samedi 29 novembre 2014

Nul n’est jamais revenu de là-bas

Matin

Nous sommes samedi, un de plus, le temps avance, mais moi, est-ce que j’avance ? Si tant est que j’avance, dans quelle direction me pousse le vent, vers quoi me dirige-t-il, je n’en ai aucune idée. L’avenir, les projections qui en découlent, dépendent pour bonne part de l’état de ses finances. J’aimerai me voir dans une maison à la campagne, si possible pas loin d’un bord de mer, son petit jardin et, pourquoi pas, un petit étang. J’aimerai entretenir cette illusion, mais trop de facteurs vont à l’encontre de ce doux rêve. Alors je prends du Xanax, le second de cette matinée, heure matinale ou la place Sainte-Anne est vide de monde, un Xanax pour me détendre, ne pas ressentir la déception de l’espoir vain afin d’apprécier, dans la mesure du possible, ce que m’offrira cette journée.


Soir

Nul n’est jamais revenu de là-bas, pas plus Jésus que tous les morts que j’ai connu de leur vivant. Nul n’est jamais revenu de là-bas et pourtant c’est par là que je me dirige, comme tous. Nul n’est jamais revenu de là-bas et pourtant nous faisons, agissons, comme si ce là-bas n’existait pas, ne nous concernais pas, à d’autres ces fadaises. Nul n’est jamais revenu de là-bas et pourtant nous faisons comme si, comme si ce là-bas n’était que la suite de maintenant, le même modèle, les mêmes valeurs, les mêmes mots, bref une même Terre située ailleurs tout simplement. C’est parce que notre pouvoir d’abnégation est si grand face à l’évidence, que notre bêtise est au moins aussi grande, que notre lâcheté face à l’injustice, les inégalités, les guerres et autres comportements absurdes de notre espèce conditionnent toutes ces aberrations. L’on critique les fous de Dieu, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, mais au final nous sommes comme eux. A l’instar des fous de Dieu, nous sommes tout simplement des fous de la Vie et tentons de rayer, lentement mais sûrement, toute trace de mort sur notre chemin. Fous de la Vie, la mort n’a plus sa place et, grâce à la médecine, aux nouvelles technologies, nous nous appliquons à nous faire durer, là est la première loi de notre table.


(Samedi 29 novembre 2014)

vendredi 21 novembre 2014

Que faire ?

Plus le temps passe, cancer oblige, plus il me tarde de franchir la barrière. Pas plus que je ne supporte le spectacle lamentable de notre époque, pas plus je ne supporte mes souvenirs. J’ai vu trop de choses laides, de gens se perdre, indigne d’une société qui se réclame de l’égalité et de la fraternité. De même, dans la foultitude de gens que j’ai croisé, rares étaient les personnes intègres qui tenaient leurs paroles, sur lesquelles on pouvait compter que l’on soit ou non leur ami. Seule Cynthia, sa présence, sa prestance et son immense gentillesse à mon égard me permettent d’endurer ce monde abject. Si elle n’était pas là, je crois que je me laisserai vaincre par la maladie. Je cesserai de passer mes examens de contrôles trimestrielle, je cesserai de consulter pneumologue ou oncologue et attendrais patiemment que mon cancer se déclare à nouveau et, cette fois, je le laisserai se propager. Maintenant je dis çà parce que, à priori, je suis en voie de rémission, mais serai-je capable de réellement le faire dans l’hypothèse où Cynthia ne serait plus à mes côtés ? La peur de sa propre mort est quelque chose de si intense, si puissante, que malgré touts les ras-le-bol elle génère le désir ardent de survivre, à défaut de pouvoir vivre normalement.


(21 novembre 2014)

mercredi 19 novembre 2014

De la cause des animaux

Ce matin je suis content, heureux de la joie à venir de Cynthia. Je viens de lui acheter un livre, un plaidoyer pour la cause animale. Certes, elle n’est pas une militante de la cause animale, mais sans conteste elle une défenseure des animaux. Contrairement à moi qui n’éprouve pas d’empathie réelle envers leurs sorts et leurs destins, chez elle c’est génétique et leurs sorts ne la laisse jamais indifférente, que les nouvelles soient bonnes ou mauvaises. Sa place n’est pas dans une école à donner des cours de français, pas plus qu’elle ne le serait dans toutes activités professionnelles intellectuelles. Je ne la vois pas non plus vétérinaire, même s’il lui importe énormément que l’on prenne soin et soigne les animaux comme nous-mêmes nous soignons. Non, je ne crois pas que le bistouri soit l’expression adéquate pour signifier son attachement aux animaux. Je la verrai plutôt entretenir une réserve sauvage, vérifiant que l’environnement sied à chaque animal, veillant à leur bonne santé, prenant soin qu’ils ne manquent de rien, agissant ainsi comme tout parent sensé le ferait envers ses enfants. Ce soir, après ses cours, elle aura donc la surprise de découvrir ce livre et j’espère que ce plaidoyer sera à la hauteur de ce que quelqu’un comme Cynthia est en droit d’attendre. Lorsqu’elle l’aura lu et selon ce qu’elle m’en dira, peut-être le lirai-je à mon tour.

J’aime faire plaisir à la femme que j’aime, c’est viscéral, et s’il se passe trop de temps sans que je ne lui ai apporté un plaisir, aussi minime soit-il, cela attaque mon moral et, malgré moi, je commence à m’en vouloir de ne pas lui apporter quelques rayons de soleil dans notre monde si noir. Je la veux tant être heureuse que je ne peux concevoir ne point y participer. Dans la vie qui a été la mienne, je n’ai jamais été heureux aussi longtemps. Même si six années ne représentent pas grand-chose à l’égard de mes quarante-sept ans ; elles sont cependant quelque chose d’énorme, de grandiose, tant j’ai été serein, détendu, redécouvrant une joie de vivre que je pensais avoir définitivement perdue, et cela grâce à Cynthia, il ne faut pas s’en cacher, mais au contraire l’affirmer, le marteler et ce, jusqu’à ce que mort s’ensuive.


(19 novembre 2014)

dimanche 16 novembre 2014

Du tabac et de l'état

Aujourd’hui j’ai l’esprit plat, aucune onde n’oscille, aucune idée, aucun thème ne se fait insistant, bref c’est le calme plat. Pour mon corps il en va de même. Je le sens vidé d’énergie, comme si une platitude que l’on pourrait confondre avec une apparente sérénité m’habitait. J’écris parce que j’aime écrire, voir les lettres former des mots puis des phrases sur du papier vierge, mais rien ne m’inspire ce matin.

Je vois des gens fumer, allumer leur cigarette et, immanquablement, cela me ramène à mon cancer. Du coup je pense à l’industrie du tabac, à l’état qui permet la vente de leur marchandises et à tous les morts passés et à venir qui en découle. Oserais-je parler de génocide ? A la seule vue des chiffres, du nombre de personne qui, chaque année, meurent du tabac, oui il s’agit d’un génocide. Le tabac tue chaque année plus de gens que l’ensemble des juifs gazés pendant la seconde guerre mondiale. A la suite de cette extermination de masse fut créé la cour internationale de justice pour juger ce qui fût considéré comme un crime de masse. En laissant en vente libre le tabac, tous les états du monde organisent, planifient des crimes de masse. Les lobbies du tabac doivent être d’une puissance redoutable pour que cela soit ainsi et, même s’ils ne sont pas des industries pétrolières, l’argent ne doit pas manquer dans leurs caisses. Notre état si fière de son système de santé, de sa sécurité sociale, ne peut dire qu’il se préoccupe de la santé de ses citoyens. Ce qui l’intéresse c’est l’argent, en encaisser le plus possible tout en essayant d’en dépenser le moins possible. Les taxes qu’il instaure sur le tabac sont pour lui une véritable manne d’argent, un argent dont il a besoin, considérant les morts du tabac comme un pire aller, ni plus ni moins.

Ceci n’est qu’un exemple supplémentaire de la pourriture de notre système et les gens qui l’incarnent, les politiques, sont ceux qui l’entretiennent. Il y a les mots, les belles paroles, et il y a les actes, les lois, les décrets qui, bien souvent, sont en totale contradiction avec leurs dires. Comment croire en eux, en ces hommes et femmes qui prétendent améliorer nos vies alors que dans les faits ils ne font que le minimum syndical pour protéger notre santé. Si d’aucun croit, et Dieu sait s’ils sont nombreux, que le premier des biens est la propriété, ce n’est que lorsqu’ils sentiront leur fin venir qu’ils réaliseront pleinement leur erreur, leur cruelle méprise. Le premier des biens est la santé et, comme d’autre, je l’ai compris, appris trop tard.


(16 novembre 2014)

samedi 15 novembre 2014

Michèle

Actuellement ce que vois, où que se porte mon regard, ce n’est plus la mort en tant que telle, pas plus que des corps morts que des corps vivants, plus ou moins jeunes dont on sait que tôt ou tard ils finiront en corps morts. Encore une fois, ma maladie, la perception que j’ai des êtres et des choses depuis, me fait apprécier différemment les corps qui s’animent autour de moi. A défaut de morts potentiels, ce que nous sommes tous, c’est essentiellement les mourants qui monopolise à présent mon attention. Quand je parle de mourants, je parle de ceux et celles dont les jours sont comptés, inéluctablement et ce, de façon implacable.

Depuis une dizaine d’année j’ai considérablement fait le tri dans mes relations, éliminant d’office, plus ou moins tardivement, ceux et celles dont je savais que jamais nous ne construirions quelque chose. C’était les potes de comptoirs, les copines des copains, les copains des copains, etc. Pourtant je m’entendais très bien avec eux et appréciais les soirées que nous passions ensemble, parfois autour d’un bon repas, d’autre fois autour d’un verre. Mais ces relations étaient creuses bien qu’agréables. Ainsi, depuis que j’ai éliminé nombre de personne de ma vie, qui reste-t-il autour de moi ? Il y ma famille, Cynthia, sa famille et deux amis. Au total cela représente dix personnes et quelque soit la direction de mon regard, je vois à présent des mourants, à commencer par celles qui m’obsèdent le plus, la mère de Cynthia, Michèle, puis ma propre mère.

Michèle, et de loin, est celle qui m’inquiète le plus. Son cancer ne peut se guérir et elle est condamnée à subir à vie de la chimiothérapie. Mais elle est faible, son corps met énormément de temps à récupérer, qu’il s’agisse de musculature, de globules ou de plaquettes. Déjà à de nombreuses reprises des séances de chimiothérapie ont du être décalées, reporté, du fait de la faiblesse de son corps. Pendant ce temps son cancer progresse, se propage et la logique veut que les pansements que sont ces séances ne pourront empêcher l’hémorragie de se produire. En direct je vois quelqu’un mourir sous mes yeux. C’est la seconde fois que je suis confronté à ce genre de situation et vous dire que c’est pénible, triste, ne suffit pas à décrire ce qui se joue sous mes yeux. Peut-être que Michèle n’a pas été une mère exemplaire ni une épouse sans reproche, mais a qui a-t-elle fait du mal pour subir pareil sort ? Son train-train quotidien était bien huilé. Une fois par semaine elle se rendait à Carrefour avec Bernard, son mari, afin de faire le plein de courses pour la semaine. Hormis cette échappée hors de chez elle, elle ne sortait jamais. Ses journées étaient rythmées par les repas qu’elle préparait, ses séries télévisés, ses mots fléchés et quelques lectures, qu’il s’agisse de livres ou de revues. En un mot elle n’emmerdait personne, strictement personne, jusqu’au jour où la maladie a été décelée, mettant ainsi en branle toute sa famille et, bien malgré elle, stressant et inquiétant tout ce beau monde.

Voir quelqu’un mourir est épuisant tant nerveusement que mentalement. Vous assistez impuissant à la dégradation de ses facultés, qu’elles soient physiques ou mentales, et face à ce triste spectacle seulement deux choix se présentent à vous. Soit vous décidez de rester présent, seule manière d’accompagner le malade et cela ne peut que vous faire souffrir, soit vous décidez de mettre de la distance entre vous et lui parce que l’effort de présence est trop intenable, voire insupportable. Parfois Michèle semble aller mieux, comme si elle vivait une période de rémission. Les premières fois je me souviens que j’étais heureux comme un enfant à noël, pensant que le plus dur était passé et que la guérison pointait son nez à l’horizon. La déception était donc très amer lorsque les jours suivants son état rechutait. Ces hauts et ces bas durent depuis dix mois déjà, dix mois où elle n’a pas quitté le lit, dix mois pendant lesquels elle a subi une vingtaine d’anesthésies générales et plus de son opération du col de l’utérus, dix mois ou plus d’une fois elle a faillit y passer et ce, définitivement. A force, malgré ses rémissions ponctuelles et de courtes durées, il faut malheureusement accepter l’évidence et cesser d’entretenir l’espoir. Si aujourd’hui elle est vivante, c’est déjà bien, c’est presque miraculeux et il faut savoir se contenter de cette heureuse nouvelle. Pour Michèle, demain est complètement aléatoire, « non diagnostiquable », imprévisible. Peut-être pourra-t-elle faire quelques pas en étant soutenu par son kiné, mais peut-être dormira-t-elle toute la journée à cause des doses importantes de médicaments qui lui sont prescrit, la morphine n’étant pas la plus anodine. Peut-être ne ressentira-t-elle aucune douleur comme il se peut, ce qui est le plus fréquent, qu’une douleur lui gâche sa journée. Souvent je me demande si elle a bien conscience de son état, de ce que cela signifie et, parce que j’ai la même maladie, j’aimerai qu’elle me fasse part de tout ce qui peut lui traverser l’esprit.

Contrairement à Bernard, je ne dirai pas que Michèle est une femme gentille. Je me demande même si elle sociable naturellement, sans faire d’effort. Pour des raisons que j’ignore, raisons certainement liées à son passé, je la perçois surtout comme une femme méfiante, très méfiante, capable de faire du mal et de s’en délecter, une femme qui, au final, n’aime pas grand monde. Parfois je me dis qu’elle n’a pas toujours été ainsi, mais qu’elle l’est devenue parce qu’insatisfaite de sa vie. Quels projets, quels rêves avait-elle en tête lorsqu’elle avait vingt ans, lorsque s’est marié, lorsqu’elle a eu son premier enfant ? C’est une femme déçue, c’est ainsi que je le ressens, mais déçue par quoi ou de quoi ? Quoi qu’il en soit, peut importe sa nature, son caractère ou son tempérament, peut importe toutes les mauvaises pensées qui, parfois, peuvent lui traverser l’esprit, car depuis que je la connais je ne l’ai jamais vu commettre d’actes néfastes envers autrui. L’important c’est cela, sa gestion d’elle-même, le contrôle de sa personne, bien plus que l’amertume ou les regrets qu’elle garde précieusement caché dans un coin de son cœur, dans un coin de son esprit, veillant à ce qu’ils n’engendrent rien de désagréable pour son entourage. Néanmoins, même si le tableau subjectif que je dresse de sa personnalité ne semble guère joyeux, il est une chose dont je suis sûr. Elle aime sa famille et serait prête à tout pour leur venir en aide, les soutenir si besoin était.


(15 novembre 2014)

mercredi 12 novembre 2014

Des médias

Déconnecté d’internet et de télé depuis une semaine pour cause de changement de fournisseur d’accès, je vis donc le quotidien sans plus me préoccuper de ce que l’on appelle communément l’actualité. Mais de quelle actualité s’agit-il exactement, qu’est-ce que cette actualité que l’on nous présente comme être la marche du monde ?

Nous sommes dans l’actualité spectacle car seul compte l’audimat. Jamais, ou alors très exceptionnellement, vous ne verrez de sujet sur les miséreux, les SDF, sauf s’il y a mort d’homme dans l’histoire, spectacle et audimat oblige. Afin de nous scotcher face au 20h00 ou aux chaînes d’info en continue, il faut du spectaculaire et peu importe si les problèmes de fond, la véritable information, ne sont pas traités. Pas de reportage sur les conditions de travail des uns ou des autres afin d’expliquer qu’ils ne sont que la conséquence du capitalisme et, là, d’exposer ce qu’est le capitalisme, sa logique de profit, de rendement et ce, au détriment de la santé physique ou mentale de ceux qui y sont soumis. Les conditions nécessaires à un tel sujet dans les médias sont soit la fermeture d’une grosse entreprise, soit des licenciements en masse suite à une restructuration. Quoi qu’il en soit, émotions obligent, ce n’est pas le capitalisme et ses méfaits qui seront traités, mais uniquement le sort des malheureux qui se retrouvent sans emploi.

Les médias trient les sujets en fonction de leur impact émotionnel sur nos personnes. Ils ne sont ni là pour exposer le fond des choses, ni là pour nous informer sur ce qui est essentiel. Mais cela est normal, logique, car dans cette corporation comme dans d’autres qui impactent sur la vie sociale, publique de notre pays, ils sont des nantis bien payés, fréquentant des univers qui sont à mil lieux du quotidien de la majorité d’entre nous et, pour garder leurs privilèges, il ne serait être question de remettre en cause, de seulement pointer du doigt le système qui, justement, les fait vivre et, si ce n’est dans l’abondance, tout au moins dans l’aisance.


(12 novembre 2014)

mardi 11 novembre 2014

Comme un cri de colère

En voyage, je somnole debout et laisse les mots aller. Lexomil, ton poison que je ne sais pas encore doser fait effet. D’une lune il m’envoie vers une autre lune et c’est ainsi que j’ai du mal à sortir de la nuit. En ce jour, fête de l’armistice, première guerre moderne, premiers saccages en série, premiers crimes de masse, il n’y a pas grand monde dehors. Il faut dire que le temps ne s’y prête pas, entre pluie fine et humidité, température basse et absence de soleil. La place Sainte-Anne est vide, comme un dimanche matin, et moi je pense à mon autobiographie en cours dont je ne sais quoi penser. Mélange des genres, mélange des styles, est-ce que cela fera un bon cocktail ? D’autre part je ne prends plus plaisir à écrire sur des sujets où ma plume a déjà trainé. De même je n’ai plus de plaisir à me relire, que le texte soit d’hier ou d’aujourd’hui, tant cette entreprise, l’autobiographie, me semble vaine car inutile. Qui cela peut-il intéresser, franchement ? Même les membres de ma famille et mes amis se foutent éperdument de ce que je peux y dire. Ils n’ont pas envie de me connaitre plus que çà, et comment les en blâmer ? Néanmoins chaque jour est une plaie car, hormis l’écriture, je n’ai rien pour occuper mes journées, rien ne m’intéresse ou ne m’épanouis. Tout cela a un goût de dépression et malgré l’antidépresseur que je prends déjà, je n’ai pas l’impression que ça s’arrange.

Ma fille me dit qu’elle veut passer le nouvel an à mes côtés. Pour ma part je n’en ai pas vraiment envie. Couper définitivement le contact, voici ce qui m’arrangerai. Mais du fait de son âge, bien qu’elle ne soit plus totalement une enfant, je me force à lui donner une seconde chance. Mais je ne crois plus en elle dans ce sens où, malgré mes souhaits, mes attentes, mes espoirs, elle ne sera guère différente de sa mère, une femme que je méprise et en qui je n’ai aucune confiance. La savoir six pieds sous terre serait un véritable plaisir tant j’ai la conviction que ce sont des êtres similaires à elle qui amènent le bordel, les problèmes, du fait de leur hypocrisie, de leurs mensonges et de leur lâcheté. Ils sont la lie de l’humanité, de cela je ne démords pas. Ma fille fera-t-elle partie de cette caste?

Mais parlons de tout et de rien, sans préconçu, sans tri, sans focaliser sur un sujet et observons le résultat. Laissons la pensée se révélée, elle qui va et vient, d’une idée à l’autre, sans coordination si nous ne l’y soumettons pas. La pensée libre n’a nul besoin de notre concentration, par elle-même elle est et elle se vit, n’ayant cure de nos objectifs, de nos ambitions ou de nos désespoirs. Je pourrai parler de pissenlit, de pomme de terre, des fruits et légumes d’un potager car, c’est vrai, je m’emploie à devenir végétarien. Il est aussi vrai, nous ne pouvons qu’en faire l’aveu, que nous traitons les animaux  comme les nazis traitaient les juifs. Tous à l’abattoir, élevés dans des conditions digne des convois qui transportaient les juifs, tziganes, homosexuel ou dégénérés mentaux vers des Auschwitz et Treblinka en tout genre. Aucune humanité dans notre manière de traiter les bestioles, aucun remord lorsque nous les mangeons. La race humaine est supérieure dans l’atrocité, dans le macabre, dans la torture. Oui, là, nous sommes les Dieux de ce monde. Qui ne dit mot consent, proverbe auquel j’adhère entièrement. Ainsi, laisser faire les éleveurs sans mot dire, puis acheter leurs marchandises afin de se concocter de bons repas, c’est consentir à cette abomination que constitue l’élevage moderne. Mais il est des étoiles, des cieux dégagés qui nous indiquent que nous ne sommes rien, ou alors pas grand-chose. Mais qui prend le temps de contempler la sphère céleste, celle qui, justement, nous remet à notre juste place ?


(11 novembre 2014)

dimanche 9 novembre 2014

Monotonie

Encore une nuit de merde, une de plus, où des nausées m’ont réveillé vers une heure du matin. Mais cette nuit j’ai été jusqu’à vomir, par deux fois, laissant dans le chiotte le repas de veille. Mon estomac ou mon foie ne tourne plus rond, mais cela ne date pas d’hier. Tout a commencé lors de mes premières séances de chimiothérapies en janvier de cette année. Pourtant je prends des médicaments pour éviter ce genre de désagrément. Parfois ça marche et parfois, comme en ce moment, ils n’empêchent rien. Du coup, comme à chaque fois ou presque, je commence mes nuits dans mon lit, aux côtés de Cynthia, et les finis dans le canapé du salon.

Ce matin, comme souvent, je suis place Sainte-Anne et prends un café. Du fait de l’heure matinale et parce que nous sommes dimanche, la place est complètement vide. Seuls les restaurateurs et brasseurs s’activent à mettre en place leurs terrasses. Même s’il a plut cette nuit, ce matin il n’en est rien et le soleil est même présent. C’est une belle matinée d’automne, calme, silencieuse, avec de belles couleurs. Comme chaque matin à mon réveil je ressens une sourde angoisse dont je ne connais pas la nature, instaurant de fait l’inquiétude dans mon esprit. De suite je prends donc mes calmants avec le profond souhait qu’ils agissent rapidement. De même, si j’écris si tôt ce matin, c’est également dans le but d’atténuer cette angoisse, mon inquiétude, car d’expérience je sais que parfois les mots, au détour d’une phrase, parviennent à mettre en pleine lumière le maux qui nous ronge. En l’état je pense que le cancer et tout ce qu’il signifie dans ma tête est mon maux. Mais il peut être tout aussi bien un écran de fumée qui cache le véritable mal, la cause de mon angoisse.

Ce matin je me sens d’humeur monotone, à l’image de la saison, l’automne, où lumière, chaleur et joie semblent s’estomper lentement, sans mot dire, mais sûrement, nous préparant à l’hiver rigoureux à venir, ses nuits froides, ses journées courtes où, si vent il y a, nous serons frigorifiés. L’automne n’a jamais été ma saison préférée, c’est même le contraire. Elle symbolise la fin à venir, à l’image de la perception que j’ai de mon cancer et même si je passe l’hiver tranquillement, j’éprouve les quatre saisons comme un long automne, quoique je projette dans l’avenir.

Je repense à ma jeunesse, l’enfance exactement, toute cette période allant de mes six ans à mes dix ans. A l’époque je ne savais pas que je vivais mes meilleurs moments, vivifiants, exaltants, épanouissants, heureux, où je n’envisageais pas qu’il puisse exister des moments durs, pénibles, atroces à supporter, où la joie, le plaisir, la douceur n’avaient plus leur place. Oui, à cette époque tout était merveilleux, quoi que je fasse ou quoi qu’il se passe. J’étais en constante découverte, apprenant chaque jour de nouvelles choses, sentant que je mûrissais d’année en année, preuve que je grandissais et qu’un jour je ne serai plus un enfant mais enfin un grand, un jeune, un adulte en devenir. Cruelle a été ma désillusion lorsque pour la première fois je vis mon père frapper ma mère. J’avais onze ans et tout ce en quoi j’avais cru s’est écroulé d’un coup, sans crier gare. Est-il  possible d’exprimer ce que j’ai ressenti alors, l’impact psychologique et l’effroi qui m’a traversé lorsque je vis ma mère se faire frapper ? C’est un exercice difficile que de me replonger dans l’être que j’étais alors tant les décennies suivantes m’ont endurci, faisant parfois de moi un être froid, insensible, méchant, sadique, un provocateur qui ne ratait pas une occasion de créer un conflit, de chercher un adversaire afin d’en découdre, physiquement ou verbalement, une manière comme une autre d’exorciser mon mal-être.


(9 novembre 2014)

samedi 8 novembre 2014

Nouveaux départs

Il y a quelques jours j’ai enfin eu les résultats de mes derniers examens concernant mon cancer. En l’état tout est OK, ma tumeur cérébrale étant passée de 16mm à 11mm en l’espace de deux mois et ce, grâce à la radiothérapie. Je devrai trouver ceci encourageant et éprouver à nouveau de l’espoir, entrevoir un horizon au-delà du trimestre, voire de l’année. Mais rien de tout cela ne s’exprime, ni dans ma tête ni dans mon cœur ni dans mon corps. Je ne sais pourquoi, je n’arrive pas à croire que de longues années m’attendent, années à vivre pleinement. C’est le contraire qui me semble le plus probable, toujours à la vue des chiffres et statistiques, et ce serait vraiment un miracle que je fasse partie des survivants, que je fasse partie de la masse de ceux et celles qui sont morts d’une autre cause que le cancer, autrement dit « naturellement ». Je suis donc satisfait de savoir où j’en suis, mais cela s’arrête là. Aucune joie particulière, aucune euphorie, simplement une inquiétude suspendue qui ne cesse de se demander quand, quand sera le grand tournant, l’ultime étape vers ma mort. Rien de très gai dans tout cela, mais rien de triste si l’on y réfléchie bien. Je suis toujours là, vivant, toujours animés par certains désirs, partageant mon quotidien avec une femme que j’aime, et même s’il me faut prendre des psychotropes pour essayer de vivre au mieux cette expérience que je ne souhaite à personne, dans l’ensemble ma vie est agréable.

Ces derniers jours j’ai également changé de traitement médical, celui qui concerne mes états d’âme, mon ressenti et mes inquiétudes. Pour l’instant c’en est fini du Xanax, de ma précieuse pilule magique, qui, bien que l’effet sois infiniment moindre, me faisait planer comme seul un joint saurait le faire. A la place mon médecin traitant m’a prescrit de Lexomil, calmant presque centenaire que toutes les générations d’aujourd’hui ont connu, au moins de nom. Pour l’instant je n’ai pas à m’en plaindre, il agit, même si je ne sais pas encore le doser correctement. Ensuite, histoire de stabiliser un peu mes humeurs, je prends un neuroleptique, le Tercian 25g, à raison de trois par jour. Enfin, pour que le cocktail soit complet, je prends également un antidépresseur et ce, depuis une dizaine de jours. Son effet se fait sentir car je dois bien admettre que mes idées, pourtant toujours aussi noires, aussi sombres, ne m’empêche plus de savourer pleinement quelques moments, ne m’empêche plus de m’autoriser à projeter quelques projets, dont celui d’une ballade à cheval sur des bords de plage avec Cynthia, celui de m’offrir éventuellement un synthétiseur et, même si j’ai été particulièrement déçu par le comportement et le caractère de ma fille, d’éprouver du plaisir à la revoir.

A ce sujet, sur ma fille que j’avais décidé de rayer de ma vie parce que nous n’avions pas passé les vacances de la toussaint ensemble, tel que prévu, tel qu’elle s’était engagé à le faire, j’ai finalement appris le fin mot de l’histoire, les circonstances pour lesquelles cela n’a pu se faire. Une fois de plus, faisant fi de mon avis et sans aucune concertation, c’est sa mère qui a décidé d’annuler ce séjour. Cependant je ne suis pas dupe et si elle a pris cette décision, c’est en grande partie à cause du comportement de ma fille, une peureuse qui, j’en suis sûr, ne cessait d’exprimer sa crainte de se retrouver seule avec moi pendant quinze jours, supposant, projetant que du fait de ma maladie il pourrait arriver des événements imprévus, telle une crise d’épilepsie, face auxquels elle se serait senti totalement démunie. Dans un sens je ne peux lui jeter la pierre de se sentit vulnérable, incompétente, perdue face à une telle situation. Par contre je ne lui pardonne pas de ne pas m’avoir fait part de ses doutes, de ses craintes, de sa peur, car si tel avait été le cas nous aurions trouvé une solution, quitte à raccourcir ou annuler ce séjour. En me disant chaque soir au téléphone qu’elle avait hâte que l’on se retrouve, elle ne me disait qu’une partie de sa vérité. En cela elle a été hypocrite, voire une sale petite menteuse. N’ayant que douze ans et un caractère qui n’est pas encore forgé, construit et affirmé, je lui laisse donc une seconde chance et, après l’explication que j’ai eue avec elle ces deux derniers jours, j’espère qu’elle saura en faire bon usage. Ma fille, Jade, je l’aime et plus j’apprends à la connaître moins elle me plait. Cependant elle possède une qualité qui compte grandement à mes yeux, c’est sa profonde et sincère gentillesse. En quarante-sept ans d’existence je n’ai rencontré qu’une seule personne aussi désintéressé lorsqu’il s’agit de venir en aide à quelqu’un. Il s’appelle Luc. Nous nous sommes connu lors de notre adolescence et avons immédiatement sympathisé. Aujourd’hui encore et malgré des divergences ou désaccords profonds dans le domaine des idées, dans la façon de mener notre vie, nous sommes toujours amis. Malheureusement la gentillesse ne suffit pas à rendre une personne respectable, appréciable, et ma grande crainte depuis la naissance de ma fille est que sa gentillesse soit entachée par les tares de sa mère, mère qui est son modèle pour se construire, une mère qui ment, qui est hypocrite et qui est incapable d’assumer ses erreurs. Si ces travers déteignent trop sur ma fille, alors sa gentillesse passera au second plan aux yeux de tous, y compris aux miens. Personne n’aime les lâches, les hypocrites ou les menteurs et, même entre eux, ils ne s’apprécient pas.


(8 novembre 2014)

lundi 3 novembre 2014

Masculin - Féminin

Diverses choses me traversent l’esprit mais là, particulièrement, il s’agit des rapports Homme-Femme ou, plus exactement, de ce qui fonde la personnalité, l’identité de l’un et de l’autre. Judith Butler a beaucoup écrit sur la question, Simone de Beauvoir également, ainsi que Françoise Héritier. Dès l’enfance, selon notre sexe, nous constatons que nous ne sommes pas élevés de la même façon que l’autre sexe et que notre entourage, familiale ou autre, attend de nous des comportements et des modes de pensées spécifiques. Cependant, même si nous constatons et, dans une certaine mesure, nous réalisons pleinement le phénomène, bien peu d’entre nous mesure les conséquences réelles, parfois bénéfiques, parfois désastreuses, que cela implique dans notre vie quotidienne, dans notre rapport à l’autre, qu’il soit ou non du même sexe.

Au fur et à mesure des années qui passent, en grandissant, nous avons tous en commun un schéma sur ce que signifie être un Homme, être une Femme, et dans l’immense majorité des cas nous essayons de nous conformer, de nous fondre dans ces moules. Il faut avoir un certain âge, un certain degré de connaissance historique sur l’évolution de la condition masculine et féminine pour remettre en cause, en question et ce, en toute conscience, ces schémas préétablis.


(3 novembre 2014)

samedi 1 novembre 2014

Ailleurs

Tourbillon
Menace
Et pourtant le jour

Imminence latente
En embuscade
Elle m’attend

Derniers moments
Jours, mois, années
Parce que né une fois

Bientôt le silence
Autre bruit de l’univers
Autre rive à aborder

Dans l’attente
Solitude
Mais jamais je ne suis seul

Plus étroit qu’un puits
Plus profond qu’une perspective
Déjà elle m’aspire

J’entends les pleurs
Ils bercent mon voyage
Le temps se fige pour un instant


(1 novembre 2014)

De la conviction

1er novembre, jour des morts, un vague à l’âme, une espérance qui file tout droit, étoile filante que le simple fait de vivre détricote, où sont passés les songes d’antan ? Le partenaire n’est pas le tortionnaire car, sur ou sous la tombe, c’est le même cycle, le même état, unique entité, les deux faces d’un même miroir.

La Chine est loin, ainsi que la Russie, les États-Unis ou le Brésil. Jamais je n’ai foulé leur sol et pourtant je les fais exister dans mon esprit, comble du délire, leur donne une réalité qui est forcément  tronquée, à l’image des discours politiques, philosophique ou économiques que nous ingurgitons sans nous poser de question. Sommes-nous crédules, naïfs, ou sommes-nous des cons ? Comme disait Cioran : "N’a de convictions que celui qui n’a rien approfondi." Mais approfondir est un véritable effort, non seulement de recherche, mais également de remise en cause de notre mode de pensée initial. Si ce dernier n’est pas mis à l’épreuve de ce que nous découvrons, alors c’est du vent que nous faisons et agitons. Toute nouvelle connaissance, quelque soit le thème ou le sujet abordé, implique nécessairement un réajustement de ce que nous croyions jusqu’alors. C’est ainsi que toute notre vie nous construisons des châteaux de cartes dans notre esprit, des cartes en constant équilibre dont certaines s’affirment avec le temps consacré à la connaissance, tandis que d’autres tombent, vacillent ou meurent. Seuls ceux qui n’ont rien approfondi et les imbéciles ont des châteaux-forts dans leur petite tête. Chez ces derniers tout est à l’étroit, c’est peut-être génétique, tout est bétonné et rien ne peut pousser, ils sont la lie de l’humanité et, parce qu'ils sont majoritaires, nous n’avons d’autre choix que d’exister dans leur carcan ou de nous exiler vers des lieux un peu plus sains.


(1 novembre 2014)