samedi 7 mars 2015

De la journée de la femme

Samedi matin, 9h30, je suis à la gare, le quartier est calme, tranquille, peu de voitures et peu de piéton. Cynthia ne sera pas là de la journée car, comme ses collègues, elle accueille des parents pour une journée portes ouvertes dans le lycée où elle enseigne. Je ne sais pourquoi, sans doute à cause du calme qui règne alentour, je ne me sens comme en vacance, comme un touriste dans la ville. Comme d'habitude je bois mon café, ais envie d'écrire et, une fois de plus, me demande où ma pensée va m'emmener ce matin.

Tout à l'heure, en écoutant la tété, j'ai appris que demain c'était la journée de la femme. C'est ainsi tous les ans, mais à chaque fois j'oublie qu'elle existe. Je trouve que cette journée porte mal son nom. Qu'est-ce que cela veut dire journée de la femme ? De quel femme s'agit-il ? D'une qui ressemblerai à Cynthia, qui aurait le même genre de vie, ou d'un autre style de femme, démunie par exemple ou se faisant battre ? Oui, cette journée devrait s’appeler « journée pour le droit des femmes », les choses seraient plus claires et là, effectivement, tout le monde pourrait se sentir concerné, hommes y compris. Mais journée de la femme, sans plus de précision que ça, cela porte à confusion. Est-ce à dire que le reste de l'année sont les jours de l'homme, la femme étant alors rangée dans je ne sais quel coin de la maison, de la société, n'ayant plus le droit à la parole, ou moins le droit ? Parce que j'ai une sœur, une mère, une compagne et une fille, j'aurai bien du mal à ne pas me sentir concerné par leur condition. Cependant, en règle générale, je n'aime pas trop l'approche des groupes féministes. Cela me rappelle un 8 mars, alors que j'habitais encore Paris. Tout une série de chapiteau était installé sur le parvis de l'hôtel de ville, chaque chapiteau représentant une association féministe. Je les ai tous fait, un par un. C'était également l'époque où moi-même je militais activement dans une association qui aidait les pères divorcés ou séparés à avoir accès à leur enfant. Tout les lundi, avec d'autres collègues, nous tenions une permanence dans un modeste local pour accueillir ces pères en détresses. De même, tous les jeudi soir, nous nous réunissions afin de discuter d'un thème, d'un film, d'un livre en rapport avec notre combat. Enfin, une fois par an, nous avions nos université de l'été. Nous étions accueillis par l'un des membres de notre association, dans sa demeure, et pendant une semaine nous discutions à bâton rompu sur divers sujets. Qu'est-ce qu'être une parent ? Comment peut-on être père si nous n'avons pas accès à notre enfant ? Pourquoi les juges  confient-ils presque systématiquement les enfants à la mère ? D'où vient cette discrimination ? Alors nous nous plongions dans l'histoire bien souvent, jusqu'au source du christianisme s'il le fallait pour comprendre comment les rôles avaient été définis, quelle était la place de l'homme, de la femme, d'hier à aujourd'hui. C'est à cette même époque, prenant conscience de la discrimination dont j'étais victime de la part de notre état, de la justice aux affaires familiales, que j'ai commencé à m'intéresser à la condition féminine. Effectivement, l'un ne va pas sans l'autre, et si un rôle change ou se modifie, il modifie l'autre rôle en conséquence. J'ai donc beaucoup lu sur la condition de la femme, avant et après le MLF. J'ai également lu l'histoire du MLF, ses combats pour la pilule, le droit à l'avortement, etc. De même, afin de remonter plus loin dans l'histoire humaine, j'ai lu des ouvrages anthropologiques, comme ceux de Françoise Héritier, afin de mieux comprendre cette répartition des rôles qui semble remonter à la nuit des temps, tout comme j'ai lu Pierre Bourdieu et son livre « La domination masculine ». J'ai également été voir du côté des œuvres d’Élisabeth Badinter et, bien sûr, j'ai lu « Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir. En parallèle, bien entendu, je lisais également des ouvrages sur la condition des pères aujourd'hui, ainsi que beaucoup d'ouvrage psychologique allant de Dolto à Naouri. Toute cette lecture, toute cette somme de connaissance a largement contribué à modifier en profondeur l'homme et la femme, moi-même, notre société et celles d'hier, mais il m'est apparu qu'une chose au moins était clair, c'est que tous les nouveaux droits que les femmes ont acquit au cours de âges n'a pu se faire que parce que des hommes les soutenaient dans leur combat. Il en va ainsi du droit à l'avortement, voté par une majorité d'hommes, que de bien d'autres droits. Aussi, quelle ne fut pas ma surprise lorsque place de l'hôtel de ville, je découvrais des associations féministes qui refusaient les hommes en leur sein. Pour moi, c'est un véritable non sens. Comment peuvent-elles imaginer avoir gain de cause, quelque soit le sujet en question, si elle ne rallie pas des hommes à leur revendication ? L'association dont je faisais partie était ouverte à tout le monde, sans exception. Même si cela n'était pas fréquent, des mères qui n'avaient pas accès  leurs enfants venaient nous consulter ainsi que des familles entières. Oui, je ne vois pas comment on peut avancer sagement, posément, en excluant de son groupe de parole, de son groupe d'action, ceux ou celles qui sont la raison même de l'existence de ces groupes. Pour faire la paix, il faut à un moment ou l'autre dialoguer avec son ennemi, il n'y a pas d'autre alternative, si ce n'est de tuer l'ennemi.

Tuer l'ennemi, une phrase qui résonne dans mon esprit, me ramenant une fois de plus à ma jeunesse, à mon état d'esprit d'alors. Oui, qu'il s'agisse d'un concurrent au travail, d'un responsable que je n'aimais pas ou de quiconque me faisait de l'ombre, j'étais dans cet état d'esprit, je voulais tuer l'ennemi et j’agissais en conséquence. Oui, je n'étais vraiment pas un homme apte au compromis. Tout était noir ou blanc, les nuances n'existaient pas ou n'était que de piètres excuses que l'on m'affichait pour éviter le combat.Oui, j'ai grandi avec l'idée que la virilité, être un homme, c'était de combattre, mais non pour vaincre et passer à autre chose, mais pour terrasser, mettre à terre, humilier. Cependant, du fait de mon éducation lors de laquelle j'ai parfaitement intégré qu'il ne fallait pas toucher aux femmes, non par respect pour elles, mais tout simplement parce qu'elles étaient forcément, nécessairement plus faibles que nous les hommes, ce serait faire acte de lâcheté. Donc je n'ai jamais cherché à éliminer, à tuer une femme, y compris la mère de ma fille. Pourtant cette dernière, bien plus que certains hommes à qui je m'en suis pris pour les salir, les mener dans la boue, l'aurait bien mérité.

Aujourd'hui, comme hier, est un temps à se promener, à flâner, à errer dans les rues. Il ne fait pas froid,le soleil est bel et bien présent et Rennes respire le calme. Si mon ordinateur était moins lourd, je le rangerai et irait faire un tour. Mais il est trop lourd pour mes côtes, pour mes jambes, pour mes muscles, et je ne peux marcher avec plus demi-heure. Au-delà, je me sens écrasé par le poids, mon pas ralenti, je commence à m’essouffler et doit alors faire des pauses. De ce fait, je regrette d'avoir perdu en partie la motricité de ma main droite, main avec laquelle j'écrivais auparavant sur mon petit calepin qui ne me quittait jamais. Oui, un bic et un calepin, c'est nettement moins lourd qu'un ordinateur. J'ai envie de ranger l'ordinateur, mais parallèlement j'ai encore envie d'écrire. Alors je suis dans l'expectative, ne sachant quel choix faire. Du coup, le temps de prendre ma décision, je contemple un petit peu ce qu'il se passe alentour.

Je viens d'appeler ma mère et nous sommes resté une heure au téléphone, chose assez exceptionnelle pour que je l'inscrive. Bien entendu nous avons parlé de son sujet de prédilection, la nutrition, les divers moyens de prévenir ou d'endiguer la maladie, qu'il s'agisse de cancer ou autre, avec des aliments naturels, non chimique, et parce que je ne suis pas fatigué ce matin, j'ai trouvé cette conversation très agréable. Pas une seule fois il n'a été question de ma santé, de ses inquiétudes à mon égard, et cela m'a fait le plus grand bien. Certes, je suis peut-être le premier à râler contre ma mère, mais je sais aussi à quel point elle peut être attachante tant, lorsqu'elle se donne pour vous aider, elle le fait à fond. Ma mère, malgré qu'elle ne soit pas une modérée, est un être fiable, sur laquelle on peut compter, dont la parole ne peut être mis en doute, quelque soit son partie pris. Oui, depuis toujours elle n'a pas eu une vie facile. Cela a commencé dès sa naissance, avec sa propre mère. Ma mère n'a jamais connu son père car ce dernier, une fois ma grand-mère enceinte, les a abandonné. Nous étions dans les années quarante, dans le Paris occupé par les allemands, et la mentalité de l'époque voulait qu'une femme avec enfant, mais sans mari, était assimilé à une pute, ni plus ni moins. Ma grand-mère, Lucienne, confia donc ma mère à mon arrière grand-mère, dans sa Bretagne natale et, ce, jusqu'à la fin de la guerre. Entre-temps ma grand-mère s'était marié et son mari, mon grand-père de cœur, reconnu ma mère comme sa fille légitime, ce qu'il aurait très bien pu ne pas faire. Avec Lucienne, ils eurent deux autres enfants par la suite et c'est avec ma mère que ma grand-mère était la plus dure, la plus sévère, comme si elle lui en voulait d'être née un jour de mai 1942. A  21 ans ma mère quitta le foyer familiale pour ne plus jamais y retourner. Puis elle rencontra mon père et si pendant dix ans tout se passa visiblement bien, la situation dégénéra après, ma mère devenant une femme battue. Comme si cela n'était pas assez, ce fut l'époque où je rentrai dans l'adolescence, où je commençais mes bêtises, mes délits, et elle avait cela à gérer également. Enfin, alors qu'elle était séparé de mon père et que j'étais majeur, là encore elle dû assumer les conséquences de mes délits, qu'il s'agisse de venir chaque semaine me voir en prison ou, quand j'étais à la maison, de me voir inactif, vivant sur son dos, alors qu'elle était elle-même dans des soucis financiers, soucis qui durent encore à l'heure où j'écris ces lignes. De même, parce que souvent nous n'étions pas d'accord dans le domaine des idées, les disputes allaient bon train, disputes dont elle se serait certainement passé. Oui, on ne peut pas dire que j'ai beaucoup aidé ma mère, c'est même l'exact contraire qui s'est produit. Toujours, ou presque, je lui ai amené mes problèmes ou des problèmes, et aujourd'hui elle est face à mon cancer.Cependant elle ne s'est jamais laissé abattre, a toujours combattu et continue encore, ce qui force le respect. Elle a 72 ans à présent et sa santé devient de plus en plus fragile. La vieillesse est là, au rendez-vous, et ne l'épargne pas en maladie de tout genre. Heureusement, en l'état, aucune maladie mortelle ne se pointe à l'horizon et il se pourrait très bien que je disparaisse avant elle. Seul l'avenir nous le dira.


(7 mars 2015)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire