lundi 29 juin 2015

Digression

29 juin 2015


Il est 23h00, je suis dehors depuis deux bonnes heures, complètement éteint, assommé par la chaleur de la journée qui n'est rien par rapport à celle attendu demain. Je suis donc dehors, en terrasse, buvant jus d'orange l'un après l'autre, savourant enfin le léger vent frais qui souffle sur la grande place des Lices qui se trouve à deux mètres du quartier saint-Anne. Cependant, mon esprit est éteint, incapable de se concentrer et c'est quasiment en écriture automatique que j'écris.

Je pense à Cioran, à Platon, à Socrate, à Onfray, aux philosophes en général, à la philosophie et à ce qui est sa matière première, c'est à dire la recherche de la compréhension, vouloir comprendre, tout et rien, l'endroit et l'envers, et parallèlement, comme malgré moi, je pense à mon cancer, donc à la mort, et me demande à quoi cela sert tout ça, vouloir comprendre, vouloir savoir, vouloir tout court.

De même, je pense au joutes verbales, surtout lorsque leur sujet est d'ordre philosophique, spirituel ou métaphysique. Oui, ce sont bien des débats inutiles au bout du compte, qui n'entraverons en rien notre fin, notre destiné, car il est clair que la mort n'est pas dû au hasard, même si son temps d'action varie d'un être vivant à l'autre, laissant ainsi croire aux naïfs qu'il existerait une marge d'action au hasard, une place pour ce dernier. Hasard ou déterminisme, c'est là les deux grandes écoles de pensées de la philosophie. Notre vie est-elle écrite ou non ? Les religions sont des écoles du déterminisme. Avec elles, bien sûr après notre vie présente, tout est tracé et, en conséquence, notre vie elle-même est déjà écrite. Soit vous respectez les tables de la loi et vous irez à droite, soit vous les enfreignez et vous irez à gauche. Bref, que ce soit ici-bas ou là-haut, tout est déjà écrit et le soit-disant libre-arbitre qu'elles nous concèdent du bout des lèvres n'existent évidemment pas, puisque nous n'avons d'autres choix que de suivre ou non leur doctrine, vivant puis mourant en conséquence. Vous parlez d'une liberté ! Le paradis est le bonbon que l'on tend à l'enfant tandis que l'enfer sont les corvées que nous lui réservons. Ainsi, pour l'enfant qui n'a pas idée d'échapper à ses tortionnaires, de s'en émanciper, voire de lutter contre eux, bien évidement il fera tout pour toujours mériter le bonbon, même si jamais, nature humaine oblige, il ne pourra être constamment parfait, parfait au sens où l'entend chaque religion. Mais là aussi, car les religions savent particulièrement bien s'y prendre pour nous embuer les verres de nos lunettes, ces dernières disent aussi que la perfection n'est pas de notre ressort, n'est pas à notre portée, que seul Dieu est perfection, tandis que nous, descendant d'Eve et d'Adam, nous sommes des pêcheurs et, ce, dès la naissance. Oui, croyants et croyantes, n'oubliez pas que votre vie ne peut être qu'un long sacerdoce dont le but est de rattraper le péché originel, chose impossible parce que la pomme a été mordue une bonne fois pour toute, que vous possédez en conséquence, toujours selon les religions, la connaissance. Oui, votre Dieu a banni vos lointains ancêtres de l’Éden pour cette unique raison, non pas pour lui avoir désobéi en soi, mais surtout parce qu'ils ont goûté au fruit interdit, celui de la connaissance. Mais en quoi est un problème la connaissance ? Et bien il n'est qu'elle qui nous permette d'accumuler du savoir, mais ce savoir ne vient pas n'importe comment, il n’atterrit pas comme par magie dans notre assiette, il est toujours la conséquence d'un questionnement, que ce dernier soit le vôtre ou une question que l'on vous impose. Ainsi, dès lors qu'il y a question, nous cherchons la réponse, voire les réponses, et c'est là que le doute entre en scène, et commencer à douter d'une seule chose, c'est alors pouvoir douter de tout si on ose aller au bout de l'aventure.

Je me laisse aller à parler de religion, je le constate, sans rien planifier de ce que j'en dis, car comme je l'ai précisé tout à l'heure, je suis en mode automatique. Simplement je ne comprends pas pourquoi je suis entré dans ce délire, dans cette digression qui, au final, ne m'intéresse pas. Oui, je laisse les gens croire au père noël qui les arrange, tant qu'ils ne me gonflent pas avec, qu'ils n'essaient pas de me convertir.

dimanche 28 juin 2015

Cioran, "De l'inconvénient d'être né" I

28 juin 2015


Il est 21h00, toute la journée j'ai dormi, me levant vers 18h00, après m'être couché vers 5h30 du matin. Oui, ne supportant vraiment pas la chaleur, je décale mon rythme de vie, existant lorsque la nuit tombe, que la température devient enfin supportable, et disparaissant, m'évanouissant tout au long de la journée dans de profonds sommeils. Depuis tout à l'heure j'étais dans la lecture de Cioran. J'ai commencé à recopier quelques uns de ses aphorismes, fragments et autres pensées. Ils me serviront pour les prochains articles que je lui consacrerai. Il est au moins l'une de ses pensées dont je vais vous faire part de suite, tant elle me parle, tant elle dit la maladie et ce qu'elle implique, en tout cas pour moi :

« En règle générale, les hommes attendent la déception : ils savent qu'ils ne doivent pas s'impatienter, qu'elle viendra tôt ou tard, qu'elle leur accordera les délais nécessaires pour qu'ils puissent se livrer à leurs entreprises du moment. Il en va autrement du détrompé : pour lui, elle survient en même temps que l'acte ; il n'a pas besoin de la guetter, elle est présente. En s'affranchissant de la succession, il a dévoré le possible et rendu le futur superflu. « Je ne puis vous rencontrer dans votre avenir, dit-il aux autres. Nous n'avons pas un seul instant qui nous soit commun. » C'est que pour lui l'ensemble de l'avenir est déjà là.
Lorsqu'on aperçoit la fin dans le commencement, on va plus vite que le temps. L'illumination, déception foudroyante, dispense une certitude qui transforme le détrompé en délivré. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Et oui, lorsque j'ai appris la présence de mon cancer, j'ai été instantanément un détrompé. Ce fût si brutal que les premiers jours je me pensais dans un leurre, qu'il y avait erreur quelque part. La déception est donc venu en même temps que l'acte, autrement dit la nouvelle, vécue en temps réel, l'attente du pire ou du drame étant devenue néant. Oui, plus aucune consistance n'avait le futur et son lot d'aléas éventuels, les projets et l'attente, voire l'impatience, de la réalisation de ces derniers. Subitement tout était mort, je ne trouve pas d'autre terme, c'était effectivement une succession de fins dans le commencement, c'est à dire dans l'instant présent que je vivais, et aujourd'hui encore il en est ainsi. Si cette déception foudroyante, cette certitude amène une véritable forme de délivrance, cela ne veut pas dire pour autant que cela est agréable, qu'il est aisé de l'accepter, voire de la vivre. Mais quelque soit la chose ou l'être auquel je pense, lorsque je l'imagine le projette demain, ce que j'en vois est déjà sa fin à l'instant même où j'écris ces lignes. Oui, bientôt je serai à Belfort, découvrant mon nouvel appartement, mais cette idée est déjà morte à sa seule évocation, car déjà je suis dans ma fin, ma mort, ce moment où, même si je ne pourrai plus en avoir conscience, je serai enterré dans je ne sais quel cimetière, devenant aussi sûrement que le soleil se lève chaque jour un résidu de poussière qui, à son tour, s'évaporera définitivement. Oui, je ne puis plus être dans le même temps qu'une personne qui n'a pas sa vie en danger, la mort au tournant, l'assurance qu'elle ne vivra plus longtemps. Ainsi, que je pense l'avenir en terme d'instants à venir, de journée, de semaine, de mois ou, dans ma pire folie, d'années à encore vivoter, toutes ces projections ont la même longueur, tout à l'heure ne me semble pas plus proche qu'octobre prochain, je n'attends pas plus de déceptions que de joies à venir, ces émotions n'ayant plus aucun sens puisque je n'ai plus de véritables projets, plus de véritable attente, car quelque part je vis déjà ma mort et, ce, à chaque instant. Vivant ainsi mes instants, mes moments, je le sais, je suis dans la vérité, je vis dans la vérité, même si elle n'explique rien pour autant.

Cela me ramène à une autre citation de Cioran :

« Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient de l'oublier. La peur de la mort n'est que la projection dans l'avenir d'une peur qui remonte à notre premier instant.
Il nous répugne, c'est certain, de traiter la naissance de fléau : ne nous a-t-on pas inculqué qu'elle était le souverain bien, que le pire se situait à la fin et non au début de notre carrière ? Le mal, le vrai mal est pourtant derrière, non devant nous. C'est ce qui a échappé au Christ, c'est ce qui a saisi Bouddha : « Si trois choses n'existaient pas dans le monde, ô disciples, le Parfait n’apparaîtrait pas dans le monde... » Et, avant la vieillesse et la mort, il place le fait de naître, source de toutes les infirmités et de tous les désastres. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Oui, plus le temps passe, défile, s'échappe, plus je réalise que le pire ne se situe pas à la fin, dans l'instant suivant, quoi que me réserve cet instant, y compris la progression de la maladie. Non le pire est bien tout ce qui fut avant, car il n'est que cela, ou à partir de cela, que nous pouvons regretter, voire avoir des remords. Oui, les souvenirs, agréables ou non, sont une plaie. Le pire n'est pas le cancer ou toute autre maladie qui me tuera, car le moment de ma mort sera le seul instant de ma vie dont je n'aurai pas conscience, donc aucun regret ou remord possible. Par contre, le souvenir de l'annonce de ma maladie, le souvenir de tout ce qui s'est ensuivit depuis, physiquement et psychologiquement, est bien la source de mon infirmité actuelle. Aussi, si l'on va au bout de la logique, si l'on accepte d'être honnête avec soi-même, quitte à éprouver de la déception ou une certaine forme de colère devant l'évidence, la naissance est bien le pire des fléau, car c'est elle et elle-seule qui engendre toutes les déceptions que nous vivrons, forcément, car il n'est pas un être, un enfant, qui puisse échapper à ce sentiment. Oui, en pensant que le pire est devant nous, autrement dit notre mort à venir, nous regardons la vie à l'envers, complètement à l'envers. Sans doute est-ce pour cela que nous sommes si souvent stupides, incohérents, ayant régulièrement des raisonnements, des idées sans sens, sans fondements, mais que nous entretenons néanmoins parce qu'elles nous rassurent. Croire que parce qu'un jour nous avons compris que la vie n'avait pas de sens nous a sorti de l'état de l'enfance est un leurre. Encore une fois, tant que l'on ne vit pas dans sa chair, dans son psychisme, sa fin perpétuelle dans le commencement, l'instant présent, on reste un enfant, agissons et pensons comme nous le faisions dans la cour de récréation de l'école primaire. Entrer dans le monde adulte ne nous rends ni plus sage ni plus sensé ni plus intelligent. A chaque étape de notre évolution, que ce soit la petite enfance, l'enfance, l'adolescence, la jeunesse, etc, nous ne faisons que changer de centre d'intérêt, de jeux, mais la manière dont nous concevons la vie ne varie pas tant que cette dernière n'est pas en danger. Ainsi nous sommes prêt à croire à tout et n'importe quoi tant que nous pensons que rien ne peut être pire que la mort. C'est là notre postulat, rien qu'un postulat, malgré que nous ne savons rien du phénomène, de ce qu'est l'état de mort, alors que nous connaissons pertinemment ce qu'est l'état de vie, toutes les déconvenues qu'il génère, et c'est pourtant dans la vie que nous nous évertuons à avoir foi, que nous nous entêtons à n'y voir que du positif.

« A quel point l'humanité est en régression, rien ne le prouve mieux que l'impossibilité de trouver un seul peuple, une seule tribu, où la naissance provoque encore deuil et lamentations. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

samedi 27 juin 2015

Un bon samedi

27 juin 2015


En cette soirée qui débute, quel bilan de cette journée ? Hormis ce matin où j'ai accompagné Cynthia à un labo, prenant ensuite notre petit-déjeuner dehors, au soleil, rentrant chez nous aux alentour de midi, j'ai passé mon après-midi à dormir. Pendant ce temps, Cynthia continuait à prendre des rendez-vous pour des visites d'appartement à Belfort. Donc, d'ici un peu plus d'une semaine, elle devrait être sur les lieux, découvrant ainsi la ville et ses habitants. Lorsque je me suis réveillé, je l'ai alors aidé à commencer à constituer les dossiers que nous devrons fournir aux propriétaires de ces appartements, bref, de l'administratif et encore de l'administratif. Une fois tout ceci fait, j'ai proposé à ma chère compagne d'aller boire un verre en ville. Non seulement elle a accepté, pour ma plus grande joie, mais de plus elle m'a invité à dîner dehors. Pendant que nous buvions notre verre, nous avons également mis au point notre visite du Mont Saint-Michel, visite que nous ferons mercredi prochain. Ce sera là, pour l'un et l'autre, l'occasion de se changer royalement les idées, d'entrer dans un autre univers, presque un univers de légende, et je suis persuadé que Cynthia sera fasciné par la majesté du lieu. Notre voyage se fera en car et, plus qu'en train, nous aurons tout loisir d'admirer les paysages.

Donc aujourd'hui est une bonne journée. Notre emménagement sur Belfort se précise et, de constater que les choses avancent, repose un peu mon esprit, le déstresse. Oui, ce qui me semblait être une montagne n'est enfin de compte qu'un petit monticule à gravir. Notre déménagement de Lyon à Rennes avait démarré bien plus laborieusement, voilà le souvenir que j'en ai.

A présent je suis seul, toujours dehors, Cynthia étant rentrée parce que fatiguée. Du coup, malgré moi, c'est à moi que je pense,  à mon cancer exactement, à ce rendez-vous que j'attends pour ma séance de radiothérapie, me demandant pourquoi il est si long à être fixé.

vendredi 26 juin 2015

Cioran, « Ébauches de vertige » VIII

26 juin 2015


« Signe irrécusable d'inaccomplissement spirituel : toute réaction passionnée au blâme, et ce pincement au cœur à l'instant même où nous sommes visés d'une façon ou d'une autre. C'est le cri du vieil Adam en chacun de nous et qui prouve que nous n'avons pas encore vaincu nos origines. Aussi longtemps qu'on n'aspire pas à être méprisé, on est comme les autres, comme ceux que l'on méprise justement. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Donc prétentieux, pensant que nous sommes supérieur à celui que l'on méprise, que notre destin, notre trajectoire, même si elle moins brillante que celle de ce dernier, est néanmoins plus digne. Oui, nous pensons tous mériter le respect, mais nous n'hésitons pas à écarter d'un revers de main ceux et celles que nous méprisons. Comme nous sommes très fort dans l'exercice de la mauvaise foi, nous n'aurons nul mal à trouver tous les arguments nécessaire à cette discrimination qui, bien souvent, nous plonge dans une extase malsaine. Oui, traîner dans la boue celui que l'on méprise est l'un des sombres jeux préféré de l'humain et, cela, dès l'enfance. Pour ma part, j'ai mis longtemps a accepter que l'on ne m'aime pas, que je puisse être inintéressant pour certains et certaines. Cela m'a pris plus de trente ans, trente années perdue à vouloir systématiquement me venger de qui m'ignorait ou me méprisait. Pour le plus grand bonheur de ma virilité, de ma conception délirante de cette dernière, pas un, pas une n'est resté impuni. Je me vengeai et m'en délectais, entretenant ainsi mon ego dans un couloir à sens unique, ne menant nul part, sinon à aller encore plus loin vers le pire. Oui, c'est bien souvent la peur qui incitait les autres à me respecter, à tout faire pour ne pas me contrarier, époque amplement révolue aujourd'hui, mais époque qui a quand même été. Aujourd'hui, face au blâme ou à la critique de ma personne, je réagis toujours, c'est instinctif, mais rapidement, dans un second temps, je passe tout cela à la trappe, ne m'y intéresse plus et, ce, plus encore depuis que j'ai ma maladie. Est-ce que j'aspire à être méprisé pour autant ? Je ne le pense pas. Par contre une chose est sûre, certaine, je ne cherche plus à être aimé, aimé comme l'on aime un ami ou un autre être cher. Est-ce que je continue à mépriser ? Ma foi, il me semble que oui, qu'il est encore des êtres que je juge inférieurs à moi, non à cause de leurs pensées, mais à cause de leurs actes.



« La conversation n'est féconde qu'entre esprits attachés à consolider leurs perplexités. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

« Réfléchir, c'est faire un constat d'impossibilité. Méditer, c'est donner à ce constat un titre de noblesse. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Et oui, dès lors que l'on entre dans la réflexion, quel qu'elle soit, si vraiment on veut se donner la peine d'aller au fond des choses, rapidement on se rend compte que c'est impossible, que quelque soit le constat où nous sommes parvenu nous pouvons encore aller plus loin dans le questionnement, la décortication, découvrant ainsi qu'il est impossible d'accoucher une bonne fois pour toute de quelque vérité qui soit. C'est pour cette raison que les philosophes écrivent des livres et des livres. Au début il parte d'une question, une seule, et tout le reste de leur vie n'est que tentative d'y apposer une réponse, un point final. La méditation, dans ce contexte, n'est qu'une réflexion silencieuse, soi avec soi-même, avec son interrogation, la maturation de ses réponses, puis les nouvelles questions qu'elles engendrent.



« Tout projet est une forme camouflée d'esclavage. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Qui a un projet souhaite que ce dernier se réalise. A partir de là, il ne peut que devenir esclave de son désir, de son souhait, car tout ce qu'il entreprendra, qu'il échoue ou non, sera fait pour aller dans le sens de la réalisation de son projet. Mais qu'est-ce qu'un projet, sinon une projection, une projection dans le futur, dans ce moment dont nous ne savons même pas si nous le connaîtrons, la mort nous fauchant peut-être avant. Il est bien hasardeux de se projeter ou de projeter quoi que ce soit, de se faire Nostradamus. Cependant, parce que la nature nous a ainsi conçu, parce que notre cerveau fonctionne comme il fonctionne, nous ne pouvons avancer qu'en nous projetant, même si c'est le pire qui est envisagé. Ainsi, même du pire, celui qui nous fait du mal, nous pouvons en devenir l'esclave, entretenant volontairement ou non telle vision pénible de la chose ou de l'état. C'est ainsi que démarre bien des dépressions ou, au contraire, des exultations à l’excès. Oui, notre état mental dépend entièrement de nos projections, de nos projets, de l'importance que nous donnons ou non à la réalisation de ces derniers. Se sentir inutile aujourd'hui et penser qu'on le sera également demain et encore après, état dépressif par excellence, c'est s'asservir à sa projection, être esclave d'un projet, celui de n'être plus rien, de disparaître du paysage, de se faire oublier.


« La vieillesse, en définitive, n'est que la punition d'avoir vécu. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Cela concerne tout le monde, sans exception, du nouveau-né au centenaire. Tant que notre corps ne nous signifie pas clairement que nous vieillissons, nous nous croyons éternel quelque part. Mais dès le départ le vieillissement est à l’œuvre, en sous-sol, et parce que nos modestes sens ne le sentent pas, ne l'éprouvent pas, nous n'avons pas l'impression de vivre une punition, mais une chance. Oui, bébé nous ne pouvions bouger de notre place. Puis un jour nous marchâmes à quatre patte, puis nous nous mimes debout, puis avons appris à courir, sauter, autant de facultés nouvelles que nous étions enthousiastes de posséder. Cependant, parallèlement, le temps œuvrant, passant, allant, notre vieillissement se poursuivait inexorablement. La maladie, le handicap soudain, n'est qu'une accélération du vieillissement. C'est seulement alors que nous réalisons qu'il n'est rien d'éternel dans notre corps, que ce dernier poursuit sa route indépendamment de notre volonté, de notre souhait. De même, si nous pouvons retarder l'heure de notre mort grâce à la médecine, nous ne pouvons rien faire contre le vieillissement qui, lui, va à son rythme, selon chacun, imperturbable. Peut-être qu'un jour connaîtrons-nous une nouvelle révolution médicale qui permettra d'enrayer le phénomène de  vieillissement.

D'aucuns, dans cette définition de la vie selon Cioran, n'apprécieront pas qu'il emploi le terme de « punition ». Je comprends ceux-là, parfaitement même, car cette définition ne peut parler qu'à des personnes qui ont le sentiment, à tort ou raison, que la majorité de leur vie, voire toute leur vie, n'est qu'une espèce d'échec. Ainsi, il est clair qu'au moment de faire le bilan, si vous êtes satisfait de ce que vous avez vécu, au moins dans l'ensemble, la vie ne peut être une punition. Certains, les croyants par exemple, vous diront même que c'est une chance. Pour ma part, je ne sais trop où est la vérité dans tous ces sens que l'on peut donner au mot « vie ». Là encore, chacun regarde à sa porte, fait ses constats, rédige ses deux colonnes, celle des bons moments, celle des mauvais moments, observe la courbe de la balance, puis se fait son opinion sur son existence. Mais il est impossible de faire tout ce travail sans s'interroger sur le sens de l'existence, et donc de la mort. Pour Cioran, la mort serait donc une forme de punition, car il n'a pas trouvé de sens à la vie et, sans doute, de sens à sa propre vie en conséquence.

Un jour je lirais une biographie sur cet écrivain pour connaître ce qu'a été sa vie. En l'état je ne la connais que dans les grandes lignes, mais avec plus de détails à ma portée, peut-être comprendrais-je mieux l'homme et, en conséquence, les raisons de sa forme de pensée. Oui, comme Michel Onfray, je pense que l'on ne peut pas dissocier une œuvre de la vie de son auteur, que les deux sont inextricablement liées.

Fin de semaine

26 juin 2015


Enfin nous sommes en fin de semaine, une de plus qui a passé, une en moins a enduré avant mon rendez-vous avec ma mort. Je sais, sans doute allez-vous vous dire que ce soir, comme souvent, je ne suis pas très gaie. Et pourtant tout va bien, je vous l'assure, puisque je suis ravi de cette semaine qui se termine.

Aujourd'hui les recherches d'appartements sur Belfort ont débuté. Cynthia a déjà des rendez-vous pour des visites. Elles devraient avoir lieu dans deux semaines et je pense qu'elle n'aura que l'embarras du choix. Effectivement, pour les visites je ne serai pas avec elle et m'en remettrai, comme cela a été le cas pour notre logement à Rennes, à son seul jugement.

Depuis deux jours je me découvre un nouvel intérêt pour la philosophie, papotant virtuellement avec d'autres sur tout et rien. Combien de temps cette nouvelle lubie durera-t-elle, là est la question, car je vois bien que régulièrement je change d'humeur, d'état d'âme, et que mes centres d'intérêts varient en conséquences. Certains passent complètement à la poubelle tandis que d'autres, telle la philosophie, ressurgissent. Je pensais pourtant l'avoir définitivement enterré, ne trouvant plus d'utilité à refaire le monde ou quelques unes de ses parties puisque mon monde, le cancer, m'apportait une réponse claire et définitive quant à mon sort. Cependant, concernant les échanges philosophiques que j'ai avec certaines personnes, les débats ne volent pas très haut à mon goût. Oui, je trouve qu'ils ne vont pas assez loin dans la recherche, dans l'analyse, et arrête bien souvent leur raisonnement trop tôt en conséquence, alors que pour eux-même il n'est pas encore clair. A leur décharge, comme tout cela se passe sur facebook, il est vrai que ce n'est pas le meilleur des supports pour ce genre d'exercice. Dans le passé, avant de connaître Cynthia, j'étais inscrit et participais sur des forum entièrement dédié à la philosophie. Je me souviens que là, le support étant adéquat, fait pour les échanges écrits longs, j'ai passé de bons moments. D'ailleurs, c'est suite à la rencontre virtuelle d'un autre de ce monde que j'avais écrits à l'époque un article s'intitulant « Le trou du cul ». C'était l'époque de mon tout premier blog, époque où j'ai découvert Zazou puis, quelques mois plus tard, c'est Cynthia qui vint me laisser un commentaire sur ce fameux article. Oui, c'est ainsi qu'a commencé notre relation. A mon tour j'ai été sur son blog, ai découvert son verbe acide et, de suite, elle m'a plu. C'est inexplicable, incompréhensible, mais je savais que j'avais là une espèce de partenaire. Partenaire de quoi ? Je n'en savais strictement rien, mais je savais que quelque part nous étions sur la même longueur d'onde, restait à trouver laquelle.

Il est donc 20h30, je suis place Sainte-Anne, toujours assis à une terrasse de café, attendant que la chaleur tombe encore. Oui, la chaleur m'assomme littéralement, m'endort, et même si ce matin je me suis levé tôt et ne me suis pas recouché, il en a été tout autrement après le déjeuner où, là, j'ai fait une sieste de quatre bonnes heures. Je ne sais si je vais dîner ou non ce soir. Hier soir j'ai dîner dans une crêperie, car je n'avais pas envie de rentrer m'enfermer entre quatre murs et, de plus, il faisait encore plus chaud que ce soir. Préférant sentir le peu d'air frôler mes bras, je suis donc resté dehors et, à priori, je pense qu'il en sera de même ce soir, crêperie en moins.

jeudi 25 juin 2015

Vie éphémère

25 juin 2015


Vie éphémère, dont je ne profite pourtant pas dans l'instant présent, sentant lentement monter en moi, sinon l'ennui, tout au moins la monotonie. En ce moment, cet instant, j'aimerai savoir que je vis mes dernières heures, mon dernier jour. Cela en serait alors fini de l'attente, cette inlassable attente qui me traîne comme des chiens tirent un traîneau, m'amenant vers le trou, l'abîme, la fin certaine. Oui, en ce moment de plein chambardement, où tous les jours à venir, ou presque, vont être consacré au déménagement, déménagement dont je n'ai nullement le désir de m'occuper parce que je ne m'en sens pas la force ni l'envie, tout simplement. Oui, si je m'écoutais je resterai ici, sur Rennes, irais voir une assistante sociale à la mairie pour qu'elle m'aide à trouver un foyer qui m’accueille. Ainsi je n'aurai strictement rien à faire, sinon attendre, toujours attendre ma fin, seule chose en laquelle je crois à présent, contrairement à hier où je croyais aux constructions. Un déménagement est une nouvelle construction, toujours, même si l'on déménage à dix mètres. En l'état, aucune construction ne m’intéresse plus, qu'elle me concerne ou non. Oui, en ce moment je suis dans ma maladie, pensant chaque jour à ma nouvelle métastase, à ce cycle infernal qui n'en finit pas, où régulièrement elles se reproduisent, m’abîmant le cerveau, usant mes facultés intellectuelles, m'empêchant de plonger entièrement dans des relations, à commencer par celle qui me lie à ma compagne, compagne dont je m'éloigne, tout du moins dans ma tête, comme s'il n'y avait plus de place dans mon crâne pour de nouvelles choses, de nouveaux moments. Oui, j'ai la tête pleine alors qu'aucun problème lié au quotidien ne vient l'emplir, la remplir d'aléas ou de tracas.

Alors je pense à la mort, non la mienne spécifiquement, mais à la mort en général. C'est un sujet qui me plaît, le seul que je trouve digne d'intérêt et, ce, bien avant l'amour ou je ne sais quoi d'autre. Cet intérêt ne date pas d'aujourd'hui, il remonte à mon adolescence, lorsque pour la première fois je me suis demandé à quoi il servait de vivre puisque l'on devait mourir. Je crois que toute ma vie, tous mes actes, tous mes choix, tournent autour de cette simple question. Cioran y donne des réponses simples, peut-être est-ce pour cela que je l'apprécie autant. Oui, il n'épilogue pas des pages et des pages, comme le ferait un philosophe ou un intellectuel, il va droit au but, prends le chemin le plus court, et après libre à chacun de réfléchir ou non sur les lignes droites qu'il nous suggère.

Il est 20h00 et j'ai face à moi des tables entières où des gens dînent, se restaurent, entretenant par là leur vie. Ce soir, je trouve cela dérisoire. Oui, là encore ils ne font que retarder le moment inéluctable, le moment de leur fin, mais aucun ne pense à cela en plantant sa fourchette dans son assiette. Parfois je me dis que chacun devrait y penser tous les jours, au moins une fois, se pencher sur le problème, le phénomène. Si cela était ainsi, peut-être serions-nous moins cons les uns envers les autres, moins centré sur nous-mêmes, sur notre nombril. Pourtant, moi qui y pense chaque jours depuis presque deux ans, je lorgne sur mon nombril, ne pouvant donc voir le reste, car je ne peux regarder partout à la fois. Oui, ce soir, peut-être effet de la chaleur qui m'assomme, tout me semble comme un fardeau, quelque soit la pensée qui me traverse. Ce n'est pas un bon jour, je le sais, les manifestations, l'humeur de mon esprit me le dit. Ce soir je suis déçu d'avoir peur de mourir. Si cela avait été autrement, je préparerai mon suicide pour l'heure qui suit, histoire d'en finir une bonne fois pour toute. Mais j'ai peur. Alors je dois patienter, encore une fois, attendre que la maladie ou autre chose m'emporte loin de vous tous, de ce monde, de ses futilités, de sa bêtise, de ses contraintes.

Oui, je ne suis pas joyeux ce soir, mais je m'en fou, cela m’ennuie, mais ne me peine pas.

Limitation

25 juin 2015


Réveil, 17h30 pourtant, j'ai dormi toute la nuit et toute la journée, à croire que cette semaine était vouée à ce rythme. Aujourd'hui Cynthia a passé son oral, elle a présenté la soutenance de son mémoire afin de valider définitivement ses études, obtenir le fameux sésame, le diplôme qui lui permettra enfin d'être professeur titulaire, à vie si elle le désire. A côté de ça, sa sœur aînée s'est faite opérer hier. On lui a enlevé des calculs qui se trouvaient je ne sais trop où dans le bas-ventre. Ce soir elle sera rentrée chez elle. Oui, ce n'est plus comme avant dans les hôpitaux. Aussitôt traité, aussitôt remis dehors si votre état le permet un tant soit peu.

Ici, sur Rennes, il fait une grosse chaleur. D'habitude je porte toujours mon manteau, quelque soit la température. Aujourd'hui, bien que je sois à l'ombre, je l'ai ôté, suis en tee-shirt et attends patiemment que la température redescende un petit peu. Parce que je viens de me réveiller, mon esprit tourne vraiment au ralenti. La chaleur n'aide pas ce dernier à s'éveiller. Je regarde les gens passer, mais leurs mouvements me fatiguent, exigent trop de concentration de ma part. Alors je préfère me remettre à écrire, c'est moins fastidieux, surtout que je n'ai rien à penser.

Bientôt j'aurai fini la lecture du livre de Cioran, « De l'inconvénient d'être né ». Je me demande lequel lui succédera. Parmi toutes les annotations que j'ai pris, je me demande également desquels je me servirai dans les articles qui lui sont dédiés. Mais bon, chaque chose en son temps et je verrai ça en temps et en heure, comme le dit la maxime.

A côté de ça, que fais-je d'autre de mes journées en ce moment. Depuis hier je participe activement à des échanges philosophiques via le groupe « les amis de Michel Ongray » sur facebook. Cependant, parce que cela exige beaucoup de concentration de ma part, j'y participe un quart d'heure ou deux, puis décroche, revenant alors le lendemain.

Et ce soir, là, maintenant, comment est-ce que je me sens ? Et bien toujours au radar. Dans un sens j'ai envie de rentrer chez moi, ne trouvant nul intérêt à rester dehors, mais si je rentre, que vais-je faire dans la maison. Oui, je suis tellement au radar que je ne me sens même pas en état de regarder l'émission de TV la plus con qui soit. A côté de ça il fait bon dehors. Si mon esprit était plus alerte, je ferai un article sur Cioran, mais je ne pourrai entrer dans la réflexion dans laquelle ses écrits m'entraînent. Oui, je me retrouve bien limité aujourd'hui...

mercredi 24 juin 2015

Bientôt Belfort

24 juin 2015


Aujourd'hui à Rennes, c'est la grande braderie, la plus grande de France après celle de Lille d'après ce qui se dit, je vous laisse donc imaginer le nombre de personnes qui circulent dans les rues. Pour ma grande chance, les stands de la braderie sont absent de la place Sainte-Anne, ce qui n'empêche pas qu'il y ait également du monde, mais c'est déjà plus gérable pour mon esprit. Comme hier j'ai dormi presque toute la journée, me réveillant vers 15h30. A présent il est 17h00 et, comme à mon habitude, je suis donc attablé à une terrasse de café. Depuis hier l'été a vraiment pris pied sur la ville. Il y fait très chaud, y compris à l'ombre, et le vent presque absent. Lui ne se lève que le soir, vers 20h00 ou peu après.

Comme hier, Cynthia est à cette heure à son lycée, surveillant les épreuves du BAC français. Rien de passionnant en soi, mais il faut le faire. Ce soir, parce qu'elle rentrera plus tard qu'hier, elle ne viendra pas me rejoindre au café. Pour ma part, je me demande combien de temps je vais y rester, car l'ambiance de la braderie, les hauts-parleurs tout les cinquante mètres pour promouvoir tel ou tel stand, tel ou tel article, fatiguent mes oreilles et, en conséquence, j'ai du mal à me concentrer sur ce que j'écris.

Avec une certaine impatience, j'attends ma convocation pour ma séance de radiothérapie. J'ai été au courrier tout à l'heure, mais rien, aucune lettre de l'hôpital. Je pensais qu'il ferait ça en urgence, pendant que la métastase était petite, donc plus facile à éradiquer, à tuer, tout au moins dans la théorie. Mais non, rien, c'est le calme plat côté médecine. Ce matin ma sœur m'a appelé pour prendre et donner des nouvelles. La conversation a été courte, peut-être cinq minutes, mais amplement suffisante pour moi afin qu'elle me soit agréable, non contraignante. De même, cela me rappelle que j'ai dis à mon frère que je l’appellerai cette semaine. Peut-être vais-je le faire maintenant, pendant que j'y pense. Le problème est que je ne sais quoi lui dire.

Depuis quelques jours, depuis que j'ai intégré que j'allais habiter Belfort, je regarde les rennais autrement, ainsi que la ville. Depuis le début, c'est à dire en septembre dernier, date de mon emménagement dans la ville, je ne me suis jamais senti m'y installer. Oui, je savais que j'étais uniquement de passage, pour un temps donné, mais j'ai quand même pris le temps d'essayer de m'imprégner de l'atmosphère de la ville, de me mêler à ma manière à la vie locale en allant chaque jour dans des cafés différents, rencontrant ainsi différents gérants de bar, différents serveurs et serveuses, prenant mes habitudes dans trois ou quatre café. De même, j'ai vite voulu m'habituer au climat breton, le comprendre rapidement, afin de me sentir à l'aise avec lui. Cette acclimatation se fit vite. Mais maintenant que je sais que je vais devoir quitter tout cela, je crois que je ne regarde plus vraiment personne. Ou, plus exactement, je me sens à nouveau comme un touriste, comme en septembre dernier, ne cherchant plus à en savoir plus, à comprendre qui se trouve face à moi, à interpréter leur manière de vivre. C'est comme si, dans ma tête, j'étais déjà parti, ou tout au moins sur la route, celle qui mène à Belfort. Du coup, je me sens de moins en moins dans mon élément à Rennes, ce qui est bien dommage, surtout qu'à Belfort, je le crains, le cadre de vie sera beaucoup moins agréable et, surtout, moins pratique. Mais peut-être suis-je dans l'erreur et que là-bas je trouverais chaussure à mon pied.

Bref, en ce moment il n'y a pas mal de chamboulement dans ma tête, à commencer par mes humeurs variables, le sentiment de devenir, lentement mais sûrement, de plus en plus étranger à Rennes, le déménagement à venir, les cartons que je vois déjà s'entasser, l'appartement se vider, puis le départ pour emménager à Belfort, la découverte de ce que sera mon nouvel appartement lors de l'état des lieux et, entre le déménagement et l'emménagement, peut-être y aura-t-il également un arrêt d'un jour ou deux chez mes beaux-parents, à Lyon. Après, une fois installé à Belfort, il faudra que je reprenne contact avec le centre Léon Bérard pour être à nouveau suivi par eux pour mon cancer. Donc dès septembre ou, au plus tard, octobre, je devrai prendre le TGV pour rencontrer mon oncologue et faire le nécessaire pour que mon dossier médical soit transféré de Rennes à Lyon. Les examens, IRM, Scanner, etc, je les ferai sur Belfort, mais les soins se feront tous sur Lyon. Donc en ce moment je me sens en transition, ayant l'impression de n'avoir aucun endroit où me poser réellement, complètement, et j'avoue que cela m'indispose un petit peu.

mardi 23 juin 2015

Mémoire

23 juin 2015


Mémoire, laisser une trace, écrire en ce sens, dans ce but, mais une trace pour qui et, surtout, pourquoi faire ? Immédiatement je pense à ma fille qui, peut-être, lira tout ceci un jour. Mais j'en doute, il y en a trop, trop d'écrit, qu'ils soient sous formes de fichiers dans mon PC ou manuscrits dans mes cartons. Même si elle les lisait, que cela lui apprendrait-il réellement, à quoi lui servirait mes tergiversations, mes interrogations, mes réponses, mes coups de gueule ou de blues, mes poèmes et tout le reste ? Cependant, ne pouvant accepter l'idée que ma vie n'aura strictement servi à rien, chose pourtant exacte, tangible, bel et bien réelle, je m'acharne à laisser une trace à travers mes écrits. Hier, je faisais de même avec les morceaux de musique ou les chansons que je créais. Tous ils sont là également, dans mon PC. Ma fille a ces morceaux, je le lui ai gravé sur CD. Les écoute-t-elle parfois encore ? Là aussi j'en doute. Par contre, après ma mort, je pense que parfois elle les écouteras, une manière comme une autre d'être avec moi les moments où je lui manquerai. Et Cynthia, que fera-t-elle avec ces morceaux, avec ma musique ? Certainement la même chose. Et mes écrits, à quoi lui serviront-ils ? Ils seront également un souvenir, tel un objet auquel on tient et que l'on range soigneusement dans une boite, un petit coffre ou un tiroir. Oui, partir de ce monde avec l'idée de n'être plus rien pour les survivants, de devenir uniquement du vide, comme ça, brutalement, brusquement, ne me convient pas. Je le sais, l'entends bien, c'est mon ego qui parle, s'affirme un peu plus encore, fidèle à la maxime avec laquelle nous sommes tous et toutes conditionnés, autrement dit être quelqu'un, le devenir, être tout sauf un raté, un déchet, quelqu'un que l'on ignore. Oui, peut importe que l'on nous méprise, que l'on nous honni dès lors que nous sommes considéré comme quelqu'un et non comme une merde, cela suffit à satisfaire pleinement notre ego.

Je pense souvent à ma fille, tous les jours d'ailleurs, et je suis content qu'elle m'appelle souvent. Ce soir encore je l'ai eu au bout du fil. Malheureusement je n'étais pas très réveillé, mon esprit n'était pas alerte et, en conséquence, je n'ai pas eu grand chose à lui dire. Alors, comme c'est le cas le plus souvent, je l'ai écouté me raconter sa petite vie. Aujourd'hui elle m'a appris que sa mère fumait occasionnellement, m'expliquant qu'elle ne comprenait pas ce comportement vu que mon cancer est cause du tabac. Ma fille était passablement remontée en me racontant tout cela. Aussi, une fois de plus, je lui avouais que les adultes ne faisaient pas toujours des choses intelligentes, qu'ils commettaient également des erreurs, comme les enfants. Ma fille m'a aussi dit qu'elle aimerait être oncologue plus tard. Comme quoi, le cancer, ma personne, la taraude, mais je ne sais à quel point. Puisse-je vivre le plus longtemps possible, au moins jusqu'à ce qu'elle atteigne un âge mûr, vingt ou vingt-cinq ans, c'est tout ce que je demande, même si cette demande est quelque part énorme, car elle signifierait que je vive encore plus de dix ans, que mon cancer se calme un peu ou que la médecine fasse des progrès si spectaculaire qu'elle le résorbe, voire l'éradique. Mais bon, si je m'écoute honnêtement, je sens bien que tout cela n'est que vœux pieux. C'est d'ailleurs de cela que je discutais avec mon psychiatre ce matin. Oui, je lui ai dit que je me retrouvais face à un dilemme, face à un pari à faire sur l'avenir. J'avais le choix entre entretenir ou non l'espoir, celui de durer évidement, car je ne pouvais plus rester dans la position où j'étais. Soit je refusais de croire que je durerai encore longtemps, ce qui est ma position actuelle, soit je m'autorisais à espérer que je vivrai au moins cinq ans encore, voire plus. De fil en aiguille, j'en suis arrivé à la conclusion que je n'avais rien à perdre à espérer, même si cela m'embrigade dans une forme de pensée que je dénonce, celle de l'illusion, car en l'état mon cancer ne me donne aucun signe quant à un apaisement à venir, un ralentissement de sa progression. Oui, me décider à espérer, à entretenir un espoir, serait peut-être sensé pour préserver mon moral, mais en aucun cas ce ne serait une décision sage. Effectivement, la sagesse devrait plutôt m'inciter à la prudence dans mes projections et non à ouvrir grand mes bras à la première belle idée venue, aussi réconfortante soit cette dernière. Cependant, suis-je un être raisonnable dans les actes ? Je sais bien que non, même si j’essaie de l'être le plus souvent possible. Aussi je me dis que je vais peut-être m'autoriser cette folie, celle de croire que je vais durer bien plus longtemps que je ne l'imagine à ce jour, ce qui me permettrai enfin de me projeter avec moins d'embarras, moins de culpabilité. De même, je pourrai également me permettre de me visualiser avec Cynthia ou ma fille dans quelques années, nous voyant côte à côte entrain de faire je ne sais quoi. Oui, tout ceci je me le suis interdit jusqu'à présent. Même au jour d'aujourd'hui j'ai du mal à me visualiser à Belfort avec Cynthia, dans cette nouvelle vie qui va pourtant être la nôtre. Oui, un petit mois me semble encore une éternité, comme si c'était une période que je ne pouvais atteindre,car d'ici-là tant de choses peuvent survenir, surtout des choses en rapport avec ma maladie.

Quoi qu'il en soit, même si encore aujourd'hui j'ai dormi presque toute la journée, ne me réveillant que vers 17h00, je sens que mon moral remonte petit-à-petit. Cependant je ne me leurre pas, je sais également que le fait d'avoir augmenté les doses de calmants n'est pas étranger à ce phénomène. Mais il m'importe peu de me droguer si le résultat est là, probant, me donnant l'envie de certaines choses, comme nourrir l'espoir par exemple, car à mes yeux c'est comme prendre de la morphine pour contrecarrer une douleur. De même, toujours pour mon plus grand plaisir, Cynthia est venue me rejoindre au café ce soir, vers 18h30, puis vers 20h00 nous sommes rentrés afin de dîner ensemble, événement plutôt rare ces derniers temps. Oui, j'aime passer du temps avec elle, mais cela l'oblige à converser, à meubler le vide puisque pour ma part, je ne parle pour ainsi dire pas. De même, n'ayant pas de projet ou de cause à défendre, je n'ai là-aussi rien à dire. Alors je l'écoute, ce que j'aime faire, et peu importe de quoi elle me parle. Oui, à chaque fois ce sont des moments agréables pour moi, même si je ne sais ce qu'il en est exactement pour elle. Elle s'ouvre à moi, marque de confiance, et cela ne peut que me faire plaisir.

lundi 22 juin 2015

Inspiration absente

22 juin 2015

Panne sèche, pas d'inspiration, je n'ai même pas envie d'écrire, de raconter quoi que ce soit, mais comme je ne veux pas sentir l'ennui m'envahir petit à petit, pas plus que je n'ai envie de rentrer chez moi pour comater devant la télévision, je prends sur moi pour rédiger quelques lignes. Pourtant des choses j'en aurai à raconter, à narrer, à commencer par la soirée d'hier soir, jour de la fête de la musique, que j'ai passé entièrement aux côtés de Cynthia, allant d'un groupe de musiciens à l'autre. Tous étaient concentrés dans le centre ville, ce qui donnait parfois un  paysage sonore insupportable à écouter tant les différents styles musicaux mêlés ne s'accordaient pas entre eux. A deux ou trois reprises nous nous sommes assis pour boire un verre, nous poser un petit peu et avons également manger des crêpes. Oui, c'était soir de fête et cette soirée en compagnie de Cynthia m'a bien changé les idées. Pour vous dire, si je pouvais la revivre en cet instant, c'est sans hésiter que je le ferai. Oui,j'ai oublié un peu mon cancer, ma maladie. J'ai également profité de la présence de Cynthia, autrement que comme d'habitude. Là, c'est comme si enfin je la voyais à nouveau, plus à travers mes loupes cancéreuses qui déforment les images. Oui, j'ai senti sa présence et, du coup, je ne me sentais plus seul. Là encore, il n'y avait pas deux corps à part, mais comme un seul corps, notre couple, nous. Je vois encore son sourire, sa joie d'avoir été là, et si je pouvais revivre cette soirée, c'est sans hésiter que je le ferai. Cette nuit de la musique, Cynthia à mes côtés, m'a remonté le moral, m'a fait un peu oublié ma maladie,le cancer. Cela a donc fait du bien à ma tête et, aujourd'hui encore, j'ai l'esprit plus léger que ces derniers jours.

Aujourd'hui je n'ai pas fait grand chose. Ce matin j'ai été faire ma prise de sang de contrôle pour savoir où en était mon cœur. Les résultats sont probants. Lentement mais sûrement tout se résorbe. Ensuite, vers 10h00, je suis rentré chez moi pour me recoucher. Ce n'est que vers 16h00 que je me suis réveillé à nouveau. Après j'ai été sur internet pour me renseigner un peu plus sur Belfort, ville où nous allons probablement habiter. D'après les renseignements que j'ai glané à droite et à gauche, les hivers vont être rudes par là-bas. De même, il pleut souvent dans cette région, presque autant qu'à Brest, c'est vous dire. Néanmoins, si Cynthia s'y plaît, alors cela me conviendra. Elle veut s’acheter un scooter, le temps de passer son permis de conduire et d'investir dans une voiture. Voilà, je me retrouve au sein de projet d'une personne normale, valide, saine, en bonne santé, des projets qu'elle compte bien concrétiser d'une façon ou d'une autre, sachant que si ces derniers ne l'étaient pas elle serait déçue. Moi, je regarde cela de loin, je la laisse faire, ne me sens pas concerné par ces derniers dans ce sens où s'ils disparaissaient du jour au lendemain, cela me laisserait complètement froid. Oui, la seule chose importante qui m'a intéressé sur Belfort, ce sont ses hôpitaux. Comme je le craignais, ils n'ont pas le matériel dernier cri pour la radiothérapie, autrement dit le Cyberknife. Je suis donc d'avis que je retournerai me faire suivre à Lyon, au centre Léon Bérard, là où je me suis fait opéré, là où l'on m'a retiré le lobe supérieur de mon poumon droit, ce qui explique en partie mon essoufflement quasi-continu, que je marche au rythme d'une tortue et qu'aujourd'hui encore, un an après, je sens toujours des douleurs dans mes côtes. C'est aussi là-bas que j'ai eu le droit à ma première séance de radiothérapie, alors que je n'avais qu'une seule métastase au cerveau. Cette dernière est morte depuis, mais trois autres ont pris le relais à ce jour.

Je pense à demain matin, à mon rendez-vous avec mon psychiatre. Qu'est-ce que je vais lui raconter, de quoi allons-nous parler ? Je me le demande bien. Je poserai sur la table mon humeur de ces derniers temps, cela est certain, mais je ne vois pas quel type de conversation il pourra sortir d'un tel sujet. Lila m'a dit que bien souvent les tumeurs au cerveau jouaient sur nos humeurs. De cela je m'en serai bien douté, mais jusqu'à quel point jouent-elles sur notre état d'esprit. De même, s'il est avéré que les lésions, les tumeurs ou les métastases jouent sur l'humeur, y a-t-il des traitements médicaux pour cela, des médicaments pour limiter les dégâts, des médicaments spécifiques autres que les psychotropes ? Là aussi je vais aller fouiller sur internet pour voir de quoi il en est.

Sinon, je suis entrain de me dire que j'ai bien de la chance d'avoir la compagne que j'ai, véritablement.

dimanche 21 juin 2015

Extase de la naissance

21 juin 2015


Métastase, extase de la naissance, vie qui se révèle et se développe à fond dans mon cerveau, pas loin de ses deux autres sœurs qui, elles, n'ont pas dit leur dernier mot. Une fois de plus, à l'annonce de la présence de cette nouvelle métastase, j'ai encore présumé de mon moral, de ma faculté de relativiser cette sombre apparition, ce mauvais signe du destin, mauvais car c'est ma vie qui est en danger, ni plus  ni moins, oui, ma vie. Cela fait presque un mois que j'ai appris la nouvelle et, depuis, je dois l'admettre, le moral tombe, roule sur une pente qui décline et, bientôt, si sa progression vers le bas n'est pas freinée, voire stoppée, alors je m'affalerai par terre, tel un corps mort gisant sur le bitume. Donc oui, je dois me l'avouer tête basse, piteux, presque honteux, l'inquiétude commence à me submerger. Chaque jour elle s’empare un peu plus de moi, de mon esprit, et quoi que je me dise, quoi que je cherche ou trouve de positif, rien n'y fait, elle reste fidèle au poste et continue son processus de sabotage de la foi, de l'espoir. Dire que tout cela n'est qu'un jeux, funeste, mais un jeux néanmoins, celui de la vie et de tous les aléas qui l'accompagne, qu'elle dispense sous nos  pas, et après à nous de nous démerder avec.

Chaque jour je pourrai écrire sur le cancer, toujours j'aurai quelque chose à en dire. Mais je le fais déjà, sur ce blog, car derrière tout ce que je raconte, c'est bien lui le sujet, le maître à bord, et mon esprit ne peut l'éviter, il est obligé de l'accompagner malgré lui, de constater sa progression, son évolution et parce que le cancer est un chemin mortel, comment voulez-vous que l'inquiétude ne soit pas au rendez-vous, quasi-constante, même si nous parvenons à l’enfouir plus ou moins profondément, à l'occulter pour quelques instants seulement ? Depuis une semaine, cette dernière me revient en pleine gueule. Je suis sur un ring et elle ne cesse de me frapper, un coup droit, un coup gauche, et moi, complètement sidéré, hébété, je ramasse tous ses coups, n'ayant même pas le réflexe d'essayer de les éviter car, très consciemment, je réalise que c'est inévitable, que je ne peux leur échapper. Oui, cela en devient déprimant tellement c'est désolant de justesse, de vérité, de réalité. Le cancer est là, bel et bien là, et je n'ai aucun choix dans cette histoire. Du coup j'emmerde encore plus qu'auparavant la philosophie et ses notions de liberté. Quelle foutaise que cette idée, il ne faut pas être malade pour y croire, cela est certain. Néanmoins, parce que nous sommes toujours là, de ce monde, nous devons faire avec cette fatalité, moi y compris. Mais c'est difficile, il n'y a pas de répit, pas de temps mort, chaque mois a son lot de nouvelles déconvenues, que ces dernières soient en rapport avec la maladie elle-même, les soins ou les effets secondaires que tout cela engendre. Même dormir est un faux sommeil. Il n'est pas récupérateur ni réparateur. Pourtant, l'endormissement est mon moment préféré de la journée, à croire que je ne vis chaque jour que pour cet instant. Oui, là, tout s'éteint enfin dans ma tête, tout au moins ma partie  consciente. Celui que je crois être disparaît, il se fond dans le néant, le vide, l’insondable. Mon esprit est alors comme mort et je veux croire que la mort ressemble à ceci, à l'extinction de la pensée, à la perte de mes cinq sens.

A présent j'attends dans l'anxiété ma convocation pour ma séance de radiothérapie. Oui, je suis dans l'anxiété, car je ne sais quel bénéfice j'en tirerai, car je sais que si même bénéfice il y a, cela n'empêchera pas la destruction, ou tout au moins des endommagements dans mon cerveau. A quel point la présence de ces merdes jouent-elles sur le fonctionnement normal de mes neurones ? Je me le demande régulièrement. Déjà je ne peux plus écrire convenablement, mes phrases sont vite illisibles et c'est en lettres capitales que je dois les finir, histoire d'y comprendre quelque chose après-coup. Voilà l'un des effets d'une métastase dans le cerveau. Alors je m'interroge, comme d'habitude, sur leurs effets sur mon humeur, ma capacité à gérer ou non mon moral. Depuis leur présence dans mon cerveau, j'ai perdu la faculté de me concentrer longuement. Tout effort intellectuel m'épuise très rapidement. Pour cette unique raison, je ne peux plus suivre un film, ne peux plus soutenir une conversation et c'est à peine si je peux écouter un monologue de quelques minutes seulement. Oui, tout cela m'épuise, je le sens dans ma tête, je le sens qui s'affaisse, qui tombe comme un pot de fleur tomberait d'un balcon.

Donc je suis dans l'inquiétude, soit, mais de le savoir ne me mène nul part en l'état. Alors je recommence à prendre plus de calmant que d'habitude, c'est pas grave, car je ne peux rester des journées entières dans cet état où se mêlent peur, stress et angoisse.

« Nous oublions le corps, mais le corps ne nous oublie pas. Maudite mémoire des organes ! »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

« N'importe quel malade pense plus qu'un penseur. La maladie est disjonction, donc réflexion. Elle nous coupe toujours de quelque chose et quelquefois de tout. Même un idiot qui éprouve une sensation violente de douleur dépasse par là l'idiotie ; il est conscient de sa sensation et se met en dehors d'elle, et peut-être en dehors de lui-même, du moment qu'il sent que c'est lui qui souffre. Semblablement, il doit y avoir, parmi les bêtes, des degrés de conscience, suivant l'intensité de l'affection dont elles pâtissent. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Oui, la maladie nous ramène sur terre, nous fait illico presto redescendre du ciel, et plus encore quand cette dernière est mortelle. Le ciel, ce sont nos illusions, le monde illusoire que chacun s'est bâti, construit, pensant que telle chose est ainsi et telle autre autrement. Plus il prend à cœur son monde illusoire, plus la chute est terrible lorsque la maladie mortelle surgit, survient. Oui, la maladie est une disjonction, un décollement soudain de la pensée, de la réflexion, mais non pour monter plus haut vers je ne sais quel rêve, mais bel et bien pour s'embourber les pieds dans le marécage où elle nous plonge, inexorablement, inévitablement, car lorsque le corps souffre, rien ne peut nous le faire l'oublier. Nous sommes alors spectateur de notre douleur, nous ne pouvons que la regarder, la ressentir, la contempler et, tant que cette dernière reste présente, nous n'avons aucun lieu psychique où fuir, nous réfugier, nous protéger.

Mon cerveau, mes métastases, n'engendrent que rarement des douleurs physiques, car les médicaments sont là pour y pallier. Néanmoins je ne peux échapper à leur emprise puisque je sens, éprouve, mes modifications psychiques. C'est un peu comme si j'avais des yeux dans ma tête qui regardent mes métastases à l’œuvre. Je les vois entrain de se former, grandir, se reproduire, prendre leur place entre mes neurones, pousser ces derniers jusqu'à ce qu'ils soient tellement compressés qu'un œdème se forme, me donnant alors maux de têtes et autres effets indésirables. Oui, je les vois vivre et me détruire parallèlement, je me vois être et disparaître en même temps. Est-ce que je suis en dehors de moi-même alors, sentant que je souffre ? Oui, je souffre, mais c'est une souffrance psychologique, dont la cause, ma peur, est tout entière psychologique. Cependant, son effet se manifeste physiquement dans mon cœur et s'appelle angoisse, anxiété, voire terreur. Les maux du cœur sont aussi des maladies et beaucoup de choses, d’événements, de personnes, peuvent en être l'origine, la cause. Ce qui a changé avec mon cancer, c'est qu’il est de moins en moins de choses, d'êtres, qui sont capables d'incruster en moi de l'angoisse ou de l'anxiété. Effectivement, révolu le temps où je stressais par peur de perdre ou non mon emploi, révolu le temps où j'avais peur d'être peiné par une rupture, pensant que je ne m'en remettrai jamais, révolu le temps où je pensais que la présence d'un père pour ma fille était indispensable, oui, révolu le temps où dans mon monde illusoire tant de valeurs, tant d'objectifs, tant de centre d'intérêts m'apparaissaient si important que la perte de l'un d'entre eux me mettait dans tous mes états. Oui, hier mon cœur a également souffert, mais aujourd'hui je le sais, c'était pour des peccadilles, des choses ou des êtres qui ne mettaient nullement ma vie, mon intégrité psychique en danger de mort. Lorsque je pense à ma mort, c'est à dire tous les jours, au moins à un instant de la journée, que peut me faire que demain je sois seul ou non, que l'on m'aime ou plus, que je possède ou non ceci ou cela, puisqu'il m'apparaît alors clairement que je suis dans ma souffrance, ma peur de mourir, et que je ne peux me concentrer, avoir de l'intérêt uniquement que pour tout ce qui me permettra de reculer l'heure de ma mort, pour tout ce qui permettra d'endiguer ma maladie. Tout le reste est accessoire, le destin de ma fille y compris, mais n'est-ce pas logique, car si je ne suis plus valide ou plus de ce monde, je ne pourrai donc plus participer à l'histoire d'autrui. Lutter contre la mort ou, vue sous un autre angle, lutter pour vivre, ne laisse pas de place à l'autre sauf si cet autre nous permet de mener le combat, est une arme à nos côtés pour batailler contre le sort.

Alors de quel humeur suis-je ce matin, là est ma question depuis que je suis sortis, depuis que j'écris. Déjà, il n'y a ni bonne ni mauvaise humeur, c'est autre chose. Il n'y a pas non plus de négatif ou de positif. Il y a un état de fait, celui que je viens de décrire tout au long de ces lignes, un état de fait qui m'indispose, certes, mais que je me refuse à voir en noir, bien qu'il assombrisse mes journées. Donc ce matin, pensant à mon cancer, c'est aussi à la mort que je pense, fatalement. Voici, entre autre, ce qu'en dit Cioran :

« Il n'est guère que la perception du vide qui permet de triompher de la mort. Car si tout manque de réalité, pourquoi, elle, en serait-elle pourvue ? »  (« Ébauches de vertige »)

Si la mort pouvait être ce que je pense qu'elle est, comme mon fardeau serait allégé. Mais ma perception de cette dernière, comme de tout ce qui pourrait être, n'est au final qu'espoir, parfois même illusion totale, aveuglement, ineptie ou idiotie. Là aussi Cioran à son avis :

« L'espoir est la forme normale du délire. »  (« Ébauches de vertige »)

Dit autrement nous sommes chacun dans notre propre délire et de cela, plus ça va et plus j'en suis convaincu. Pour autant, comme pour tout, il y a des délires néfastes, tant pour soi-même qu'envers autrui, et d'autres qui le sont moins. Cependant, prendre trop à cœur sa perception des choses et les espoirs qu'elle engendre, c'est s'enfermer dans son délire. Là encore, la conscience de sa mort imminente brise le délire. Pour autant elle ne casse pas l'espoir, cette capacité que nous avons à vouloir croire à tout prix, quel qu'en soit le prix à payer, et c'est pour cela que nous autres cancéreux supportons tous les traitements que l'on nous fait subir, acceptons tous leurs effets indésirables, y compris l’ablation de nos organes, de partie de notre chair, de notre corps, de ce que nous sommes. De la même façon, dans la mesure du possible, nous acceptons également d'éprouver dans notre cœur et dans notre pensée la souffrance, la peur, l'anxiété, l'angoisse, à en devenir fou parfois. Pourtant nous avons bien compris que nous luttions dans le vide quelque part, pour du vide, pour préparer notre dernier instant, même si nous ne savons quand il adviendra. Mais contrairement à hier, ce jour d'avant la maladie, nous ne pouvons plus nous réfugier dans un monde illusoire, même s'il nous reste encore cette illusion que nous ne mourons pas de notre maladie, que nous en viendront peut-être à bout.

« Nous sommes déterminés mais nous ne sommes pas des automates. Nous sommes plus ou moins libre à l'intérieur d'une fatalité... imparfaite. Nos conflits avec les autres et avec nous-mêmes ouvrent une brèche dans notre geôle, et il est vrai qu'il existe des degrés de liberté, comme il existe des degrés de pourriture. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »).

Le cancer est une fatalité imparfaite. Il donne le signal de la mort, mais ne donne pas la date. Entre-temps c'est le départ de la course, celles des conflits évidement, à commencer par celui qui oppose nos illusions d'antan à la funeste réalité de notre condition, celle d'être mortel, en sursis. Ainsi, surtout au début de la maladie, de notre prise de conscience de cette dernière, les conflits ne manquent pas entre nous et nous-mêmes, entre celui que l'on pensait être et celui que l'on se découvre devenir, entre nous, la plate réalité que nous découvrons, c'est à dire vivre à tout prix, et les faux problèmes des mondes illusoires de ceux et celles qui nous entourent. Nous ne pouvons plus prendre tout cela au sérieux s'il n'y a pas de danger de mort dans la vie de notre entourage, aussi proche soit-il et, à plus forte raison, si éloigné soit-il.

« On a prétendu que « s'accepter soi-même » était indispensable si on voulait produire, « créer ». Le contraire est vrai. C'est parce qu'on ne s'accepte pas qu'on se met à œuvrer, qu'on se penche sur les autres et, avant tout, sur soi, pour savoir qui est cet inconnu rencontré à chaque pas, qui refuse de décliner son identité et dont on ne se débarrasse qu'en s'en prenant à ses secrets, qu'en les violant et les profanant. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Celui qui a le cancer, ou une autre maladie, ne s'accepte pas, c'est indéniable, ce qui explique qu'il va se mettre en quatre pour œuvrer à redevenir celui ou celle qu'il veut être, à savoir un être sain, valide, non malade. Mais pour cela, il faut se débarrasser de la maladie pour commencer. Ce que nous ne savons pas alors, c'est que psychologiquement, d'entrée de jeu, la simple annonce de notre cancer engendrera déjà des métamorphoses irrémédiables dans notre esprit, dans notre conception des choses et, inéluctablement, notre château de carte s'ébranlera, se fissurera, les cartes tombant les unes après les autres, parfois par pan entier, nous laissant alors dans le désarroi le plus total. Oui, s'il n'y a plus de château de carte, de monde illusoire, alors nous ne savons plus qui nous sommes et, si nous ne savons plus qui nous sommes, nous regardons tout avec un œil neuf, qu'il s'agisse des êtres ou des choses, et parce que la nature nous a ainsi faite, nous tentons tant bien que mal de reconstruire un nouveau château de carte à coup d'espoir et, fatalement, d'autres illusions. Cependant une chose est sûre, c'est que toutes les cartes qui se sont écroulées de notre premier château, nous les laisserons à terre, ne nous en serviront plus, car si elles sont tombées c'est qu'elles n'étaient pas viables, nous indiquant ainsi à quel point nous étions dans l'erreur sur bien des points. Est-ce que les nouvelles cartes seront plus tangibles, plus proches d'une certaine vérité ? Je n'en sais strictement rien.

samedi 20 juin 2015

Soirée

20 juin 2015


Il est 22h30, la journée touche à son terme, je suis en pleine soirée, la nuit tombe de plus en plus et je me sens un peu perdu, pas désabusé, mais un peu égaré, ne sachant exactement ce que je fais là, à cette heure, dehors, alors que je n'en éprouve pas spécialement l'envie. Cependant, presque par réflexe, comme une habitude, j'ai fais le choix de sortir ce soir, même si je n'avais rien envie de faire en particulier, que ce soit d'écrire, de lire ou de me promener. Ce matin je me suis endormis vers 5h00. En conséquence j'ai dormi presque en continu jusqu'à 17h00. Normalement, ce jour aurait dû être celui des chevaux, de ma contemplation de ces derniers. Mais Cynthia n'a pas voulu aller à son cours d'équitation. Les chevaux, ce sera donc pour une autre fois. Alors vers 18h00 j'ai proposé à Cynthia que nous allions faire un tour en ville, laissant mon ordinateur à la maison afin de me consacrer qu'à nous. Elle a accepté, mais ayant présumé de mes forces physiques, sitôt arrivés en métro à la place Sainte-Anne, nous nous sommes installé à un café et avons pris un verre. Effectivement, le moindre effort de mon corps, y compris parler, m’essouffle. Alors imaginez lorsque je marche. Je sens tout le poids de mon corps, sa lourdeur et mes deux jambes qui vacillent tant elles ont perdu l'habitude de me porter. Oui, je perds en muscle et pas un peu. Il en va de même de ceux de mes bras qui ne peuvent plus porter un sac de courses. Alors que nous étions assis, face à face, j'ai demandé à Cynthia si cela ne la dérangeait pas d'être avec quelqu'un qui ne parlait pour ainsi dire plus, qui se taisait sans arrêt ou presque. Elle m'a répondu que cela dépendait des moments, mais que pour l'instant elle s'en accommodait. Je lui fis part de mon sentiment de n'avoir plus, ou presque plus, d'empathie envers les autres, que cela me faisait bizarre. Oui, j'ai bien du mal à me reconnaître dans ce nouveau personnage, mais pour autant c'est ainsi, les histoires des autres, en général, ne m'intéressent plus parce que, je le sens, l'éprouve, je n'arrive plus à me mettre à leur place. Immédiatement je pense à mon cerveau, aux dégâts qui s'y joue là-dedans, et me demande si cela à un rapport avec cette nouvelle façon pour moi d'éprouver les choses, le temps et les êtres. Peut-être que cet état n'est que passager, que je redeviendrai un peu plus humain dans quelque temps, mais ma conviction est qu'il va perdurer, voire prendre de l'ampleur. Pourtant je ne veux pas me retrouver seul, isolé de mes semblables, mais comment cela se pourra-t-il si je ne suis même plus capable de les calculer, de les prendre réellement en compte ?

De même, après des recherches, Cynthia a décidé que nous n'habiterions pas à Montbéliard, mais dans la ville de Belfort. Quelque part je préfère ce choix, car la ville est plus grande et offrira certainement plus d'attractivité que  Montbéliard. Donc c'est sur Belfort que nous allons rechercher notre futur logement. Autre avantage de cette ville concernant mes soins, c'est qu'elle possède un nouvel hôpital, moderne, et avec une bonne réputation. Même si ce dernier ne sera pas équipé comme j'en ai besoin pour mes futures séances de radiothérapie, Lyon, son centre hospitalier où j'ai été suivi la première année de mon cancer, est a seulement trois heures de Belfort, en trajet direct via le TGV. Bref, tout cela me rassure, ce qui ne peut me faire de mal.

vendredi 19 juin 2015

Fin de semaine

19 juin 2015


Alors, par quoi vais-je commencer, sur quoi je vais écrire, ai-je seulement idée de ce que je veux dire ou non, imprimer ou pas ? Là, je sort de mon examen, une IRM, une de plus. Pour la passer sereinement, je me suis bourré d’anxiolytiques, mes fameux Xanax, prenant en une matinée ce que je prends habituellement en une journée. Donc là, je suis encore shooté, mais mon cerveau fonctionne. Tout à l'heure, dans la salle d'attente de l'hôpital, je pensais à plein de chose sur lesquelles écrire. Oui, plusieurs sujets me traversaient la tête. Mais depuis que je suis parti de l'hôpital, plus rien de vraiment prenant ne vient assiéger mon esprit. Je constate juste que le moral, l'humeur agréable, sereine, n'est toujours pas au rendez-vous. A force cela en devient déprimant et, déjà, je pense à ma prochaine séance chez mon psy. Servira-t-elle à quelque chose, j'en doute fortement, mais je veux l'espérer, tout comme je veux espérer que d'ici-là un déclic se sera produit dans ma tête, mais surtout dans mon cœur. Oui, c'est insupportable de ressentir la contrariété, l'anxiété et, ce, quoi qu'il se passe ou non. En ce moment je ne suis pas en forme et c'est peu de le dire. Je ne suis pas en état d'être à l'écoute des états d'âmes des autres, surtout s'ils sont similaires aux miens. Effectivement j'ai mon propre fardeau, fardeau que je fais en plus porter à Cynthia, comme si elle en avait besoin, et il est donc hors de question que je m'encombre d'autres déceptions, d'autres calvaires que peuvent vivre les uns ou les autres. De toute les façon, même si je le voulais, je ne pourrai strictement rien faire de positif pour eux.

Depuis ce matin je pense à Lila. Plus précisément je pense à elle tous les jours, mais plus particulièrement encore ce matin. Oui, lors de mon IRM, c'est à elle que je pensais, comme si elle m'accompagnait. Cette saloperie de machine dans laquelle, une fois plongé à l'intérieur, on se sent dans un cercueil, voire plus à l'étroit que dans ce dernier, elle connaît. Peut-être même a-t-elle subie plus d'IRM que moi. Donc oui, Lila est ma « partenaire » virtuelle privilégiée, sans doute parce que notre cancer est logé au même endroit, dans notre tête, notre cerveau, tout ce qui fait au bout du compte l'identité que nous pensons être la nôtre, cerveau qui, s'il est trop endommagé, nous modifie irrémédiablement et, ce, du matin au soir. D'autre part elle est d'origine algérienne, elle a habité, vécu, grandi au Maghreb, région qui fait également partie de mes origines, même si je ne connais en rien ses lieux, sa culture. Oui, mon père était un marocain et je ne pense pas que la culture marocaine soit très éloignée de celle de l'Algérie. Mais il se peut que je me trompe, car nous, français, ressemblons-nous vraiment à des allemands ou des polonais ? Notre culture est-elle la même ? Certes, nous pouvons trouvez quelques ponts, mais je crois, peut-être à tort là encore, qu'aucune culture ne ressemble à la nôtre. Nous sommes un peuple de râleurs, mais ne bougeons pas souvent, ou plus aussi souvent que naguère, du temps du Front populaire ou des années soixante. A côté de cela nous avons des valeurs pour lesquelles nous sommes prêt à nous battre, telle la liberté d'expression, de penser, quitte à ce que cela dérange notre voisin. Mais revenons à Lila. Je découvre également que c'est une artiste. Elle peint, dessine, et dans mon esprit seul l'art peut exprimer véritablement les choses, bien plus que les mots, poésie mise à part. Oui, la poésie se sert de mots pour essayer de décrire l'indescriptible, l'imperceptible, mais la poésie n'est pas ses mots en eux-mêmes, mais ce qu'il y a derrière, c'est-à dire d'autres mots, toujours, qui eux-mêmes sont invisibles et pourtant là, nous l'éprouvons, le ressentons, et c'est leur univers, l'ambiance dans laquelle ils nous plongent qui fait tout le charme et la valeur de la poésie. Mais aujourd'hui, qui lit les poètes ? Nous sommes dans un systèmes où nous ne voulons que des modes d'emploi, sur tout et sur rien, mais se retrouver seul avec soi-même, avec son cœur et de l'inconnu à assimiler, à vivre, non, cela n'intéresse plus personne. Plutôt que de lire un poème qui traite d'amour, nous préférons acheter « Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus », un mode d'emploi parmi d'autre qui nous épargne de rechercher qui nous sommes, qui est l'autre. Oui, nous préférons rester avec des stéréotypes, ce qui est amplement plus facile, ne demande aucun travail sur soi-même ou envers l'autre. Mais encore une fois je m'éloigne de Lila et écrire sur elle, c'est comme lui écrire directement, c'est comme si elle était à mes côtés, assise  à la table qui est près de la mienne, prenant elle-aussi un café ou un chocolat, bref, il m'est agréable de l'imaginer parce que je me sais dans la même galère qu'elle, exactement la même, par rapport à la maladie s’entend, car il est clair que nos vies quotidiennes ne sont pas du tout les mêmes, que nos responsabilités n'ont rien en commun et, enfin, elle a bien plus la volonté et le désir de vivre que moi, cela est certain.

Je ne peux m'empêcher de penser à Cioran qui a écrit : 

« Tous les germes, bons et mauvais, sont en nous, sauf celui du renoncement. Quoi d'étonnant que nous nous agrippions aux choses spontanément et qu'il nous faille de l'héroïsme pour le mouvement inverse ? Si la faculté de renoncer nous avait été octroyée, nous n'aurions eu d'autre effort à fournir que de condescendre à exister. » (« Ébauches de vertige »)

Effectivement, malgré ma morosité, l'énervement qu'elle engendre en moi, je ne peux renoncer, comme Lila et tous les autres. Oui, je m'accroche à la vie, ou tout au moins je fais tout pour essayer d'avoir le moral, le garder, le préserver, car je ne veux plus revivre dans ma tête les démons de mes années d'antan, celles de la mort de Michel, celles où la mère de ma fille a tenter de me voler mon enfant, oui, tout cela je n'en veux plus et je ne peux renoncer à l'espoir d'y parvenir. Il en va de même envers la maladie et c'est pour cela que je me soigne, veux me soigner, parce que je ne peux renoncer à la vie, quoi que je pense de cette dernière, quoi que je pense de nous en général. Donc je m'agrippe spontanément à tout ce qui peut me mener ou me maintenir dans ce chemin. Mes séances de radiothérapie, je le sais bien, ne sont que foutaises. Elles ne sont là que pour retarder l'inéluctable, mais celui-ci viendra bien assez tôt, je n'en doute pas une seule seconde. Pourtant je m'agrippe, m'accroche, me raccroche à elle pour tenter de continuer à espérer. Alors, tout au moins en ce moment, je me demande ce que j'espère qui soit si cher à mon moral ? Une rémission, un véritable répit, voilà ce que j'aimerai, que je n'entende plus parler de cancer pendant au moins deux ans, trois ans et plus si possible. Oui, j'en ai marre de l'avoir toujours dans mes pattes et si j'étais un héros, ce n'est pas cesser d'espérer que je ferai, mais je préparerai mon suicide, ni plus ni moins, histoire de ne même plus condescendre à exister. Est-ce une vie que d'exister dans ces conditions ? Pour certains et certaines, oui, c'est toujours la vie et peu importe l'épée de Damoclès. Vous ne pouvez savoir à quel point j'envie ces gens-là. Oui, j'aimerai connaître les secrets des rouages de mon cerveau pour voir les choses ainsi. Mais de tout temps, ou presque, mon cerveau s'est construit autrement et, ce, depuis le début de mon adolescence. Tout le temps, avant même de connaître Cioran ou quiconque dans son optique, je ne voyais que poussière, faux-semblants, égoïsmes, contradictions, non-sens à l'existence.

A l'instant, pendant que j'écrivais ce qui précède, deux personnes se sont assises à une table située à côté de la mienne et l'un des messieurs commença à entamer la discussion avec moi. C'était deux témoins de Jéhovah et, pendant vingt bonnes minutes, nous avons échangé sur la foi, Dieu, la vie après la mort, la bible, Jésus, la science. Toute cette conversation s'est passé dans la convivialité, l'ouverture d'esprit, et même si nous sommes restés chacun sur nos positions, nous nous sommes quitté en bons termes. Dois-je voir dans cette rencontre le signe de quelque chose ? Car que font-ils exactement, sinon d'essayer de transmettre un message d'espoir aux incultes comme moi ? Tout message d'espoir est bon à prendre, c'est là mon point de vue, même si je lis Cioran par ailleurs. Oui, après cette discussion, j'envie encore plus ceux et celles qui croient en Dieu, qui ont la foi, qui pense que notre vie ici-bas n'est qu'une étape, qu'un passage, et que celle qui suivra sera enfin la vraie vie, une vie sereine et apaisante. Cependant, comme je l'expliquai à ces deux messieurs, la foi, c'est comme tomber amoureux. Cela ne se commande pas, c'est là ou ce n'est pas là et, dans mon cas, cela n'a jamais été là.

Du coup, je ne sais plus où j'en étais dans mes tergiversations initiales, ils ont perturbé malgré eux le déroulement de ma pensée d'alors, mais je ne leur en veux pas car l'échange ayant été agréable, j'ai le sourire à présent. Mais je vais revenir à Cioran, à un autre de ses fragments qui correspond à mon optique de l'existence :

« J'ai commencé à baisser à partir du moment où l'extase a cessé de me visiter, où l'extraordinaire est sorti de ma vie. A la place devait s'installer un étonnement stérile et anxieux, qui risque à la longue de se dévaluer, de s'avachir, de perdre tout, même l'anxiété. »  (« Ébauches de vertige »)

Quant m'a quitter définitivement l'extase ? Lorsque je fus la cause de la mort de Michel. Oui, depuis ce jour, plus rien, absolument plus rien, même pas la naissance de ma fille, ne m'a mis dans un état de ferveur. Certes, j'ai eu depuis des moments d'enthousiasmes, des instants gais et agréables, mais jamais plus je n'ai éprouvé l'extase. A partir de là, dès lors que vous n'êtes plus capable d'éprouver ce type de sentiment, plus rien ne vous surprend vraiment et, petit-à-petit dans mon cas, vous en devenez blasé, vous devenez une porte en fer, en métal, qui s'alourdit de plus en plus avec le temps, devenant chaque année un peu plus lourde à manœuvrer. Il n'y a que lorsque j'ai appris l'existence de mon cancer que cette dernière s'est retrouvée à nouveau grande ouverte. Elle laissait ainsi entrer en moi le vent, la neige, la tempête et son vent glacial, je n'avais nul endroit où m'abriter, me protéger, ne pouvant que subir les intempéries. Quelque part j'en voudrai presque à ceux qui m'ont annoncé cette nouvelle. Depuis, ma lourde porte a recommencé à se fermer, aussi sûrement que j'écris ces lignes, et si mon étonnement stérile par rapport à toutes les incohérences de notre monde a entièrement disparu, il reste cependant des parcelles d'anxiétés qui s'incrustent encore en moi. Vont-elles à leur tour se dévaluer, disparaître, fondre comme neige au soleil ? Oui, ce serait mon souhait le plus profond. Mais pour se faire, j'en ai bien conscience cette semaine, il me faut faire la paix avec moi-même, donc avec mon cancer et tout ce qu'il signifie pour moi.

D'abord, je ne me sens pas dans un combat, pas du tout, mais bel et bien dans la survie. Ceux qui se battent contre le cancer, ce sont les médecins, notre entourage, mais pas nous, là est mon point de vue. Nous, nous ne pouvons que subir les traitements, voire les demander. Oui, quelque part nous sommes passifs tandis que la maladie, paradoxe, est active. De même, faire la paix avec mon cancer, c'est accepter, et non pas se résigner, à ce qu'il ne me foute plus jamais la paix, c'est accepter à l'avance, comme un projet, les prochaines métastases qui feront leur apparition, accepter que, de fil en aiguille, elles boufferons inévitablement mon cerveau, faisant alors de moi un légume ou quelque chose qui s'en rapproche. Enfin, pour faire la paix avec moi-même, et de cela je m'en rend de plus en plus compte, il faut que je révise ma notion du temps, mon rapport à ce dernier. Oui, comme le dit Mamy, cela ne fait pas avancer les choses que de se contempler toute la journée avec, justement, comme seule horizon cette même journée. Comment faire des projets dans ces conditions ? Comment accorder quelque regard que ce soit à l'autre ? Et s'il n'est pas quelque chose ou quelqu'un pour nous sortir de notre torpeur, alors nous restons enfermés dans notre bouteille, jour après jour, au même endroit, ne découvrant plus rien, ne vivant plus rien. Quoi que l'on pense de Cioran, je sais que cela n'est pas sa philosophie. Il n'est pas contre le mouvement lui, il se demande juste à quoi ça sert. D'ailleurs, dans le fond, il n'est pas contre grand chose, non, mais il ne cesse de nous questionner sur l'utilité ou le bien-fondé de ces choses, de l'être, comme Pierre Desproges, humoriste décédé, le faisait dans ses chroniques politiques. Donc voilà mon enjeu, mon défit, ce à quoi je ne dois pas renoncer, me réconcilier avec moi-même afin d'avoir le sentiment, à nouveau, de faire partie d'un tout, l’humanité, aussi peu glorieuse soit-elle dans mon esprit, mais comme c'est mon espèce, je ne peux la renier sans me renier moi-même.

Alors pour remédier à mon humeur actuelle, à cet état d'esprit à la con qui gâche mes journées, je vais me forcer à faire quelque projet. J'emploie le terme « forcer », car c'est comme un véritable effort que je l'éprouve, les douze travaux d'Hercule. Quelque part cela tombe bien parce qu'hier Cynthia me disait vouloir aller au Mont Saint-Michel. Donc dès demain, je vais commencer à organiser cette excursion, cette balade, à la préparer pour que tout se fasse bien. De même, puisque nous savons maintenant où nous allons devoir habiter dès le mois d'août, je commencerai également dans les jours à venir à rechercher un logement, voire une maison si possible. Je vais également me renseigner sur Montbéliard, voire un petit peu à quoi ressemble cette ville, ce que l'on en dit, ce qui s'y fait, quel climat en hivers, en été, etc. De même, sitôt trouvé le logement, je verrai s'il y a là-bas une antenne de la ligue contre le cancer ou d'autres associations du même genre afin de prévoir des rendez-vous. Enfin, si nos moyens financiers le permette, je passerai peut-être mon permis de conduire, non pour le plaisir de conduire, mais pour pouvoir aller voir ma fille, la prendre et l'emmener chez nous, car même si sur une carte de France Montbéliard est plus proche de Vichy que ne l'est Rennes, à son âge, ma fille ne pourra pas voyager seule pour venir à moi à cause de toutes les correspondances en trains. Enfin, parce que Montbéliard m'a l'air d'être une très petite ville, avoir un véhicule me permettra d'aller visiter d'autres paysages, d'autres villes, dont Besançon par exemple. En l'état, psychologiquement, je me prépare donc à quitter Rennes, la Bretagne, à contre-coeur, vraiment, en espérant que je ne serai pas trop déçu par ce que je découvrirai dans le Doubs.

Enfin, puisque j'ai mêlé Cioran à cet écrit, je ne peut résister à la tentation de vous soumettre une dernière de ses citations :

« Suivre sa pente au lieu de chercher son chemin. » Ce mot de Talleyrand me poursuit. Depuis des années, en contrecarrant ma « pente », je me tourne vers des formules de sagesse étrangères à ma nature, je m'emploie à neutraliser mes mauvais penchants, au lieu de me laisser aller, de me vouer à... moi-même. C'est un séducteur, c'est le génie du salut qui m'a tenté, et, en y cédant, ne fût-ce que par moment, j'ai contribué de mon mieux à la déstabilisation de celui que j'étais et que j'aurais dû rester. On n'est soi qu'en mobilisant tous ses travers, qu'en se solidarisant avec ses faiblesses, qu'en suivant sa « pente ». Dès qu'on cherche son « chemin », et qu'on s'impose quelque modèle noble, on se sabote, on s'égare... »  (« Ébauches de vertige »)

Ma pente, je le crois, c'est de me prendre la tête, sans arrêt, pour un oui ou pour un non, puis de refuser, d'exclure de mon environnement la méchanceté gratuite, la bêtise (non l'ignorance qui n'est pas la même chose), certaines valeurs qui ne résonnent plus dans mon oreille, telle l'ambition, la virilité. Oui, je crois que je suis condamné à avoir sans cesse des hauts et des bas avec mon état d'esprit, tel que c'est le cas depuis plus de trente ans maintenant. Peut-être ais-je un sérieux problème psychologique, peut-être n'est-il que bénin, mais lorsqu'il se manifeste, tout devient compliqué pour moi, plus rien n'est simple, fluide, alors même qu'aucun problème ne se trouve sur ma route. Dans le passé, plus d'une fois, j'ai cherché à emprunter, à construire un chemin noble, mais pour se faire je devais côtoyer, fréquenter des personnes qui ne me convenaient pas, dont l'univers et les valeurs étaient aux antipodes des miennes. J'ai ainsi perdu beaucoup de temps et d'énergie pour rien. Certes j'ai eu l'argent alors, c'était le but de ce noble chemin que je m'évertuais à suivre, mais il ne m'a amené aucun épanouissement personnel, ni dans le cadre professionnel ni dans les soirées convenues que je passais avec mes collègues avides de plus d'argent encore. Je ne sais qu'elle était exactement ma pente alors, mais je suis d'avis que si je l'avais suivi j'aurai été dans des mouvements contestataires, militants, que ce soit au sein d'une association, d'un syndicat ou d'un parti politique. Oui, j'étais fait pour ouvrir ma grande gueule, hurler au grand jour ma pensée, aussi fausse était-elle alors, mais non pour conter fleurette à des clients potentiels tout en cirant leurs chaussures pour faire plaisir au porte-monnaie de mes patrons. Société de merde, je n'en démords pas, en tout cas celle que j'ai côtoyé et, refusant de me mettre en harmonie avec ma pente, j'ai donc été une de ces merdes. Je ne peux m'empêcher de me dire que cela à conduit, de fil en aiguille, à mon histoire avec Michel et à bien d'autres aussi glauques. Oui, il faut savoir s'écouter, oser aller dans le sens qui, l'on le sent, nous conviens, même si cela peut être laborieux, pénible, mais au moins nous savons pourquoi nous faisons ce que nous faisons et ne pouvons, en conséquence, le regretter.

« Novalis : « Il dépend de nous que le monde soit conforme à notre volonté. » C'est là exactement le contraire de tout ce qu'on peut penser et ressentir au bout d'une vie, et, à plus forte raison, au bout de l'histoire... »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

jeudi 18 juin 2015

Montbéliard

18 juin 2015


Bien, nous y sommes, l'affectation de Cynthia est tombée et ce n'est pas à Besançon qu'elle est parachutée, contrairement à son souhait, mais à Montbéliard, ville située à 80km de Besançon, à quelques kilomètre de la frontière Suisse et du territoire de Belfort. Vous dire qu'elle est déçu serait un euphémisme. Pour ma part, je m'en fou un peu. Habiter à droite ou gauche, tant qu'un café se trouve à proximité, quelque part dans la ville, cela m'ira, d'une façon ou d'une autre je m'adapterai comme je me suis habitué à d'autres endroits bien plus glauques, bien plus sinistres qu'une simple ville. Non, les seuls problèmes seront relatif à mes soins et, déjà, je pressens un beau bordel. Mais même de cela je ne veux pas y penser, car en l'état, et même une fois sur place, je ne pourrai faire qu'avec ce qui se présente, qu'avec ce qui est proposé médicalement dans cette ville, voire dans celle de Besançon, deux villes qui ne possèdent pas le matériel dont j'ai besoin pour mes séances de radiothérapie. Parce que je ne me leurre pas, mon histoire d'amour avec la radiothérapie ne fait que commencer. Ils se peut donc que je sois obligé de descendre à Lyon, voire de monter à Paris, si nouvelles séances il doit y avoir. Cependant, concernant mon suivi régulier, mes examens trimestriels, tout se fera sur Montbéliard et là, du fait de la compétence ou non des médecins qui m'auront à leur charge, c'est le grand saut dans l'inconnu. Déjà, là, tout cela me fatigue à l'avance. Une fois de plus il va falloir tout refaire, de A à Z, faire des demandes de transferts de dossiers, prendre des rendez-vous avec un nouveau pneumologue, oncologue, peut-être neurologue, bref, plein de tâches administratives qui me saoulent d'entrée de jeu, sans compter les changements à faire à la CAF, la CPAM, etc. Oui, de tout ça je m'en serai bien passé. Quoi qu'il en soit, que ce soit à Montbéliard, à Besançon ou ailleurs, il aurait fallu le faire, il faudra le faire. Simplement, au jour d'aujourd'hui, je ne m'en sens pas la force.

mercredi 17 juin 2015

Après 22h00

17 juin 2015


Il est 22h00, je suis rarement dehors aussi tardivement, d'habitude c'est plutôt l'heure à laquelle je me couche. Mais ce soir, comme toute la journée d'ailleurs et celle d'hier et d'avant, j'ai besoin de me sentir seul, de me retrouver seul, sans une quelconque compagnie. Cela me fait du bien, je ne sais pourquoi, c'est comme si je respirai subitement mieux et, parce que c'est la toute fin de la journée, de ce jour commencé si tôt ce matin, je ne m'en sens que plus soulagé encore. Oui, puisque mon humeur n'était pas fameuse aujourd'hui, je veux croire que demain cela ira mieux et, quelque part, j'ai donc hâte d'être à demain matin, au réveil, pour voir ce qu'il en est. Cependant j’appréhende ce réveil, car depuis le début de la semaine aucun n'a été fameux. Oui, en ce moment je n'ai envie de parler avec personne, même pas avec Cynthia, parce qu'il me semble que je n'ai plus rien à dire. De même, bien que je cherche des sujets éventuels de conversation, aucun thème, aucun fait ne m'inspire. Dit autrement, je trouve tellement inintéressant ce que je peux en penser ou non que je suis à l'avance fatigué d'en parler, de devoir m'exprimer, voire m'expliquer ou me justifier.

La nuit commence à tomber, il reste encore un peu de ciel bleu clair, les nuages deviennent roses et sur la place Sainte-Anne tout le monde semble détendu, ce qui est un spectacle bien agréable et qui, en conséquence, me détend également. Je pense à l'histoire folle que Lila m'a raconté aujourd'hui. Je ne pense pas la trahir en dévoilant ces faits dans mon article. Elle a dans son entourage une femme mariée qui se dit son amie. Cette dernière a deux enfants et, je ne sais sous le coup de quelle impulsion, elle a dit à Lila qu'elle aimerait être sa place, donc avoir un cancer, pour pouvoir enfin mourir. Je ne sais qui est cette femme, mais il est indéniable que son esprit doit être quelque peu chamboulé, voire complètement à l'envers. Effectivement, si elle veut mourir, qu'elle se suicide et ce sera réglé. Mais qu'a-t-il pu lui passer par la tête pour préciser un tel désir à quelqu'un qui, justement, fait tout pour vivre ? Parfois, c'est à se demander à quel point les gens peuvent être con ou complètement inconscient. En tout cas, le message de cette femme a au moins le mérite de la clarté, dans sa tête le cancer est synonyme de mort, c'est l'évidence même. Quel encouragement pour ceux et celles qui en sont atteint, non ?

Oui, que ce soit par le commentaire de cette femme ou d'autres dires que j'ai pu entendre, cela me confirme dans mon idée qu'il y a des mondes bien distincts, où l'incompréhension ne peut le plus souvent qu'être totale. Les gens sains sont incapables de se mettre à notre place, hormis ceux et celles qui vivent notre quotidien. Pour tous les autres, sans exception, nous sommes inaccessibles, dans le sens d'incompréhensibles. Non, ils ne peuvent savoir ce que pèsent leurs mots lorsqu'ils s'adressent à nous. Pour autant je ne leur jette pas forcément la pierre, car comment pourraient-ils deviner l'impact que peu avoir ou non leur propos sur notre moral ? S'ils n'ont jamais eu peur de mourir, s'ils n'ont jamais éprouvé leur dernière heure venue, oui, ils ne peuvent que nous lancer des formules de politesses, des encouragements sans sens le plus souvent, des tralalas où ils font mine de s'inquiéter réellement de notre sort, ce qui est faux la majorité du temps, mais là encore, politesse oblige, il nous faut en passer par là, supporter tout cela. Moi, je ne peux plus. La plupart d'entre eux me mettrai hors de moi et je crois que je commencerai à devenir méchant, très méchant. Peut-être est-ce pour cette raison que lors de mon arrivée à Rennes j'ai fais le choix de ne nouer de relation avec personne, pour éviter justement de me retrouver dans ce genre de situation. C'est également pour cela que je n'appelle personne, pour ne pas entendre de propos qui, dans l'oreille d'une personne saine sonneraient peut-être justes, mais qui, dans la mienne, ne seraient que des mots creux, crevasses, autres planètes.

Oui, cela est l'avantage d'être seul. Le dicton le dit bien : mieux vaut être seul que mal accompagné. Cependant, nous ne pouvons rester seul indéfiniment, cela n'est pas à la portée de l'être humain, ou alors il se désocialise, inexorablement, fatalement. Est-ce un mal de se désocialiser ? En soi, je ne le pense pas, mais dès lors que l'on vit avec ses semblables, au milieu de ses semblables, pas comme un ermite, je crois que l'on ne peut se vivre que très mal. Comment ne pas éprouver la solitude en pareille circonstance, je parle de la vrai solitude, celle où on se sent exclu du monde humain, à tort ou à raison, celle qui nous amène à penser que notre place n'est plus ici-bas, celle qui fait que chaque fois que nous nous regardons dans une glace nous constatons avec désespoir que nous ne ressemblons pourtant pas aux autres, en rien, et pourtant nous fouillons, touchons le miroir, histoire de trouver quelque chose, quelqu'un à qui nous raccrocher. Sans doute est-ce parce que la solitude est un état insupportable sur la longueur que, bien souvent, nous préférons être mal accompagné plutôt que de rester seul, isolé dans notre coin, à l'écart de tous et de toutes. Certes, la solitude n'est pas une maladie mortelle, mais néanmoins elle pourrie la vie autant qu'un cancer qui ne vous lâcherait plus.

Bilan provisoire

17juin 2015


Est-ce que ce matin je vais mieux qu'hier ? Il est 7h30, je me suis levé vers 6h00 et, ma foi, j'ai enfin passé une nuit complète. Cependant le réveil n'a pas été fameux, j'avais dans la tête je ne sais quelle fin de rêve où il était question d'horaire qui me stressait. Néanmoins, histoire d'essayer de bien commencer cette nouvelle journée, je me suis efforcé à me dire que ce n'était qu'un rêve, donc rien de tangible, et que je n'avais donc aucune raison de me sentir stressé. Cet auto-conditionnement a marché et, depuis, je ne suis plus que dans l'expectative de moi-même, de mes humeurs, appréhendant de retrouver celles d'hier. Donc ce matin j'ai pris le parti de changer de décors, de ne pas aller m'asseoir dans l'un des cafés de la place Sainte-Anne, mais de m'installer quelque part dans le quartier « république ». A cette heure, dans ce quartier, je n'ai pas le choix, un seul café est ouvert et, en ce moment même, je bois mon double express en me demandant comment va se passer cette journée dans ma tête. Déjà, écrire me fait du bien. Cela m'aide à me vider, même si je ne sais ce que je vide exactement, sinon des humeurs et encore des humeurs. Même si mon esprit n'est pas complètement alerte, une fois de plus, il va déjà mieux qu'hier, je suis un peu moins dans le gaz, dans les choux. Alors, depuis mon levé, j'essaye de faire le tour de tout ce qui pourrait jouer sur mon humeur. J'avais donc déjà envisagé la baisse de la cortisone, mais je ne pense pas que ce soit la raison fondamentale de mon état des derniers jours. Oui, je crois que mon cœur qui a récupéré toutes ses facultés, le fait que je ne sois plus fatigué, que je respire et souffle à nouveau comme avant, joue plus sur mon moral, même si je ne comprends pas bien pourquoi. Enfin, il y a ma dernière métastase, la numéro 4. Elle est située dans l'aire qui contrôle ma zone visuelle et, en conséquence, je ne pense pas que son emplacement ait un quelconque effet sur mon humeur. Par contre, inconsciemment, peut-être que le fait d'avoir une nouvelle métastase me travaille plus que je ne le pensais. Alors dans quel sens ? Où sont mes doutes ou mes peurs ? Quels sont-ils ? A part faire le constat que cela ne s’arrête pas, que je fabrique métastase sur métastase, qu'il arrivera bien un jour où, en trop grand nombre, elle endommageront très sérieusement mon cerveau, faisant de ce dernier, et donc de moi-même, quelqu'un qui ne se reconnaîtra peut-être même plus, que puis-je me dire de plus à ce sujet ? Quant aux traitements, de toute les façons je n'ai pas le choix, je ne peux qu'avaliser ce que la médecine me propose puisque je ne suis pas compétent en la matière. Mais assez parlé de ça, de mon cancer, car en l'état je n'en vois vraiment pas l’utilité.

Ce matin il fait bon. Pour une fois, il n'y a pas trop de vent et il m'est donc agréable d'être en terrasse à cette heure, ce qui n'est pas le cas habituellement à un moment aussi matinal. Autour de moi je vois la vie rennaise commencer à prendre forme. Les écoliers commencent à se rendre dans leur collège ou lycée, les travailleurs pressent le pas vers les transports en communs, certains d'entre eux s'arrêtent là où je suis pour prendre rapidement un petit café et repartent sitôt fait, aussi vite qu'ils sont venus, d'autres encore font faire à leur chien la petite balade du matin, bref, c'est également une nouvelle journée pour ce beau petit monde.

A présent il est 15h30 et je ne suis pas resté toute la matinée éveillé. Comme hier, j'ai été brusquement pris d'une intense envie de dormir, suis donc rentré à la maison, me suis allongé dans le canapé pour ne me réveiller que vers 14h00, à cause des travaux que l'on fait dans la cour intérieure de mon immeuble, du bruit des perceuses qui dépècent tout le sol. Bref, ce bruit continu m'est insupportable et, rapidement, je suis donc sorti. A présent je suis dans le quartier Saint-Anne, à l'ombre, car au soleil il fait déjà trop chaud pour moi et le soleil tape bien. Alors que je me rendais au métro, mon meilleur ami, Tony, m'a appelé pour prendre de mes nouvelles. Je l'entendais s'énerver tout seul au sujet de ma nouvelle métastase, se demandant quant est-ce que tout ça allait s'arrêter, pestant contre cette maladie, pestant parce qu'elle ne m'avait laissé aucun réel répit depuis sa manifestation. J'ai trouvé son agacement et son souhait que j'aille bien sympathique, presque touchant, mais comme j'ai une toute autre vision de mon cancer, m'étant fait une raison qu'il ne me foutra jamais la paix, que toujours il y aura quelque chose de nouveau, plus ou moins régulièrement, plus ou moins fréquemment, je lui ai répondu en relativisant tout cela. Oui, comme je le lui ai dit, je ne souffrais pas physiquement et c'était là l'essentiel. Pour le reste, il faut faire avec, il n'y a pas le choix, et autant en prendre son parti, cela évite les regrets, les remords, la colère ou une déprime trop grande. Cela ne m'empêche pas d'avoir des coups de blues, comme en ce moment par exemple, mais ils sont amplement gérable et, au pire, si vraiment il le faut, je n'hésiterai pas à abuser des calmants une fois de plus.

Je pense également à mon couple, à ce que nous faisons ensemble ou non, et je constate qu'au final rien n'a véritablement changé. Auparavant nous nous voyions peu parce que Cynthia était complètement plongée et partagée entre ses cours à la fac et son métier de professeur. Du coup nous nous croisions le plus souvent. Mais depuis un petit mois, ses cours en fac ont cessé et, depuis cette semaine, elle est en vacance, les cours au lycée étant finis. Nous voyons-nous plus pour autant ? Enfin de compte, pas tant que ça. Effectivement, ne supportant pas de rester enfermé dans notre domicile, appartement qui a un effet soporifique sur moi, où je m’ennuie, n'ayant rien envie d'y faire, et préférant nettement être dehors, au grand air, quelque soit le climat, le temps, il faut donc que je sorte. Elle, ce n'est pas cela du tout. Elle est très bien à la maison, a de quoi s'occuper, et les après-midi au café ne sont pas forcément son truc. Du coup nous nous croisons parfois le matin, au réveil, juste avant que je ne parte m'enfuir dehors, et le soir, sans heure fixe, lorsque je rentre enfin chez nous. En conséquence nous ne déjeunons et ne dînons pratiquement plus ensemble, chacun dans son rythme, dans sa petite vie et, pour l'instant, il n'est que le samedi que nous sommes ensemble, lorsque je l'accompagne à ses cours d'équitations et qu'après nous allons prendre un verre. Elle me dit qu'elle ne sort pas plus que ça avec moi, au café s'entend, car elle a le sentiment que sa présence ne m'apporte rien, que je suis de toute les façon dans mon monde, un monde où, toujours selon elle si je la comprends bien, elle n'aurait pas de place. Donc, je le suppose, elle se sent inutile. Si c'est ainsi qu'elle se vit à mes côtés, alors c'est bien triste, car pour moi il est clair que selon qu'elle soit ou non à mes côtés change toute la donne. Déjà mon humeur, instantanément, n'est plus la même. Il est vrai que parfois ce peut être pire, que si je suis mal à l'aise, sa présence peut amplifier ce malaise parce que je désirerai qu'elle ne le voit pas, afin qu'elle ne s'inquiète pas, ne me pose pas de questions auxquelles, bien souvent, je n'ai pas les réponses. Mais si je suis d'humeur agréable, satisfaisante, pas trop ronchon, pas trop grognon, alors je le sens en moi, sa présence rend l'instant, le moment, encore plus agréable. Bien sûr, comme elle n'est pas en moi, dans mon cœur, dans mon esprit, dans mes humeurs, elle ne peut savoir tout cela. Alors, peut-être maladroitement, j'essaye de lui expliquer, mais là encore, il est bien difficile de trouver les mots adéquates pour lui signifier son importance vis-à-vis de mon moral, et peu importe dans quel état il est.

Actuellement nous commençons à préparer notre déménagement pour Besançon. Quand je dis nous, je ment, car moi je ne m'en occupe pas. Je ne me sens pas la force ni la motivation de le faire. Effectivement, j'étais très bien à Rennes et y serai bien resté si cela avait été possible. C'est donc Cynthia qui s'occupe seule du déménagement, demandant des devis à droite et à gauche, attendant son affectation définitive pour savoir dans quelle ville exactement elle exercera, Besançon-même ou ailleurs, et après ce sera la longue recherche de notre nouveau logement, peut-être trouvera-t-elle une maison avec jardin, sait-on jamais.