mercredi 11 mars 2015

Métaphysique

Mort par sédation profonde, voici le projet de loi qui devrait être débattu la semaine prochaine. Selon quels critères ? A la simple demande, volonté du patient, quelque soit l'état de ce dernier ? Cela ressemble à une mort sur ordonnance, une euthanasie qui ne veut pas dire son nom, un suicide aidé. Suis-je contre la mort sur ordonnance ? Non, mais je sais que nous changeons souvent d'avis, y compris envers le suicide. A plus d'une personne, l'idée de se suicider lui a traversé l'esprit, puis, concours de circonstance, l'idée et l'envie ont disparu. Oui, je me demande vraiment sur quels critères la mort par sédation profonde sera donnée ou non.

Ce matin, sur Rennes, le temps est gris, maussade et je crains qu'il n'en soit de même cet après-midi. Mais peut importe, cela ne me dérange pas. En ce moment, parallèlement à ce journal, je retranscris donc tout ce que j'ai enregistré en 2013, dans les jours et semaines qui suivirent la découverte de mon cancer. C'est un travail long, fastidieux, qui prend beaucoup de temps. Lorsque je ré-entends ma voix d'alors, son timbre, j'ai l'impression de découvrir une voix d'outre-tombe. J'entends bel et bien l'émotion de la peur dans cette dernière et toutes ces nouvelles questions qui défilèrent alors dans mon esprit. Ces enregistrements ne sont ni plus ni moins qu'une réflexion à voix haute, où je m'interroge et tente de trouver des réponses. Tout n'est pas intéressant, je me répète souvent, mais je retranscris néanmoins tel quel. Cela me replonge dans cette période trouble, presque sombre, lors de  laquelle j'étais complètement perdu, tous mes repères d'antan s'étant subitement cassés la figure.

Comment voir la vie lorsque l'on sait la mort sur le paillasson de notre porte d'entrée. On peut barricader la porte au maximum, à coup de traitements chimiques et autres. On peut ne pas se soigner, c'est à dire ouvrir la porte pour lui souhaiter la bienvenue. Quoi qu'il en soit, on ne peut rester sans rien faire, car même ne rien faire c'est la laisser se propager. Lorsque j'ai entamé ma chimiothérapie, il y a un an maintenant, j'ai voulu la cesser à cause des effets secondaires qui m'étaient insupportables. Nausée sur nausée, vomissement sur vomissement, état léthargique au possible, oui, j'ai voulu cesser les soins. En cas d'arrêts des soins, l'oncologue qui me suivait alors me donnait une année de vie, une année seulement. J'ai tout de même quitté l'hôpital, lui demandant de me laisser un peu de temps pour réfléchir à tout cela. Je l'ai quitté en pleur et avait déjà subi deux séances de chimiothérapie, hospitalisé pendant trois jours à chaque fois. Deux semaines plus tard je revoyais mon oncologue et lui dit que j'acceptai de reprendre les séances. Il m'en restait encore deux à faire. Après, c'est le chirurgien qui prendrait le relais pour m'enlever le lobe supérieur droit de mon poumon, endroit où était ma tumeur primaire cancéreuse.

Je m'aperçois que je parle encore du cancer, de mon expérience, alors que c'est de la vie et de la mort dont j'aimerai traiter. Oui, je pense la métaphysique bien plus intéressante intellectuellement que tout mon déballage sur mon expérience du cancer. A quoi sert la vie puisque la mort est au bout du chemin ? C'est la seule question digne d'intérêt selon moi, toutes les autres n'étant que des questions subsidiaires dont les réponses, forcément, découle de notre réponse initiale à la première des questions. Par exemple j'occupe mes journées, certes, mais quel sens cela a-t-il, à quoi cela sert-il ? Certes, cela me permet de ne pas m'ennuyer, mais est-cela le sens de la vie, ne pas s'ennuyer ? Une autre question du même acabit est la suivante : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? De même, puisqu'il y a quelque chose, à quoi rime-t-il de se poser la question ? Concernant le sens de la vie, puisqu'elle aussi est là, on peut également se demander si se poser la question de son pourquoi est pertinente, nécessaire, utile ? Pourtant, c'est bien la manière dont nous envisageons la mort qui conduit nos pensées, nos idées et les actes de notre vie. Selon que nous croyons ou non à une après-vie, c'est bien notre approche du présent qui s'en trouve affectée.

Je remarque que depuis que j'ai mon cancer, je suis beaucoup plus souvent dans la spiritualité, la métaphysique qu'auparavant. Hier j'étais dans essentiellement dans nos sociétés, dans la manière dont elles étaient construites, dans les divers conditionnements dans lesquels nous avons grandis. Je me passionnais également de tout ce qui pouvait avoir attrait à la psychologie, qu'il s'agisse de psychologie à proprement parlé, de psychanalyse, de sociologie ou d’ethnologie. Mais tout comme la composition musicale m'a passé, tous ces centres d'intérêts m'ont passé également, comme si je n'avais plus rien à apprendre de tout cela, comme si plus rien ne pouvait me surprendre dans ces différentes discipline. Par contre, je m'intéresse de plus en plus au corps humain, à son fonctionnement, à ses anomalies et aux diverses maladies, mortelles ou non, dont il peut être sujet. Pour autant je ne prends pas plus soin de moi qu'auparavant, je fais le strict minimum en la matière, simplement je suis moins dans l'ignorance. De même, alors qu'avant ce sujet ne m’intéressais absolument pas, je regarde à présent quelques documentaires sur les animaux. Oui, certains d'entre eux commencent à me parler, surtout ceux sur les reptiles.

De même, plus les jours passent et plus repense à boire, boire de l'alcool. Cela fait plus de vingt ans que je n'ai plus touché à une seule goutte d'alcool, mais me sachant dans ma vie, même si celle-ci aura lieu dans cinq ans, je ne vois plus de raison de me priver de drogues. Déjà mes calmants sont une drogue qui me plonge dans n état qui n'est pas celui que j'aurai naturellement. Recommencer à boire me plongerai là-aussi dans un autre état, puisque l'état normal n'est pas celui que je recherche, n'est plus celui que je recherche. Oui, à présent je veux du facile, de l'aisé, du simple, ne plus me prendre la tête, ne plus ressentir l'anxiété ou la peur, la crainte, l’appréhension, ne plus penser à demain, surtout éviter d'y penser, de même pas envisager les instants qui vont suivre, juste être là comme un arbre figé comme si c'était la meilleure des parades, d'être figé, pour éloigner autant que se peut le moment de ma mort. Je me demande quand on m'annoncera une nouvelle métastase dans mon cerveau, celle qui sera la quatrième, car si le processus s'arrêtait, tellement je me suis convaincu qu'il était irréversible, je crois qu'il me manquerait quelque chose. Je serai alors obligé de tout reconsidérer, le présent comme le futur, la présence de projection ou leur absence, cesser de fumer ou poursuivre, me trouver une autre occupation qu'écrire, faire du bénévolat par exemple. Mais bien plus que l'alcool, c'est fumer des joints qui me ferait plaisir. Malheureusement, physiquement, je ne supporte plus leur effet. Effectivement, dès que je fume un joint j'ai la tension qui monte au delà de 15, que mon cœur commence à faire de tachycardie et que mon esprit devient fou, alors qu'auparavant c'était tout le contraire. Ma tension était complètement relâchée, mon corps était au ralenti et mon esprit flânait lentement, posément, sur tout et n'importe quoi. Enfin il y a l'héroïne. D'elle aussi je garde un excellent souvenir et jamais elle ne m'a joué de sale tour. Mais où m'en procurer, auprès de qui, moi qui ne connaît strictement personne à Rennes. D'ailleurs, si j'étais à Paris, le problème serait le même, à la différence près que je connais les quartiers de Paris où les dealers se trouvent. Cependant, je n'aurai aucune assurance quant à la qualité de la marchandise, car forcément ce serait de l'héroïne coupée, mais coupée avec quoi ? De l'aspirine? De l'aspégic ?


(11 mars 2015)

2 commentaires:

  1. Vos écrits sont bien longs pour que je réponde à tous mais
    1) votre ami qui a eu un cancer du foie devrait peut-être faire un dépistage d'hémochromatose; c'est une maladie assez courante,1 pour 300 personnes je crois mais très destructrice. Ma mère est morte de cette maladie; cancer du foie alors qu'elle n'avait jamais bu une goutte d'alcool
    2) que faire de votre petite fille en Avril? la Bretagne ou Paris et pourquoi pas la Bretagne et Paris. Elle même a peut-être des souhaits
    3) Non je n'ai plus de traitement et ne voit aucun psy. Il y a 30 ans une vieille dépression m'a appris à ne plus utiliser de médicaments

    Il fait beau; profitez du soleil; on ne sait pas quand sonnera l'heure de notre mort. Mourir en Argentine à 25 et 28 ans n'était certainement pas le projet de ces petits jeunes. Je pense à leur famille; la pire des choses qui puisse arriver dans la vie, c'est je pense perdre un enfant;
    Oui c'est super d'être grand mère, je vous en reparlerai plus tard
    Je vous souhaite une bonne journée, sans alcool, sans drogue et sans tabac (peut-être) et vous fait la bise ainsi qu'à votre très jeune amie qu'il faut préserver

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  2. Bonjour Mamy. D'abord ne vous sentez pas obligé de commenter tout ce que je raconte, car il est vrai que déverse en bloc quantité de textes, d'hier et d'aujourd'hui, et même ma compagne, Cynthia, n'arrive plus à suivre.
    Je parlerai à mon ami, Tony, de l'hémochromatose dès que je l'aurai au téléphone (lui est sur Paris). Quant à ma fille, j'aimerai satisfaire tous ces souhaits, faire un mixte de Rennes et Paris, mais mon budget ne me le permet pas car Paris est une ville très chère, ainsi que les billets de train.
    Sinon, comme vous, une veille dépression (il y a 20 ans) puis une bonne psychothérapie m'ont permis de me débarrasser de tous les médicaments. Cependant, depuis que je constate que j'attrape métastase sur métastase, mon moral a fortement baissé et c'est depuis que je me suis remis aux calmants.

    Quant à la perte de son enfant, je partage également votre point de vue. La soeur ainée de Cynthia a perdu son fils alors qu'il n'avait que deux ans. Je ne sais comment elle a fait et fait encore pour être toujours une battante, mais elle force mon admiration. Quant à l’expérience d'être grand-parent, oui cela m'intéresse grandement. Qu'est-ce qui change, quelle différence y a-t-il entre une relation avec son propre enfant et un petit-enfant, c'est là un mystère pour moi, car j'ai généralement constaté que les grands-parents étaient plus ouverts envers leurs petits-enfants qu'envers leurs propres enfants?

    Quant à aujourd’hui, même si j'ai eu une soudaine et subite tentation de boire une bière, je me suis néanmoins abstenu. C'est une des manières, je le crois, de préserver ma compagne. Effectivement, il serait dommage et certainement dommageable que je redevienne un alcoolique.

    A mon tour de vous souhaiter également une bonne journée et transmettez mon bonjour à votre fille.

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