concentrer ma pensée plus de dix secondes d’affilée sur quelque mot ou idée que ce soit. Un mot arrive et à peine ais-je le temps de m'attarder sur lui qu'un autre le chasse de mon esprit. Je commence alors à vouloir écrire ce second mot et voilà que déjà un troisième le chasse, c'est lui qui s'écrit, et au final j'ai perdu le fil directeur de l'idée initiale. Cela, c'est ma mémoire, mémoire sélective, mémoire qui ne semble plus fonctionner, qui ne m'aide plus à me rappeler de l'instant, du très court terme et du court terme. Oui, si j'ai quelque chose d'important à faire, je dois à présent le noter dans mon agenda, agenda que je consulte plusieurs fois par jour pour être sûr de ne rien oublier dans ma journée et dans ma semaine.

Cependant, ce que j'aime c'est écrire et aujourd'hui, parce que je n'arrive plus à utiliser la forme qui me plaît pour écrire, je me retrouve handicapé du vocabulaire, de la grammaire, de la syntaxe. L'idée seule de rédiger un poème me paraît harassante à l'avance, épuisante du simple fait qu'il faudrait que je me concentre, que je cherche mes mots sans oublier le fil directeur, et pourtant j'aimerai savoir le faire à nouveau. Je m'y suis essayé, mais ce fût peine perdue. Ce que j'écris depuis trois bons mois maintenant est aussi plat qu'un papier journalistique traitant de cuisine ou de politique, aussi ennuyeux à lire. Pour tout vous dire, je ne me relis même plus tant, déjà à l'écriture, je trouve mes mots et mes phrases fades, sans goûts, sans plus aucun sel. Certes mes écrits reflètent un état d'esprit, celui qui est mien au moment où j'écris, mais il n'y a aucune beauté dans ces derniers, aucun suspens, aucun délice, simplement des états d'âme qui s'impriment automatiquement, machinalement, où aucun jardin ou falaises ne sont construits, où aucun doute ne plane sur ce qui peut me traverser, qu'il s'agisse de ma maladie ou d'autre chose.

Hier, quelque soit la longueur de mes textes, je les écrivais comme l'on bâtit une maison. L'édifice, l'armature de la maison était claire et nette. Après il me suffisait juste de remplir les pièces, chaque pièce ayant son propre décors, sa propre odeur, sa propre autonomie. Aujourd'hui tout cela est révolu car je n'ai plus de charpente, d'ossature à combler. Seule ma personne est devenu mon armature et parce que je suis un et pas deux, il n'y a toujours qu'une même pièce à meubler, autrement dit moi-même. Mais cette pièce qu'est-elle, si ce n'est qu'une succession de souvenirs ? Et j'en ai marre de m'étaler sur ces derniers, j'aimerai vivre autre chose, écrire sur d'autre chose. Malheureusement je n'ai pas assez d'imagination pour écrire des romans, dénicher des trames. La seule chose que je sache faire à l'écrit, c'est planter des décors, qu'il s'agisse de moi-même ou de monde imaginaire. Oui, je suis doué pour imaginer, inventer des décors du passé, du présent ou d'hypothétiques futurs. Je peux vous décrire les baraques, les types de véhicules, les idéologies de ces univers qui ne sont présent que dans mon esprit, mais je suis incapable d'y ajouter une trame, une histoire, tant tout a déjà été fait en la matière. Dois-je m'interdire pour autant d'essayer, ne serait-ce qu'une fois, d'écrire un roman ? Cela me permettrai de m'évader un peu de moi-même, de regarder d'autre nombril que le mien et, qui sait, de rêver un peu.


(23 février 2015)

Verdict

Il est 11H00, je sort de ma consultation avec mon pneumologue et, je dois le dire, j'ai une petite baisse de moral. Nous avons essentiellement parlé de mon cerveau et des trois métastases qui y sont. La première, découverte en novembre 2013, a complètement disparu. La radiothérapie de l'époque a eu raison d'elle. La seconde, découverte en août 2014, ne régresse plus. Depuis ma dernière IRM, début février, sa taille n'a pas varié. Que dois-je en conclure ? Qu'elle va rester en l'état ad vitam æternam, qu'elle va se remettre à régresser jusqu'à disparaître une jour ou, ce qui serai le tableau le plus sombre, va-t-elle recommencer à grossir, au quel cas aucune opération ne serait envisageable vu sa localisation ? Quoi qu'il en soit le traitement par radiothérapie, identique à celui que j'ai suivi pour la première métastase, n'a pas des effets aussi probants. Enfin il y a la troisième métastase, découverte en février 2015. En un mois elle est passé de 1,2mm  à 2mm. Pour cette tumeur, 3 ou 5 séances de radiothérapie sont prévues. J'attends à présent que le service de radiothérapie m'appelle pour me fixer les dates des séances.

J'ai donc une baisse de moral, mais cela est-il étonnant ? Quelle bonne nouvelle aurait pu me donner mon pneumologue ? Aucune. Avec cette maladie, c'est comme vivre constamment en sursis. Il y a les moments d’accalmie, les moments d'agression et les moments de défense. Quoi qu'il en soit, lorsque le cancer s'est manifesté une fois, il est bien rare qu'il s'arrête en si bon chemin.

Dans deux heure j'ai rendez-vous avec mon psychiatre. De quoi vais-je lui parler moi qui n'ai envie de parler de rien ce matin ? Comme à chaque fois ce sera la surprise. Il y a quinze jours je lui avais remis une copie de mon autobiographie. L'a-t-il lu ? En parlerons-nous ? Mais même sur ce sujet je pense n'avoir plus rien à dire. Il me semble ne faire que çà depuis que je me suis remis à écrire, rédiger en large, en long et en travers les moments de ma vie. Mais quel autre sujet me préoccupe plus que moi-même, quel autre individu connais-je autant que moi-même ? Et qu'ais-je à dire sur autrui, qui qu'il soit, qui soit si primordial, si essentiel ? De même, qui suis-je pour juger de l'autre, quoi que j'en pense par ailleurs ?

Si je n'avais pas ce rendez-vous chez mon psychiatre, je rentrerai chez moi et me coucherai, histoire d'oublier cette matinée et ses mauvaises nouvelles.

Ah, la vie. Mais que dire de la vie ? Ce matin je ne trouve aucun mot, sinon qu'elle est un lourd fardeau. Sans cesse nous devons faire des choix, sans cesse ou presque nous faisons ces choix en fonction de l'autre, d'autrui, nous oubliant ainsi bien souvent, faisant parfois des choix à notre détriment. Est-ce cela la vie ? A côté de ça je pense aux campagnes, aux forêts, aux plages, aux animaux, à tout les reste du vivant, ce vivant dont nous nous sommes plus ou moins complètement écarté, surtout au XXème siècle et, plus encore, aujourd'hui. La vie devrait être plaisir, surtout pour nous les humains, car nous avons absolument tout pour qu'il puisse en être ainsi. Malheureusement nous ne sommes plus des êtres partageurs, nous sommes devenus des individualistes et chacun d'entre nous ne cherche qu'à préserver, voire agrandir, son pré carré. C'est ainsi que la pauvreté, la misère existe et c'est elle et elle seule qui est le maux de toutes les dérives, terroristes par exemple, que nous vivons. Les guerres, quel qu’elles soient, ne sont que des prétextes à un peu plus de propriété, que l'on se batte pour du pétrole ou au nom d'une nation, tel que c'est le cas actuellement en Ukraine. Il y a aussi les guerres économiques, aussi dévastatrices et génératrices de pauvreté que les guerres traditionnelles. A coup d'actions, de devises, de monnaies, on construit ou détruit des pans entiers de l'économie réelle, celle des usines ou on licencie, celles des entreprises qui mettent la clé sous le paillasson. Oui, nous avons tout pour vivre dans le plaisir, mais notre choix collectif est autre. A force, je ne sais même plus si je suis écœuré ou non par le spectacle lamentable de notre monde et, quelque part, je n'ai de cesse de me demander si mon cancer n'est pas une aubaine pour le quitter au plus vite. Oui, si j'étais seul, sans Cynthia, je me prendrai un petit studio, fumerait à nouveau cigare sur cigare, histoire de précipiter la machine cancéreuse, continuerai à  disserter par écrit, ne verrait pratiquement plus personne, délaisserait tôt ou tard mon téléphone, ma famille, bref tous ceux et celles qui ne pourraient tolérer que je me laisse aller, que je fasse tout pour précipiter ma mort au lieu d'essayer de l'endiguer.

Longtemps je me suis interrogé sur le suicide, longtemps et souvent j'ai pensé à commettre cet acte, mais comme j'avais peur de la mort, peur de mourir, jamais je ne suis passé réellement à l'acte. Aujourd'hui, même si j'ai toujours peur de mourir, l'idée de la mort ne m'impressionne plus. J'ai pris acte que nous ne savons pas ce qu'elle est, ce qu'elle signifie si tant est qu'elle signifie quelque chose quant au sens de la vie, et je pense que la mort ne fait pas de mal. Nous pouvons mourir dans d'atroces souffrances, c'est vrai, mais ces souffrances sont de la vie et non la mort. La mort est le point final d'un roman et il n'y a même pas de couverture de fin, d'index ou de mode d'emploi. Lorsque le personnage principal du roman, vous, moi ou un autre, est mort, alors ce qui fut sa vie ne lui appartient plus. Elle est laissé à libre appréciation de qui veut se pencher dessus, mais rares sont les vies disparues sur lesquelles on se penche, y compris celles de notre propre famille. Il est plus simple d'oublier, comme si l'on voulait oublier l'existence de la mort, et de tracer son chemin.

Après 46 ans de lune miel avec la vie, ses hauts et ses bas, j'ai le sentiment que celle-ci est terminée, laissant place à ma lune de miel avec la mort. Depuis plus d'un an, je la regarde chaque jour, m'entretiens avec elle, essaye d'apprendre à l'aimer et il se peut qu'arrive ce moment où, las du cirque du monde et du pacte de paix que j'aurai fait avec la mort, je me suicide alors. Parce que mon ciel est aujourd'hui la mort et le vôtre la vie, nous sommes incompatibles. Vos luttes, vos efforts, n'ont plus aucun sens pour moi. Dans mon esprit, et avant même que vous ne les entrepreniez, ils sont vains. Cioran dirait tout ceci mieux que moi.


(23 février 2015)

dimanche 22 février 2015

En paix auprès de toi

22 février 2015


Bonjour l'inconnue, aujourd'hui nous sommes dimanche, jours de repos chez les terriens, jour du seigneur chez les chrétiens. Le jour du seigneur est-il le jour de la mort, car si le seigneur existe, selon la fable chrétienne, nous devrions le rejoindre à notre mort. Ce matin le soleil est présent et c'est agréable. De même, bien que ce soit les grandes marées sur les côtes bretonnes et normandes, il n'y a pas de vent, ce qui est d'autant plus appréciable. Quand reverrais-je les rivages, la mer, son sable, Saint-Malo ou une autre ville en bord de mer ? Tout cela dépend de Cynthia. Seul, il ne m'intéresse pas plus que ça de bouger, de visiter, un peu comme si j'avais déjà tout vu, un peu comme si les effets de surprises ne m'affectaient plus. Oui l'inconnue, je me sens un peu blasé, voire complètement parfois. Toi, du moins je veux le croire, tu n'es pas blasé, ne peut l'être. Je ne sais comment, mais je suis certain que tu éprouves à ta manière, que tu ressens et, même, que tu peux vibrer. Simplement, contrairement à nous les humains, êtres mal conçus, mal fabriqués, je te crois dépourvu d'intellect, cette tare de notre race. Du coup je me demande quel sera notre mode de communication, car je ne doute pas qu'il y en aura un lorsque, côte à côte, nous contemplerons le spectacle que représente la mort, qui est la mort. Dans un coin du tableau nous verrons le vivant s'acharner à exister, à perdurer, nous verrons ses univers, qu'ils soient à l'échelle microscopique ou cosmique. Dans un autre coin du tableau, ou peut-être superposé dans le coin de la vie qui s'exprime, nous verrons également les deux temps présents, le passé, le présent et, qui sait, peut-être l'avenir, même si je ne crois pas possible de voir l'avenir. Oui l'inconnue, je veux croire que nos vies humaines sont le résultat de nos choix, dans la limite des choix qui nous sont un temps disponibles, que nous sommes responsables de nos pensées et de nos actes, que rien n'est écrit à l'avance, absolument rien, et en cela je suis un Darwiniste convaincu qui pense que la nature fait des essais, des tentatives, des erreurs, et qu'elle ne garde que ce qui marche pour le bon fonctionnent de l'évolution. Nous autres humains, comme tu le sais si bien l'inconnue, nous œuvrons de la même façon. Ce qui marche, dans nos comportements, dans notre pensée, nous le gardons, le préservons, l'entretenons et parfois le perfectionnons. Ce qui ne marche pas, nous avons tendance à le jeter à la poubelle, essayant de modifier nos habitudes afin de ne pas retomber dans nos travers, afin de ne pas reproduire l'erreur. On appelle ce type de comportement, d'attitude, d'état d'esprit, la sagesse. Mais cette dernière, pour une raison que je m'explique mal, est très difficile à atteindre, mon propre parcours en étant une démonstration magistrale où, des années durant, je me suis entêté à ne pas modifier mes habitudes, des habitudes qui  me menaient dans des couloirs sans issues, sans perspectives, sans soleil à l'horizon. Oui l'inconnue, j'avais beau savoir que je m'engageai dans des impasses dont je ne pourrai sortir indemne, mon intellect l'analysant parfaitement bien, et pourtant je n'ai pu trouver en moi les ressources nécessaires pour sortir de ces guêpiers. Non, l'intellect ne suffit pas à nous rendre sage, il nous faut user d'autres ressources en parallèle pour atteindre cet objectif. Cependant l'inconnue, parce que notre vie n'est qu'un point de suspension dans l'univers, un moment éphémère qu'il n'est même pas utile de calculer, est-il si important d'être sage pour te rejoindre, là-bas, de l'autre côté de la vie ? Je pense que non, que la sagesse n'est utile qu'entre nous humains, afin d'essayer de vivre dans la meilleure harmonie possible, que cela soit dans la sphère privée ou publique.

Pour ma part, comme tu as pu le constater l'inconnue, je suis un gros fainéant et ne suis prêt à faire des efforts que si j'ai un but réellement attractif. Si tel n'est pas le cas, alors je laisse les choses aller, ne cherchant pas du tout à maîtriser quoi que ce soit, laissant à d'autres le soin de prendre des décisions s'il faut en prendre, me déchargeant de toute responsabilité dans les conversations ou les événements en cours. C'est pour cette raison et uniquement cette raison que je me suis retrouvé tant de fois dans des impasses, des couloirs sans fenêtres ou dans des caves sans lumière. Lorsque j'étais adolescent, je n'ai été délinquant que par fainéantise. La plupart des bêtises ou des délits que j'ai alors commis, j'aurai pu ne pas les commettre. Ces infractions nous les faisions le plus souvent en groupe ou à deux minimum. Bien souvent je n'avais pas envie de passer à l'action, mais c'était alors entrer dans un débat avec mes camarades, débat qui m'épuisait déjà à l'avance. Alors je ne disais rien et suivait le mouvement, comme un mouton, histoire de ne pas être rejeté par le groupe. Oui, déjà adolescent j'entendais les voix de la sagesse, mais je ne les écoutais pas. Plus tard, une fois adulte, ce fut la même chose. Je me noyais dans l'alcool, les drogues et les médicaments. La voix de la sagesse que j'entendais fort bien me disait que ce n'était pas la bonne direction, que ce n'était pas ainsi que l'on pouvait sortir de sa peine, de sa souffrance, et que loin d'agir dans ce sens j'entretenais un système, un comportement, des habitudes qui ne pouvaient qu'amplifier ce qui était alors mes douleurs. Oui, la fainéantise m'a joué plus d'une fois de mauvais tour dans ma vie.

L'autre ressource nécessaire pour parvenir à la sagesse est, je le crois, la volonté. Celle-ci est souvent en conflit avec la fainéantise car il est plus simple de se laisser aller que de se prendre en main, il est plus simple de dépendre d'autrui que de se prendre totalement en charge,  il est plus simple de se laisser tenter que de résister à la tentation. Il est des domaines où je ne manque pas de volonté, c'est vrai, mais ils sont rares.

Quoi qu'il en soit l'inconnue, je disserte encore et encore sur ma condition d'homme, condition qui n'est pas la tienne et qui, bientôt, ne sera plus la mienne, que ce soit dans un an, dix ans ou vingt ans. Tout cela est du pareil au même, le temps n'étant plus un facteur primordial pour la bonne marche de ma vie car, comme me le disait un internaute, avec un cancer on ne peut faire des projets qu'à court terme, voire très court terme. Le reste, l'avenir lointain, tout cela relève de l'illusion à présent, même s'il se peut très bien que j'y accède. Les progrès de la médecine sont tels et évolues à une vitesse si prodigieuse que je peux me hasarder à croire, à espérer, qu'ils me maintiendront encore longtemps en vie.

Il est tout de même étrange l'inconnue, toi qui symbolise la mort dans mon esprit, que je ne t'entretienne uniquement sur la vie. Mais que connais-je d'autre ? Et même sur cette dernière, puis-je dire que je la connais ? Je n'en sais que la surface, comme tous et toutes, mais méconnais complètement ses fondements, sa raison d'être, son utilité dans l'univers, le sens ultime de sa présence. Oui, la métaphysique est un sujet passionnant, mais malheureusement on en fait vite le tour car la question ultime se pose de suite et, à cette dernière, pas de réponse possible, pas de vérité écarlate dans laquelle se mirer.

Autour de moi, assis à d'autres tables, je vois des gens et me dis que lorsque je serai mort ils l'ignoreront, continueront leur petit bonhomme de chemin et que mon absence ne changera pas le cours fondamentale de leur histoire. A une autre table située juste à côté de la mienne sont assis une homme et une femme. Ils sont jeunes et me font sourire. A leur conversation. il est simple de comprendre qu'ils ne sont pas en couple, mais que la séduction est omniprésente dans leur propos. Aujourd'hui je trouve cela presque charmant et la complicité qu'ils tentent d'établir entre eux me confirme dans mon idée. De l'enfance à la mort, nous cherchons à plaire à l'autre et, peut-être, seul la maladie ou une immense souffrance nous fait nous détourner de ce chemin. En ce qui me concerne l'inconnue, c'en est fini de ces ballets sans fins, je ne cherche plus à séduire qui que ce soit ou, si cela se fait, c'est uniquement dans les strictes limites de la politesse. Oui, aujourd'hui seul m'importe d'être aimé et apprécié par les quelques êtres que j'aime, à commencer par Cynthia, ma fille et Tony. J'aurai pu mettre ma sœur, ma mère et mon frère dans cette liste, mais je suis au regret de constaté que je n'attends plus rien d'eux, même si je les aime et qu'ils m'aiment. Oui, trop de chose me sépare d'eux et, surtout, de mon frère. Nous n'avons pas du tout la même conception de ce que signifie la famille et, à vrai dire, il me semble ignorer complètement sa vue de la chose. Il ne prend ni ne donne jamais de nouvelle sauf s'il est dans le besoin. Je l'avoue, c'est un état d'esprit que j’exècre. Mais d'un autre côté, si je lui demande d'être présent près de moi et que son emploi du temps le lui permet, alors toujours il est là. Quoi qu'il en soit nous menons depuis toujours des vies qui n'ont entre elles qu'une ou deux passerelles bien fines, bien fragiles. Il est donc de ma famille, mais sans en faire partie pour autant dans mon esprit. Je le vois plutôt comme un étranger, comme un invité que l'on convie pour certaines occasions, que l'on appelle comme on téléphonerait à un ami de longue date sont on se souviendrai subitement l'existence. Enfin, sa dépendance à l'alcool est mon plus grand frein envers lui. Ayant été moi-même dans le passé dépendant de cette drogue, ayant pu constater à quel point, selon la quantité bu, elle pouvait modifier notre façon d'être, nos raisonnements, notre humeur et notre tournure d'esprit. Ceci étant, face à un alcoolique, on ne sait jamais vraiment à qui l'on a faire, ce que nous pouvons nous permettre ou non, et ce n'est donc pas une relation saine, apaisé et calme. Comme j'aspire à l'apaisement et la sérénité, moins je vois mon frère et mieux je me porte, même s'il m'est difficile de reste longtemps sans le voir en chair et en os. La dernière fois que nous nous sommes vus c'était en novembre 2013, lorsque j'ai appris que j'avais un cancer. Paniqué que j'étais alors, je lui ai demandé de venir me voir. De Toulouse il vint immédiatement à Lyon, sans se faire prier, et sa simple présence me fit énormément de bien.

Concernant ma sœur et ma mère, nos rapports sont différents. Nous avons la même notion de la famille, mais nous conduisons nos vies de manière totalement différente et la leur ne me correspond pas du tout. De même, elles sont toujours aux petits soins, ce qui souvent m’horripile, car j'aime mon indépendance, j'aime que l'on ne s'occupe pas de moi si je ne demande rien. Avec elles, c'est impossible, elles sont sans cesse entrain de devancer tout désir susceptible d'émaner de moi, me harcelant à coup de propositions qui partent certes d'un élan chaleureux, mais face auxquels je m'épuise à leur dire non, je n'ai besoin de rien, tout va bien. Enfin, elles ont une conception de la vie qui est au antipode de la mienne. Autant je ne vois pas l'intérêt de perdurer le plus longtemps possible en vie, autant c'est leur créneau. Donc là encore, parce qu'elles veulent que je vivent le plus longtemps possible, elles me harcèlent en conseils en tout genre afin que je prenne soin de ma santé et, ce, plus encore depuis que j'ai le cancer. Là aussi elles m'épuisent et, en conséquence, je met également de plus en plus de distance entre elles et moi. Seule ma sœur semble plus réceptive à ma pensée, acceptant le fait que je ne cherche pas à durer dans le temps, que ce n'est vraiment pas ma priorité. Parce que je sens qu'elle consent à me laisser vivre tel que j'en ai envie, peut-être vais-je me rapprocher d'elle dorénavant.

Quoi qu'il en soit l'inconnue, tout cela sera bientôt terminé, je serai enfin en paix auprès de toi, loin de toutes les attentes à mon égard. Comme je te l'ai déjà dit, les attentes d'autrui sont un fardeau que je ne veux plus porter. En cela mon frère est bien plus gérable que ma sœur et ma mère. Pour fuir ces attentes, je fuis donc les gens, qui qu'ils soient, proches ou non, et c'est ainsi que lentement mais sûrement je m'isole.

samedi 21 février 2015

Lettre d'amour

J'aimerai t'écrire une lettre d'amour comme jamais tu n'en as reçu, faite de papillons et de colombes, de sentiments légers mais profonds, plus belle que celles que j'ai pu t'écrire jadis, lors de nos plus belles heures où le miel coulait à flot sur ces jours et soirées passés ensemble, à faire l'amour encore et encore, à dire l'amour avec nos yeux et nos sourires, dégustant avant ou après tes savoureux plats dans lesquels tu mettais tant d'ardeur. Comment ne pas me souvenir de tes cours, ces matières que je te faisais réciter en n'y comprenant strictement rien, latin, vieux français et tant d'autres. J'aimais cela, j'aimais être dans ton action, t'accompagner dans ta vie, de la même manière qu'aujourd'hui je partage avec toi ta passion du cheval. Que j'aime te voir heureuse n'est pas à la hauteur du sentiment que j'éprouve lorsque je te vois ravi, peu importe de quoi. C'est alors que je me sens la force de soulever des montagnes entières pour que ce ravissement perdure car ton plein contentement est le plus cadeau que la vie puisse me faire. C'est alors que je me sens pleinement vivre, être, exister pour quelque chose, et cette chose inexprimable est ton sourire, ce sourire qui me fait fondre, qui me fait baisser les armes, ma garde, ma réserve naturelle, tant il est délicieux. A chaque fois ton regard l'accompagne et je peux voir dans tes yeux toutes les lumières de l'univers, chaque étoile y scintiller et la chaleur du soleil de ton cœur inonder tes pupilles. Oui, lorsque tu es ravi, tu es alors la plus belle des créatures et d'aucun te donnerait tout ce qu'il possède pour partager ces moments avec toi. Tout devient léger, absolument tout, le beau prenant le pas sur tout le reste, maladie y compris.

Donc c'est une belle lettre d'amour dont j'aimerai te faire don, à défaut de pouvoir me donner complètement à toi qui, à mes yeux, le mérite plus que toute autre. Malheureusement j'ai perdu l'habitude de t'écrire alors que je ne cesse d'écrire depuis des mois. Mais peut-être fallait-il d'abord que je mette un point final à mon histoire noire, si tant est que cela soit possible, afin de pouvoir ensuite me consacrer uniquement à toi, à nous, à travers mes mots maladroits, quand bien même ma motivation à poursuivre dans cette voie est pleine et entière. Oui, chaque soir lorsque tu rentres du travail, quoi qu'il ce soit passé dans ta journée, agréable ou non, j'aimerai passé du baume sur ton cœur, t'éloigner pour quelques instants de toutes corvées, te redonner ce sourire auquel je tiens tant, auquel je suis accro comme un drogué comme je le suis de tes yeux pétillants. Oui, si j'avais les capacités de le faire, je ferai les corrections de tes devoirs, t'aiderai à préparer tes séquences, tes cours, afin d'alléger ton travail. Malheureusement je suis incompétent et je m'en veux de cette incompétence, de ma maladie, car c'est elle qui fait que je n'ai plus la force, l'énergie, l'attention et la concentration nécessaire pour acquérir cette compétence ou une autre. Oui, il est indéniable que la maladie m'a considérablement diminué au niveau intellectuel et que désormais je suis à ta remorque. De même il est malheureux que ta mère soit également malade, car désormais je me demande quand nous passerons des vacances ensembles, seul toi et moi, loin de tous les soucis, égoïstement entre nous ?

Mais voici que je retombe dans mes travers. Je veux t'écrire une lettre d'amour, te signifier à quel point je t'aime, à quel point tu comptes pour moi et déjà je me lamente de ne pas avoir assez, alors que tu ne cesses de me donner, de donner à tout le monde d'ailleurs, qu'il s'agisse de tes élèves, de tes collègues, de ta famille, de tes animaux, de tes peluches. Je suis si bien à t'écrire ainsi que je n'ai pas envie de m'arrêter, que j'aimerai poursuivre cette lettre jusqu'à dans la nuit des temps, que le cordon ne soit jamais rompu, que nous soyons toujours liés quel qu’en soit la manière, la forme, l'écrit, la parole, le geste ou le baiser. Oui je t'aime et personne ne pourra jamais faire taire ce sentiment à ton égard.


(21 février 2015)

Hier je sentais l'espace autour de moi

Hier je sentais l'espace autour de moi, comme un périmètre de sécurité au sein duquel je ne me sentais pas en sécurité. J'étais moi-même un espace vide au sein de cet espace où je me mouvait, cherchant désespérément à éviter la solitude, confondant solitaire et solitude, et je ne pouvais supporter de rester seul. N'importe qui était bon pour venir vers moi dès lors qu'il acceptait d'entrer dans mon espace fait, alors, de médicaments. Anxiolytiques, antidépresseur, neuroleptiques, cela a été mon ordonnance quotidienne pendant plus de 15 ans. A cette ordonnance, il y avait en plus mes nombreux séjours à l'hôpital psychiatrique, hôpital où je me rendais de moi-même, de mon plein gré, pour des séjour allant d'une semaine à un mois ou deux. En parallèle j'essayais de m'insérer dans notre société, dans son système, j'ai même travaillé deux ou trois années pendant ces quinze ans, mais force est de constater que la tâche était trop pénible pour moi. Par hasard je suis rentré dans le secteur de la vente. Ma première année professionnelle je vendais des auto-radios et avait comme compagne Virginie. J'avais alors vingt ans. Cette aventure dans le monde de l'auto-radio s'arrêta à Bordeaux où j'avais la gérance de la boutique. En plus de l'équipe des quatre mécanicien dont j'avais la responsabilité, j'avais également une secrétaire chargée de faire les factures. Elle était la maîtresse du directeur commercial en charge de la province et, sous ce prétexte, se permettais de remettre en question la manière dont je gérai ce magasin. Le groupe s’appelait EAF et possédait plus de 25 boutiques sur toute la France. Lorsque je pris la gérance du magasin  de Bordeaux, un mois plus tard j'avais doublé son chiffre d'affaire, un chiffre d'affaire qui stagnait depuis plus d'un an. Un jour, las de me prendre la tête avec la secrétaire, je décidais d'en référer au directeur commercial de la province. A ce moment-là, je ne savais pas qu'elle était sa maîtresse, c'est l'un des mécanicien qui me 'apprit quelques jours plus tard. Je compris rapidement que l'amant ne ferait rien pour obliger sa maîtresse à se soumettre à mon autorité et c'est ainsi que je donnais ma démission quelques jours plus tard. A l'époque je travaillais donc sur Bordeaux mais habitais à Arcachon, petite ville magique avec ses deux ou trois ponton, son sable fin et la dune du Pilat qui se trouvait à seulement quelques kilomètres. Cette demeure était celle du père de Virginie, c'est là qu'il avait grandi et vécu. Cette immense deux pièces devait faire 60m2 et les plafonds devait avoir une hauteur de trois mètres. A l'origine, ce deux pièces faisait partie d'une immense villa qui avait été compartimenté en divers appartements et notre demeure était alors la partie bibliothèque de cette villa. Nous étions dans les hauteurs d'Arcachon, là où il n'y a que des villas du même type, un quartier complètement résidentiel où il n'y avait pas un seul commerce. Les boutiques, les restaurants, les vidéos-club, la poste, tout cela se trouvait dans le bas de la ville, là où les touristes se ruent en été. A cette époque je n'avais pas mon permis de voiture et Virginie tentait de passer le sien, mais elle échoua à l'épreuve de conduite. J'avais donc pour tous moyens de transports la mobylette qui avait appartenu à son père et parfois, lorsque je travaillais encore à Bordeaux, plutôt que de prendre le TER je m'y rendais en mobylette. 80 km aller, 80 km retour, c'était long mais le trajet me plaisait. Je traversais ainsi toutes les landes, ses forêts de pins, longeait des terrains de camping de tout standing et, arrivé aux abords d'Arcachon, je traversais toutes les villes mitoyennes en passant par leur port de pèche, faisant ainsi le tour du lac jusqu'à arrivé à ma destination. De même, chaque soir après mon travail, que j'ai fait le parcours en mobylette ou en TER, je me posais sur la plage avant de rejoindre la maison. J'écoutais le bruit des flots, regardais au loin l'horizon infini et, instinctivement, je savais qu'il fallait que j'en profite car, tôt ou tard, Virginie et moi quitterions Arcachon. En effet, contrairement à moi, Virginie n'avait pas un tempérament à aller vers les gens pour essayer de nouer des relations. Pour ma part je m'étais déjà rendu à la Maison des Jeunes et de la Culture d'Arcachon, avait fait connaissance du directeur qui devait avoir cinq ans de plus que moi et l'avait invité à dîner un soir en compagnie de sa compagne. De même, avant notre départ pour Arcachon, Virginie m'avait offert ma première guitare. C'est donc à la MJC d'Arcachon que je pris les seuls cours de guitare de ma vie. Là encore j'avais invité le professeur qui avait sensiblement mon âge. Enfin, dans une villa situé à côté de la nôtre, j'entendais régulièrement quelqu'un joué de la guitare électrique, ampli à fond. Ma guitare, elle, était une guitare classique. Un jour j'allais sonné à la porte de cette villa et c'est une mère de famille qui m'ouvrit la porte. Elle m'expliqua que c'était son fils, un adolescent de seize ans, qui jouait de la guitare et elle me permit de le rencontrer. Par la suite, nous faisions en sorte de nous voir une fois par semaine, généralement le dimanche, pour jouer un peu ensemble. Mais Virginie, elle, était seule toute la semaine. Elle ne travaillait pas, ne cherchait pas à le faire, et je peux comprendre qu'au fil des mois cela entama son moral. Lorsque je démissionna d'EAF, je cherchais un autre emploi dans la région. On me proposa la gérance d'un entrepôt, La grande Farfouille, une autre chaîne de magasin où l'on trouvait de tout pour des prix pas cher. C'était un espèce d'immense bazar où l'on trouvait autant de l'outillage que des portes-clés, des couettes que des feutres, etc. J'avais sous ma responsabilité toutes les caissières, trois ou quatre si mes souvenirs sont bons, de faire les caisses et les comptes chaque soir et, raison pour laquelle je n'ai pas accepté le poste, de ranger en rayon toutes les marchandises qu'il y avait à vendre. Ce n'est pas tant de ranger qui m'a rebuté, mais c'est le salaire. Au mieux on me proposais un salaire supérieur à deux cent francs, car à l'époque l'euro n'existait pas, par rapport à celui des caissières. J'appelle cela se foutre de la gueule du monde et sitôt connu le montant de mon salaire, je disais adieu aux propriétaires de cette enseigne. Puis c'est à Bordeaux que je faillit travailler de nouveau, pour une compagnie d'assurance, mais n'ayant ni permis ni véhicule cela ne put se faire. C'est ainsi que deux mois après ma démission de chez EAF, Virginie et moi rentrions sur Paris.

A cette époque, même si je prenais déjà beaucoup de médicaments, je n'étais pas encore quelqu'un de complètement cassé. Je n'avais pas encore commis l'irréparable, j'étais encore avec Virginie, notre couple allait bien, et je retrouvais mon meilleur ami Dédel. Très rapidement je trouvais un travail dans une compagnie d'assurance et comme nous faisions du porte-à-porte, directement auprès des particuliers, l'absence de permis ou de véhicule n'était plus un problème. Même si je n'étais pas le meilleur des vendeurs, je faisais cependant parmi des meilleurs. Mon salaire net était alors de dix mille francs. Aujourd'hui, à pouvoir d'achat équivalent qu'à l'époque, cela correspondrait facilement à 3000 euros. Tous les soirs je dînais dehors et tous les week-end, avec Dédel, laure et Virginie, nous faisions la fiesta. Chaque semaine je faisais des cadeaux à Virginie qui, elle, de son côté, avait repris ses études dans un lycée publique afin de passer son BAC. Laure avait commencé à travaillé comme opticienne, ses études étaient terminées, et Dédel faisait des chantiers au noir chez des particuliers. Cette belle époque dura une année puis ce fut la rupture entre Virginie et moi suite à une histoire d'adultère. C'est à ce moment-là que j'ai senti le sol commencer à s'écrouler sous mes pas, c'est là que je pris encore plus de cachet, c'est là que je commençais à me faire hospitaliser régulièrement, car sans Virginie je n'étais plus rien. C'est également à cette époque que j'ai commencé à boire de l'alcool en grande quantité, non plus pour passer une bonne soirée entre ami, mais bel et bien pour me bourrer la gueule, histoire de ne plus penser que j'étais seul. Aucune autre fille ne m’intéressai, même si cela ne m'a pas empêcher d'avoir des aventures sans lendemains à droite ou à gauche. C'est également à cette même époque que je me mis à prendre de plus en plus souvent des drogues dures, de l'héroïne exactement, que je sniffais rail sur rail. Je voyais de moins en moins souvent Dédel et Laure qui était un couple, car il me rappelait à chaque fois Virginie, Virginie que je ne savais pas comment oublier, digérer, avaler. Je ne travaillais alors plus et passais le plus clair de mon temps avec des drogués, à fumer, à boire, à prendre de l'héroïne et, le soir, une fois seul chez moi, à pleurer Virginie.

Entre-temps je tirai également mes conclusions de mes expériences professionnelles. Il m'apparut alors évident que je n'étais pas fait pour suivre la voie dans laquelle je m'étais engagé, celle du secteur marchand, qui exige de ses employés un maximum de rentabilité afin de produire un maximum de bénéfices à leur entreprise. Cela demande de se donner à fond, d'accepter des challenges de plus en plus élevé, de ne pas hésiter à tronquer la vérité sur la marchandise proposée, qu'il s'agisse d'un ordinateur ou d'un contrat d'assurances. Bref, c'est un monde de requin, un monde fourbe qui ne correspondait pas du tout à mon caractère entier, trop entier d'ailleurs. Mentir, même par omission m'est quelque chose d’insupportable. De même, flatter dans le seul but d'attraper dans mes filets tel client potentiel m'est pareillement insupportable. Oui, je distingue clairement et nettement la flatterie du compliment, le mensonge de la vérité. Aussi, ne voulant plus travailler dans le secteur marchand et ne sachant vers quel autre type de secteur me diriger, je passais mon temps à me droguer, nouant des relations avec des personnes plus que douteuses, entretenant ainsi ma longue spirale vers le bas. C'était l'année 1991, année où j'ai commencé à me perdre et, ce, jusqu'en 1993, année du désastre suprême, année où un homme est mort par ma faute.

En ce moment je m’aperçois que je reviens beaucoup sur cette période dans mes écrits, comme si quelque chose n'était pas réglé, quelque chose qui pourrait l'être, mais je ne parviens pas à savoir quoi. Je ne sais ce que recherche exactement, mais je sais que le fait d'être malade, de ne plus être sûr de demain, m'incite et me pousse dans cette quête. Oui, quitte à mourir, je voudrai partir avec les idées claires, claires sur moi-même, sur ce que j'ai traversé, sur ce que je crois avoir compris de notre monde, afin de partir sans remords ni regrets. Le bonheur que je vis aujourd'hui avec Cynthia, que cela me plaise ou non, est tout de même hissé au sommet d'une montagne de désastres en tous genres. En cela, la base gâche quelque peu le paysage et, je le sais, je n'apprécie pas à sa juste valeur, à sa juste mesure, mon bonheur actuel. Je ne sais si le destin existe, si notre vie est programmée à l'avance, mais le fait que je sois malade à présent, après avoir enfin goûté au bonheur tant d'années après, me fait l'effet d'un pirouette du destin, comme s'il me disait « tu as souffert longtemps, plus de vingt-cinq ans et avant que tu ne quittes ce monde, je t'ai accordé ces sept années de bonheur totale. Je ne te dirais pas combien de temps il te reste à vivre, mais profites-en au maximum, voici le mieux que je te souhaite car je pense que tu as payé toutes tes erreurs passées. »

Aujourd'hui je ne sens plus l'espace autour de moi, plus de frontière invisible entre moi et l'autre, entre moi et la nature. Je me sens un, solide et entier, avec mes défaillances certes, mais plus décomposé. Cela, je le sais, je le dois pour une grande part à Cynthia et à ses parents. Je parle de ses parents car, contrairement à toutes les belles-familles que j'ai pu avoir pour un temps plus ou moins long, ils sont les seuls à nous avoir accompagné, soutenu, encouragé dans nos projets, malgré l’appréhension qui fut la leur lorsque notre couple se forma. Même si je suis le plus souvent seul, je n'éprouve plus la solitude. La dernière fois que j'ai éprouvé ce sentiment, ce fut lors de l'annonce de ma maladie, de ce cancer qui me terrorisait, le verbe n'est pas trop fort. Mais de l'eau a coulé sous les ponts depuis, je me suis familiarisé avec ma maladie, avec ce nouveau moi-même, et j'ai pleinement retrouvé ma compagne dans mon cœur et dans mon esprit. A nouveau je suis avec elle et non plus à côté d'elle, à nouveau je me veux avec elle et non plus à l'écart.


(21 février 2015)

Il y a bien longtemps...

Il y a bien longtemps que je n'ai pas écrit aussi tôt, à peine levé, à peine réveillé, mon esprit étant encore entrain d'émerger dans une nuage de brume. Ce matin il pleut, on va dire que c’est la Bretagne qui veut ça, mais cet après-midi devrait être ensoleillé. Là aussi, on va dire que c'est la Bretagne qui veut ça. J'aime cet état d'éveil où je suis à moitié léthargique, ne sachant où j'en suis dans mes idées, ma pensée, ne contrôlant rien et les laissant errer au grès du vent qui les porte.

Même s'il pleut, même si je ne suis qu'à moitié réveillé, je suis néanmoins sorti dehors et, comme d’accoutumé, je suis assis à l’abri des intempéries à la terrasse d'un café, mon ordinateur face à moi, m'écrivant ainsi à moi-même. Comme face à un miroir, je ne suis plus un mais deux, l'un regardant l'autre, tentant de le décrire, de le décrypter. Est-ce la conscience fasse à l’inconscient ? En tout cas cela y ressemble étrangement. Je ne sais pourquoi, mais l'image de la prison, de ses longs couloirs, d'une cellule, vient de me traverser l'esprit. Est-ce que je me sens enfermé en ce moment, c'est immédiatement la question que je me pose ? Dans une certaine mesure je le suis de ma maladie et de tout ce qui va avec. Je ne peux lui échapper, je suis obligé de la vivre et de la côtoyer au quotidien. Cependant ma maladie, comme tout ce qui fonctionne dans mon corps, que cela aille de travers ou non, c'est moi. Est-ce que je me sens prisonnier de moi-même alors ? Prisonnier n'est pas le bon terme, c'est plutôt enfermé que je m'éprouve régulièrement, comme si j'étais dans le couloir de mon appartement, ne pouvant ouvrir la porte d'entrée pour m'évader quelques instants. Voici pourquoi j'écris, que ce que je narre soit intéressant ou non, c'est pour m'évader. Pour se faire, la musique était hier mon outil de prédilection pour m'échapper, m'envoler, disparaître un instant. Je prenais un instrument, clavier ou guitare, et commençais à composer. Mais depuis l'annonce de ma maladie et de la révolution complète que cette nouvelle a généré dans ma tête, mes instruments ne me parlent plus. Ils sont dans un coin de la maison, les guitares dans leur house et le clavier contre l'un des murs, non déballé depuis mon emménagement à Rennes. Pourtant, même si le goût de la composition m'a passé, je ne peux écrire sans écouter de la musique. De même, chacun de mes états d'esprit à son groupe ou son chanteur attitré. Lorsque je me sens d'humeur mélancolique, j'écoute Radiohead. Si je me sens d'humeur triste, c'est Alain Bashung qui prend le relais. Si je suis dans une introspection paisible, j'écoute des morceaux instrumentaux, histoire de ne pas être influencé par les voix, leurs intonations ou les paroles. Là, au moment où j'écris ces lignes, c'est Eric Clapton qui résonne dans mes oreilles. Cela signifie que je veux prendre mon temps, que je ne suis ni pressé ni stressé, comme si cette mâtiné n'allait jamais finir, me laissant bercer au gré et au rythme des blues qui défilent dans mes tympans.

Oui, à part le fait d'écrire, rien ne m'intéresse plus vraiment. Ou plutôt si, j'aime également me retrouver dans la nature, comme lorsque j'accompagne Cynthia à son centre équestre. Là-bas, pas de voiture, pas de circulation, tout mouvement tourne autour des chevaux, chevaux que je peux approcher, caresser, auxquels je peux également parler. C'est un autre monde, un autre univers que je découvre depuis quelques mois seulement et qui me dépayse grandement. Bien que par nature je n'éprouve pas de grande empathie avec les animaux, tel les chiens ou les chats, face à un cheval tout devient différent. Déjà sa taille, sa hauteur en impose. De même, lorsqu'il vous dévisage avant de décider s'il vous laissera ou non le caresser, le toucher, son œil ne vacille pas et vous fixe comme un clou planté dans un mur. Puis, à un moment, il prend sa décision et soit temps son coup vers vous, invitant ainsi au contact, soit il se détourne de vous et va dans un coin de son box. De même, lorsqu'ils sont dans les manèges, je ne me lasse pas de les regarder marcher au pas, trotter ou galoper. Je trouve le mouvement de leur jambe et leur allure générale tout simplement majestueux. Oui, ce sont de magnifique animaux et chacun, comme chez nous les humains, a son propre caractère. Pas deux ne se ressemble, certains sont très coopératifs avec leur cavalier et d'autres pas du tout. Certains sont nerveux, voire très nerveux, tandis que d'autre sont tout ce qu'il y a de plus paisibles. Aussi, pour parvenir à ses fins avec un cheval, il n'y a pas d'autre choix que de le prendre tel qu'il est, avec le caractère et le tempérament qui lui est propre.

Tout cela est bien loin de la politique, de l'économie ou de la courbe du chômage. Dans ma petite bulle, même si je suis l'actualité, il n'y a pour ainsi dire presque plus de place pour tous ces rouages du système. Longtemps j'ai cru que tous les crétins qui participent de ces activités étaient primordiaux, essentiels et que sans eux, sans leur soit-disant savoir, ce serait le chaos. Mais force est de constaté que le chaos est bel et bien là, depuis des décennies, et que le gouffre ne fait que s'agrandir. Parce que tous les pouvoirs sont centralisés à Paris et, pour y avoir grandi et habité 35 ans, je sais que Paris est une bulle complètement déconnecté du reste de la France, où les valeurs tels que compétitivité, excellence, profits, bénéfices, ne sont pas de vains maux. Tous parisien, avec ou contre son gré, est confronté chaque jour à cette logique et les pouvoirs n'échappent évidement pas à cette règle. A Paris ce n'est pas l'intérêt général qui est de mise, c'est l'intérêt particulier. Alors comment demander à des dirigeants politiques qui sont tous, sans exception, dans cette posture de penser à l'intérêt générale au détriment de leur petit business personnel ? Mais je n'ai pas envie de m'attarder plus longtemps sur ces êtres médiocres.


(21 février 2015)