dimanche 15 mars 2015

En ce dimanche matin

En ce dimanche matin, il est 9h00, la place Saint-Anne est vide. Les premières terrasses commencent à être installées et ne recevront leurs premiers clients que d'ici une heure ou deux. Pour ma part, je suis installé à la terrassa d'une boulangerie, seul commerce ouvert à cette heure sur cette place. Cynthia, certainement, doit continuer à dormir et moi j'écoute le groupe « The Cure ». Je fume un cigare tout en prenant mon café et, comme c'est le cas depuis quelques jours, je culpabilise à chaque fois que j'allume un cigare car je pense à Cynthia, et j'ai donc l'impression de la trahir, ou tout au moins de trahir ses espoirs en ma longévité.

En ce moment, je ne sais plus quoi penser de ma maladie, je ne sais plus comment me situer face à elle. Dois-je me permettre à nouveau de me créer des espoirs, espoirs qui impliqueront forcément des projections dans l'avenir, donc des projets sur du moyen ou long terme ? Ou dois-je, comme je l'ai fait jusqu'à présent, oublier demain, me contenter d'aujourd'hui, et relire mon passée en long, en large et, si possible, pas de travers ? Hormis l'IRM que je passerai dans deux mois, je n'ai aucun soin de prévu avant des lustres, sauf si l'IRM relève de nouvelles anomalies. A partir de là, l'avenir semble plus ouvert, mais j'ai peur d'y croire à nouveau, car la dernière fois où ce fut le cas, on découvrait ma seconde métastase cérébrale quelque temps plus tard. Mon moral est alors descendu d'un bon cran, c'est le cas de le dire, et depuis il en est resté à ce stade. Il n'a pas plus dégringolé  qu'il n'est remonté, car depuis je me suis interdit l'espoir en matière de rémission, de pause, d'accalmie de mon cancer. Ainsi, lorsqu'on m'a annoncé que j'avais une troisième métastase au cerveau, comment vous dire, c'est comme si je n'avais pas été surpris, que c'était dans la juste logique de la continuité des choses. Mon cancer veut se développer, veut vivre, ne pas mourir, et chaque parcelle de mon corps est pour lui une possibilité d'y parvenir. Comment puis-je lui en vouloir d'agir ainsi, comment puis-je m'en vouloir, car que cela me plaise ou non, lui c'est moi et inversement. Ensemble nous vivons actuellement et c'est également ensemble que nous mourrons. Comment regarder tout ça ? Quel regard juste poser ? Et je ne parle même pas des espoirs alentours, des espoirs de mes proches pour que je perdure le plus longtemps possible. Que faire avec ces derniers ? Les prendre en compte, même si cela complique ma gestion intérieur ?

Si tout se passe normalement, ma fille sera donc avec moi une dizaine de jours en avril. Que vais-je faire avec elle, moi qui ne discute pas beaucoup ? Où vais-je l'emmener dans Rennes, dans quel musée, quel cinéma ? Et après ? Parce qu'il ne faut pas dix jours pour visiter Rennes, à moins de faire toutes ses églises innombrables. Nous verrons bien le temps venu, voici ce que je me dis, en espérant qu'elle ne s'ennuiera pas trop.

Je pense également à Mamy, elle qui a aussi un cancer. Comme tous ceux et celles qui ont un cancer, ils sont tous devenus pour moi des énigmes. Comment gèrent-ils dans leur tête cet état de fait ? Forcément ils doivent avoir des hauts et des bas dans leur moral. Alors à quoi se raccrochent-ils ? Qu'est-ce qui les fait tenir ? Oui, ils sont une énigme comme je le suis devenu pour moi-même. Je ne sais plus à quoi je me raccroche exactement et pourtant, je le sens, je ne veux pas me laisser aller plus que cela. Je ne fais aucun effort pour cesser de fumer, mais je ne veux pas aller plus loin vers ce qui pourrait compliquer ma vie quotidienne.

Ah, tout n'est que vent, il n'y a pas à dire, absolument tout n'est que vent. Tout est là, certes, puis disparaît tôt ou tard. Je pense à l'Hommo Erectus, celui qui est à priori notre ancêtre. Lui aussi fût, mais son espèce s'est éteinte. Certes elle a laissé des descendant, nous et Neandertal par exemple, mais nous sommes autres choses, bien différent dans notre morphologie et notre psyché. Et nous, qui laisserons-nous comme descendants ? Des êtres plus sot ou moins sot que nous ? Des êtres bioniques, mi-chair mi-puce électronique ? Et ces puces électroniques, quand seront-elles implantées dans nos corps ? A quelques mois de l'ovulation ? A la naissance ? Après ? A l'avenir notre carte d'identité comportant également tous les renseignements sur nous, si nous avons été de bons étudiants, si nous avons été des délinquants, à quel âge nous avons commencé à travailler, etc, oui cette carte d'identité sera une puce incrustée je ne sais où sous notre peau. Le mot privé, celui de la vie privée, n'aura alors plus aucun sens, tout comme celui de liberté. Actuellement nous n'en sommes qu'au balbutiement de cette société qui est à l'horizon. Déjà aujourd'hui, dès lors que vous avez un téléphone portable, vous êtes géo-localisables, où que vous soyez sur la planète. De plus, en consultant vos connexions internet, les programmes TV que vous regardez, on peut presque vous dire qu'elle a été votre journée, ce que vous avez fait de telle heure à telle heure, etc. Oui, je ne sais ce que nous sommes entrain de léguer à nos descendants, mais connaissant l'homme comme je le connais, je ne pense pas que toutes ces nouveautés technologiques seront utilisées à bon escient.


(15 mars 2015)

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