dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 1

I


Je suis l’errant ermite qui vidange
Ses sacs de pleurs et de regrets
A toute saison de la journée
Je plane ainsi sur une brume blanche
Qui emporte mes rêves et ma passion

La pluie ne mouille plus mon âme desséchée
Par les turpitudes de ma névrose et de ses vices
Je suis l’incompris solitaire qui ne sait plus sa terre
L’absolu du repli cherchant encore son exil
Incandescent de ce monde où j’expose mes pêchés
Un martyr tout trouvé pour satisfaire mon orgueil

J’ai si peur d’être un soleil
Que ma lumière brûle le passé
Aveuglant mes vagues sentiments
Je me cache des étoiles
Oxygène de mes espoirs

Ainsi j’accumule des angoisses au présent
Pour me donner des raisons de pleurer
Afin de croire que j’ai là une raison de souffrir

Oui je me mens dès le réveil
Dénigrant l’ange qui m’habite
Dans ma parodie d’homme malade
Tout ceci est bien absurde
Quand chaque jour est ainsi fait
Mais n’est-ce pas ainsi que l’on reçoit
La main tendue des braves gens ?

Alors j’ai honte de ma lâcheté
Désarroi fabriqué de toute pièce
De ma fierté de n’être rien de bien tangible
Pour vous, pour elle ou pour les autres
J’ai simplement refusé d’être un homme


Depuis toujours, bien avant ma maladie, le cancer, j’avais le projet d’écrire sur ma vie, celle des autres, sur notre monde, celui de l’Homme, ses inepties et son absurdité. D’ailleurs j’avais  déjà commencé, relatant diverses étapes qui allaient de mon enfance à mes vingt-ans. Aujourd’hui j’ai toujours ce même désir de m’exprimer, mais plus du tout pour les mêmes raisons. Hier, comme beaucoup d’entre nous, je me sentais incompris, invisible, et cela me dérangeait. Je voulais que le monde entier – faisons les choses en grand quitte à les faire – sache ma pensée, ma folie, ma raison, pensant naïvement que, comprenant mes dérangements cérébraux, vous accepteriez le parcours qui fût le mien et me pardonneriez qu’il en ait été ainsi, si chaotique, souvent détestable et peut-être même injustifiable. Aujourd’hui je me sens moins incompris. Le Cancer, puisque telle est ma maladie, à causé dans ma psyché non seulement des dégâts, mais surtout une rupture avec le temps, la perception de ce dernier, de moi-même et de vous en conséquence. Je n’écoute plus vraiment les gens. Je les entends, certes, mais comme un fond sonore sur lequel je ne m’attarde plus. De même, ne sachant combien de mois ou d’années il me reste à vivre, mais ayant parfaitement conscience que le temps m’est compté, il ne m’importe plus d’être entendu, de convaincre, de débattre, d’essayer d’implanter, voire d’imposer mes points de vues. J’aspire au calme, à la paix, à la sérénité à présent. L’important me semble ailleurs, même si je ne saurai définir ce qui, aujourd’hui, est important à mes yeux. Il me serait presque plus facile de dresser une liste exhaustive de ce qui n’est plus important, primordial, essentiel au bon déroulement de mon existence.

Alors pourquoi écrire sur moi-même, pourquoi ais-je toujours ce désir ? Cette volonté, c’est le souhait de laisser un message, un témoignage. Cependant, contrairement à ce que je pensais hier, je sais aujourd'hui qu’il ne servira pas à grand-chose, voire à rien, qu’en aucun cas il ne changera la marche du monde ou la manière dont vous menez vos vies. Simplement, la maladie, les traitements qu’elle a généré, mon opération chirurgicale m’amputant d’une partie du poumon droit, mes métastases cancéreuses au cerveau, tout cela m’a rendu invalide, handicapé. Je fonctionne au ralenti, en mode puissance moins cent, ne peux plus faire grand-chose physiquement hormis marcher, mais marcher comme un vieillard, un centenaire, il ne me manque que la canne. Ne pouvant plus me mouvoir tel que je le souhaiterai, n’ayant plus de grands centres d’intérêts intellectuels, il faut pourtant que j’occupe mes journées et, n’en déplaise à ceux et celles qui n’apprécient pas que l’on lorgne sur son ego, sur soi-même, je reste toujours le sujet d’intérêt pour moi-même.  De pensée en pensée, d’idée en idée, dans ma tète cela n’arrête pas. Cà défile, se défile, rien ne se fige si ce n’est une espèce d’arrière-plan, un décor sans effort, une atmosphère sans intellect où la logique, le raisonnement, la déduction et le détail ne participent pas de cette présence. Pourtant je me scrute, m’examinant scrupuleusement, cherchant justement ce détail qui, enfin, me révélerait qui je suis actuellement, ce que je suis en ce moment.

Dire que je ne me reconnais plus serait presque un euphémisme s’il ne restait pas ces quelques parcelles de ma personnalité dont j’ai conscience qu’elles ne changent pas. Fidèles, participant pleinement de ma construction, de mon métabolisme psychique, je décèle clairement ces traits de caractères invariants. Comme hier je cherche encore et toujours à comprendre car, pour une raison peut-être génétique, il m’est très difficile, voire parfois impossible, d’accepter sereinement des actes, des paroles, des événements ou des prises de positions qui échappent à mon entendement, et peu importe que ces derniers ou dernières me soient bénéfiques ou non. En cela je suis un handicapé mental parce qu’incapable d’apprécier pleinement la rose que l’on me tend ou de déprécier à sa juste mesure la bassesse, l’ignominie ou l’écœurant dès lors que je n’en saisis pas les mécanismes, leur justification et, du coup, leur raison d’être.

Si je devais résumer en un seul mot celui que j’ai été tant d’année, de décennies en  décennie à présent révolues, ce serait avec le terme « utilitaire ». Effectivement tout ce qui n’avait pas d’utilité dans mon regard, qu’il s’agisse de ma perception de l’être ou de ses actes, de mes questionnements sans fin sur le bon sens ou non de l’existence, tout devenait nul et non avenu, non recevable ou inacceptable si cela s’avérait concrètement inutile dans ce qui faisait alors mon quotidien. Quelques soient les champs examinés il en fût ainsi, qu’il s’agisse d’amour ou de politique, du social ou de la philosophie, de l’amitié ou du scientifique. Autant vous dire qu’une minorité d’êtres seulement et bien peu de choses, normes, règles, lois ou prétendus devoirs trouvaient grâce dans mon jeune esprit. Cependant, pour renverser cette tendance qui, je l’avoue, me déplaisait fortement, je n’eu d’autre choix que de lutter contre mes ignorances d’alors. Dénicher, comprendre, saisir tout ce qui pouvait se cacher derrière une parole, un acte, une opinion ou un événement fût ainsi ma quête effrénée car, même s’il m’apparut très rapidement qu’il me serait strictement impossible de saisir le sens exacte de l’existence, il me semblait néanmoins concevable de parvenir à cerner qui nous étions, ce qui nous motivait ou nous démotivait, à l’apprendre, le comprendre et, en conséquence, à pouvoir poser un jour un regard lucide, plus éclairé et moins tranché sur nos actes et nos omissions.

Quarante ans plus tard ais-j’atteins mon objectif ? Je ne saurai être affirmatif tant j’ai compris, intégré,  réalisé que le savoir et la culture n’étaient que des boites, des compartiments interchangeables, des variables d’ajustement que l’on s’approprie pour un temps plus ou moins long, parfois à vie, bâtis sur des montagnes de concepts plus ou moins modulables d’un être à l’autre, d’une situation à l’autre, d’une souffrance, d’une joie, d’un échec ou d’une réussite à l’autre. Cependant, même si je suis moins ignorant que celui que j’étais hier, j’ai bien assimilé qu’il n’y avait pas de vérité, de réponse une et unique à quelque question que l’on se pose et, de fait, ma situation initiale n’a pas véritablement changé. Encore je cherche, encore je m’interroge et toujours, face à une même question, diverses réponses se présentent sous mes yeux, le plus souvent toutes aussi défendables les unes que les autres, toutes aussi justifiables lorsque l’on creuse pour comprendre leurs fondements, m’exprimant ainsi clairement que ma seule marge d’action est de ne pouvoir choisir que l’une d’entre elle sans avoir pour autant la moindre certitude sur la validité de mon jugement. Dit autrement, j’essaie de faire au mieux, d’être le plus impartial possible, même si parfois cela m’amène à déconstruire des pans entiers de ma pensée, à modifier, amplifier ou rayer certaines de mes valeurs, certains de mes dogmes, au nom de ce que je pense être le plus près du juste, de l’équilibre, du plus sensé.

Bien que soit révolu le temps des couleurs d’antan et leurs diverses nuances, bien que soient révolus mes rêves et espoirs d’hier, il n’en demeure pas moins que j’ai eu plusieurs vie, comme beaucoup d’entre vous, et que de m’attarder un peu sur ces dernières me permet d’occuper mon temps à présent, loin de l’ennui, de l’oisiveté non constructive et, surtout, d’une trop grande déprime qui, je le sens et le sais, attend patiemment son heure pour m’envahir. Alors par quoi commencer, par quel bout entreprendre mon histoire, quelle ficelle tirer pour que s’enclenche naturellement tout ce qui s’ensuivra ? Comme je ne cesse de penser à ma compagne, Cynthia, ma fidèle et agréable partenaire depuis 2008, mon seul réconfort à ce jour qui, toujours lorsque j’en ai eu besoin, m’a soutenu et me soutient encore, il me semble normal de commencer par le récit de notre étrange rencontre via internet, non celui des sites de rencontres, mais celui des blogs où chacun peut s’exprimer sur tout et rien, laissant libre cours à ses humeurs, ses fantasmes, son bonheur ou son désespoir.

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