dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 18

XVIII


Les bébés ne savent pas encore où ils sont, quel est le monde qui les attends, mais nous nous chargerons de leur apprendre... de le leur faire comprendre, n’est-ce pas ? Les jeunes pensent réellement avoir compris, privilège de leurs 20 ans, ils croient encore dur comme fer avoir tout compris.  Et un enfant de douze ans, commence-t-il à comprendre ce qui l’attend ?
Hommes ou femmes, jeunes ou moins jeunes, nous sommes bel et bien enfermés, cloîtrés dans un espace délimité où le nombre de chemin s’offrant à nous est parfaitement limité, prévu et encadré, où que tu sois et qui que tu sois sur cette planète. Nous sommes tous et toutes contenus dans un système que d’aucuns nomment Société. Cette dernière est fidèle à l’image d’une gare, de son hall et des voies circonscrites qu’elle abrite. Nos destinations sont ainsi parfaitement déterminées et peu importe le nombre de choix et de voyages qui nous sont proposés. Cela est ta vie, la mienne et celles de nos voisins... mais pour autant est-ce cela la Vie ? Certains d’entre nous pensent diriger, être le « pouvoir »... il n’en est rien cependant. Comme nous ces personnes se bercent d’illusions, à commencer par l’illusion de se croire plus libre que ceux et celles qu’ils veulent diriger. Mais les gens de « pouvoir » ne peuvent l’être que sous une voûte, un hall de gare, ne faisant alors qu’entretenir, perfectionner ou modifier par petites touches ce qui était bien avant eux et qui sera bien après eux. Cette voûte est la société évidemment, système indispensable pour parvenir à cohabiter les uns avec les autres, mais non être ensemble, chacun pour soi et le système pour tous étant la seule maxime.
Sans cette voûte qui nous contient, combien de voisins aurions-nous éliminé, voire tué, combien d’entre eux aurait tenté la même chose à notre égard ? Quoi qu’il en soit et quel que soit notre place hiérarchique dans le système, nous n’avons pas d’autre choix que de nous conformer à des trajectoires bien définies, avec la possibilité de bifurquer éventuellement si un aiguillage était prévu à cette attention ou créé.

Parce que notre liberté d’adhérer ou non à la société n’existe pas, nous cherchons cette fameuse liberté à travers et dans nos relations avec les autres. Mais qu’en est-il exactement ?
Nos relations sont-elles pour autant dépourvues de directions ? N’auraient-elles d’autres règles que celles que nous voudrions instaurer ? Pourtant si nous ne prenons pas en compte les autres, leurs besoins, leurs désirs, leurs souhaits, leurs espoirs ou leurs envies, alors ils se jetteront sur vous tôt ou tard,  pour vous briser, vous anéantir s’il le faut, comme je l’ai moi-même fait ainsi que bien d’autres. Que cela nous plaise ou non, nous avons des obligations envers les autres. En conséquence nous ne pouvons nous permettre de décider seul de notre présent et de notre avenir dès lors que nous sommes en lien avec quelqu’un. Nous aimerions néanmoins croire que nos voyages avec autrui ne dépendront que de nous et lui, de nous et d’elle, qu’ils seront cause de nos seuls choix. Tout ceci est un leurre cependant... Nous pouvons juste décider de nous unir ou de nous séparer mais une fois notre décision arrêtée, nous n’aurons d’autre choix que de vivre notre histoire conformément aux rails prévus à cet effet. Avant de vivre ces histoires d’amour ou d’amitié, nous aurons certainement attendu souvent sur un quai celles ou ceux tant désirés. Une fois ces rencontres faites, chaque histoire, chaque relation devenait alors un wagon de la construction, un wagon autonome, mais totalement dépendant des autres avec lesquels nous voyageons également. Toutefois nous sommes enfermé dans ces derniers, incapable de concevoir, de toucher du doigt tout ce qui ne se trouve pas sur nos voies, dans notre train, dans notre wagon. Parfois nous sommes profondément déçus par certaines de nos relations et nous pouvons effectivement en souffrir beaucoup. Nous chercherons à comprendre le pourquoi du comment et où se nichent nos erreurs. Mais sur quoi focaliserons-nous notre regard ? Sur des bouts de rails, leur direction ou sur ce train, ce wagon qui fut le nôtre ? Quel que soit l’issue de notre recherche, nous nourrirons encore l’espoir de rencontrer un autre être à aimer et de qui se faire aimer. Sur la même voie ? Pour prendre la même direction que précédemment ? Quoi qu’il en soit, nous aurons des idées sur la question et même si nous ne savons plus trop ce que nous voulons, nous  penserons tout de même savoir ce que nous ne voudrons plus. Mais quelle est la proportion possible de croiser ou non ce que nous attendons ou repoussons ? Car si nous ne sommes plus dans un train, nous ne pouvons qu’être sur un quai alors...!? Comment se pourra notre précieuse liberté, celle de nos mouvements pour commencer.

Évidemment, fidèle à l’idée de cette liberté dont tu te revendiques, fidèle à ton désir d’indépendance, tu refuseras également et tant que tu pourras d’être uniquement l’aliéné des préjugés, croyances et autres convictions diverses qui remplissent ton esprit. C’est oublié un peu vite qu’en sortant du ventre de ta mère, tu ne savais même pas qui était cette mère dont tu réclames à présent, qui était ton père, ce qu’était la mort, ce qu’était la vie... que tu existais.... Tu es le fruit d’une mécanique psychique, conditionnement inéluctable induit, contrôlé et encadré par les valeurs de la société où tu as grandi. Dieu, Charlemagne, la Normandie et la Belgique, tout cela te fut enseigné... ainsi que le respect, l’idée de liberté, la propriété et de tout ce qui s’agite encore aujourd’hui dans ton esprit. Si malgré ces quelques constats tu te penses toujours un être libre, dis-moi de quoi, dis-moi comment car tu m’intrigues mon cher ami ?
 
Pour ma part, je nous perçois plutôt comme les esclaves de ce qui fut notre long conditionnement, une domestication à coup de récompenses et de punitions, sous le contrôle de ceux et celles chargés de faire appliquer les diverses directives des « pouvoirs » en place.
Ces « pouvoirs », ces quelques-uns et quelques-unes ayant la mainmise sur notre présent, parents, politiques, financiers, ont tout fait pour dorer notre cage, notre train, notre wagon, pour l’embellir afin de conserver leur puissance illusoire sur ces voies qu’ils nous permettraient de prendre ou non, « puissance  illusoire » car ne durant qu’un temps, « puissance illusoire » car totalement impuissante face à la mort qui inexorablement les emportera tous et toutes, rendant ainsi vains et futiles ces vies qui furent les leurs. Néanmoins il s’agira pour eux de rendre attrayante notre société afin que nous ayons envie d’en faire partie et non pas de la détruire. Nous alléchant à l’aide de parures et de dorures, nous n’en deviendrions alors que plus dociles, domesticables et manipulables si les circonstances l’exigeaient. A l’aide de paillettes, tout fut alors mis en œuvre pour continuer à détourner notre attention de l’essentiel. Voici ce qu’est, entre autre, la société de consommation, le capitalisme et toutes ses dérives. Certes les systèmes totalitaires, qu’ils soient politiquement idéologiques ou religieux, ne valent pas mieux dans mon regard. Cependant, quel que soit le système, la société, la culture, le pays, la région, il ne faut surtout pas que nous réalisions que nous sommes à vie dans une gare, sous son hall, construit, inventé et maintenu de toute pièce par nos seuls soins, avec uniquement pour avenir des voies déjà pensées à seul fin de voyages élaborés de longue date, avant même que nous ne naissions.

En plus de la liberté, de l’égalité et de je ne sais quel autre foutaise, vous n’avez certainement pas oublié l’importance du bonheur, de tout ce qui vous fus dis et montré à son sujet ? Dès le berceau le matraquage cérébral de cette autre invention de l’esprit humain a débuté pour nous... vous rappelez-vous ? Ce bonheur passait par notre rencontre avec celui ou celle qui serait notre grand amour, Cendrillon, Blanche-Neige, le prince charmant, Shrek, etc., mais cet amour ne se pourrait si nous étions amenés à vivre dans des conditions dites misérables. Nous concluions alors, comme tous et toutes ou peu s’en faut, qu’il nous faudrait gagner de l’argent, au moins un minimum... et plus si possible... Déjà notre jeune esprit commençait à associer le bonheur aux paillettes des murs de notre gare. Par exemple, ce n’était plus d’avoir à manger ou boire qui devenait important dans notre esprit, c’était également le cadre qui accompagnerait ces actes, le restaurant, le café. De même ce n’était pas la voiture, son utilité intrinsèque, qui occupait l’essentiel de notre pensée. C’était la forme qu’elle aurait, son confort, sa vitesse, etc. Effectivement, aller d’un point à un autre, concevoir la voiture comme permettant uniquement d’effectuer un trajet, devenait presque secondaire dans notre réflexion, voire accessoire. Tous nos désirs, sans exception ou presque, nous ont mené à nous attarder plus souvent sur des formes, des cadres, des paillettes, plutôt que sur leurs bien-fondés et leurs réelles utilités. Nombreux sont ceux dont nous aurions pu aisément nous passer. Nombreux sont ceux également qui n’ont pu être assouvis, ce qui nous décevais forcément et peut-être même nous faisait parfois souffrir. Mais il ne pouvait en être autrement tant nous étions bombardés de tentations, par la pub, les médias évidemment, mais aussi par les attentes de nos parents, de nos amis, etc. Alors en ce qui me concerne à présent, quitte à être sur des rails bien malgré moi, quitte à emprunter des voies qui limiteront forcément le champ d’action que je voudrai mien, c’est vers le néant, loin de tout hall de gare, que j’aimerai aller dorénavant. Existe-t-il ? Trouverais-je les tronçons et aiguillages qui m’y mèneront ? Serai-je seul dans mon train ? Peut-être serais-je accompagné par quelques-uns et au moins une, qui sait ? En tout cas, c'est ce que j'ai décidé de croire et je m’efforce d’agir en conséquence, m’éloignant de vous aussi sûrement que la chaleur de la lumière a quitté mon cœur.

Comme dirait Emil Cioran « Tout est vain... ». Il n’y a rien à attendre car rien ne sert à rien au bout du compte. Tout s’arrête tôt ou tard et, d'ici-là, bien des choses possibles ne prendront jamais forme. L’essentiel de nos vies, de notre vie est Idée. Concrètement, rares sont celles qui se matérialiseront dans les faits. Quoique nous voulions, nous ne pouvons faire que de notre mieux, au lieu de faire ce que nous sommes capables de faire. L’autre, autrui est toujours une limite à nos capacités, à notre potentiel. Parce que l’autre existe et que nous ne pouvons ignorer cet autre, tôt ou tard il est de nouveau face à nous, il est impossible d’être soi. Notre limite n’est pas nous-mêmes. Notre limite est l’autre. Autant de porte il nous ouvrira, autant de part de nous-mêmes pourront s’afficher. Autant de porte il nous fermera, autant de part de nous-mêmes devront se taire. Si nous essayons de forcer ses portes, alors il se défendra, c'est certain. Mais décider de le faire néanmoins, c’est tenter de donner corps à l’un de nos espoirs, l’une de nos croyances, toujours… et tant pis si c’est à son détriment. Ainsi sommes-nous les uns envers les autres, car rarement nous sommes les uns avec les autres. Jésus s’est bel et bien trompé. Jamais il n’aurait dû dire « Aimez-vous les uns les autres »  car, du coup, trop d’espoirs se sont retrouvés face à face, entraînant immanquablement ce que vous-mêmes avez expérimenté dans les conflits qui vous sont propres. Non, il aurait dû dire « Que vos espoirs marchent aux côtés de ceux qui ne sont pas les vôtres » et, du coup, les croisades n’auraient peut-être pas eu lieu. De ces deux maximes, l’une n’est pas plus difficile à appliquer que l'autre, ou alors autant, mais la seconde me semble, je le crois, nettement moins génératrice de conflit. En tout cas elle est mienne désormais et je laisse à qui le veut le soin d'aimer la terre entière si tel est son désir.

Mes trente premières années n’ont donc été qu’une succession de catastrophes accompagnées de deux plongées au cœur de l’horreur. Après mon procès en cour d’assise, après Michel, j’étais donc libre. A mes côtés il y avait Nathalie et, déjà, cela me gênait. Je n’étais pas prêt à entamer quelque relation que ce soit et les deux seules personnes que j’acceptai de voir étaient Dédel et Luc. Il n’y qu’avec eux, en leur compagnie, que j’avais l’impression de souffler un petit peu. Ils n’attendaient rien de moi en particulier, que je me taise ou parle leur était acceptable, ils me laissaient me remettre, dans mon rythme, ma cadence, celle d’un mort-vivant. Dégringolade aboutie, anéantissement déprimant, la superbe n’était plus. Ci-gît l’impromptu, le solaire d’une époque révolue, dépassée. Que sera le prochain désert, un abîme récréatif ? Plus de miracle à espérer, le loup est mort victime de son ultime. Que sera mon suivant, qui sera-t-il ? Un déchet anonyme ? Je maudis déjà ce privilège si tentant. La justice est un leurre, ma justice ne se peut... la vie n’est qu’une vague. Pas une blague cependant, bien trop nous détruisons, je ne l’ai que trop vécu, mais une ondulation permanente. C’est cela, comme tous et toutes j’ondule entre dérive et remonte-pente. La ligne droite n’est que mathématique, jamais humaine elle ne sera. La fragilité de l’homme est remarquable, c’est ce qui fait sa connerie si redoutable. Sa subtilité n’en est que plus grossière et pourtant, quelque part, il pourrait être attachant. Si c’est folie que de croire en l'homme, l’est-ce aussi que de l’aimer ? L’amour est source de tout. Mais je crois l’incapacité d’être ému bien plus saine. L’émotion est ce qui nous fait onduler. La sensation, elle, est nettement plus claire et moins permanente. Je voudrai n’être que sensations et délaisser mon intellect. Les pensées ne sont que labyrinthes d’interprétations. Elles créent ainsi nos émotions. Mes neurones s’amusent. Ils ont trouvé ce jeu et, chaque jour, j'en paye le prix....

La tragédie des mots d’un jour
Aussi roses soient-ils
Dirige mes pas sur un parcours
Où même lever des bouts de ciel
Devient suspect dans mon bordel

Il n’y aura plus d’amour fatal

Ne sachant plus le goût du sel
J’ai enterré mes premiers bals
S’ouvrent ainsi de longs duels

La liberté n’est qu’expression de la révolte
Pourquoi la revendiquer sinon?


De 1996 à 2000, malgré Nathalie et tous les efforts de ma mère et de mes amis pour m’aider à remonter la pente, ce fût une longue traversée du désert. Nathalie était bien gentille, certes, mais à mes yeux elle était conne, ne comprenant rien au fonctionnement de notre monde et incapable d’avoir une philosophie cohérente. Souvent, parce que quelque part elle croyait en une certaine forme de réincarnation, elle me disait que dans une vie antérieure nous avions été frère et sœur. Moi, en permanence plongé dans mon coma cérébral, je la laissais dire tout en pensant que ce n’était vraiment pas une femme pour moi. Il n’est qu’un point sur lequel je m’entendais parfaitement avec elle, c’était l’envie de voyager pour découvrir d’autres horizons. Cela pouvait être le temps d’une journée, d’un week-end ou plus. Nous décidions d’un endroit où aller puis avec sa voiture et, comme des amoureux que nous n’étions pas, nous prenions la route. C’est avec elle que j’ai découvert les chambres d’hôtes, les gîtes ruraux, cette autre forme d’hébergement que je ne connaissais pas. Cependant, même s’il n’y avait que cela que j’appréciais de faire avec elle, je ne l’ai pas quitté pour autant et, ce, par lâcheté. Effectivement, même si je ne voulais rien partager de mes tourments intérieurs avec elle, sa simple présence me faisait quand même du bien et, sexuellement parlant, j’étais également satisfait. Avec sa famille, ce fût une toute autre paire de manche. Nathalie avait perdu son père alors qu’elle avait quatorze ans. Depuis cette époque et peut-être même avant, elle ne vivait donc qu’avec sa famille maternelle, à commencer par sa mère, les cinq sœurs et le frère de cette dernière. Sa mère, dès qu’elle sut que Nathalie me fréquentait, refusa de me voir. Son oncle eut la même réaction. Comprenez que j’étais basané, d’origine marocaine, et cela ne passait pas. Dès le départ je ne voulus donc aucune relation avec cette famille, mais à force d’insistance de la part de Nathalie et de deux de ses tantes, j’ai un jour accepté de les rencontrer. Maudit soit ce jour, maudit soit ma faiblesse mentale d’alors, maudit soit ce moment encore aujourd’hui. A part l’oncle, le petit dernier, sa famille maternelle n’était composée que de femmes. A l’époque l’arrière-grand-mère de Nathalie vivait encore dans la maison achetée par l’oncle et ces deux tantes qui voulaient à tout prix me rencontrer, m’accueillir. Ce n’est que quelques mois plus tard, sans doute sous la pression de ses sœurs, que je croisai pour la première fois la mère de Nathalie. Ces deux tantes, Suzanne et Rolande, étaient des femmes célibataires, sans enfants. Leur nièce et neveux étaient leurs enfants. Enfin, cette famille vivait en vase clos. Ils se réunissaient régulièrement mais n’avaient pour ainsi dire aucun ami, que des connaissances et des relations de travail qu’ils ne recevaient jamais chez eux. Ainsi, dès que nous nous sommes installés à Montrouge en 1997 ou 1998, Nathalie et moi, les coups de fil n’arrêtaient pas. Quand ce n’était pas une tante, c’était l’autre. De même, tous les jours Nathalie était au téléphone avec sa mère et, rapidement je découvris l’emprise qu’avaient toutes ces femmes sur elle. Nathalie était incapable de vivre sereinement l’un de ses choix, quel qu’il soit, s’il déplaisait à l’une de ces sorcières et, à plus forte raison, quand sa mère était en désaccord. Combien de fois n’ai-je assisté à leurs conflits téléphoniques, elle et sa mère, conflits que je devais supporter par la suite car ils rendaient malheureuse Nathalie. En plus de mon fardeau, je devais me taper le sien, ce qui m’était insupportable, invivable. Plus d’une fois je dis à Nathalie de mettre de la distance entre elle et sa mère, à défaut de la mettre à l’écart. A chaque fois elle me promettait de le faire, mais dans les faits jamais cela ne fût. Notre couple, qui n’était déjà pas des plus solides, a pâtie de cette famille maternelle, de leur desiderata et des exigences de sa mère. Inutile de vous dire que pour moi sa mère, son oncle, étaient des gens à vomir et que ses tantes, même si elles essayaient toujours d’arranger les situations, n’ont finalement servi qu’à attiser le feu du rejet, de la discorde et de la haine.

Puis vint ce soir où Dédel vint me voir dans notre appartement de Montrouge. C’était un deux pièces et Nathalie se trouvait dans la chambre pour dormir. Dédel avait bien bu, je l’ai vu, et droit dans les yeux il me dit que je devais quitter cette femme, qu’elle était dangereuse et n’était pas faite pour moi. Je fus très surpris par ses propos car depuis deux ans qu’il l’a côtoyait également, jamais le sujet de Nathalie ne s’était posé sur la table. Comme j’avais peur que Nathalie entendent les propos de Dédel, je lui demandai de se taire, que nous en reparlerions demain chez lui ou ailleurs. Mais ivre comme il l’était, il n’entendit pas ma doléance et continua ses tirades sur notre couple. Ne voulant pas me prendre la tête avec Nathalie le soir-même ou le lendemain après le départ de Dédel, je mis immédiatement fin à notre conversation, lui priant de quitter la maison. Oui, lui, mon meilleur ami, celui qui m’avait tant donné et apporté, qui m’avait et me soutenait encore dans l’épreuve, je le foutais hors de chez moi. J’ai préféré privilégié une conne et toute la famille qui va de pair à mon pote, mon double, mon confident de prédilection. Dès ce soir-là, notre relation pris immédiatement fin et plus jamais nous ne nous sommes revus. Aujourd’hui encore je m’en veux d’avoir fait ce choix, d’avoir préféré un plan cul à une réelle amitié. C’est ainsi que s’est tournée une nouvelle page de ma vie. Virginie, Dédel, Laure, tout cela était du passé et ce, définitivement. Face à moi ne restait qu’une route, Nathalie et sa famille, et toutes les emmerdes que cela nous occasionnerait.  Pour moi ce n’était pas possible, il me fallait une autre perspective que sa mère et ses tantes, que ses cousins et leurs gonzesses. Alors en 1998 j’entrepris d’entamer sérieusement une psychothérapie. A cause de mon séjour en UMD, il était hors de question que cela se fasse en milieu hospitalier. Je cherchais donc un psychiatre en ville et, après-coup, qu’elle ne fut ma chance de tomber sur le bon. Il s’appelait Khan et dès notre premier entretien je lui déballais les meurtres du couple, celui de Michel, histoire qu’il mesure bien qui était face à lui. D’un commun accord nous convînmes de nous voir trois fois par semaine, à raison d’une séance de trente minutes à chaque fois. Je ne sais pourquoi, sans doute pour m’obliger à me lever tôt, à vivre, il me donnait régulièrement des rendez-vous à sept heures du matin, voire six heure. Moi qui étais bourré de cachet, j’ai dû faire tout le Vidal en matière de psychotropes, je dormais alors jusqu’à onze heure, voire midi. De même, tous les après-midi je faisais une sieste de deux bonnes heures, si ce n’est plus. Quand je vous dis que j’étais une loque, c’est bien de cela qu’il s’agit. Néanmoins j’acceptais de me plier aux contraintes horaires de Khan et c’est à cette époque que je me suis remis à écrire, couchant sur le papier mes états d’âmes, mes questionnements et mes réponses du moment. Souvent j’allais avec ces écrits à son cabinet et lui en faisait la lecture.

De fil en aiguille, je repassais au crible mon enfance, le racisme dont je fus victime, puis mon adolescence et, surtout, mon regard sur mes parents, mon père en particulier. Jusqu’alors je n’avais pas réellement vu qui ils étaient, jamais je n’avais pris le recul nécessaire pour le faire et, je le crois, jamais je ne m’étais véritablement intéressé à eux, à leur histoire personnelle, bien avant que je ne sois de ce monde. J’entrepris donc de faire ce travail et même si je n’eus que peu d’information sur la vie qu’avait été celle de mon père, sur sa jeunesse, son adolescence et son entrée dans le monde adulte, il en fût tout autrement concernant ma mère. Un après-midi, avec Nathalie, j’allais rendre visite à mon grand-père paternel. J’étais bien décidé à ce qu’il me parle de ma mère, Colette, de son enfance et de tout le reste. Ce grand-père, André, n’était pas le père génétique de ma mère. A l’époque où il rencontra ma grand-mère, Lucienne, nous étions dans les années quarante, dans un Paris occupé par les forces allemandes. André était pompier et avait un bon ami. Cet ami dont j’ignore le nom et le prénom est mon grand-père génétique, mais dès qu’il sut que Lucienne était enceinte, il la quitta. A cette époque, les mœurs et les valeurs étant ce qu’elles étaient, toute femme non marié ayant un enfant était considérée comme une pute, ni plus ni moins. Aussi, lorsque ma grand-mère accoucha, elle quitta Paris pour rejoindre sa mère dans sa Bretagne natale. Elle lui laissa Colette et retourna aussitôt à Paris. Ma mère grandie donc là-bas, jusqu’à la fin de la guerre, et entre-temps Lucienne se mit en couple avec André. Lorsque ma grand-mère récupéra ma mère, alors âgée de quatre ou cinq ans, elle se maria ensuite avec André qui accepta de reconnaître Colette comme sa fille légitime. André, même si nous n’avons rien de génétique en commun, est et restera toujours mon grand-père de cœur. Par contre sa famille savoyarde ne reconnaissait pas ma mère comme l’une des leurs et il me raconta que lorsqu’il se rendait là-bas, en Haute-Savoie, Colette était mise à l’écart. Elle ne mangeait pas à table avec les autres, mais dans une grange, au milieu d’animaux de toute sorte. De même il m’avoua que ma grand-mère était très dure avec sa fille, alors qu’elle se comportait complètement différemment avec les deux autres enfants qu’elle eût avec André. Souvent elle en venait aux mains et n’hésitait pas une seconde à mettre des raclées à ma mère. Je pense que dans son esprit ma mère signifiait la honte, car elle n’était sommes toutes qu’une bâtarde. Ce n’est que lorsque ma mère atteint sa majorité qu’elle quitta définitivement le foyer de ses parents et ce, pour ne plus jamais y revenir. Enfin, j’appris que lorsque ma mère se maria à mon père, ma grand-mère eut exactement la même réaction que la mère de Nathalie à mon égard. Même génération, même réflexe à la con, l’une ne valait pas mieux que l’autre. A la lumière de ces révélations, je compris mieux pourquoi ma mère avait suivi mon père au Maroc et s’était décidé à y vivre. Cependant, lorsque nous sommes venus en France pour nous y installer, ma grand-mère nous ouvrit grand les bras. Je ne sais quel déclic l’avait ainsi fait changer de position, mais moi qui n’était pas au courant de toutes ces histoires, je fus ravi de la découvrir, d’être en sa compagnie et ce, jusqu’à sa mort. Suite à toutes ces révélations sur ma mère, mon regard changea sur elle. Je compris qu’elle aussi, d’une façon différente de la mienne, avait beaucoup souffert, mais contrairement à moi qui me morfondais dans mes malheurs, dans ma souffrance, Colette avait pris la voie inverse. C’était une battante, l’est toujours, et aucune adversité de la vie n’a réussi à lui mettre un genou à terre. Depuis, et de plus en plus avec le temps, je devins plus clément, plus ouvert envers elle, avec ses convictions que je ne partageais pas, sa foi et sa vision des choses. En un mot, je commençais à apprendre à l’accepter tel qu’elle était, avec ses défauts et ses qualités. Je compris également que je ne l’avais pas ménagé durant toutes ces années, pas plus que mon père, et qu’elle ne méritait pas ça. Il devint alors évident pour moi, dans la mesure du possible, que je devais à l’avenir éviter tout conflit avec elle, que je devais accepter d’être dans le compromis, moi qui ne suis pas un homme de compromission. Cela fut long à mettre en place, plus de dix ans, mais aujourd’hui je suis satisfait du résultat. Si désaccord nous avons, contrairement à hier, je n’entre plus dans la polémique, ne cherche plus à faire valoir mon point de vue au détriment du sien, n’attends plus qu’elle change et la prend comme elle se présente.

C’est également durant cette période, ma psychothérapie, que j’ai aussi ouvert les yeux sur mon père. Certes il était réellement sympathique, avait une bonne bonhomie et lorsqu’il n’était pas ivre, il était un être délicieux. Cependant j’ai repassé à la loupe tous ses faits et gestes, les actes qu’il avait commis ou non au sein de notre famille, pour notre famille. Au final le résultat n’était guère glorieux et c’est un château de carte qui s’est écroulé dans ma tête. Oui il était gentil, mais peut-on tout pardonner à quelqu’un sous prétexte qu’il peut être gentil ? Moi je ne le peux. Déjà, si son entreprise d’import-export avait fait faillite, c’est qu’il l’avait mal géré. Peut-être confondait-il bénéfices et salaire, se servant largement dans la caisse de sa société ? De même, quand cette dernière a fait faillite, qu’a-t-il fait concrètement pour subvenir aux besoins matériels de notre famille ? Rien, absolument rien. Pour se procurer un peu d’argent il vendait nos meubles, ses voitures, mais jamais je ne l’ai vu rechercher un emploi, contrairement à ma mère qui se démenait pour en trouver un. Ce fût ainsi jusqu’à ce qu’il se sépare de ma mère. De même, j’appris par la suite que la société qu’il avait créée n’était pas à son nom, mais à celui de ma mère. C’est donc elle et elle-seule qui avait la charge de toutes les dettes que cette faillite avait généré.  Là encore mon père ne l’a pas aidé à rembourser quoi que ce soit. Pendant six ans il s’est laissé vivre à la maison, entre son canapé, la télé et son lit, ma mère étant sa bonne à tout faire. Le peu d’argent qu’il avait, il le dépensait pour son alcool, ses tiercés et c’est tout, rien pour nous autres. En quel terme puis-je alors le qualifier ? Lâche, pleutre, gros fainéant ? Cependant, et c’est presque malgré moi, je l’aime encore aujourd’hui, je le sens dans mon cœur, mais c’est un amour qui fait du mal parce que j’estime qu’il ne le mérite pas. Je me souviens de l’annonce de sa mort. Nous étions en 2001, ma psychothérapie était terminé depuis une bonne année, je ne prenais plus de médicament et avais trouvé un travail après huit années d’inactivité. Je vendais alors des ordinateurs fabriqué sur mesure, selon l’usage que voulait en faire les clients. La boutique ouvrait à dix heures et quelques minutes plus tard le téléphone sonna. C’était ma mère qui m’annonçait le décès de mon père, là-bas au Maroc, pays où il était retourné vivre six ans auparavant. Ironie du destin, la veille au soir, alors que je rentrai du travail, Nathalie avait posé sur la table basse du salon une boite en bois que je lui avais offert. Ouvre-là me dit-elle. A l’intérieur se trouvait un test de grossesse positif. A ma grande stupéfaction elle était donc enceinte et ravie. En ce qui me concerne je n’en menais pas large, car jamais elle ne m’avait préparé à cette éventualité. Réalisant qu’il était clair qu’elle garderait cet enfant, je n’ai rien dit, me suis tu, mais n’en menait pas large. C’est donc ainsi, en moins de vingt-quatre heures, que j’appris que j’allais être père et la mort du mien.

J’avoue que les jours suivant, j’étais en mode automatique, essayant tant bien que mal de digérer ces deux nouvelles dont, aucune des deux, ne me faisait plaisir. Effectivement, Nathalie m’avait mis devant le fait accompli et je savais que j’allais être responsable d’un être qui serait obligé de vivre et de subir notre monde de merde, que cet enfant grandirait avec, dans son environnement, une famille maternelle que je n’appréciais pas, tant par la fausseté de leur relation que par leur état d’esprit limité, incapable de voir plus loin que le bout de leur nez. De même, ce n’était pas mieux du côté de ma famille qui, lentement mais sûrement, se disloquait, chacun partant dans son coin car nous étions trop divergents, avec des points de vues, des positionnements ou des actes qui ne pouvaient s’accorder ensemble et, contrairement à la famille de Nathalie où ils faisaient tout pour étouffer leurs divergences afin de museler toute forme de discorde ou de dispute, dans ma famille chacun affirmait et défendait sa propre cause, et peu importe que cela blesse ou non l’un d’entre nous. Oui, j’étais très perplexe et déçu de devoir faire assumer à un être qui n’avait rien demandé ces lourds fardeaux de l’existence. Aussi je m’interrogeai souvent sur l’attitude que je devrai ou non adopter envers cet enfant. Des sentiments diffus, des émotions à droite, à gauche, qui vont et valsent. Spectateur, je contemplai sans trop comprendre, sans trop cerner ce qui s’agitait de part et autre en ma personne. Je vais être père. Je suis déjà « père »… Je deviens autre, tout se met en place, mais rien n’est insidieux. Tout est très clair, je me transforme, là, sous mes yeux, sans pourtant éprouver le sentiment d’organiser, de contrôler ce qui s’installe. Je me gère comme l’on gérerait une crise. Mais il n’y a pas de crise. Uniquement une amplification d’angles et de traits méconnus qui s’étalent tout du long de ma personne, telle une marée montante. Elle m’envahit, pénètre la moindre de mes pensées, le plus petit de mes actes, me rappelant sans cesse à l’ordre et m'assénant  « Tu es responsable à présent, c’est là, inéluctable et inévitable ». J’ai beau retourner et examiner ce qui me traverse dans tous les sens, je ne parviens pas à atténuer le sentiment qui me violente. Il me viole pour ainsi dire, ta mère m’a violé mon enfant. Cependant, je sais, sens que je n’ai pas d’autre choix… que je ne peux qu’assumer l'enfant qui arrive, ma place étant à ses côtés, pas ailleurs. Je ne vois pas de fardeau dans cette histoire, pourtant j’en éprouve le poids. Mais il ne vient pas de toi l'enfant, il n'est que cause de moi face à moi-même. Loin de mon esprit l’idée d’être un père parfait, ou de le devenir. Cependant je connais mes travers, ces fameux angles et traits méconnus sur lesquels je ne me suis jamais vraiment attardé. Il convient maintenant que je les aborde convenablement, sans complaisance. Apprendre le compromis pour commencer, cet acte si étranger à ma personne. Foutu caractère que j’ai quand je m’y mets… ! Enrayer mon orgueil en conséquence, voir le rayer si possible. Oui, face à toi qui arrive, je ne veux plus être entraîné dans le calcul, la planification des sentiments que je pourrai aisément installer en toi, dans ton cœur, à l'intérieur de ta conscience, afin d'obtenir ce que je désire. Je ne veux pas que tu te sentes coupable, ni de ma rancœur, ni de ma rancune, encore moins de mon amertume. Pourtant c’est ainsi que je me vis dans toute compromission... Je me veux t’accepter sincèrement et honnêtement, tel que tu seras, non tel que je voudrai que tu sois. A mes yeux, dans mes yeux, je sais également que j'assimilerai forcément à de la faiblesse, à des déficiences, certains aspects de ta personne. Prendre garde à ne pas t’observer à travers cette unique fenêtre sera un autre défi… Je n’ignore pas non plus que tu auras tes propres désirs, tes propres besoins, puis que tôt ou tard je devrais les prendre en compte, y compris s’ils me déplaisent. Là aussi, je devrais trouver un moyen pour ne pas focaliser sur ces éventuelles atteintes à mes seules projections. A bien y réfléchir, je ne vais pas apprendre à accepter ta différence. Entre nous, cela ne pourrait être suffisant sur la distance. Non, il va falloir que j'apprenne à apprécier tes spécificités, à les aimer, tout simplement. Il n’est qu’ainsi que je pourrai t’accompagner, te soutenir et t’encourager, sans que cela soit un poids pour mon cœur, ma raison et ma vie. Mais y parviendrai-je ? Si cela s'avère impossible, je conçois très mal nos rapports comme sereins et, tôt ou tard,  nous nous perdrons indubitablement. Effectivement, pourquoi accepterais-tu de faire demain des pas que moi-même je n’aurai pas fait à ton égard ?

Toutes ces heures sans saveurs
Dans les silences de ta cadence
A vivre l’humeur de tes peurs
Est mon unique pénitence

L’évidence me balance
Telle une erreur vers ta fleur
Sans nuance ni clémence
Je pense sans cesse ta présence
Me rendant ivre de stupeur
Je te scande ma prévenance

Les aigreurs de ma noirceur
Voudraient fuir ton innocence
N’être que l’acteur de ton bonheur
Non une lance pour de la démence

Je te veux saisir ma lueur
Être l’essence de ton aisance
Atteindre enfin cette hauteur
Pour des lendemains sans défenses

Car tu es ma couleur
Celle des printemps de mon cœur

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