mercredi 31 décembre 2014

Voeux

Assis au comptoir d’un café, bien au chaud, je pense à toi, à la chaleur de ton corps que prochainement je serrerai contre le mien. Une fin d’année sans toi est un peu triste, mais de te savoir là dans quelques jours rends ces instants moins amers. Puisses-tu passer avec joie ce nouvel an, c’est tout ce que je te souhaite.

De mon côté je ne peux m’empêcher de penser à ma tumeur qui grossit et espère sincèrement qu’ils pourront appliquer la radiothérapie et que cette dernière, souhaitons-le, soit efficace. Il m’est insupportable de me penser comme une charge pour toi, ce que je suis déjà malheureusement, et puisque je ne peux plus être ni faire ce que je souhaiterai pour toi, je prends donc le parti d’essayer de faire ce que je pourrai faire pour toi dans l’avenir. J’espère juste ne pas devenir un légume, un tas de chair installé dans ta demeure, inerte, inactif, telle une viande morte.

Je t’embrasse de tout mon cœur.


(31 décembre 2014)

jeudi 25 décembre 2014

Hommage à Cynthia

Au fur et à mesure du temps elle est devenue ma colonne vertébrale, bien avant mes amis, bien avant ma famille. Qu’elle soit absente ou non physiquement, elle est là chaque jour, en moi, dans l’esprit et dans le cœur.

Aujourd’hui le ciel était parfois bleu. On le distinguait entre quatre nuages plus ou moins noires, nuages qui passaient, rendant ainsi très agréable le moment présent. Cynthia est ce ciel bleu qui m’habite entre les divers nuages qui encombrent mon corps et mes idées. Écrire sur elle, rédiger pour elle, est à chaque fois un hommage que je lui rends. Je vénère sa fidélité, ses engagements et sa manière de prendre en main sa vie. De moi, elle n’a plus rien à apprendre. L’essentiel, elle le connait désormais et plus elle avancera dans la vie, plus elle sera apte à faire la part des choses, à ordonner ce qui doit l’être en des étapes sages, car je ne doute pas de sa sagesse naturelle qui, parce que la vie le veut ainsi, la confrontera encore à de nouveau défi, de nouvelles disconvenues. Puisse-t-elle avoir assez de temps pour s’échapper parfois, refaire le plein, puiser la force dans ce qu’elle croit et dans ce qu’elle aime, car si telle était sa trajectoire, rien ne pourrait l’abattre.


(25 décembre 2014)

mercredi 24 décembre 2014

Combat

Installé face aux divers médecins qui me suivent, dans leur antre, leur cabinet, je me débats contre la mort, ne sachant où lancer mon corps, comment diriger mes bras et, surtout, comment contrôler ma pensée. Elle part dans tous les sens, du plus sensé au plus tragique, de l’espoir au désespoir, celui de la fin annoncé, inévitable et si proche. Je ne vivrai pas encore dix ans, pas même cinq, peut-être une année ou deux si mes cellules cancéreuses prennent quelques mois de vacances, ce dont je doute évidement. Elles sont là, réveillées, pour me ronger, me grignoter à petit feu jusqu’à ce qu’il ne reste plus que cendre de mes neurones et de je ne sais quelles autres parties de mon corps. Mon cancer se généralisera, à l’image de ce qui semble se passer pour ma belle-mère. Comment ne pas devenir fou ou folle face à ce tsunami qui déferle sur vous sans plus vous laisser le temps de respirer, reprendre votre souffle, tenter une ou deux brasse entre deux suffocations ?

Pour ma part, les calmants sont là en pagaille et j’en use et abuse tant l’angoisse, l’inquiétude, sont profondes, accrochées à l’estomac, chevillées corps et âme à mon être, ce tas de chair et d’organes qui sera pourtant la clé de ma mort. Un par un ils seront attaqués et dans cette lutte à mort entre la chimie, la pharmacopée et la prolifération des cellules cancéreuses, l’issue est déjà jouée.


(25 décembre 2014)

mercredi 10 décembre 2014

Le point de vue

Le point de vue est le pilier de l’identité, ceci est ma profonde conviction. Selon que celui-ci connaitra ou non des variations, voire des changements radicaux, alors nous changeons d’identité. Ceci explique notre évolution aux différents stades de notre vie, pourquoi l’adolescent n’est plus l’enfant qu’il a pourtant été, avec sa propre identité, et ainsi de suite. Si nous n’avions pas le pouvoir de nous souvenir, aucun adulte ne pourrait se reconnaitre s’il assistait à la projection d’un film sur l’enfant qu’il a été. Cet enfant lui paraitrait complètement étranger, comme s’il s’agissait d’une autre personne. Dans la même trame, positiver ou  « négativer » les choses relève du même registre. Là encore c’est le point de vue que l’on façonne, que l’on modifie, auquel nous donnons une inflexion.

A la lumière de cette évidence il m’est bien difficile de savoir quel point de vue adopter pour juger de mon histoire. Est-elle si terrible, tragique ? Ou est-elle détestable, à vomir ? Mais ma vie, comme toute vie, ne se limite pas aux seuls faits que je vous expose. Je n’ai pas toujours été un démon, un insoumis, un hors-la-loi. De même, parmi tous ceux et celles que j’ai côtoyé, l’immense majorité était éminemment respectable. Enfin, en trifouillant bien, même dans mes malheurs je peux trouver des sources d’espoirs, des messages clairs de ma bonté, de ma bienveillance et de ma solidarité. Certes, au premier abord cela peut sembler suspect, mais pourtant c’est bel et bien selon le point de vue que je déciderai d’adopter que mon histoire pourrait être contée de mil façons différentes. Il en va de même de la vision que vous avez de votre propre vie, donc de la vision de vous-même qui n’est autre que votre identité actuelle.


(1 décembre 2014)

samedi 29 novembre 2014

Nul n’est jamais revenu de là-bas

Matin

Nous sommes samedi, un de plus, le temps avance, mais moi, est-ce que j’avance ? Si tant est que j’avance, dans quelle direction me pousse le vent, vers quoi me dirige-t-il, je n’en ai aucune idée. L’avenir, les projections qui en découlent, dépendent pour bonne part de l’état de ses finances. J’aimerai me voir dans une maison à la campagne, si possible pas loin d’un bord de mer, son petit jardin et, pourquoi pas, un petit étang. J’aimerai entretenir cette illusion, mais trop de facteurs vont à l’encontre de ce doux rêve. Alors je prends du Xanax, le second de cette matinée, heure matinale ou la place Sainte-Anne est vide de monde, un Xanax pour me détendre, ne pas ressentir la déception de l’espoir vain afin d’apprécier, dans la mesure du possible, ce que m’offrira cette journée.


Soir

Nul n’est jamais revenu de là-bas, pas plus Jésus que tous les morts que j’ai connu de leur vivant. Nul n’est jamais revenu de là-bas et pourtant c’est par là que je me dirige, comme tous. Nul n’est jamais revenu de là-bas et pourtant nous faisons, agissons, comme si ce là-bas n’existait pas, ne nous concernais pas, à d’autres ces fadaises. Nul n’est jamais revenu de là-bas et pourtant nous faisons comme si, comme si ce là-bas n’était que la suite de maintenant, le même modèle, les mêmes valeurs, les mêmes mots, bref une même Terre située ailleurs tout simplement. C’est parce que notre pouvoir d’abnégation est si grand face à l’évidence, que notre bêtise est au moins aussi grande, que notre lâcheté face à l’injustice, les inégalités, les guerres et autres comportements absurdes de notre espèce conditionnent toutes ces aberrations. L’on critique les fous de Dieu, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, mais au final nous sommes comme eux. A l’instar des fous de Dieu, nous sommes tout simplement des fous de la Vie et tentons de rayer, lentement mais sûrement, toute trace de mort sur notre chemin. Fous de la Vie, la mort n’a plus sa place et, grâce à la médecine, aux nouvelles technologies, nous nous appliquons à nous faire durer, là est la première loi de notre table.


(Samedi 29 novembre 2014)

vendredi 21 novembre 2014

Que faire ?

Plus le temps passe, cancer oblige, plus il me tarde de franchir la barrière. Pas plus que je ne supporte le spectacle lamentable de notre époque, pas plus je ne supporte mes souvenirs. J’ai vu trop de choses laides, de gens se perdre, indigne d’une société qui se réclame de l’égalité et de la fraternité. De même, dans la foultitude de gens que j’ai croisé, rares étaient les personnes intègres qui tenaient leurs paroles, sur lesquelles on pouvait compter que l’on soit ou non leur ami. Seule Cynthia, sa présence, sa prestance et son immense gentillesse à mon égard me permettent d’endurer ce monde abject. Si elle n’était pas là, je crois que je me laisserai vaincre par la maladie. Je cesserai de passer mes examens de contrôles trimestrielle, je cesserai de consulter pneumologue ou oncologue et attendrais patiemment que mon cancer se déclare à nouveau et, cette fois, je le laisserai se propager. Maintenant je dis çà parce que, à priori, je suis en voie de rémission, mais serai-je capable de réellement le faire dans l’hypothèse où Cynthia ne serait plus à mes côtés ? La peur de sa propre mort est quelque chose de si intense, si puissante, que malgré touts les ras-le-bol elle génère le désir ardent de survivre, à défaut de pouvoir vivre normalement.


(21 novembre 2014)

mercredi 19 novembre 2014

De la cause des animaux

Ce matin je suis content, heureux de la joie à venir de Cynthia. Je viens de lui acheter un livre, un plaidoyer pour la cause animale. Certes, elle n’est pas une militante de la cause animale, mais sans conteste elle une défenseure des animaux. Contrairement à moi qui n’éprouve pas d’empathie réelle envers leurs sorts et leurs destins, chez elle c’est génétique et leurs sorts ne la laisse jamais indifférente, que les nouvelles soient bonnes ou mauvaises. Sa place n’est pas dans une école à donner des cours de français, pas plus qu’elle ne le serait dans toutes activités professionnelles intellectuelles. Je ne la vois pas non plus vétérinaire, même s’il lui importe énormément que l’on prenne soin et soigne les animaux comme nous-mêmes nous soignons. Non, je ne crois pas que le bistouri soit l’expression adéquate pour signifier son attachement aux animaux. Je la verrai plutôt entretenir une réserve sauvage, vérifiant que l’environnement sied à chaque animal, veillant à leur bonne santé, prenant soin qu’ils ne manquent de rien, agissant ainsi comme tout parent sensé le ferait envers ses enfants. Ce soir, après ses cours, elle aura donc la surprise de découvrir ce livre et j’espère que ce plaidoyer sera à la hauteur de ce que quelqu’un comme Cynthia est en droit d’attendre. Lorsqu’elle l’aura lu et selon ce qu’elle m’en dira, peut-être le lirai-je à mon tour.

J’aime faire plaisir à la femme que j’aime, c’est viscéral, et s’il se passe trop de temps sans que je ne lui ai apporté un plaisir, aussi minime soit-il, cela attaque mon moral et, malgré moi, je commence à m’en vouloir de ne pas lui apporter quelques rayons de soleil dans notre monde si noir. Je la veux tant être heureuse que je ne peux concevoir ne point y participer. Dans la vie qui a été la mienne, je n’ai jamais été heureux aussi longtemps. Même si six années ne représentent pas grand-chose à l’égard de mes quarante-sept ans ; elles sont cependant quelque chose d’énorme, de grandiose, tant j’ai été serein, détendu, redécouvrant une joie de vivre que je pensais avoir définitivement perdue, et cela grâce à Cynthia, il ne faut pas s’en cacher, mais au contraire l’affirmer, le marteler et ce, jusqu’à ce que mort s’ensuive.


(19 novembre 2014)

dimanche 16 novembre 2014

Du tabac et de l'état

Aujourd’hui j’ai l’esprit plat, aucune onde n’oscille, aucune idée, aucun thème ne se fait insistant, bref c’est le calme plat. Pour mon corps il en va de même. Je le sens vidé d’énergie, comme si une platitude que l’on pourrait confondre avec une apparente sérénité m’habitait. J’écris parce que j’aime écrire, voir les lettres former des mots puis des phrases sur du papier vierge, mais rien ne m’inspire ce matin.

Je vois des gens fumer, allumer leur cigarette et, immanquablement, cela me ramène à mon cancer. Du coup je pense à l’industrie du tabac, à l’état qui permet la vente de leur marchandises et à tous les morts passés et à venir qui en découle. Oserais-je parler de génocide ? A la seule vue des chiffres, du nombre de personne qui, chaque année, meurent du tabac, oui il s’agit d’un génocide. Le tabac tue chaque année plus de gens que l’ensemble des juifs gazés pendant la seconde guerre mondiale. A la suite de cette extermination de masse fut créé la cour internationale de justice pour juger ce qui fût considéré comme un crime de masse. En laissant en vente libre le tabac, tous les états du monde organisent, planifient des crimes de masse. Les lobbies du tabac doivent être d’une puissance redoutable pour que cela soit ainsi et, même s’ils ne sont pas des industries pétrolières, l’argent ne doit pas manquer dans leurs caisses. Notre état si fière de son système de santé, de sa sécurité sociale, ne peut dire qu’il se préoccupe de la santé de ses citoyens. Ce qui l’intéresse c’est l’argent, en encaisser le plus possible tout en essayant d’en dépenser le moins possible. Les taxes qu’il instaure sur le tabac sont pour lui une véritable manne d’argent, un argent dont il a besoin, considérant les morts du tabac comme un pire aller, ni plus ni moins.

Ceci n’est qu’un exemple supplémentaire de la pourriture de notre système et les gens qui l’incarnent, les politiques, sont ceux qui l’entretiennent. Il y a les mots, les belles paroles, et il y a les actes, les lois, les décrets qui, bien souvent, sont en totale contradiction avec leurs dires. Comment croire en eux, en ces hommes et femmes qui prétendent améliorer nos vies alors que dans les faits ils ne font que le minimum syndical pour protéger notre santé. Si d’aucun croit, et Dieu sait s’ils sont nombreux, que le premier des biens est la propriété, ce n’est que lorsqu’ils sentiront leur fin venir qu’ils réaliseront pleinement leur erreur, leur cruelle méprise. Le premier des biens est la santé et, comme d’autre, je l’ai compris, appris trop tard.


(16 novembre 2014)

samedi 15 novembre 2014

Michèle

Actuellement ce que vois, où que se porte mon regard, ce n’est plus la mort en tant que telle, pas plus que des corps morts que des corps vivants, plus ou moins jeunes dont on sait que tôt ou tard ils finiront en corps morts. Encore une fois, ma maladie, la perception que j’ai des êtres et des choses depuis, me fait apprécier différemment les corps qui s’animent autour de moi. A défaut de morts potentiels, ce que nous sommes tous, c’est essentiellement les mourants qui monopolise à présent mon attention. Quand je parle de mourants, je parle de ceux et celles dont les jours sont comptés, inéluctablement et ce, de façon implacable.

Depuis une dizaine d’année j’ai considérablement fait le tri dans mes relations, éliminant d’office, plus ou moins tardivement, ceux et celles dont je savais que jamais nous ne construirions quelque chose. C’était les potes de comptoirs, les copines des copains, les copains des copains, etc. Pourtant je m’entendais très bien avec eux et appréciais les soirées que nous passions ensemble, parfois autour d’un bon repas, d’autre fois autour d’un verre. Mais ces relations étaient creuses bien qu’agréables. Ainsi, depuis que j’ai éliminé nombre de personne de ma vie, qui reste-t-il autour de moi ? Il y ma famille, Cynthia, sa famille et deux amis. Au total cela représente dix personnes et quelque soit la direction de mon regard, je vois à présent des mourants, à commencer par celles qui m’obsèdent le plus, la mère de Cynthia, Michèle, puis ma propre mère.

Michèle, et de loin, est celle qui m’inquiète le plus. Son cancer ne peut se guérir et elle est condamnée à subir à vie de la chimiothérapie. Mais elle est faible, son corps met énormément de temps à récupérer, qu’il s’agisse de musculature, de globules ou de plaquettes. Déjà à de nombreuses reprises des séances de chimiothérapie ont du être décalées, reporté, du fait de la faiblesse de son corps. Pendant ce temps son cancer progresse, se propage et la logique veut que les pansements que sont ces séances ne pourront empêcher l’hémorragie de se produire. En direct je vois quelqu’un mourir sous mes yeux. C’est la seconde fois que je suis confronté à ce genre de situation et vous dire que c’est pénible, triste, ne suffit pas à décrire ce qui se joue sous mes yeux. Peut-être que Michèle n’a pas été une mère exemplaire ni une épouse sans reproche, mais a qui a-t-elle fait du mal pour subir pareil sort ? Son train-train quotidien était bien huilé. Une fois par semaine elle se rendait à Carrefour avec Bernard, son mari, afin de faire le plein de courses pour la semaine. Hormis cette échappée hors de chez elle, elle ne sortait jamais. Ses journées étaient rythmées par les repas qu’elle préparait, ses séries télévisés, ses mots fléchés et quelques lectures, qu’il s’agisse de livres ou de revues. En un mot elle n’emmerdait personne, strictement personne, jusqu’au jour où la maladie a été décelée, mettant ainsi en branle toute sa famille et, bien malgré elle, stressant et inquiétant tout ce beau monde.

Voir quelqu’un mourir est épuisant tant nerveusement que mentalement. Vous assistez impuissant à la dégradation de ses facultés, qu’elles soient physiques ou mentales, et face à ce triste spectacle seulement deux choix se présentent à vous. Soit vous décidez de rester présent, seule manière d’accompagner le malade et cela ne peut que vous faire souffrir, soit vous décidez de mettre de la distance entre vous et lui parce que l’effort de présence est trop intenable, voire insupportable. Parfois Michèle semble aller mieux, comme si elle vivait une période de rémission. Les premières fois je me souviens que j’étais heureux comme un enfant à noël, pensant que le plus dur était passé et que la guérison pointait son nez à l’horizon. La déception était donc très amer lorsque les jours suivants son état rechutait. Ces hauts et ces bas durent depuis dix mois déjà, dix mois où elle n’a pas quitté le lit, dix mois pendant lesquels elle a subi une vingtaine d’anesthésies générales et plus de son opération du col de l’utérus, dix mois ou plus d’une fois elle a faillit y passer et ce, définitivement. A force, malgré ses rémissions ponctuelles et de courtes durées, il faut malheureusement accepter l’évidence et cesser d’entretenir l’espoir. Si aujourd’hui elle est vivante, c’est déjà bien, c’est presque miraculeux et il faut savoir se contenter de cette heureuse nouvelle. Pour Michèle, demain est complètement aléatoire, « non diagnostiquable », imprévisible. Peut-être pourra-t-elle faire quelques pas en étant soutenu par son kiné, mais peut-être dormira-t-elle toute la journée à cause des doses importantes de médicaments qui lui sont prescrit, la morphine n’étant pas la plus anodine. Peut-être ne ressentira-t-elle aucune douleur comme il se peut, ce qui est le plus fréquent, qu’une douleur lui gâche sa journée. Souvent je me demande si elle a bien conscience de son état, de ce que cela signifie et, parce que j’ai la même maladie, j’aimerai qu’elle me fasse part de tout ce qui peut lui traverser l’esprit.

Contrairement à Bernard, je ne dirai pas que Michèle est une femme gentille. Je me demande même si elle sociable naturellement, sans faire d’effort. Pour des raisons que j’ignore, raisons certainement liées à son passé, je la perçois surtout comme une femme méfiante, très méfiante, capable de faire du mal et de s’en délecter, une femme qui, au final, n’aime pas grand monde. Parfois je me dis qu’elle n’a pas toujours été ainsi, mais qu’elle l’est devenue parce qu’insatisfaite de sa vie. Quels projets, quels rêves avait-elle en tête lorsqu’elle avait vingt ans, lorsque s’est marié, lorsqu’elle a eu son premier enfant ? C’est une femme déçue, c’est ainsi que je le ressens, mais déçue par quoi ou de quoi ? Quoi qu’il en soit, peut importe sa nature, son caractère ou son tempérament, peut importe toutes les mauvaises pensées qui, parfois, peuvent lui traverser l’esprit, car depuis que je la connais je ne l’ai jamais vu commettre d’actes néfastes envers autrui. L’important c’est cela, sa gestion d’elle-même, le contrôle de sa personne, bien plus que l’amertume ou les regrets qu’elle garde précieusement caché dans un coin de son cœur, dans un coin de son esprit, veillant à ce qu’ils n’engendrent rien de désagréable pour son entourage. Néanmoins, même si le tableau subjectif que je dresse de sa personnalité ne semble guère joyeux, il est une chose dont je suis sûr. Elle aime sa famille et serait prête à tout pour leur venir en aide, les soutenir si besoin était.


(15 novembre 2014)

mercredi 12 novembre 2014

Des médias

Déconnecté d’internet et de télé depuis une semaine pour cause de changement de fournisseur d’accès, je vis donc le quotidien sans plus me préoccuper de ce que l’on appelle communément l’actualité. Mais de quelle actualité s’agit-il exactement, qu’est-ce que cette actualité que l’on nous présente comme être la marche du monde ?

Nous sommes dans l’actualité spectacle car seul compte l’audimat. Jamais, ou alors très exceptionnellement, vous ne verrez de sujet sur les miséreux, les SDF, sauf s’il y a mort d’homme dans l’histoire, spectacle et audimat oblige. Afin de nous scotcher face au 20h00 ou aux chaînes d’info en continue, il faut du spectaculaire et peu importe si les problèmes de fond, la véritable information, ne sont pas traités. Pas de reportage sur les conditions de travail des uns ou des autres afin d’expliquer qu’ils ne sont que la conséquence du capitalisme et, là, d’exposer ce qu’est le capitalisme, sa logique de profit, de rendement et ce, au détriment de la santé physique ou mentale de ceux qui y sont soumis. Les conditions nécessaires à un tel sujet dans les médias sont soit la fermeture d’une grosse entreprise, soit des licenciements en masse suite à une restructuration. Quoi qu’il en soit, émotions obligent, ce n’est pas le capitalisme et ses méfaits qui seront traités, mais uniquement le sort des malheureux qui se retrouvent sans emploi.

Les médias trient les sujets en fonction de leur impact émotionnel sur nos personnes. Ils ne sont ni là pour exposer le fond des choses, ni là pour nous informer sur ce qui est essentiel. Mais cela est normal, logique, car dans cette corporation comme dans d’autres qui impactent sur la vie sociale, publique de notre pays, ils sont des nantis bien payés, fréquentant des univers qui sont à mil lieux du quotidien de la majorité d’entre nous et, pour garder leurs privilèges, il ne serait être question de remettre en cause, de seulement pointer du doigt le système qui, justement, les fait vivre et, si ce n’est dans l’abondance, tout au moins dans l’aisance.


(12 novembre 2014)

mardi 11 novembre 2014

Comme un cri de colère

En voyage, je somnole debout et laisse les mots aller. Lexomil, ton poison que je ne sais pas encore doser fait effet. D’une lune il m’envoie vers une autre lune et c’est ainsi que j’ai du mal à sortir de la nuit. En ce jour, fête de l’armistice, première guerre moderne, premiers saccages en série, premiers crimes de masse, il n’y a pas grand monde dehors. Il faut dire que le temps ne s’y prête pas, entre pluie fine et humidité, température basse et absence de soleil. La place Sainte-Anne est vide, comme un dimanche matin, et moi je pense à mon autobiographie en cours dont je ne sais quoi penser. Mélange des genres, mélange des styles, est-ce que cela fera un bon cocktail ? D’autre part je ne prends plus plaisir à écrire sur des sujets où ma plume a déjà trainé. De même je n’ai plus de plaisir à me relire, que le texte soit d’hier ou d’aujourd’hui, tant cette entreprise, l’autobiographie, me semble vaine car inutile. Qui cela peut-il intéresser, franchement ? Même les membres de ma famille et mes amis se foutent éperdument de ce que je peux y dire. Ils n’ont pas envie de me connaitre plus que çà, et comment les en blâmer ? Néanmoins chaque jour est une plaie car, hormis l’écriture, je n’ai rien pour occuper mes journées, rien ne m’intéresse ou ne m’épanouis. Tout cela a un goût de dépression et malgré l’antidépresseur que je prends déjà, je n’ai pas l’impression que ça s’arrange.

Ma fille me dit qu’elle veut passer le nouvel an à mes côtés. Pour ma part je n’en ai pas vraiment envie. Couper définitivement le contact, voici ce qui m’arrangerai. Mais du fait de son âge, bien qu’elle ne soit plus totalement une enfant, je me force à lui donner une seconde chance. Mais je ne crois plus en elle dans ce sens où, malgré mes souhaits, mes attentes, mes espoirs, elle ne sera guère différente de sa mère, une femme que je méprise et en qui je n’ai aucune confiance. La savoir six pieds sous terre serait un véritable plaisir tant j’ai la conviction que ce sont des êtres similaires à elle qui amènent le bordel, les problèmes, du fait de leur hypocrisie, de leurs mensonges et de leur lâcheté. Ils sont la lie de l’humanité, de cela je ne démords pas. Ma fille fera-t-elle partie de cette caste?

Mais parlons de tout et de rien, sans préconçu, sans tri, sans focaliser sur un sujet et observons le résultat. Laissons la pensée se révélée, elle qui va et vient, d’une idée à l’autre, sans coordination si nous ne l’y soumettons pas. La pensée libre n’a nul besoin de notre concentration, par elle-même elle est et elle se vit, n’ayant cure de nos objectifs, de nos ambitions ou de nos désespoirs. Je pourrai parler de pissenlit, de pomme de terre, des fruits et légumes d’un potager car, c’est vrai, je m’emploie à devenir végétarien. Il est aussi vrai, nous ne pouvons qu’en faire l’aveu, que nous traitons les animaux  comme les nazis traitaient les juifs. Tous à l’abattoir, élevés dans des conditions digne des convois qui transportaient les juifs, tziganes, homosexuel ou dégénérés mentaux vers des Auschwitz et Treblinka en tout genre. Aucune humanité dans notre manière de traiter les bestioles, aucun remord lorsque nous les mangeons. La race humaine est supérieure dans l’atrocité, dans le macabre, dans la torture. Oui, là, nous sommes les Dieux de ce monde. Qui ne dit mot consent, proverbe auquel j’adhère entièrement. Ainsi, laisser faire les éleveurs sans mot dire, puis acheter leurs marchandises afin de se concocter de bons repas, c’est consentir à cette abomination que constitue l’élevage moderne. Mais il est des étoiles, des cieux dégagés qui nous indiquent que nous ne sommes rien, ou alors pas grand-chose. Mais qui prend le temps de contempler la sphère céleste, celle qui, justement, nous remet à notre juste place ?


(11 novembre 2014)

dimanche 9 novembre 2014

Monotonie

Encore une nuit de merde, une de plus, où des nausées m’ont réveillé vers une heure du matin. Mais cette nuit j’ai été jusqu’à vomir, par deux fois, laissant dans le chiotte le repas de veille. Mon estomac ou mon foie ne tourne plus rond, mais cela ne date pas d’hier. Tout a commencé lors de mes premières séances de chimiothérapies en janvier de cette année. Pourtant je prends des médicaments pour éviter ce genre de désagrément. Parfois ça marche et parfois, comme en ce moment, ils n’empêchent rien. Du coup, comme à chaque fois ou presque, je commence mes nuits dans mon lit, aux côtés de Cynthia, et les finis dans le canapé du salon.

Ce matin, comme souvent, je suis place Sainte-Anne et prends un café. Du fait de l’heure matinale et parce que nous sommes dimanche, la place est complètement vide. Seuls les restaurateurs et brasseurs s’activent à mettre en place leurs terrasses. Même s’il a plut cette nuit, ce matin il n’en est rien et le soleil est même présent. C’est une belle matinée d’automne, calme, silencieuse, avec de belles couleurs. Comme chaque matin à mon réveil je ressens une sourde angoisse dont je ne connais pas la nature, instaurant de fait l’inquiétude dans mon esprit. De suite je prends donc mes calmants avec le profond souhait qu’ils agissent rapidement. De même, si j’écris si tôt ce matin, c’est également dans le but d’atténuer cette angoisse, mon inquiétude, car d’expérience je sais que parfois les mots, au détour d’une phrase, parviennent à mettre en pleine lumière le maux qui nous ronge. En l’état je pense que le cancer et tout ce qu’il signifie dans ma tête est mon maux. Mais il peut être tout aussi bien un écran de fumée qui cache le véritable mal, la cause de mon angoisse.

Ce matin je me sens d’humeur monotone, à l’image de la saison, l’automne, où lumière, chaleur et joie semblent s’estomper lentement, sans mot dire, mais sûrement, nous préparant à l’hiver rigoureux à venir, ses nuits froides, ses journées courtes où, si vent il y a, nous serons frigorifiés. L’automne n’a jamais été ma saison préférée, c’est même le contraire. Elle symbolise la fin à venir, à l’image de la perception que j’ai de mon cancer et même si je passe l’hiver tranquillement, j’éprouve les quatre saisons comme un long automne, quoique je projette dans l’avenir.

Je repense à ma jeunesse, l’enfance exactement, toute cette période allant de mes six ans à mes dix ans. A l’époque je ne savais pas que je vivais mes meilleurs moments, vivifiants, exaltants, épanouissants, heureux, où je n’envisageais pas qu’il puisse exister des moments durs, pénibles, atroces à supporter, où la joie, le plaisir, la douceur n’avaient plus leur place. Oui, à cette époque tout était merveilleux, quoi que je fasse ou quoi qu’il se passe. J’étais en constante découverte, apprenant chaque jour de nouvelles choses, sentant que je mûrissais d’année en année, preuve que je grandissais et qu’un jour je ne serai plus un enfant mais enfin un grand, un jeune, un adulte en devenir. Cruelle a été ma désillusion lorsque pour la première fois je vis mon père frapper ma mère. J’avais onze ans et tout ce en quoi j’avais cru s’est écroulé d’un coup, sans crier gare. Est-il  possible d’exprimer ce que j’ai ressenti alors, l’impact psychologique et l’effroi qui m’a traversé lorsque je vis ma mère se faire frapper ? C’est un exercice difficile que de me replonger dans l’être que j’étais alors tant les décennies suivantes m’ont endurci, faisant parfois de moi un être froid, insensible, méchant, sadique, un provocateur qui ne ratait pas une occasion de créer un conflit, de chercher un adversaire afin d’en découdre, physiquement ou verbalement, une manière comme une autre d’exorciser mon mal-être.


(9 novembre 2014)

samedi 8 novembre 2014

Nouveaux départs

Il y a quelques jours j’ai enfin eu les résultats de mes derniers examens concernant mon cancer. En l’état tout est OK, ma tumeur cérébrale étant passée de 16mm à 11mm en l’espace de deux mois et ce, grâce à la radiothérapie. Je devrai trouver ceci encourageant et éprouver à nouveau de l’espoir, entrevoir un horizon au-delà du trimestre, voire de l’année. Mais rien de tout cela ne s’exprime, ni dans ma tête ni dans mon cœur ni dans mon corps. Je ne sais pourquoi, je n’arrive pas à croire que de longues années m’attendent, années à vivre pleinement. C’est le contraire qui me semble le plus probable, toujours à la vue des chiffres et statistiques, et ce serait vraiment un miracle que je fasse partie des survivants, que je fasse partie de la masse de ceux et celles qui sont morts d’une autre cause que le cancer, autrement dit « naturellement ». Je suis donc satisfait de savoir où j’en suis, mais cela s’arrête là. Aucune joie particulière, aucune euphorie, simplement une inquiétude suspendue qui ne cesse de se demander quand, quand sera le grand tournant, l’ultime étape vers ma mort. Rien de très gai dans tout cela, mais rien de triste si l’on y réfléchie bien. Je suis toujours là, vivant, toujours animés par certains désirs, partageant mon quotidien avec une femme que j’aime, et même s’il me faut prendre des psychotropes pour essayer de vivre au mieux cette expérience que je ne souhaite à personne, dans l’ensemble ma vie est agréable.

Ces derniers jours j’ai également changé de traitement médical, celui qui concerne mes états d’âme, mon ressenti et mes inquiétudes. Pour l’instant c’en est fini du Xanax, de ma précieuse pilule magique, qui, bien que l’effet sois infiniment moindre, me faisait planer comme seul un joint saurait le faire. A la place mon médecin traitant m’a prescrit de Lexomil, calmant presque centenaire que toutes les générations d’aujourd’hui ont connu, au moins de nom. Pour l’instant je n’ai pas à m’en plaindre, il agit, même si je ne sais pas encore le doser correctement. Ensuite, histoire de stabiliser un peu mes humeurs, je prends un neuroleptique, le Tercian 25g, à raison de trois par jour. Enfin, pour que le cocktail soit complet, je prends également un antidépresseur et ce, depuis une dizaine de jours. Son effet se fait sentir car je dois bien admettre que mes idées, pourtant toujours aussi noires, aussi sombres, ne m’empêche plus de savourer pleinement quelques moments, ne m’empêche plus de m’autoriser à projeter quelques projets, dont celui d’une ballade à cheval sur des bords de plage avec Cynthia, celui de m’offrir éventuellement un synthétiseur et, même si j’ai été particulièrement déçu par le comportement et le caractère de ma fille, d’éprouver du plaisir à la revoir.

A ce sujet, sur ma fille que j’avais décidé de rayer de ma vie parce que nous n’avions pas passé les vacances de la toussaint ensemble, tel que prévu, tel qu’elle s’était engagé à le faire, j’ai finalement appris le fin mot de l’histoire, les circonstances pour lesquelles cela n’a pu se faire. Une fois de plus, faisant fi de mon avis et sans aucune concertation, c’est sa mère qui a décidé d’annuler ce séjour. Cependant je ne suis pas dupe et si elle a pris cette décision, c’est en grande partie à cause du comportement de ma fille, une peureuse qui, j’en suis sûr, ne cessait d’exprimer sa crainte de se retrouver seule avec moi pendant quinze jours, supposant, projetant que du fait de ma maladie il pourrait arriver des événements imprévus, telle une crise d’épilepsie, face auxquels elle se serait senti totalement démunie. Dans un sens je ne peux lui jeter la pierre de se sentit vulnérable, incompétente, perdue face à une telle situation. Par contre je ne lui pardonne pas de ne pas m’avoir fait part de ses doutes, de ses craintes, de sa peur, car si tel avait été le cas nous aurions trouvé une solution, quitte à raccourcir ou annuler ce séjour. En me disant chaque soir au téléphone qu’elle avait hâte que l’on se retrouve, elle ne me disait qu’une partie de sa vérité. En cela elle a été hypocrite, voire une sale petite menteuse. N’ayant que douze ans et un caractère qui n’est pas encore forgé, construit et affirmé, je lui laisse donc une seconde chance et, après l’explication que j’ai eue avec elle ces deux derniers jours, j’espère qu’elle saura en faire bon usage. Ma fille, Jade, je l’aime et plus j’apprends à la connaître moins elle me plait. Cependant elle possède une qualité qui compte grandement à mes yeux, c’est sa profonde et sincère gentillesse. En quarante-sept ans d’existence je n’ai rencontré qu’une seule personne aussi désintéressé lorsqu’il s’agit de venir en aide à quelqu’un. Il s’appelle Luc. Nous nous sommes connu lors de notre adolescence et avons immédiatement sympathisé. Aujourd’hui encore et malgré des divergences ou désaccords profonds dans le domaine des idées, dans la façon de mener notre vie, nous sommes toujours amis. Malheureusement la gentillesse ne suffit pas à rendre une personne respectable, appréciable, et ma grande crainte depuis la naissance de ma fille est que sa gentillesse soit entachée par les tares de sa mère, mère qui est son modèle pour se construire, une mère qui ment, qui est hypocrite et qui est incapable d’assumer ses erreurs. Si ces travers déteignent trop sur ma fille, alors sa gentillesse passera au second plan aux yeux de tous, y compris aux miens. Personne n’aime les lâches, les hypocrites ou les menteurs et, même entre eux, ils ne s’apprécient pas.


(8 novembre 2014)

lundi 3 novembre 2014

Masculin - Féminin

Diverses choses me traversent l’esprit mais là, particulièrement, il s’agit des rapports Homme-Femme ou, plus exactement, de ce qui fonde la personnalité, l’identité de l’un et de l’autre. Judith Butler a beaucoup écrit sur la question, Simone de Beauvoir également, ainsi que Françoise Héritier. Dès l’enfance, selon notre sexe, nous constatons que nous ne sommes pas élevés de la même façon que l’autre sexe et que notre entourage, familiale ou autre, attend de nous des comportements et des modes de pensées spécifiques. Cependant, même si nous constatons et, dans une certaine mesure, nous réalisons pleinement le phénomène, bien peu d’entre nous mesure les conséquences réelles, parfois bénéfiques, parfois désastreuses, que cela implique dans notre vie quotidienne, dans notre rapport à l’autre, qu’il soit ou non du même sexe.

Au fur et à mesure des années qui passent, en grandissant, nous avons tous en commun un schéma sur ce que signifie être un Homme, être une Femme, et dans l’immense majorité des cas nous essayons de nous conformer, de nous fondre dans ces moules. Il faut avoir un certain âge, un certain degré de connaissance historique sur l’évolution de la condition masculine et féminine pour remettre en cause, en question et ce, en toute conscience, ces schémas préétablis.


(3 novembre 2014)

samedi 1 novembre 2014

Ailleurs

Tourbillon
Menace
Et pourtant le jour

Imminence latente
En embuscade
Elle m’attend

Derniers moments
Jours, mois, années
Parce que né une fois

Bientôt le silence
Autre bruit de l’univers
Autre rive à aborder

Dans l’attente
Solitude
Mais jamais je ne suis seul

Plus étroit qu’un puits
Plus profond qu’une perspective
Déjà elle m’aspire

J’entends les pleurs
Ils bercent mon voyage
Le temps se fige pour un instant


(1 novembre 2014)

De la conviction

1er novembre, jour des morts, un vague à l’âme, une espérance qui file tout droit, étoile filante que le simple fait de vivre détricote, où sont passés les songes d’antan ? Le partenaire n’est pas le tortionnaire car, sur ou sous la tombe, c’est le même cycle, le même état, unique entité, les deux faces d’un même miroir.

La Chine est loin, ainsi que la Russie, les États-Unis ou le Brésil. Jamais je n’ai foulé leur sol et pourtant je les fais exister dans mon esprit, comble du délire, leur donne une réalité qui est forcément  tronquée, à l’image des discours politiques, philosophique ou économiques que nous ingurgitons sans nous poser de question. Sommes-nous crédules, naïfs, ou sommes-nous des cons ? Comme disait Cioran : "N’a de convictions que celui qui n’a rien approfondi." Mais approfondir est un véritable effort, non seulement de recherche, mais également de remise en cause de notre mode de pensée initial. Si ce dernier n’est pas mis à l’épreuve de ce que nous découvrons, alors c’est du vent que nous faisons et agitons. Toute nouvelle connaissance, quelque soit le thème ou le sujet abordé, implique nécessairement un réajustement de ce que nous croyions jusqu’alors. C’est ainsi que toute notre vie nous construisons des châteaux de cartes dans notre esprit, des cartes en constant équilibre dont certaines s’affirment avec le temps consacré à la connaissance, tandis que d’autres tombent, vacillent ou meurent. Seuls ceux qui n’ont rien approfondi et les imbéciles ont des châteaux-forts dans leur petite tête. Chez ces derniers tout est à l’étroit, c’est peut-être génétique, tout est bétonné et rien ne peut pousser, ils sont la lie de l’humanité et, parce qu'ils sont majoritaires, nous n’avons d’autre choix que d’exister dans leur carcan ou de nous exiler vers des lieux un peu plus sains.


(1 novembre 2014)

vendredi 31 octobre 2014

Bernard

Après une semaine d’absence, Cynthia rentre demain. Vous dire que je suis heureux de la retrouver est un euphémisme qui n’est pas à la hauteur de mon sentiment à l’évocation de cette seule idée. J’espère qu’elle aura fait le plein dans son cœur de ses retrouvailles avec sa famille et qu’elle ramènera avec elle de bons souvenirs. Lorsque je pense à sa famille, de suite c’est à son père que je pense et au lien particulier, attachant, fort, qui les unis tout les deux. J’aurai aimé connaître, éprouver, ressentir ce même type de lien avec au moins l’un de mes parents. Malheureusement, même exceptionnellement, jamais cela ne s’est produit. J’ai aimé mon père, aujourd’hui décédé, même si j’ai été terriblement déçu le jour où j’ai réalisé qu’il était un menteur invétéré doublé d’un lâche. Un jour j’en ai eu marre, ne supportant plus de converser avec quelqu’un auprès duquel je ne pouvais me fier, n’ayant plus confiance en ses paroles. Ce jour arriva sept ans avant son décès et pendant ce laps de temps j’avais coupé tout contact avec lui.

Mais revenons à Cynthia, à sa famille. Son père, Bernard, est un homme franchement honnête, peut-être même trop, et d’un courage exemplaire. Même s’il n’aime pas çà, même si parfois il en a peur, jamais je ne l’ai vu reculer ou abdiquer face à un problème. C’est un battant, un vrai, d’une redoutable ténacité. Au premier abord, du fait de sa carrure et de sa manière de s’exprimer, d’un ton sec doublé d’un rapide débit verbale allant droit au but, on pourrait le prendre, croire, imaginer que c’est un être bourru. Mais passé ce premier moment de surprise on s’aperçoit vite qu’il n’en est rien, qu’il a la main sur le cœur et que, s’il le peut, il mettra tout en œuvre pour vous aidez, vous épauler, vous soutenir. Il est également manifeste, très rapidement, que l’on comprend qu’il ne s’engage pas envers vous à la légère. C’est un homme de parole et les actes s’ensuivent. Tout ce qu’il fait, il le fait à fond, qu’il s’agisse de vous tendre la main ou de vous exclure de sa vie. Il n’est pas dans la demi-mesure, ce n’est pas son tempérament ni sa personnalité, il est un homme entier, état assez rare chez nos semblables pour qu’il mérite d’être souligné. C’est également un amoureux de la nature, des animaux et des plantes, et je l’aurai très bien vu militer chez Greenpeace ou autres associations du même genre. De même, alors que cela peut paraître paradoxal vu ses opinions souvent tranchées, c’est un homme ouvert au dialogue, prêt à écouter d’autres points de vue avec intérêt, y compris ceux qui sont contraire à sa logique de pensée. Cette forme d’écoute dont peu d’entre nous sommes capables le rend ainsi encore plus attachant. C’est un père que beaucoup d’enfants auraient aimé avoir, moi le premier. Plus qu’un beau-père, en ce qui me concerne il est de plus en plus comme un ami et, avec les années, je ne doute pas qu’un jour nous le serons complètement, avec tout ce que cela implique de confidences, de complicité et d’envie de bâtir ensemble des projets communs. C’est un homme bon, fondamentalement bon, malgré la vie qui ne l’a pas ménagé en termes d’épreuves.


(31 octobre 2014)

Rupture

Ma fille n’est plus, elle est morte, mais cela fait si longtemps déjà que cela s’est produit. Dès que sa merde de mère est partie avec elle, alors qu’elle n’avait que six mois, de suite j’aurai du savoir que le fruit sain qu’était mon enfant serait contaminé au plus profond des profondeurs par le fruit pourri qu’était sa mère. Douze ans plus tard le spectacle lamentable de cette évidence est démontré. Je sais encore un peu plus aujourd’hui que jamais je n’ai été père et que jamais plus je ne le serai. Face à cette petite merde qu’est mon enfant biologique, son hypocrisie, ses mensonges et ses actes lâches, digne panorama signifiant parfaitement ce qu’est la personnalité de sa mère, je n’ai aucun remord à avoir cessé toutes relations. Je n’ai rien à voir avec des gens pareils, peut importe leur âge, et le fait que mon enfant biologique face partie du lot ne change rien à la donne. Les couards, les lâches, tout comme les racistes ou les xénophobes n’ont pas de place dans mon univers. Je ne veux autour de moi que des gens honnêtes, francs et sincères et, fort heureusement, il en existe encore. Tant pis pour ma fille, qu’elle se démerde avec sa mère et les psys qu’elle consulte déjà alors qu’elle n’a que douze ans. Tant pis également pour sa mère, cette salope qui m’a fait un enfant dans le dos puis qui m’a quitté afin de garder pour elle-seule sa petite poupée, son nouveau jouet. La mère étant une dérangée mentale, on ne pourra être surpris que sa fille le devienne à son tour. En la matière, de la colère j’en ai à revendre face à cet immense gâchis dont j’ai forcément une grande part de responsabilité, à commencer par celle de m’être mis en couple avec une folle peureuse.


(31 octobre 2014)

Vers la mort

Écriture automatique


La nuit n’est pas mon avenir, je contemple les étoiles et je sais que là est ma finale destination. Rien de laborieux, tout est silencieux, et je m’en vais comme une victoire vers mon sort final. Il n’y a plus d’heureux ou malheureux, tout se mêle en un seul bloc, celui du vivant qui va mourir. Encore une fois, encore une nuit, un dernier souffle pour l’honneur, être Don Quichotte face au moulin, moulin à vent bien entendu, car tout n’est que vent dans l’existence. Plus de passage, plus de message, tout doit s’éteindre - ainsi soit-il – et si je mange encore du pain c’est qu’il est tout de même beau de croquer la vie à pleine dent. Plus de loup, plus de chiens, plus de meutes ordonnées, véritables petits soldats de plomb, écrasante majorité d’entre nous, à supporter, à endurer, dont la bêtise et la lâcheté semblent sans limite. Seules les hyènes s’y retrouvent dans cet univers d’injustice, indigeste, de faux-semblants, de râleurs en tout genre qui, jamais, n’agissent. Je leur pisse dessus, par-dessus et par-dessous, le caniveau n’est pas loin et au large il les emportera. Ma bassine est pleine de notre connerie, pleine de ma lâcheté à supporter ce cirque et, plus encore, c’est pour cela que je ne regrette rien et, même si j’en ai peur, le voyage vers la mort m’enthousiasme.


(31 octobre 2014)

jeudi 30 octobre 2014

Cynthia

Des lettres d’amour je lui en ai écris souvent, mais c’était il y a longtemps. Je prenais même plaisir à rédiger des poèmes et tout ce que j’écrivais alors, les premières années de notre union, lui était directement adressé. Mais ça aussi c’était il y a longtemps. Puis un jour, sans que je ne sache quand exactement et pourquoi, j’ai cessé de lui écrire, j’ai cessé de lui donner les preuves de l’amour que je lui voue par des mots, des phrases chargées des sentiments de mon cœur. C’est sans doute à cette même époque que j’ai cessé définitivement d’écrire, certainement parce que j’allais si bien dans cette nouvelle vie que rien, absolument rien, ne pouvait l’entacher.

Lorsque j’ai appris que j’avais un cancer, il y a maintenant un an, là encore je n’ai pas pensé à elle. Pendant cinq mois, peut-être plus, je n’ai passé mon temps qu’à m’observer, à avoir peur, à essayer de gérer cette peur, mais Cynthia, lui-ais-je laissé une véritable place dans mon esprit, ais-je laisser l’amour que je lui voue s’exprimer dans mon cœur ? Je l’ai délaissé intérieurement, tel est mon sentiment, car trop accaparé par la panique qui était alors mienne. Aujourd’hui tout cela s’est apaisé et, enfin, je regarde à nouveau Cynthia, la contemple, éprouve de nouveau fierté et admiration face à son courage, sa ténacité, sa bienveillance et sa fidélité à ma personne.

Elle est la première femme dont je peux dire qu’elle est une partie de moi, indéniablement et sûrement. Non pas que je n’ai pas éprouvé de véritables attachements envers deux ou trois femmes dans mon passé, mais pour moi il est clair que nous étions des personnalités bien distinctes, même pas complémentaires, qui avions simplement du plaisir à être ensemble. Avec Cynthia tout est différent. Bien sûr cela ne s’est pas fait en un jour et, à deux ou trois reprises, nous aurions même pu nous séparer définitivement. Je ne sais qui a mis le plus d’eau dans son vin à cette époque, je ne sais par quelle magie nos désaccords profonds d’alors se sont apaisés, mais la suite de l’histoire, en ce qui me concerne, a été un véritable conte de fée. Effectivement une fois que cette période de troubles, de mise au point, d’explications de part et d’autre, fût passé, je n’ai pas souvenir de disputes verbales violentes, de mise en danger de notre couple et, aujourd’hui, j’apprécie cela d’autant plus que je ne vois plus ce qui pourrait nous séparer, hormis le décès de l’un ou de l’autre.

Quelque part, vous dire que je l’aime ne veut rien dire car ce lieu-dit n’est pas à la hauteur de ce que j’éprouve pour elle. M’approchant de la cinquantaine, ayant rencontré des personnes de toutes sortes, de milieux sociaux allant du bas de l’échelle aux sphères du pouvoir, je peux simplement dire que celle que j’aime mérite d’être heureuse, avec ou sans moi, tant le fond de sa personne est fondamentalement bon, généreux et, même si elle s’en défend, prêt à l’empathie. Jamais je n’aurai imaginé rencontrer quelqu’un avec qui je me sente aussi bien. Oui, ni mon frère ni mes amis ne m’apporte autant de sérénité, y compris face à l’adversité. Aussi, entre mes états d’âme et tergiversations intellectuelles, je pense que c’est la moindre des choses que de vous exposez l’importance, la place et le rôle crucial qu’elle tient dans ma vie. Plus qu’une flamme, elle est le feu qui m’illumine, qui m’offre chaleur et réconfort et, parce que je me veux digne d’elle, elle est également ma force, celle qui me donne l’énergie de me battre quelque soit le problème à affronter. De moi, elle fait un battant, y compris dans mes moments de faiblesse, car il ne serait être question que je la déçoive, elle qui ne m’a jamais déçu.

Avant de la connaître, je n’en avais strictement rien foutre de la condition et du sort réservé aux animaux. Lentement mais sûrement, peut-être malgré elle, elle m’a appris à les regarder, à les écouter, à les considérer et, parfois, à les comprendre. Est-ce à dire que je suis devenu un amoureux des bêtes? Pas du tout. Par contre je les considère à présent comme mon semblable, avec un cœur, des émotions, une forme de pensée et, pas plus que je ne supporte les violences que nous pouvons exercer entre nous, je ne supporte celles que nous leur infligeons. Aujourd’hui je mange cent fois moins de viande que jadis et, si j’arrive à tenir sur la distance, j’envisage de devenir végétarien afin de ne plus participer au sort qui est réservé aux animaux, à leurs conditions d’élevage. Le problème est que je n’apprécie pas particulièrement les légumes, les soupes et les fromages. Il me sera donc difficile de changer de régime alimentaire, mais une chose est sûre, j’essayerai.


(30 octobre 2014)

mardi 28 octobre 2014

De tout et de rien

Je suis dans la ville, pas loin de la place Sainte-Anne, contemplant une fois de plus les passants tandis que je bois mon café assis à une terrasse. Je réalise que j’oublie que je suis à Rennes, en Bretagne, que l’effet de mes premiers jours passés ici, effet de la nouveauté, s’estompe. Désormais, je le constate, je deviens un rennais car plus les jours passent et moins je me sens étranger, touriste, de passage. Dit autrement je ne me sens plus un dans la foule, c’est la foule et la ville qui sont en moi. A présent je fais partie de la masse.

Depuis tout à l’heure je pense à Alzheimer, à son stade avancé. Est-ce que les personnes concernées par cette maladie éprouvent des angoisses ? A priori  je serai tenté de dire non car généralement une angoisse est liée à un événement passé ou à une projection dans le futur marquée par l’inquiétude. Mais lorsque l’on ne se souvient plus d’hier, du matin-même, voire de l’heure qui a précédé, à quoi l’angoisse peut-elle se rattacher, s’agripper, se cramponner pour pouvoir se diffuser dans le cœur, dans la tête et peut-être ailleurs ? Il ne lui reste alors que le futur, l’avenir, comme condition pour se développer, naître et tenter de nous envahir. Mais la personne qui a la maladie d’Alzheimer, a-t-elle encore la notion de l’avenir ? Lorsqu’elle se lève le matin, sait-elle que le soir viendra et que la nuit venue le soleil aura disparu ? Si Alzheimer est bien la perte des souvenirs, alors cette personne ne saura plus qu’après la nuit le jour se lève et, si tel est le cas, quelle projection marquée d’inquiétude peut-elle imaginer ? Bien entendu je ne suis pas un spécialiste de cette maladie et l’idée que j’en ai provient des explications et généralités que j’ai entendu ici et là. Mais s’il s’avérait qu’une personne atteinte d’Alzheimer à un stade avancé ne peut pas avoir d’angoisse, de crise d’anxiété, alors j’aimerai que cette maladie se développe en moi parallèlement à mon cancer. Je sais, c’est un souhait lâche et égoïste au possible envers mes proches, à commencer par Cynthia, mais il me permettrait de ne plus penser à mon cancer, ainsi qu’au temps qui m’est compté ou non. Oui, Alzheimer m’intrigue car, vraiment, je me demande quel rapport au temps entretient le malade. Je vais donc me renseigner sur le sujet pour tenter de comprendre comment ils se vivent au quotidien, ce que signifie une matinée, un après-midi ou une soirée pour eux, pour tenter de cerner la manière dont ils vivent leur condition afin de savoir si, parfois ou souvent, ils ont des états d’âme.

Cette après-midi je pense également beaucoup à Cynthia qui lit tout ce que j’écris, même si nous n’en parlons jamais. Dans le fond je ne me trouve pas correct de lui infliger la connaissance de tout ce qui me traverse car, reconnaissons-le, c’est rarement gai et encourageant. En cela, bien plus qu’indécent, c’est sadique que je me pense. Lui donner accès à mes écrits, c’est lui procurer des inquiétudes supplémentaires et, peut-être, un sentiment d’impuissance qui ne peut être agréable à éprouver. Est-ce cela aimer quelqu’un, en agissant ainsi ? D’un autre côté il me semble que je lui dois ma vérité car notre relation étant basée sur la confiance, une confiance totale, ne serait-ce pas lui mentir ou être hypocrite que de lui cacher tout ceci ? Je suis donc face à un dilemme et ne sais pas quelle est la bonne solution, la bonne attitude à adopter pour lui épargner des souffrances ou des inquiétudes dont elle se passerait bien.

La nuit ne va pas tarder à tomber, c’est le moment que j’apprécie le plus dans une journée car elle est le signe que cette dernière arrive à terme, se finie, une en moins dans le monde des humains, une de plus me rapprochant de ma fin. Le monde des hommes, vaste sujet là encore, où tout est fabriqué, préfabriqué et ce, jusqu’à notre manière de penser. Je ne saurai donner une définition précise de ce qui est ou non naturel, propre à la nature, à la Terre, à l’univers, mais il est limpide que le monde de l’homme, nos sociétés donc, n’y est pas conforme. Depuis que notre espèce s’est sédentarisé il y a plus de 8000 ans, créant de fait les premiers villages puis les premières villes et enfin les premières cités, qu’avons-nous fait ? Ce fût la naissance de l’économie, de l’argent, de la propriété et des places de pouvoirs que cette dernière confère. Depuis, absolument rien n’a changé, ces dominos sont toujours en place et rien ne les a encore fait tomber, voire vaciller.

Les grecs n’ont rien inventé, ni la politique ni la démocratie. Ils n’ont fait que fignoler, ajuster, réordonner ce qui existait déjà dans les cités orientales. Croire que la naissance de cette pseudoscience nommée philosophie a changé la donne, transformant de façon plus ou moins radicale les fondamentaux qui assurent le bon fonctionnement des diverses formes de société que l’humanité a connu est un leurre, une cruelle méprise. La philosophie permet uniquement de faire évoluer les mœurs, les mentalités, parfois dans le bon sens, celui qui mène à l’émancipation de l’individu face au conditionnement dont il a été sujet au préalable, mais la philosophie peut aussi nous induire en erreur, nous faire régresser ou nous amener à croire des choses que l’avenir contredira par des faits. La philosophie étant une manière d’être, de penser et, en conséquence, d’agir conformément à ses convictions lorsque cela est possible, je classe les religions dans ce même registre. Une religion est une philosophie en ce sens qu’elle se pose des questions existentielles, y apporte des réponses et demande à ses adeptes de se comporter en conséquence. La psychanalyse, bien que cette autre pseudoscience ne repose pas sur des questions existentielles, participe de cette même logique. Il y a des dogmes, des fondamentaux qui sont autant de dominos propices à se casser la gueule et, là aussi, la caste qui la compose n’a ni le choix du comportement ni le choix de l’interprétation face au patient.

Voilà ce que nous sommes, nous humains, des êtres qui, une fois conditionné dans l’enfance par une idéologie, des dogmes, des règles morales, ne savons pas ou avons beaucoup de mal à les remettre en cause, à faire tomber les dominos et, plus encore, à en créer d’autres. L’esprit n’est libre que s’il ne se plie à aucune exigence, aucun dogme, aucune idéologie. Cela n’implique pas que nous n’ayons aucune préférence pour certaines formes de pensées, mais simplement nous les choisissons en connaissance de cause, sachant qu’il n’est pas une seule forme de pensée qui aurait des fondations plus solides que d’autres. Les idéologies nazis, fascistes, communistes, capitalistes et les idéologies religieuses ont toutes des fondations solides, défendables, qui peuvent être justifiées. Effectivement, puisque nul ne peut expliquer le mystère de la vie, le mystère de la mort, le pourquoi de ces réalités, et que notre espèce vit en communauté, alors on peut tout imaginer sur le comment du vivre ensemble.


(28 octobre 2014)

lundi 27 octobre 2014

Chacun est seul

Chacun est seul. Je n’y vois là que la seule vérité. Une seule conclusion s'impose alors, ne sois jamais dans la merde. Quelque soit les gens qui t’entoure personne ne bougera pour toi si d'aventure trop de problèmes se trouvaient sur ta route. Qui que soit ton entourage, quoiqu’il fasse, quelque soit les fonctions, le statut de ceux et de celles qui te témoignent leur estime, leur respect ou une quelconque marque de considération, qui semblent même parfois t’apprécier au point de se dire ami de ta personne, ils te délaisseront tôt ou tard si ta situation te dotait d'un compteur financier inférieur ou égal à zéro, quelque soit l'heure ou le jour de la consultation de tes comptes.

Bien sûr tous se diront accablés par ta situation mais c’est surtout gêné qu'ils seront. Tu auras mis sous leurs yeux, tu seras face à eux l’incarnation vivante et réelle de ce qu'ils redoutent de devenir. En d'autre terme c'est l'échec que tu symboliseras, cet état inadmissible et inacceptable, totalement incompatible avec les valeurs économiques qui guident aujourd'hui tous nos modes relationnels. De ton entourage tu ne dois donc rien attendre si tu es dans la merde, si ce n’est beaucoup de soupirs et une quantité non négligeable de diverses formes de désintérêts.

Qu’attendre alors du reste, de tous ces autres que tu ne connais pas et que tu ne connaîtras jamais, de tous ces autres qui, planqués derrière leur écran d'ordinateur, ne te penseront jamais hormis sous l'un de tes quelconque numéros (Sécu, CAF, Assedic, compte bancaire, etc.) ou sous l'une de ces nombreuses étiquettes radicales à consonance pré définitive, voire définitive au vrai parfum de l'exclusion (chômeur, rmiste, sans papier, invalide, sans lieu fixe, handicapé, etc.) étiquette sociale qui te seras de suite affublée si par malheur, suspect maudit, le début du fond commençait à s'étaler sous tes pieds.

Comment t'y es-tu pris questionneront-ils? Qu'as-tu fait de ta chance? Ne mérites-tu pas ce qui t’arrive? As-tu fait ce qu'il fallait? Mais savais-tu seulement ce qu'il fallait faire?! Ils sont là les prémisses de ta relégation, amorces effectives des modifications en cours de ton statut toujours précaire. Rien n'est jamais donné te diront certains, rien n'est jamais acquis reste mon unique certitude.

Avec ou contre ton gré tu es ainsi catalogué. A peine installé dans le ventre de ta mère, dépourvu de toute conscience du vivant, il existait déjà une case pour ta personne. Tout était prêt tout était là dont la liberté et ses formules chimériques qui, pourtant, restent le cœur de ta pensée. Tu n'es qu'un acteur dans le système, un matricule parmi tant d'autres. Quoi qu'il t'arrive n'oublie jamais cette évidence. Passif, actif, insignifiant ou signifiant tu ne peux être que ce que le système te permet d'être. Il instaure le bien et décrète le mal à l'attention de chacun d'entre nous, il élabore des règles et des lois indistinctement applicables à tous et à toutes, qui que tu sois et où que tu sois sur son territoire. Mais rien, absolument rien dans cet échafaudage gigantesque n'est la conséquence directe de ta personne, de celui ou de celle que tu es intrinsèquement, qui existe bel et bien, indépendamment de tout concept. Le système trace des lignes, décide sans toi des perspectives, impose des mœurs et définit ce qu'est un Homme, ce qu'est une Femme telle une colonne vertébrale qui impose à tes mouvements la moindre forme de leurs courbes. Que pèsent alors tes simples vertèbres ? Crois-tu vraiment que tu es libre dans ta pensée, que tu es libre de tes actes ?

Le système, ou la société, ce concept générique qui n'est pensable qu'en théorie, bien qu'il soit au cœur même de toutes nos gymnastiques quotidiennes, fait de toi quelqu'un qui ne peut exister, qui jamais ne sera dans sa galaxie « théorétique » ou tu baignes néanmoins de la tête aux pieds. Pourtant la présence de ton image dans le miroir sous-tend clairement que tu existes, que tu es là et vraiment là! Mais ce « là » que tu contemples chaque matin devant ta glace ne sera jamais ton « là » dans le système. Il est le « là » de ta conscience, il est un « là » avec toi-même, inaccessible au reste du monde.

La machine est partout, c'est vrai, tu dois t'y adapter et non le contraire. Le coup est rude pour l’ego lorsque l'implacable mécanique de cette logique amène un jour ton détriment. Mais ne le savais-tu pas depuis toujours? Car aucun dé n'était pipé. Dès le premier souffle de ta carcasse dans le royaume du monde vivant toute ta vie était pliée, pesée, postée et emballée. Tu te plieras à la machine, tu avaleras son règlement ou sa matrice te détruira. Ton père, ta mère, puis tous et toutes, consciencieusement, se sont souciés de le graver au plus profond de ta mémoire. La méthode est bien huilée, elle est parfaite en chaque point, nauséabonde mais efficace, aucune issue ne t’est laissée. L’impasse est prête à t'accueillir, à t'encercler de tous ses bras.

Comment manger, comment parler, comment dormir, comment apprendre, ainsi seraient les bases de ton dressage. Tous ont tendance à l'oublier, certains sont prêts à le nier mais tu n'es qu'un animal, un animal domestique et paresseux. Comme lui tu as appris à obéir, à te soumettre en t'appliquant plus ou moins consciencieusement. N’était-ce pas là le prix de tes desserts, de tes bonbons et autres câlins de ton enfance?

Le carré de chocolat, comme n'importe quel sucre donné au chien, n'est qu'un outil de récompense parmi tant d'autres. De la poupée à ton ballon, de la gamme boy à ton scooter, tout sera bon pour t'allécher, pour t'incruster dans les neurones le bien fondé et les bienfaits de ce que tu vis. Les stock-options, le 13ème mois, les primes diverses de nos salaire et toutes les soldes des 4 saisons ont exactement cette même fonction. Sois également conscient que l'objet même de ton dressage n'était pas de t'amener à être l'enfant modèle de notre imaginaire collectif. Jamais il n'en fût question et jamais ce ne le sera. L'unique objet de la méthode consistait à te rendre, une fois adulte, entièrement soumis et dépendant du seul système, assujettit à sa vindicte quelque soit ta place hiérarchique dans ses circuits!


(2008)

L’exorde

L’exorde

(7300 jours pour voir la nuit)


Liberté monotone, du raisin en abondance !
Joie au pays des dépravés
Joie des songes achetés
La vie et le bien, Dieu s’en tape !

Je me suis moqué de moi-même
Puis des autres et des autres
Pour m’aimer un petit peu
Dans cette jungle de sauvages

Trop sérieux me dites-vous
De nous voir en cette boue
Mais dites-moi braves pèlerins
Où êtes-vous quand je pleure ?

J’ai pissé sur le mur des écoles
Pour venger mes copies
De l’ingrat dictateur
Des sueurs de mes nuits
J’ai tapé les plus faibles
Pour une place chez les grands
Ces petits de la cour de récré
Mais oublié ce passé ridicule

Sur les roulettes de mes patins
J’excellais pour des filles intouchables
Qui n’avaient cure d'un pauvre clown
Que le béton faisait valser
J'ai décidé de me venger de ces salopes
Abandonnant le sentiment dit amoureux
Le plaquant à coup de masse
Entre le sol et ma semelle

Enfin la rue vint me happer
Dans son système du plus fort, du plus fou
Avec ses lois, son unique règle
Marches sur l’autre et tu seras !
Tu exploiteras le pleutre vaincu
Il sera l'esclave de ta colère
  Sera la bonne de tes humeurs
Même sa femme sera tienne si tu l'exiges

Puis j’ai connu la folle de nos âges
Oui marre d’être un puceau chez les puceaux
Le travail terminé, j'ai roulé dans la gadoue
Cette nympho du sentiment
Un cap de plus fût bien franchi
J’eus tout loisir de me moquer et de baiser
Je connaissais le mode d’emploi
Du grand mystère du premier âge

Puis l’interdit, le véritable, est arrivé
Normalement, trop logiquement sur mon chemin
C’était moi seul face au système
Système bâtard, qui t'a permis de me leurrer ?
Que ce soit mobs ou drogues diverses
Autoradios ou caves d’immeubles
Je n’en pouvais plus de t’ignorer
Tu as pris soin de moi un peu plus tard

Enfin celle qui n’existait pas
S’est un jour posée là, sous mes yeux
Oui mon cœur en a pris un coup
Mais un de plus, qu’est-ce que c’était ?
De par son corps, de par ses lèvres
Je la voulais comprenez-vous ?
Pour toute la vie, pour toute la mort
  Nous ne fûmes ensemble que quelques jours

Puis j’ai franchis la première porte d’un café
Drôle de marais que cet endroit
Drôle d’impression quand tu renifles
Les maîtres étranges de ces lieux
Deux trois putains en petit cercle
Deux hommes pleurant avec leur bière
C’est qu’à cette heure
Les gens stressés sont tous partis

J’avais l’âge mais pas l’argent
Pris un café pour compenser
Observé le manège de cette foire
  Ne pas être écrasé par un puissant
Il me fallait être du cercle
Près de ces putes bonnes qu’à une chose
A faire sortir les gros billets car chacun sait
Que là se terre le nœud final de tout pouvoir

J’ai découvert un autre monde
Plus pernicieux, plus décadent
Car quand l’argent est si présent
L’interdit en devient sourd, bien plus subtil
Tout est légal en apparence
Les faveurs sont, elles, gratuites
Même la came que tu t’injectes
Même la pute que tu baiseras
Ta parole aura valeur
De l’un des comptes que tu possèdes
N’en ayant pas je me suis tus
Bénéficiant des largesses de ces Messieurs
Devenant en quelque sorte un homme de main
Suscitant les besoins de certains
Ecrasant un peu plus la marmaille du quartier
  Récompensée à coup de pièces trébuchantes

Mais il manquait une femme dans mon décor
Au moins une pour prendre mon cœur
  Egoïstement serré entre ses doigts vernis
Mais où était-elle cette connasse ?

A  observer et à me taire
J’ai perdu la main et le doigté
La prison m’a accueillit
J’étais adulte, j’étais majeur
J’ai eu le temps pour le bilan
J’ai eu le temps pour voir mes pairs
Le résultat n’est pas bien gai
J’ai tout gâché comme un morveux
Le monde est fou, le monde est boue
Tout est truqué, même les couleurs de l’arc-en-ciel
Quand par malheur nous écoutons nos instincts bas
Il en faut des coups sordides pour s'en rendre compte

Même le poisson qui nage
Stagne dans un périmètre bien défini
Tout comme l’oiseau et bien sûr l’homme
Qu’avons-nous donc de supérieur, dites-le moi ?

J’aimerai être une plante
Inaccessible aux proies humaines
Ce que nous sommes les uns aux autres
Quand tu regardes ton voisin
Une plante qui serait vie
Sans  bonheur et sans malheur
Cherchant soleil et un peu d'eau
Pour grandir et non survivre

Je laisse donc à qui le veut la politique et autres affaires
Qu'ils sachent seulement que ma confiance s'est bien éteinte
Je voterai, manifesterai sans aucune conviction
Sachant l’absurdité de prétentions si orgueilleuses

Le bon Dieu doit sourire sur son perchoir
Observant ses fourmis pinailler
Pour définir un ordre systématique
A ce qu’elles sauront ne jamais devoir venir

Quant au Diable il se morfond de constater
La misère mentale de ses recrues
Il ne sait plus que faire, je vous le dis,
De moi y compris évidemment

Si Bouddha était un sage, il se serait tût
Si Christ était amour, il se serait tût
Et si je parle aujourd’hui
C’est que je ne suis ni l’un ni l’autre

Il n’y a pas d’espoir me dites-vous
Dans ce roman vulgaire de chaque jour
Pas de lumière dans le creux sans rimes de ces phrases
Mais pourquoi colorer ce qui toujours sera du noir ?

Mon cœur a trop souffert
Vous répondrais-je sans hésiter
A croire possible du possible
Mais n’y trouvant que du néant

S’il me reste un seul espoir, je le garde précieusement
Le préservant de votre monde, peut-être même de moi-même
Il est ma seule énergie pour lutter un peu chaque jour
Dans ce qui n’est plus une simple jungle mais uniquement un abattoir


(1997)

Etape

Il y a malaise dans la cité, l’édifice s’ébranle, vacille, je ne sais plus de quel côté tomber. Nous sommes lundi, début de semaine, mais cela m’est étranger car pour moi chaque jour est un lundi, un mardi ou un dimanche, faites votre choix.

Je regarde mon alliance, celle qui m’allie à Cynthia. Cependant je ne me sens plus allié ou lié à qui que ce soit, mais relié uniquement à elle, ce qui ne signifie pas du tout la même chose. Jamais auparavant je ne m’étais symboliquement allié, lié ou relié à quelqu’un par un signe distinctif que nous porterions en commun. Cynthia est la première et, très certainement, la dernière personne pour laquelle j’accepte de dévoiler au premier lambda croisé dans la rue, ouvertement et publiquement, mes sentiments et mon attachement. Cela a commencé il y a six ans, époque où je la découvrais. Elle portait alors un collier en mailles métalliques où pendait une petite croix. Quelques jours plus tard c’est moi qui le portais. C’était un moyen comme un autre de la sentir proche de moi en tout moment. Nos alliances sont un acte récent, directement lié et influencé par ma maladie. La peur de ma mort, de part et d’autre, nous a convaincu de nous unir plus encore. Pour tout vous dire, alors que je suis fondamentalement contre le mariage du fait de ma connaissance des origines de ce pacte, de ce contrat de merde, aujourd’hui je suis pourtant prêt à me marier avec elle afin de sceller de manière définitive mon attachement à sa personne. Ainsi, même si je meurs dans quelques mois, elle pourra conserver, porter, emmener avec elle mon nom de famille si elle le souhaite. Certes, ce ne sera pas un grand legs, mais il lui restera au moins çà.

Il est donc 9H30, je me suis levé vers 6H00 et à l’instant je viens de prendre mon troisième Xanax de la journée. Et oui, elles sont bien loin les prescriptions du médecin, prescription que je ne respecte pas. Mais l’idée de toute cette journée à venir que je ne sais comment combler pour me vivre sereinement m’angoisse. Le simple fait d’y penser me stress, alors je me shoote une fois de plus, sans remord, mais avec regret. Mentalement je ne suis plus aussi fort qu’auparavant, avant ma maladie, et je n’arrive plus à gérer les tensions, qu’elles soient internes ou externes. Le moindre désaccord m’apparait désormais comme une guerre de tranchées, un champ de bataille similaire à ceux de la guerre 14-18, avec son gaz moutarde, ses masques à gaz, sa boue et ses morts. Oui, ma maladie me met face à un mur, celui du temps, une perspective que je ne sais plus comment concevoir, aborder, approcher.

Aujourd’hui je comprends mieux l’avantage d’être jeune et en bonne santé. A cet âge le temps est une notion indéfini tant, accoudés sur le rebord de notre fenêtre, nous ne voyons pas les derniers jours de notre fin. Du coup, puisque le temps semble sans limite, on peut tout se permettre, absolument tout. Agir ou ne pas agir, prendre des risques ou non, reporter à demain ce qui nous emmerde le jour-même, embrasser l’autre ou lui faire un magistral doigt d’honneur, poursuivre ou abandonner ses études, consolider nos relations ou les détruire, etc. Enfin de compte touts nos choix n’ont pas de réelle importance puisque le temps nous semblant infini, tout ce qui n’a pas été possible aujourd’hui se réalisera peut-être, voire forcément, demain. Il n’y a donc aucune raison de s’alarmer ou de désespérer.

Cette chimère n’étant plus mon apanage, je commence donc à m’enfoncer dans un marécage qui ne veut pas dire son nom. C’est celui de la déprime, voire de la dépression, car il m’est invivable d’être là, d’exister, de vivre et respirer sans pouvoir me projeter dans le temps, le futur, l’avenir, le lointain, bien au-delà de mon seul horizon que constitue la semaine en cours. En conséquence j’ai pris ma décision, non celle du suicide qui est pourtant un couloir bien tentant, mais celle de me shooter un peu plus encore aux médicaments. Rendez-vous est donc pris avec mon médecin généraliste à 16H30 afin qu’il me prescrive d’autres pilule, en plus de celles que je prends déjà bien sûr. Peut-être s’agira-t-il d’un antidépresseur, d’un autre neuroleptique. Quoi qu’il en soit je prendrai le psychotrope qu’il me suggèrera. Puis en fin de semaine je verrai mon psychiatre en vacance actuellement et, ensemble, nous feront le point sur cette nouvelle ordonnance, quitte à la réajuster ou à la modifier. Il n’empêche, l’idée su suicide me parle bel et bien. En finir avec l’attente, l’incertitude, notre monde merde, le capitalisme qui bouffe jusqu’à la moelle les employés, ouvriers, cadres supérieurs et autres sbires exploités jusqu’à ce que mort s’ensuive, un capitalisme qui s’assoit et fait son lit sur ces montagnes de morts, n’ayant cure ce qu’avait pu être la vie de ces défunts. Je pense également aux médias, à ces pseudo-journalistes, analystes ou experts de toutes sortes qui, à longueur de journée, nous chantonnent le même refrain, la même rengaine, remplissant notre temps de cerveau disponible de cette marche funèbre qui voudrait que sans le capitalisme et la démocratie qui est son bras armé,  touts bords politiques confondus, ce serait le chaos. Le capitalisme n’a même pas deux siècles d’existence alors que la civilisation humaine a plus de cinq millénaires. Comment faisait-il auparavant ? Était-ce plus le chaos ? Certainement pas. Les injustices d’hier sont simplement remplacées par de nouvelles injustices et, comme hier, l’homme exploite toujours l’homme. Comment ne pas avoir envie d’en finir une bonne fois pour toute avec ce monde hypocrite, craintif, frileux, où quatre-vingt dix pour cent de l’humanité se comporte comme des moutons, moi y compris ?

Même si je n’adhère pas du tout aux idéologies djihadistes, terroristes, que j’exècre leurs formes d’action, je comprend néanmoins parfaitement cette colère, cette rage de vouloir détruire ce qui mène le monde actuellement, autrement dit le fric, le capital, le rendement, les dividendes. Si j’avais vingt-cinq ans aujourd’hui, il est fort probable que j’aurai suivi ce chemin. Mais ayant quarante-sept ans et ayant un bagage culturel assez large pour pouvoir méditer sur l’histoire humaine, même si j’imaginais que tel ou tel groupuscule extrémistes parvenait à prendre le pouvoir, que se passerait-il ensuite ? L’histoire nous l’a appris à maintes reprises : Les régimes changent, mais les injustices restent !

Plus de pluie
Plus de larmes
Morne espoir
En ce soir
C’est l’ennui
Une belle arme
Rien à voir
Tout est noir


Je veux écrire pour me défouler, comme l’on cogne sur un punching-ball, que ma plume écrase de mes lettres la poussière qu’est cette feuille blanche. C’est plus jouissif que de frapper un homme à coup de poing, à coup de masse, jusqu’à ce qu’il tombe dans l’inconscience. Ma colère est sans borne mais, j’espère que vous l’aurez compris, c’est une colère contre moi-même dont, je le sais, je ne pourrai sortir indemne. Est-ce l’hôpital psychiatrique mon horizon ? Peut-être…


(27 octobre 2014)

dimanche 26 octobre 2014

Une journée mitigée

9H00

Plus de trésor, plus de Centaure, les molécules se déchainent et tourbillonne la maladie dans le vertige de mon corps. Ainsi soit-il puisqu’il en est ainsi. Derniers instants, derniers moments, et pourtant je ne peux y croire. Reste une flamme, espoir inquiet qui néanmoins éclaire de sa bougie l’immense caverne où tout est noir. Mais je bloque sur la bougie, sa petite flamme rachitique, anorexique,  une flamme droite dans ses bottes malgré ses quelques vacillements lorsque subitement je me mets à tousser.

Avant de connaître Cynthia j’avais le souhait d’écrire un jour un livre qui serait lu par le plus grand nombre. A travers ce nombre je pensais avoir enfin l’occasion de m’apprécier, voire de m’aimer. Tout cela m’a passé depuis que je suis avec elle. Oui, depuis je m’aime parce qu’elle m’aime comme j’en ai besoin. Je n’aurai pu rêver plus belle et meilleure rencontre dans ma vie et si chacun d’entre nous avait cette même chance, nulle doute que notre monde serait complètement meilleur, voire bon. Après ces quelques mots sur ma chance, affirmés, vindicatifs, il n’en reste pas moins vrai que la galaxie de ma maladie se rappelle à mon bon souvenir, comme pour me signifier que le temps presse, qu’il faut donc que je profite de ma chance au maximum. Malheureusement le temps est rarement au beau fixe dans mes cartes synaptiques et il est toujours une partie de mes neurones pour me rappeler la maladie. Alors le ciel se couvre subitement et complètement, le temps est à la pluie et, contemplant ce plafond de nuages, j’attends que les gouttes tombent. Mais à chaque fois rien ne vient. Il m’arrive parfois d’avoir les yeux humides, de sentir monter un fleuve qui prend sa source à l’estomac, mais lors de son ascension vers mes pupilles, il ne reste qu’un filet d’eau.


16H00

Assis une fois de plus à l’une des tables d’une terrasse de café, toujours place Sainte-Anne à Rennes, je regarde les gens déambulés. Aujourd’hui il fait beau et bon, les nuages étant relativement absents. J’observe donc touts ces gens et tous, sans exception, on l’air d’avoir un but en tête. Certains pressent le pas comme s’ils avaient un rendez-vous à ne pas manquer, mais l’immense majorité marchent nonchalamment, c’est la promenade du dimanche. Dans cette petite foule il y a aussi quelques touristes, appareils photo en bandoulières autour de leur cou. Tous semblent profiter du moment, du présent, de la vie, et cela m’interpelle, me questionne, m’interroge, car pour ma part je ne comprends plus ce que signifie « profiter de la vie ».

Je tourne en rond, c’est peu de le dire, et seul l’acte d’écrire trouve encore grâce à mes yeux. Tout le reste ne m’intéresse plus, ne m’attire plus. Je me sens comme neutre, imperméable à toute activité potentielle. Une certaine routine s’est installée dans mes journées. Je me lève à l’aube, il fait encore nuit, je prends mon premier café tout en préparant le tas de pilules que je vais devoir ingurgiter,  une oie que l’on gave, et si j’ai écrit la veille je me rends à mon ordinateur afin de recopier avec un logiciel de traitement de texte ces écrits. Une fois la copie effectuée je la publie sur mon blog, blog qui n’est autre que mon journal intime en ligne et dont seuls Cynthia, ma compagne, et mon frère ont connaissance. Dans le passé j’ai eu plusieurs blogs, mais aujourd’hui je ne publie plus dans le même but. Je n’affiche plus mes états d’âme avec le souci d’être lu par le plus grand nombre et ce, dans l’espoir d’être un être compris. Non, si je me remets à écrire c’est uniquement pour me vider et si je publie sur un blog plutôt que de partager oralement tout ce qui me traverse, c’est simplement parce que je n’ai plus envie de parler. Ainsi, par le biais de ce blog, ma compagne peut suivre le cheminement de ma pensée, de mon évolution intérieure, elle n’est pas complètement larguée. Et ma famille me direz-vous ? Et mes amis ? N’ont-ils pas le droit eux-aussi à quelques éclaircissements ? Sincèrement j’aimerai qu’il en soit ainsi, mais les connaissant ils n’auraient de cesse de m’abreuver de paroles avec le secret espoir de me faire voir les choses autrement que je les vis. Par ce comportement ils m’épuiseraient et, parce que je me connais, je serai alors capable de leur fermer complètement tout accès à ma personne afin d’obtenir un peu de paix.

Donc, une fois mon article publié sur mon blog je peux dire que ma journée, pourtant à peine commencée, est terminée. Heureusement les cachets que je prends au levé agissent rapidement et efficacement. Ainsi, si rien ne m’accapare en dehors de la maison, je fais ma première sieste aux alentours de 10H00. N’allez pas croire qu’elle est une nécessité, pas du tout, elle est juste un moyen de faire passer le temps en faisant, justement, que je ne le sente pas passer. En général j’émerge de nouveau vers midi et selon que mon esprit est un peu assommé ou pas, je reprends ou non un calmant, histoire de rester mentalement dans un état semi-léthargique. Il faut me comprendre, se mettre un peu à ma place. Comment supporter de ne rien faire toute une journée et ce, tous les jours ? A peu de chose près cette condition me replonge dans l’univers de la prison, de la détention, endroit où j’ai séjourné quelques mois il y a maintenant vingt ans. De tourner ainsi en rond, de n’avoir aucun but, aucun objectif peut me rendre fou. Mon esprit s’excite, cherche quoi faire et, très rapidement, constate qu’il n’y a rien à faire ou qu’il ne veut rien faire. Il accélère alors la cadence, tourne en rond de plus en plus vite, telle une pirouette, et je n’arrive plus à suivre cette cadence effrénée qui instaure en moi des hauts le cœur, des débuts de nœuds à l’estomac, avec une grosse caisse en guise de cœur qui martèle la marche infernale de mon esprit qui cherche, recherche de quoi s’occuper. Le Xanax et d’autres neuroleptiques sont le remède parfait pour arrêter cette démente escalade, pour stopper net je ne sais quelle explosion potentielle à l’affût dans mes neurones.


(26 octobre 2014)

samedi 25 octobre 2014

Sexualité

Ce matin je pense au sexe, à la sexualité, un univers qui ne fait plus partie de mon quotidien depuis un an. La maladie, les traitements, les médicaments et ma fatigue ont eu raison de ma libido. Cette dernière étant absente, je n’éprouve aucun manque de l’acte sexuel, mais me remémorant mes ébats avec ma compagne, une union plus forte que l’union, j’éprouve néanmoins quelques regrets.

Coucher ensemble, se donner du plaisir l’un l’autre, est une forme de relation. C’est comme converser, échanger, discuter pour le plaisir de tout et de rien avec un être qui vous est cher. Coucher ensemble, faire l’amour, jouir, c’est comme élaborer un projet commun, faire des projections qui, du simple fait de les évoquer, vous enivre de plaisir. Oui, coucher ensemble, faire l’amour, baiser, appelez cela comme vous le voulez, est une forme de relation qui peut se suffire à elle-même pour unir ou réunir des individus. Il n’est nul besoin ou obligatoire d’être en couple ou de s’acharner à en créer un pour que, de part et d’autre, chacun y trouve son compte. Voilà pourquoi je maudis et crache sur les diktats qui veulent absolument associer l’acte sexuel à des couples préalablement construits ou en cours de construction. Ces morales de merde qui exigent l’existence du couple comme condition sine qua non à l’acte sexuel sont d’un autre âge. Hors couple cette pratique, cette forme de relation est toujours pointé du doigt, marqué plus ou moins au fer rouge sur les épaules des protagonistes et là, selon que vous serez né mâle ou femelle, votre réputation se fera malgré vous. L’homme sera un tombeur, summum du compliment viril, et la femme sera traitée de salope, de chienne en chaleur, de pute ou de nymphomane. Puisque nous en sommes toujours là, au moyen-âge et bien au-delà, mieux vaut donc être un homme, la cause est entendue.

Aussi je rigole lorsque j’entends périodiquement parler de révolution sexuelle, de libération sexuelle puisqu’en la matière, nos comportements le prouvant, nous agissons et jugeons de la chose comme avant-guerre. Même si je concède que nous avons un peu évolué dans la pratique depuis les années 70, il n’en va pas de même de nos mentalités. Ici, en France, nous somme toujours sous le joug des interdits judéo-chrétiens, sous la coupe de cette morale puritaine qui ne peut concevoir que l’on ait des rapports sexuels pour le simple plaisir de les avoir, à mil lieux d’un but procréatif ou maritale. Le philosophe Michel Onfray ayant démontré cet état de fait bien mieux que je ne le ferai, je m’arrête là dans mes considérations sur la question. Par contre, construire un couple c’est autre chose et, à dire vrai, son existence, sa pérennité, ne dépend pas de l’acte sexuel. Nombreux sont les couples au sein desquels il n’existe aucune complicités sexuelles, au sein desquels l’un des deux partenaires, voire les deux, ne s’épanouisse nullement à travers l’acte sexuel. Enfin, il y a tout ces couples au sein desquels les rapports sexuels ont purement disparus, où il n’y a plus d’ébats, mais où aucun des deux partenaires n’envisage la séparation.

Pour un homme, éjaculer ne signifie pas forcément plaisir, jouissance extrême ou nirvana. Pénétrer, bander, tout faire pour maintenir en érection son pénis peut même s’avérer laborieux, ennuyeux, sans aucune saveur. Certes l’éjaculation est au bout du chemin, mais elle n’est alors qu’une conséquence mécanique sans aucune âme. N’étant pas une femme je me garderai bien d’essayer de définir les différents paliers de votre libido, mais étant un homme il m’apparait utile de vous signaler les nôtres. Rares sont les femmes qui comprennent la libido masculine et, évidement, inversement. Mais cela n’est-il pas normal tant le sujet est l’ultime tabou des tabous, qu’il ne vient que très rarement dans nos conversations, ou alors exceptionnellement, impliquant que nous nous méprenons très souvent sur le plaisir que nous procurons ou pas à notre partenaire. Aussi, le jour où parler de cul deviendra aussi banal que de parler gastronomie, musique ou cinéma, alors ce jour seulement l’humanité aura fait sa révolution sexuelle, franchissant ainsi un grand cap.


(25 octobre 2014)

vendredi 24 octobre 2014

Trajectoire

La solitude c’est se sentir seul, ce qui n’implique pas d’être seul, isolé dans son coin, loin de tout et de tous. Être solitaire c’est préférer être seul sans pour autant se sentir, s’éprouver isolé des autres. Un solitaire peut pleinement se sentir participer à la marche du monde, s’éprouver comme faisant partie de ce monde. Par contre cela ne se peut pas pour celui qui se vit dans la solitude. Dans mon cas, selon les jours, je me sens parfois l’un, parfois l’autre. Pour être honnête, surtout depuis mon arrivée à Rennes, c’est le plus souvent dans la solitude que je m’éprouve.  Dans « éprouver » il y a « épreuve » et, du fait de la nature de ma maladie et de la personne handicapée que je suis actuellement, il est vrai que je vis une épreuve. Parfois je me dis qu’elle n’en est qu’une de plus dans la trajectoire de ma vie, une encore, une supplémentaire, comme si je n’en avais pas eu assez dans mon passé. Mon parcours de vie, ce destin, le hasard peut-être, est pour moi un questionnement sans fin. Pourquoi en a-t-il été ainsi et pourquoi, aujourd’hui encore, persistent encore  des épreuves, des nouveaux obstacles à surmonter, affronter, endurer ?

Bien qu’il ne fasse nul doute que je suis le principal acteur de cette farce sinistre, qui parfois fût même macabre, et que je suis forcément le premier responsable des aléas et joies de mon existence, je ne suis pas pour autant le maitre incontesté et incontestable de toute mon histoire. Ais-je choisi de rencontrer celui-ci ou celle-là qui, par un curieux hasard qui ne veut s’expliquer, s’est trouvé un jour face à moi ? De toutes mes premières rencontres, jamais je n’ai été le maitre. Tout au plus j’étais un acteur dans des situations que je n’avais pas véritablement prévu et, ce, neuf fois sur dix. C’est là qu’intervient ma responsabilité, ce seul pouvoir sur ma propre vie, seule marge d’action sur mon histoire, consistant à entamer ou non des relations avec des personnes qui m’étaient jusqu’alors parfaitement inconnues, voire impensables.

Si je mets en avant les personnes que l’on rencontre dans ce qui constitue l’histoire d’un individu, c’est parce que je pense que leurs présences ou leurs absences ont bien plus d’impact sur nos trajectoires que l’environnement matériel dans lequel nous sommes né et avons évolué. Face à quelqu’un que l’on découvre ou que l’on connait, il n’y a pas d’effet neutre. Que nous en ayons conscience ou pas, nous réagissons à sa présence. Parfois nous allons vers lui, parfois nous préférons nous en éloigner. Il est des personnes avec lesquelles nous acceptons d’être en présence et, parmi ces dernières, il en est certaines avec lesquelles nous sommes prêts à construire quelque chose. C’est à partir de ces souhaits que naitront et se bâtiront nos relations.  Parfois elles seront uniquement de bon voisinage, d’autres fois elles seront amicales ou d’amour.  Dans cette même logique, vis-à-vis de personnes qui ne nous plaisent pas, qui nous indisposent, nous agirons également en conséquence afin de les éviter, de les tenir à distance, quitte à faire usage de diverses formes de violence pour atteindre notre objectif.

Ainsi, bien plus que l’argent que nous avons ou pas, bien plus que nos rêves et idéologies, c’est notre rapport aux autres, à leurs personnalités et à la forme des liens que nous relient à eux qui, influençant forcément nos choix, idées et surtout nos actes, sera le socle de notre trajectoire. Les autres sont les fondations de ce que sera notre histoire.


(24 octobre 2014)

mercredi 22 octobre 2014

Réveil

Premiers mots, premières lettres, premières pensées en construction. Levé depuis une dizaine de minute je sens déjà sous mon crâne s’agiter quelques filaments – embryons de pensées non structurées – qui, telles des méduses en eaux profondes flottent, se laissant porter par les courants marins. Tôt ou tard un filament en rencontrera un autre, ils s’assembleront et, bien malgré ma conscience, ils commenceront à structurer la première de mes pensées. Sera-ce une question ? Sera-ce un constat ? Je ne le saurai qu’une fois leur œuvre achevé car il n’est que là, à cet instant, leur osmose étant enfin construite, que cela se révèlera compréhensible à ma conscience.

Quelques mots traversent mon esprit en mode disparate, sans aucune cohérence apparente les uns avec les autres et, n’étant pas assez réveillé pour pouvoir faire preuve d’attention, de concentration ou de compréhension, je ne m’arrête sur aucun d’eux. Comme un cheval au galop traversant l’étendue de mon crâne, je vois filer ces mots : ma fille, médicaments, Cynthia, le jour se lève, rennes, docteurs, cancer, IRM, Chaff, et tant d’autres. Touts ces filaments sont reliés dans ma vie quotidienne et il est évident que ce n’est pas un hasard si ce sont eux plutôt que d’autres qui flottent dans ma tête ce matin.

Cynthia vient d’entrer dans la pièce où j’écris ces lignes. Ce simple fait casse l’alchimie qu’est mon étrange désir d’écrire, de poser sur le papier les composantes de ma personne. Alors je cesse d’écrire par crainte d’être dérangé car je ne peux écrire que dans l’élan, telle une course effrénée qui ne pourrait supporter la moindre halte.


(22 octobre 2014)

mardi 21 octobre 2014

IRM

IRM, examen de merde, machine de merde qui a tous les aspects d’un cercueil où l’on enterre vivant des gens. J’ai foiré cet examen la semaine dernière car dès que ma tête s’est trouvée encastrée dans la machine, de suite j’ai fait une crise de claustrophobie. Ce matin, afin d’éviter que ne se reproduise cet incident, je me shooté au Xanax 0,50. L’IRM était prévue à 8h40. Levé à 7h00, j’ai avalé quatre Xanax dans ce laps de temps, sachant qu’ordinairement je n’en prends qu’un matin, midi et soir.

A présent il est 9h30 et j’attends toujours. Du coup l’effet du Xanax, de l’état léthargique de l’esprit qui va de pair se dissipe lentement. Donc je suis bon pour prendre un autre de ces bonbons afin de me donner un maximum de chance pour résister à l’examen, affronter ma claustrophobie car, tel est mon souhait, mon esprit devrait être tellement anesthésié qu’il ne pourra entretenir aucun schéma de peur, aucun film où j’aurai le sentiment de suffoquer, de ne plus pouvoir respirer, où l’happy end ne serait pas ma mort probable, quasi certaine, à cause d’un manque d’air. Il faut que je respire, que je le sente, l’éprouve et, cela, sans doute aucun. Je reprends donc à l’instant un Xanax supplémentaire, il ne sera que le cinquième de cette courte matinée. Il est ainsi fort probable que je m’endorme lors de l’examen. Peut-être même ronflerais-je lorsque je serai allongé, tête coincé dans la machine, ce qui s’est déjà produit dans le passé. Cela perturbera donc le bon déroulement de l’examen, mes ronflements interférents avec le système de récupération de mes données cérébrales. Comme cela est déjà arrivé, le personnel n’aura d’autre choix que de me réveiller afin que cessent mes ronflements.

J’apprends à l’instant que la machine IRM ne sera pas fonctionnelle avant deux bonnes heures, ce qui reporte mon rendez-vous après 12h00. Je me suis donc shooté pour rien ce matin et tout sera à refaire tout à l’heure. Aujourd’hui je vais donc planer toute la journée et l’effet du Xanax étant tel, il est évident que de nombreuses phases d’assoupissement s’empareront de moi. Face à ces dernières je devrais lutter, lutter pour ne pas plonger dans un sommeil profond. A présent l’équipe médicale nous informe que leur machine ne sera pas réparée avant 12h00, voire 13h00, et qu’en conséquence tous les rendez-vous de la matinée doivent être reportés à une autre période. Mon examen est maintenant prévu le 30 octobre et, sincèrement, je commence à croire qu’il aura du mal à se faire.

Vie de merde lorsque rien ne se passe comme prévu, vie de merde lorsque l’imprévu vous oblige à revoir touts vos plans, qu’il s’agisse de ceux du jour présent, des semaines ou des mois à venir. Je réalise que si planifier sa vie n’est pas une tâche aisée, planifier sa mort ne l’est pas plus. Même dans ce dernier cas, alors que le trou est là, à quelques pas de couchers de soleil, même là la pérennité n’est pas de mise. Le monde du vivant fait, fabriqué et entretenu pour que le vivant persiste, perdure, sème embûches et contretemps dans l’ultime ligne droite de ceux et celles qui, en toute conscience,  se savent engagés dans le monde de la mort, un monde qui ne supporte plus les « peut-être », les « possibles », les actes ou incidences qui sont sans réelle importance aux yeux de ceux et celles qui se portent bien, sans sérieux impact pour ceux et celles qui participe de l’illusoire monde du vivant. Un condamné, qu’il soit dans le couloir de la mort, sujet à une maladie mortelle ou soldat sur un champ de bataille, a parfaitement conscience de la finalité qui l’attend, la mort, dont seule la date reste l’élément inconnu. A partir de là rien ne se construit de la même façon, ni l’individu ni ses actes, projets ou constructions. On ne se vit pas et l’on ne vit pas sa trajectoire personnelle selon que nous savons la fin de notre horizon imminent, à court terme, à moyen terme ou à long terme. Les jeux de cartes ne sont pas les mêmes et la donne, la partie elle-même, s’en ressent en conséquence.

Autre sujet, autre problématique du jour dont la forme d’approche signifie par elle-même qu’aucune réponse indiscutable, non sujet à polémique n’est possible, est celui de ma décision de rompre définitivement le peu de lien que j’entretenais avec ma fille âgée de douze ans, sa mère et la majorité des personnes qui, de près ou de loin, ont participé à ce que j’appelle un désastre. Comme il est bien évident que je ne saurai être partial vis-à-vis de cette histoire qui est plutôt une non-histoire, je peux néanmoins m’appuyer sur des faits indéniables, avérés, connus ou reconnus par les uns et les autres, des faits sur lesquels tout le monde sera d’accord. Le souci réside donc dans l’interprétation de ces derniers, dans l’interprétation des actes qui ont été commis et, à leur tour, sur l’interprétation que les uns et les autres avons fait, faisons et ferons encore sur leurs fameuses conséquences. Si d’emblée la première spirale du cercle d’interprétation diverge d’un individu à l’autre, alors il est clair, malgré des faits reconnus par tous, que c’est à une ribambelle d’histoires différentes que nous sommes exposés. Cependant, à cause de l’effet soporifique de tout ces Xanax que j’ai ingurgité ce matin, je ne me sens pas pour l’heure d’entrer dans le détail de ma séparation avec ma fille ou, plus exactement, de m’expliquer sur ma décision de rompre définitivement un lien quasi-inexistant, lien que j’ai essayé de construire et d’entretenir et ce, pendant douze ans, avec la fille de mon ex-compagne.


(21 octobre 2014)