dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 4

IV


Que tout cela est loin à présent, mais seulement à six années de nous. Tout passe, bien des chosent s’effacent et pourtant il faut garder la face, malade ou non, cette illusion de l’esprit fruit du quadrillage éducatif dont tous et toutes avons été l’objet. Ne pas baisser les bras, ne pas s’abaisser, aller de l’avant, toujours de l’avant, quitte à écraser, ridiculiser ou diffamer nos concurrents, les considérant comme une menace à la pleine réalisation de nos projets, que ces derniers soient d’ordre professionnels, matériels ou identitaires, quitte à laisser sur le rebord de notre route ceux et celles qui ne peuvent suivre le rythme, la cadence et autre impératifs, le plus souvent économique, matériels, que le monde de l’homme a créé de toutes pièces. Oui, nous n’hésitons plus à délaisser, ignorer, voire fuir les membres de notre propre famille si d’aventure ils revenaient trop cher à notre compte en banque. La pourriture humaine n’a pas d’époque, pas d’âge, et elle seule peut expliquer tous les cadavres en devenir. Néanmoins, même si ces six dernières années se sont envolées telle une rivière qui se jette à la mer, s’y noyant aussi sûrement que fond un glaçon dans un verre de whisky, il n’en reste pas moins ce phénomène étrange que l’on appelle souvenir.

Ainsi je me souviens que c’est au mois de juillet 2008 que toi, « Judith », tu acceptas enfin de me rencontrer physiquement pour la première fois. Le parisien que j’étais prendrait le TGV pour découvrir sa muse lyonnaise. J’ai tout quitté, tout abandonné, amis, famille, repères, avec uniquement cent cinquante euros en poche prêté par un ami. A cette époque je vivotais du RSA, était hébergé par ma mère et ne me consacrai qu’à mon blog afin d’exorciser ma douleur, ma torpeur, mon envie d’exister. Mais quitter Paris, c’était aussi laisser toute mon histoire derrière moi, comme d’autre abandonne leur chien sur une aire d’autoroute. Paris, royaume des faux-culs, essentiellement là où j’ai grandi, respiré, transpiré, suffoqué et même tué. Seizième arrondissement, les beaux quartiers, le luxe que chacun d’entre nous lorgne, soit pour se plaindre de sa misérable condition, soit pour en profiter un maximum, Paris ville de profit que chacun cherche dès la première poignée de main, où l’on ne prend pas le temps de s’épier puisque tous ont les poches pleines ou font mine de les avoir, poches pleines du labeur des mal payés, contrats précaires, travail au noir. Les riches, je les exècre, aucun ne trouvant grâce à mes yeux car, qu’il plaise ou n’en déplaise, leur confort est construit sur un matelas de paillasses, de poltrons ou d’épuisés en tout genre qui préfèrent être assistés ou écrasés plutôt que de monter aux barricades, prêt à se battre pour revendiquer leur juste dû, n’osant brûler toutes les sorcières de la finance – patrons, banquiers ou politiques -, une masse majoritaire qui se tait, qui se terre, ne sachant plus comment finir leurs fins de mois. Anarchiste ? Moi ? Certainement pas. Comment serait vivable une société où chacun ferait ce qu’il veut quand il le veut et où il veut, faisant fi du besoin ou du désir de l’autre. Communiste alors ? Ou alors d’extrême gauche ? Et pourquoi pas d’extrême droite pendant que vous y êtes ? Depuis que notre espèce s’est sédentarisé il y a plus de 8000 ans, créant de fait les premiers villages puis les premières villes et enfin les premières cités, qu’avons-nous fait ? Ce fût la naissance de l’économie, de l’argent, de la propriété et des places de pouvoirs que cette dernière conférait. Depuis, absolument rien n’a changé, ces dominos sont toujours en place et rien ne les a encore fait tomber, voire vaciller. Toutes les sociétés pyramidales produisent les mêmes effets, les mêmes injustices, un même écœurement. A quand une société humaine horizontale, ce à quoi devait certainement ressembler les première tribus humaines ?

Oui « Judith », de ton vrai prénom Cynthia, comment aurais-tu pu imaginer toute ma colère, toute cette hargne que j’emmenais dans mes bagages en venant à ta rencontre ? Mais ainsi va le monde, farfelu, nauséeux, fait de mil promesses à l’attention de tous, mais dans les faits exclusivement réservées à une caste qui ne partage rien. J’ai vu à l’œuvre leurs méthodes claires, ces rouleaux compresseurs qui ne laissent aucune chance à qui s’écarterait du chemin, à qui dénoncerait leur dictature. Mais j’ai beau jeu de critiquer ou d’attaquer, moi qui ne fait rien pour les faire taire, les mettre sous terre en militant, manifestant, m’engageant, quitte à prendre les armes pour les abattre un par un. L’innocence de mon enfance est bien loin, salie et saccagée par ces mil et un constats que même la nuit ne saurait dissimuler.

Je cherche le socle de l’être
Pour ne pas me jeter par la fenêtre
Vers des illusions qui me bercent
D’un jour clair qui me transperce

Je cherche le chemin infaillible
Qui ne peut être pénible
N’étant autre que moi
Et non plus ce chien laid aux abois


Mais je n’ai pas toujours été parisien, enfant du Louvre et de la Tour Effeil. Issu d’un père marocain et d’une mère française, à l’origine j’aurai du grandir et vivre au Maroc. J’y suis né, puis ma sœur et mon frère. Lorsque j’eus quatre ans mes parents décidèrent de s’installer en France suite à une tentative de coup d’état ratée contre le roi du Maroc d’alors, Hassan II. A notre arrivée, nous avons atterri en banlieue parisienne, à Fresnes exactement, ville où résidait ma famille maternelle. Je découvrais pour la première fois ces personnes. Deux ans plus tard nous étions à Paris, Porte de Saint-Cloud, seizième arrondissement. Bien qu’il me soit arrivé de m’exiler quelque temps dans d’autres villes, c’est néanmoins Paris qui m’a construit et, en cela et où que je sois, je serai toujours un parisien. Pendant quarante ans je me suis gorgé de ses codes, de ses normes, de son bruit continu et de son rythme infernal, de sa pollution et de ses transports en communs, bref de tout ce qui constitue ce royaume de l’apparence. Paris m’a fait, fabriqué, brique par brique, étage par étage, s’incrustant dans le moindre pore de ma peau, de ma pensée, de mes délires et parfois de ma bienveillance. J’ai été si contaminé qu’il ne m’est plus possible d’entrevoir quoi que ce soit sans passer par ce décodeur qu’est mon prisme parisien.

Voilà Cynthia, toi qui m’avais permis de voler dans les airs au-delà des nuages les plus beaux, voilà qui tu t’apprêtais à accueillir sur ton sol lyonnais. Une machine, un automate devenu incapable de découvrir et ce, au sens premier du terme, car qu’il s’agisse de nouveauté ou du connu, d’individu ou de paysage, je comparai absolument tout à ce que j’avais connu. Tu étais place Bellecourt, assise au bas de la statue, entrain de lire je ne sais quelle odyssée lorsque je t’ai enfin abordé. Tu étais maigre, très maigre, et j’ai alors du accepter que tu n’avais pas menti, pas plus à moi qu’à tes autres lecteurs et que l’anorexie était bel et bien ton monde. Mais pouvais-je te blâmer de vouloir plaire lorsque tous et toutes sommes ainsi ? Simplement j’estimai que ce n’était pas la meilleure des méthodes, pas le bon chemin. Dès que je me suis adressé à toi pour me présenter, j’ai senti en moi un sursaut. De suite je sus que je ne pourrai jamais être le compagnon d’un squelette ambulant, d’un tas d’os, et qu’à tout prix il fallait que je te sorte de cet univers morbide, infécond, malheureux et repoussant. Jusqu’alors, déjà, je t’aimais pour tes mots. A présent je voulais également t’aimer pour ton corps car il était évident dans mon esprit qu’inéluctablement nous formerions un couple. Cela n’a pas tardé d’ailleurs puisque, quelques heures plus tard, déjà nous échangions nos premiers baisers.

Toutes ces heures sans saveurs
Dans les silences de ta cadence
A vivre l’humeur de tes peurs
Est mon unique pénitence
L’évidence me balance
Telle une erreur vers ta fleur
Sans nuance ni clémence

Je pense sans cesse ta présence
Me rendant ivre de stupeur
Je te scande ma prévenance

Les aigreurs de ma noirceur
Voudraient fuir ton innocence
N’être que l’acteur de ton bonheur
Non une lance pour de la démence

Je te veux saisir ma lueur
Être l’essence de ton aisance
Atteindre enfin cette hauteur
Vers des lendemains sans défenses
Car tu es de ma couleur
Celle des printemps de mon cœur

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire