mardi 3 mars 2015

Liberté, égalité, fraternité

Il est 8h00, levé à 4h30, je suis à présent au café dans Rennes qui se réveille, qui s'active. Sur la place où je suis installé, il y a essentiellement des jeunes qui se rendent dans leur collège ou lycée respectifs. Les nuits sont désormais plus courte, je m'en rend compte, car le jour est déjà complètement présent alors qu'il y a seulement un mois la nuit était encore noire à cette heure. Aujourd'hui, hormis faire la vaisselle et passer à la CAF, je n'ai absolument rien de prévu, comme chaque jour d'ailleurs. Ce matin j'écoute « Moby », ses musiques et ses chansons qui font penser à une bande sonore pour film. Dans une heure, je partirai de l'endroit où je suis pour me trouver un autre café, plus au calme, car ici n'arrête pas de défiler camion sur camion à cause d'un chantier en construction, ce qui sera la seconde ligne de métro de Rennes.

Depuis deux jours je suis en colère car je suis frustré. J'aimerai laisser des messages à ma fille sur son iphone ou lui envoyer des sms, juste pour lui dire que je l'aime, mais sa mère lui a interdit de se servir de son téléphone, mon seul lien direct avec ma fille, par punition. Alors j'hésite à appeler sa mère tout  l'heure, n'ayant aucun pouvoir sur ce qui se passe ou non dans la maison où grandit ma fille, ou prendre sur moi et attendre que cette punition soit levée.

Ce matin le ciel est bien couvert. Il n'a rien à voir avec le soleil qui y régnait hier. Du coup je ne serai pas surpris que tombent quelques averses, par intermittence. D'ailleurs une vient de débuter à l'instant. Combien de temps va-t-elle durer, là est la question ? Du coup il y a moins d'agitation sur la place, les piétons pressent le pas, certains avec leur parapluie et d'autre sans. Par contre le bruit des camions et des travaux sont toujours aussi insistants.

Voilà qui est fait, j'ai changé de café et ne plus entendre le bruit des moteurs est un véritablement soulagement. Je ne les ai que trop entendu pendant quarante ans, que ce soit à Paris ou à Lyon. J'espère que Besançon sera aussi calme que Rennes, voire plus calme encore. Oui, j'attends toujours ce moment où je vivrai comme un ermite, dans une maison isolée de la  ville, loin des routes, coupée de tout. Peut-être Cynthia achètera-t-elle ce type de maison, peut-être ne verrais-je jamais sa maison ni une autre, peut-être serais-je partie avant de ce monde ?

J'écris, j'écris, mais mon roman n'avance pas. A vrai dire je n'y pense pas souvent, il est comme un pis aller, une sortie de secours au cas où je serai en mal d'écrire sur quoi que ce soit. Ce matin j'aimerai être un peintre et décrire des paysages comme il les peint. Mais décrire des paysages n'est pas mon truc, je trouve cela ennuyeux à l'avance car je ne possède pas le vocabulaire adéquate pour les décrire. Les Haïkus, ces petits poème japonnais, seraient l'expression la plus à ma portée pour se faire. Trois petites lignes et le tour est joué.

Le ciel est couvert
En force la pluie tombe
La forêt est nue

Le fleur respire
La douce humidité
Ma main l'enlace

Oui, il y a bien longtemps que je n'ai pas écrit de poème, ce que je regrette, mais cela me demande à présent trop d'effort intellectuel. Est-ce à cause de mes métastases cérébrales ? Je le pense. C'est pour cela que j'écris essentiellement mon quotidien, ce qui me passe à travers la tête au moment où j'écris, car cela ne me demande pas trop d'effort de concentration ou d'attention. Du coup mes écrits sont forcément moins intéressants que ceux de naguère où je prenais un thème et le traitai à fond, que soit sous la forme poétique, littéraire ou purement intellectuelle. Aujourd'hui je ne me vois plus choisir un thème, tel la justice par exemple, et commencé à disserter dessus. D'emblée le travail de réflexion me parait trop fastidieux. Autant ma conviction sur la question est simple, la justice n'existe pas, autant vous en faire la démonstration m’apparaît un travail trop laborieux. Quoi qu'il en soit, sur ce thème précis, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de démontrer quoi que ce soit puisque chacun d'entre nous, dès son plus jeune âge, n'a pu que le constater. Pour autant, est-ce que le sentiment d'injustice implique que la justice ne se peut ? Pas forcément. Mais je pense à la règle qui, de tout temps, a dirigé l'humanité. C'est la loi du plus fort et, à partir de là, quelle justice se peut réellement ? J'entendais récemment un économiste dire que seulement une poignée de personne, 50 000 à peu près, dirigeait notre monde. Bien évidement, une majorité de ces personnes font partie du monde de la finance. Mais quand même, la balance ne vous semble-t-elle pas quelque peu déséquilibrée ? D'un côté 50 000 personnes et de l'autre près de 7 milliards d'habitants qui vivent, ou survive, selon la volonté, le dictât de cette poignée d'hommes et de femmes. N'y a-t-il pas comme un malaise ? Et pourtant, même le sachant, nous ne bougeons pas, moi pas plus que vous, n'agissons pas pour changer cet ordre injuste des choses. Effectivement nous pouvons nous lamenter tel que je le fait par écrit, mais à quoi cela sert-il si ce n'est à remuer le couteau dans la plaie ?

De même, toujours à partir du constat de cet économiste, comment peut-on parler de liberté ou simplement y croire ? Nous sommes bel et bien formatés, peu importe ou nous vivons sur la planète, et notre sensation de liberté n'est qu'une chimère, la plus pernicieuse, la plus vicieuse, car comme nous pensons avoir le choix, il ne nous vient pas une seconde à l'esprit que ce sont d'autres qui choisissent pour nous. Oui, tous les systèmes, quel qu'ils soient, sont fait pour favoriser, entretenir le pouvoir des plus forts. Nous, les faibles, ne pouvons choisir que par défaut entre les différentes perspectives qu'ils nous laissent. Le système sélectif commence déjà à l'école et selon que vous serez dans le rythme ou non, les perspectives ne seront pas les mêmes. Certains seront aiguillés vers des CAP, d'autres vers des BAC L ou S, etc, et personne ne vous demandera votre avis ou celui de vos enfants. Si ces filières, si cette sélection initiale n'était d'aucune utilité pour asseoir le pouvoir de ceux qui nous dirigent, elle n'existerait tout simplement pas. Il en va de même dans les pays où les enfants travaillent, au grand damne des défenseurs des droits de l'homme, des droits de l'enfant. Si c'est ainsi que cela se passe dans ces pays, c'est parce que ce type de monde du travail sert les dirigeants. Il en va de même dans les pays où l'école n'est pas obligatoire, voire interdite aux filles. Le savoir fait penser, fait réfléchir, et il est bien plus simple de tenir entre ses mains des poignées d'ignares que des gens cultivés prêts, le cas échéant, à remettre en cause l'ordre établi. Oui, il y a bien peu de liberté dans tout cela.

Enfin, en France, notre dernier slogan est la fraternité. Là aussi, et pas seulement en France, cela ne marche que lorsque économiquement la majorité est satisfaite. Mais si le plus grand nombre se trouve peu ou prou prêt du seuil de pauvreté, voire en dessous, il n'y a plus de fraternité qui tienne et, bien souvent, nous cherchons parmi nous des boucs émissaires. Les émigrés, les étrangers sont en général les premiers ciblés alors qu'ils ne sont, au même titre que nous, que les boucs émissaires de politiques mis en place par une petite poignée d'hommes et de femmes, politiques mis au point pour assurer une fois de plus leur pouvoir. Là encore c'est la loi du plus fort qui est à l’œuvre sur deux niveau. Le premier est la mise en place des politiques en question, le second est le rejet, la tentative d'exclusion des minorités, à commencer par les émigrés et les étrangers. Est-ce à dire qu'en matière de fraternité nous sommes tous blanc ou noir ? Évidemment pas. A titre individuel nous pouvons parfaitement tendre la main à quelqu'un dans le besoin, mais je n'ai pas encore vu de rassemblement collectif dénonçant ceux et celles qui désignent comme boucs émissaires de leur malheur les émigrés ou les étrangers. Nous revenons à l'époque de Pétain, c'est pour moi une chose claire, dès lors qu'un tiers de la population soutient ouvertement Mme Le Pen et son programme. J'ai alors honte d'être français, de faire partie d'un pays dont un tiers de la population ne sait pas réfléchir, ne tire aucune leçon de son histoire avec les parties extrêmes. Oui, j'ai honte et, depuis, je ne vante plus notre pays. Alors pour me consoler, histoire de rire jaune, je contemple Sarkozy, coincé qu'il est entre un FN dont il a repris certaines thématiques lors des dernières élections présidentielle et une centre droit nullement ouvert à ces mêmes thématiques. Oui, je le regarde et me demande quel numéro de cirque, de jongleur, il va nous faire pour essayer de trouver sa place.

Mais aujourd'hui le monde politique n'est qu'une caisse enregistreuse de ceux qui détiennent réellement le pouvoir, c'est à dire les dirigeants des grandes entreprises, les banques et les financiers. Ce pouvoir tend à nos politiques des lois, des amendements fait sur mesure pour leur besoin, et nos politiques ne font que les entériner. Oui, à chaque fois que je réalise tout cela, mon cancer m’apparaît comme une bénédiction tant je trouve tout cela écœurant. Puisse-t-il m'emporter rapidement vers d'autres cieux, voilà mon vœux présent, au moment où j'écris ces lignes.


(3 mars 2015)

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