vendredi 31 octobre 2014

Bernard

Après une semaine d’absence, Cynthia rentre demain. Vous dire que je suis heureux de la retrouver est un euphémisme qui n’est pas à la hauteur de mon sentiment à l’évocation de cette seule idée. J’espère qu’elle aura fait le plein dans son cœur de ses retrouvailles avec sa famille et qu’elle ramènera avec elle de bons souvenirs. Lorsque je pense à sa famille, de suite c’est à son père que je pense et au lien particulier, attachant, fort, qui les unis tout les deux. J’aurai aimé connaître, éprouver, ressentir ce même type de lien avec au moins l’un de mes parents. Malheureusement, même exceptionnellement, jamais cela ne s’est produit. J’ai aimé mon père, aujourd’hui décédé, même si j’ai été terriblement déçu le jour où j’ai réalisé qu’il était un menteur invétéré doublé d’un lâche. Un jour j’en ai eu marre, ne supportant plus de converser avec quelqu’un auprès duquel je ne pouvais me fier, n’ayant plus confiance en ses paroles. Ce jour arriva sept ans avant son décès et pendant ce laps de temps j’avais coupé tout contact avec lui.

Mais revenons à Cynthia, à sa famille. Son père, Bernard, est un homme franchement honnête, peut-être même trop, et d’un courage exemplaire. Même s’il n’aime pas çà, même si parfois il en a peur, jamais je ne l’ai vu reculer ou abdiquer face à un problème. C’est un battant, un vrai, d’une redoutable ténacité. Au premier abord, du fait de sa carrure et de sa manière de s’exprimer, d’un ton sec doublé d’un rapide débit verbale allant droit au but, on pourrait le prendre, croire, imaginer que c’est un être bourru. Mais passé ce premier moment de surprise on s’aperçoit vite qu’il n’en est rien, qu’il a la main sur le cœur et que, s’il le peut, il mettra tout en œuvre pour vous aidez, vous épauler, vous soutenir. Il est également manifeste, très rapidement, que l’on comprend qu’il ne s’engage pas envers vous à la légère. C’est un homme de parole et les actes s’ensuivent. Tout ce qu’il fait, il le fait à fond, qu’il s’agisse de vous tendre la main ou de vous exclure de sa vie. Il n’est pas dans la demi-mesure, ce n’est pas son tempérament ni sa personnalité, il est un homme entier, état assez rare chez nos semblables pour qu’il mérite d’être souligné. C’est également un amoureux de la nature, des animaux et des plantes, et je l’aurai très bien vu militer chez Greenpeace ou autres associations du même genre. De même, alors que cela peut paraître paradoxal vu ses opinions souvent tranchées, c’est un homme ouvert au dialogue, prêt à écouter d’autres points de vue avec intérêt, y compris ceux qui sont contraire à sa logique de pensée. Cette forme d’écoute dont peu d’entre nous sommes capables le rend ainsi encore plus attachant. C’est un père que beaucoup d’enfants auraient aimé avoir, moi le premier. Plus qu’un beau-père, en ce qui me concerne il est de plus en plus comme un ami et, avec les années, je ne doute pas qu’un jour nous le serons complètement, avec tout ce que cela implique de confidences, de complicité et d’envie de bâtir ensemble des projets communs. C’est un homme bon, fondamentalement bon, malgré la vie qui ne l’a pas ménagé en termes d’épreuves.


(31 octobre 2014)

Rupture

Ma fille n’est plus, elle est morte, mais cela fait si longtemps déjà que cela s’est produit. Dès que sa merde de mère est partie avec elle, alors qu’elle n’avait que six mois, de suite j’aurai du savoir que le fruit sain qu’était mon enfant serait contaminé au plus profond des profondeurs par le fruit pourri qu’était sa mère. Douze ans plus tard le spectacle lamentable de cette évidence est démontré. Je sais encore un peu plus aujourd’hui que jamais je n’ai été père et que jamais plus je ne le serai. Face à cette petite merde qu’est mon enfant biologique, son hypocrisie, ses mensonges et ses actes lâches, digne panorama signifiant parfaitement ce qu’est la personnalité de sa mère, je n’ai aucun remord à avoir cessé toutes relations. Je n’ai rien à voir avec des gens pareils, peut importe leur âge, et le fait que mon enfant biologique face partie du lot ne change rien à la donne. Les couards, les lâches, tout comme les racistes ou les xénophobes n’ont pas de place dans mon univers. Je ne veux autour de moi que des gens honnêtes, francs et sincères et, fort heureusement, il en existe encore. Tant pis pour ma fille, qu’elle se démerde avec sa mère et les psys qu’elle consulte déjà alors qu’elle n’a que douze ans. Tant pis également pour sa mère, cette salope qui m’a fait un enfant dans le dos puis qui m’a quitté afin de garder pour elle-seule sa petite poupée, son nouveau jouet. La mère étant une dérangée mentale, on ne pourra être surpris que sa fille le devienne à son tour. En la matière, de la colère j’en ai à revendre face à cet immense gâchis dont j’ai forcément une grande part de responsabilité, à commencer par celle de m’être mis en couple avec une folle peureuse.


(31 octobre 2014)

Vers la mort

Écriture automatique


La nuit n’est pas mon avenir, je contemple les étoiles et je sais que là est ma finale destination. Rien de laborieux, tout est silencieux, et je m’en vais comme une victoire vers mon sort final. Il n’y a plus d’heureux ou malheureux, tout se mêle en un seul bloc, celui du vivant qui va mourir. Encore une fois, encore une nuit, un dernier souffle pour l’honneur, être Don Quichotte face au moulin, moulin à vent bien entendu, car tout n’est que vent dans l’existence. Plus de passage, plus de message, tout doit s’éteindre - ainsi soit-il – et si je mange encore du pain c’est qu’il est tout de même beau de croquer la vie à pleine dent. Plus de loup, plus de chiens, plus de meutes ordonnées, véritables petits soldats de plomb, écrasante majorité d’entre nous, à supporter, à endurer, dont la bêtise et la lâcheté semblent sans limite. Seules les hyènes s’y retrouvent dans cet univers d’injustice, indigeste, de faux-semblants, de râleurs en tout genre qui, jamais, n’agissent. Je leur pisse dessus, par-dessus et par-dessous, le caniveau n’est pas loin et au large il les emportera. Ma bassine est pleine de notre connerie, pleine de ma lâcheté à supporter ce cirque et, plus encore, c’est pour cela que je ne regrette rien et, même si j’en ai peur, le voyage vers la mort m’enthousiasme.


(31 octobre 2014)

jeudi 30 octobre 2014

Cynthia

Des lettres d’amour je lui en ai écris souvent, mais c’était il y a longtemps. Je prenais même plaisir à rédiger des poèmes et tout ce que j’écrivais alors, les premières années de notre union, lui était directement adressé. Mais ça aussi c’était il y a longtemps. Puis un jour, sans que je ne sache quand exactement et pourquoi, j’ai cessé de lui écrire, j’ai cessé de lui donner les preuves de l’amour que je lui voue par des mots, des phrases chargées des sentiments de mon cœur. C’est sans doute à cette même époque que j’ai cessé définitivement d’écrire, certainement parce que j’allais si bien dans cette nouvelle vie que rien, absolument rien, ne pouvait l’entacher.

Lorsque j’ai appris que j’avais un cancer, il y a maintenant un an, là encore je n’ai pas pensé à elle. Pendant cinq mois, peut-être plus, je n’ai passé mon temps qu’à m’observer, à avoir peur, à essayer de gérer cette peur, mais Cynthia, lui-ais-je laissé une véritable place dans mon esprit, ais-je laisser l’amour que je lui voue s’exprimer dans mon cœur ? Je l’ai délaissé intérieurement, tel est mon sentiment, car trop accaparé par la panique qui était alors mienne. Aujourd’hui tout cela s’est apaisé et, enfin, je regarde à nouveau Cynthia, la contemple, éprouve de nouveau fierté et admiration face à son courage, sa ténacité, sa bienveillance et sa fidélité à ma personne.

Elle est la première femme dont je peux dire qu’elle est une partie de moi, indéniablement et sûrement. Non pas que je n’ai pas éprouvé de véritables attachements envers deux ou trois femmes dans mon passé, mais pour moi il est clair que nous étions des personnalités bien distinctes, même pas complémentaires, qui avions simplement du plaisir à être ensemble. Avec Cynthia tout est différent. Bien sûr cela ne s’est pas fait en un jour et, à deux ou trois reprises, nous aurions même pu nous séparer définitivement. Je ne sais qui a mis le plus d’eau dans son vin à cette époque, je ne sais par quelle magie nos désaccords profonds d’alors se sont apaisés, mais la suite de l’histoire, en ce qui me concerne, a été un véritable conte de fée. Effectivement une fois que cette période de troubles, de mise au point, d’explications de part et d’autre, fût passé, je n’ai pas souvenir de disputes verbales violentes, de mise en danger de notre couple et, aujourd’hui, j’apprécie cela d’autant plus que je ne vois plus ce qui pourrait nous séparer, hormis le décès de l’un ou de l’autre.

Quelque part, vous dire que je l’aime ne veut rien dire car ce lieu-dit n’est pas à la hauteur de ce que j’éprouve pour elle. M’approchant de la cinquantaine, ayant rencontré des personnes de toutes sortes, de milieux sociaux allant du bas de l’échelle aux sphères du pouvoir, je peux simplement dire que celle que j’aime mérite d’être heureuse, avec ou sans moi, tant le fond de sa personne est fondamentalement bon, généreux et, même si elle s’en défend, prêt à l’empathie. Jamais je n’aurai imaginé rencontrer quelqu’un avec qui je me sente aussi bien. Oui, ni mon frère ni mes amis ne m’apporte autant de sérénité, y compris face à l’adversité. Aussi, entre mes états d’âme et tergiversations intellectuelles, je pense que c’est la moindre des choses que de vous exposez l’importance, la place et le rôle crucial qu’elle tient dans ma vie. Plus qu’une flamme, elle est le feu qui m’illumine, qui m’offre chaleur et réconfort et, parce que je me veux digne d’elle, elle est également ma force, celle qui me donne l’énergie de me battre quelque soit le problème à affronter. De moi, elle fait un battant, y compris dans mes moments de faiblesse, car il ne serait être question que je la déçoive, elle qui ne m’a jamais déçu.

Avant de la connaître, je n’en avais strictement rien foutre de la condition et du sort réservé aux animaux. Lentement mais sûrement, peut-être malgré elle, elle m’a appris à les regarder, à les écouter, à les considérer et, parfois, à les comprendre. Est-ce à dire que je suis devenu un amoureux des bêtes? Pas du tout. Par contre je les considère à présent comme mon semblable, avec un cœur, des émotions, une forme de pensée et, pas plus que je ne supporte les violences que nous pouvons exercer entre nous, je ne supporte celles que nous leur infligeons. Aujourd’hui je mange cent fois moins de viande que jadis et, si j’arrive à tenir sur la distance, j’envisage de devenir végétarien afin de ne plus participer au sort qui est réservé aux animaux, à leurs conditions d’élevage. Le problème est que je n’apprécie pas particulièrement les légumes, les soupes et les fromages. Il me sera donc difficile de changer de régime alimentaire, mais une chose est sûre, j’essayerai.


(30 octobre 2014)

mardi 28 octobre 2014

De tout et de rien

Je suis dans la ville, pas loin de la place Sainte-Anne, contemplant une fois de plus les passants tandis que je bois mon café assis à une terrasse. Je réalise que j’oublie que je suis à Rennes, en Bretagne, que l’effet de mes premiers jours passés ici, effet de la nouveauté, s’estompe. Désormais, je le constate, je deviens un rennais car plus les jours passent et moins je me sens étranger, touriste, de passage. Dit autrement je ne me sens plus un dans la foule, c’est la foule et la ville qui sont en moi. A présent je fais partie de la masse.

Depuis tout à l’heure je pense à Alzheimer, à son stade avancé. Est-ce que les personnes concernées par cette maladie éprouvent des angoisses ? A priori  je serai tenté de dire non car généralement une angoisse est liée à un événement passé ou à une projection dans le futur marquée par l’inquiétude. Mais lorsque l’on ne se souvient plus d’hier, du matin-même, voire de l’heure qui a précédé, à quoi l’angoisse peut-elle se rattacher, s’agripper, se cramponner pour pouvoir se diffuser dans le cœur, dans la tête et peut-être ailleurs ? Il ne lui reste alors que le futur, l’avenir, comme condition pour se développer, naître et tenter de nous envahir. Mais la personne qui a la maladie d’Alzheimer, a-t-elle encore la notion de l’avenir ? Lorsqu’elle se lève le matin, sait-elle que le soir viendra et que la nuit venue le soleil aura disparu ? Si Alzheimer est bien la perte des souvenirs, alors cette personne ne saura plus qu’après la nuit le jour se lève et, si tel est le cas, quelle projection marquée d’inquiétude peut-elle imaginer ? Bien entendu je ne suis pas un spécialiste de cette maladie et l’idée que j’en ai provient des explications et généralités que j’ai entendu ici et là. Mais s’il s’avérait qu’une personne atteinte d’Alzheimer à un stade avancé ne peut pas avoir d’angoisse, de crise d’anxiété, alors j’aimerai que cette maladie se développe en moi parallèlement à mon cancer. Je sais, c’est un souhait lâche et égoïste au possible envers mes proches, à commencer par Cynthia, mais il me permettrait de ne plus penser à mon cancer, ainsi qu’au temps qui m’est compté ou non. Oui, Alzheimer m’intrigue car, vraiment, je me demande quel rapport au temps entretient le malade. Je vais donc me renseigner sur le sujet pour tenter de comprendre comment ils se vivent au quotidien, ce que signifie une matinée, un après-midi ou une soirée pour eux, pour tenter de cerner la manière dont ils vivent leur condition afin de savoir si, parfois ou souvent, ils ont des états d’âme.

Cette après-midi je pense également beaucoup à Cynthia qui lit tout ce que j’écris, même si nous n’en parlons jamais. Dans le fond je ne me trouve pas correct de lui infliger la connaissance de tout ce qui me traverse car, reconnaissons-le, c’est rarement gai et encourageant. En cela, bien plus qu’indécent, c’est sadique que je me pense. Lui donner accès à mes écrits, c’est lui procurer des inquiétudes supplémentaires et, peut-être, un sentiment d’impuissance qui ne peut être agréable à éprouver. Est-ce cela aimer quelqu’un, en agissant ainsi ? D’un autre côté il me semble que je lui dois ma vérité car notre relation étant basée sur la confiance, une confiance totale, ne serait-ce pas lui mentir ou être hypocrite que de lui cacher tout ceci ? Je suis donc face à un dilemme et ne sais pas quelle est la bonne solution, la bonne attitude à adopter pour lui épargner des souffrances ou des inquiétudes dont elle se passerait bien.

La nuit ne va pas tarder à tomber, c’est le moment que j’apprécie le plus dans une journée car elle est le signe que cette dernière arrive à terme, se finie, une en moins dans le monde des humains, une de plus me rapprochant de ma fin. Le monde des hommes, vaste sujet là encore, où tout est fabriqué, préfabriqué et ce, jusqu’à notre manière de penser. Je ne saurai donner une définition précise de ce qui est ou non naturel, propre à la nature, à la Terre, à l’univers, mais il est limpide que le monde de l’homme, nos sociétés donc, n’y est pas conforme. Depuis que notre espèce s’est sédentarisé il y a plus de 8000 ans, créant de fait les premiers villages puis les premières villes et enfin les premières cités, qu’avons-nous fait ? Ce fût la naissance de l’économie, de l’argent, de la propriété et des places de pouvoirs que cette dernière confère. Depuis, absolument rien n’a changé, ces dominos sont toujours en place et rien ne les a encore fait tomber, voire vaciller.

Les grecs n’ont rien inventé, ni la politique ni la démocratie. Ils n’ont fait que fignoler, ajuster, réordonner ce qui existait déjà dans les cités orientales. Croire que la naissance de cette pseudoscience nommée philosophie a changé la donne, transformant de façon plus ou moins radicale les fondamentaux qui assurent le bon fonctionnement des diverses formes de société que l’humanité a connu est un leurre, une cruelle méprise. La philosophie permet uniquement de faire évoluer les mœurs, les mentalités, parfois dans le bon sens, celui qui mène à l’émancipation de l’individu face au conditionnement dont il a été sujet au préalable, mais la philosophie peut aussi nous induire en erreur, nous faire régresser ou nous amener à croire des choses que l’avenir contredira par des faits. La philosophie étant une manière d’être, de penser et, en conséquence, d’agir conformément à ses convictions lorsque cela est possible, je classe les religions dans ce même registre. Une religion est une philosophie en ce sens qu’elle se pose des questions existentielles, y apporte des réponses et demande à ses adeptes de se comporter en conséquence. La psychanalyse, bien que cette autre pseudoscience ne repose pas sur des questions existentielles, participe de cette même logique. Il y a des dogmes, des fondamentaux qui sont autant de dominos propices à se casser la gueule et, là aussi, la caste qui la compose n’a ni le choix du comportement ni le choix de l’interprétation face au patient.

Voilà ce que nous sommes, nous humains, des êtres qui, une fois conditionné dans l’enfance par une idéologie, des dogmes, des règles morales, ne savons pas ou avons beaucoup de mal à les remettre en cause, à faire tomber les dominos et, plus encore, à en créer d’autres. L’esprit n’est libre que s’il ne se plie à aucune exigence, aucun dogme, aucune idéologie. Cela n’implique pas que nous n’ayons aucune préférence pour certaines formes de pensées, mais simplement nous les choisissons en connaissance de cause, sachant qu’il n’est pas une seule forme de pensée qui aurait des fondations plus solides que d’autres. Les idéologies nazis, fascistes, communistes, capitalistes et les idéologies religieuses ont toutes des fondations solides, défendables, qui peuvent être justifiées. Effectivement, puisque nul ne peut expliquer le mystère de la vie, le mystère de la mort, le pourquoi de ces réalités, et que notre espèce vit en communauté, alors on peut tout imaginer sur le comment du vivre ensemble.


(28 octobre 2014)

lundi 27 octobre 2014

Chacun est seul

Chacun est seul. Je n’y vois là que la seule vérité. Une seule conclusion s'impose alors, ne sois jamais dans la merde. Quelque soit les gens qui t’entoure personne ne bougera pour toi si d'aventure trop de problèmes se trouvaient sur ta route. Qui que soit ton entourage, quoiqu’il fasse, quelque soit les fonctions, le statut de ceux et de celles qui te témoignent leur estime, leur respect ou une quelconque marque de considération, qui semblent même parfois t’apprécier au point de se dire ami de ta personne, ils te délaisseront tôt ou tard si ta situation te dotait d'un compteur financier inférieur ou égal à zéro, quelque soit l'heure ou le jour de la consultation de tes comptes.

Bien sûr tous se diront accablés par ta situation mais c’est surtout gêné qu'ils seront. Tu auras mis sous leurs yeux, tu seras face à eux l’incarnation vivante et réelle de ce qu'ils redoutent de devenir. En d'autre terme c'est l'échec que tu symboliseras, cet état inadmissible et inacceptable, totalement incompatible avec les valeurs économiques qui guident aujourd'hui tous nos modes relationnels. De ton entourage tu ne dois donc rien attendre si tu es dans la merde, si ce n’est beaucoup de soupirs et une quantité non négligeable de diverses formes de désintérêts.

Qu’attendre alors du reste, de tous ces autres que tu ne connais pas et que tu ne connaîtras jamais, de tous ces autres qui, planqués derrière leur écran d'ordinateur, ne te penseront jamais hormis sous l'un de tes quelconque numéros (Sécu, CAF, Assedic, compte bancaire, etc.) ou sous l'une de ces nombreuses étiquettes radicales à consonance pré définitive, voire définitive au vrai parfum de l'exclusion (chômeur, rmiste, sans papier, invalide, sans lieu fixe, handicapé, etc.) étiquette sociale qui te seras de suite affublée si par malheur, suspect maudit, le début du fond commençait à s'étaler sous tes pieds.

Comment t'y es-tu pris questionneront-ils? Qu'as-tu fait de ta chance? Ne mérites-tu pas ce qui t’arrive? As-tu fait ce qu'il fallait? Mais savais-tu seulement ce qu'il fallait faire?! Ils sont là les prémisses de ta relégation, amorces effectives des modifications en cours de ton statut toujours précaire. Rien n'est jamais donné te diront certains, rien n'est jamais acquis reste mon unique certitude.

Avec ou contre ton gré tu es ainsi catalogué. A peine installé dans le ventre de ta mère, dépourvu de toute conscience du vivant, il existait déjà une case pour ta personne. Tout était prêt tout était là dont la liberté et ses formules chimériques qui, pourtant, restent le cœur de ta pensée. Tu n'es qu'un acteur dans le système, un matricule parmi tant d'autres. Quoi qu'il t'arrive n'oublie jamais cette évidence. Passif, actif, insignifiant ou signifiant tu ne peux être que ce que le système te permet d'être. Il instaure le bien et décrète le mal à l'attention de chacun d'entre nous, il élabore des règles et des lois indistinctement applicables à tous et à toutes, qui que tu sois et où que tu sois sur son territoire. Mais rien, absolument rien dans cet échafaudage gigantesque n'est la conséquence directe de ta personne, de celui ou de celle que tu es intrinsèquement, qui existe bel et bien, indépendamment de tout concept. Le système trace des lignes, décide sans toi des perspectives, impose des mœurs et définit ce qu'est un Homme, ce qu'est une Femme telle une colonne vertébrale qui impose à tes mouvements la moindre forme de leurs courbes. Que pèsent alors tes simples vertèbres ? Crois-tu vraiment que tu es libre dans ta pensée, que tu es libre de tes actes ?

Le système, ou la société, ce concept générique qui n'est pensable qu'en théorie, bien qu'il soit au cœur même de toutes nos gymnastiques quotidiennes, fait de toi quelqu'un qui ne peut exister, qui jamais ne sera dans sa galaxie « théorétique » ou tu baignes néanmoins de la tête aux pieds. Pourtant la présence de ton image dans le miroir sous-tend clairement que tu existes, que tu es là et vraiment là! Mais ce « là » que tu contemples chaque matin devant ta glace ne sera jamais ton « là » dans le système. Il est le « là » de ta conscience, il est un « là » avec toi-même, inaccessible au reste du monde.

La machine est partout, c'est vrai, tu dois t'y adapter et non le contraire. Le coup est rude pour l’ego lorsque l'implacable mécanique de cette logique amène un jour ton détriment. Mais ne le savais-tu pas depuis toujours? Car aucun dé n'était pipé. Dès le premier souffle de ta carcasse dans le royaume du monde vivant toute ta vie était pliée, pesée, postée et emballée. Tu te plieras à la machine, tu avaleras son règlement ou sa matrice te détruira. Ton père, ta mère, puis tous et toutes, consciencieusement, se sont souciés de le graver au plus profond de ta mémoire. La méthode est bien huilée, elle est parfaite en chaque point, nauséabonde mais efficace, aucune issue ne t’est laissée. L’impasse est prête à t'accueillir, à t'encercler de tous ses bras.

Comment manger, comment parler, comment dormir, comment apprendre, ainsi seraient les bases de ton dressage. Tous ont tendance à l'oublier, certains sont prêts à le nier mais tu n'es qu'un animal, un animal domestique et paresseux. Comme lui tu as appris à obéir, à te soumettre en t'appliquant plus ou moins consciencieusement. N’était-ce pas là le prix de tes desserts, de tes bonbons et autres câlins de ton enfance?

Le carré de chocolat, comme n'importe quel sucre donné au chien, n'est qu'un outil de récompense parmi tant d'autres. De la poupée à ton ballon, de la gamme boy à ton scooter, tout sera bon pour t'allécher, pour t'incruster dans les neurones le bien fondé et les bienfaits de ce que tu vis. Les stock-options, le 13ème mois, les primes diverses de nos salaire et toutes les soldes des 4 saisons ont exactement cette même fonction. Sois également conscient que l'objet même de ton dressage n'était pas de t'amener à être l'enfant modèle de notre imaginaire collectif. Jamais il n'en fût question et jamais ce ne le sera. L'unique objet de la méthode consistait à te rendre, une fois adulte, entièrement soumis et dépendant du seul système, assujettit à sa vindicte quelque soit ta place hiérarchique dans ses circuits!


(2008)

L’exorde

L’exorde

(7300 jours pour voir la nuit)


Liberté monotone, du raisin en abondance !
Joie au pays des dépravés
Joie des songes achetés
La vie et le bien, Dieu s’en tape !

Je me suis moqué de moi-même
Puis des autres et des autres
Pour m’aimer un petit peu
Dans cette jungle de sauvages

Trop sérieux me dites-vous
De nous voir en cette boue
Mais dites-moi braves pèlerins
Où êtes-vous quand je pleure ?

J’ai pissé sur le mur des écoles
Pour venger mes copies
De l’ingrat dictateur
Des sueurs de mes nuits
J’ai tapé les plus faibles
Pour une place chez les grands
Ces petits de la cour de récré
Mais oublié ce passé ridicule

Sur les roulettes de mes patins
J’excellais pour des filles intouchables
Qui n’avaient cure d'un pauvre clown
Que le béton faisait valser
J'ai décidé de me venger de ces salopes
Abandonnant le sentiment dit amoureux
Le plaquant à coup de masse
Entre le sol et ma semelle

Enfin la rue vint me happer
Dans son système du plus fort, du plus fou
Avec ses lois, son unique règle
Marches sur l’autre et tu seras !
Tu exploiteras le pleutre vaincu
Il sera l'esclave de ta colère
  Sera la bonne de tes humeurs
Même sa femme sera tienne si tu l'exiges

Puis j’ai connu la folle de nos âges
Oui marre d’être un puceau chez les puceaux
Le travail terminé, j'ai roulé dans la gadoue
Cette nympho du sentiment
Un cap de plus fût bien franchi
J’eus tout loisir de me moquer et de baiser
Je connaissais le mode d’emploi
Du grand mystère du premier âge

Puis l’interdit, le véritable, est arrivé
Normalement, trop logiquement sur mon chemin
C’était moi seul face au système
Système bâtard, qui t'a permis de me leurrer ?
Que ce soit mobs ou drogues diverses
Autoradios ou caves d’immeubles
Je n’en pouvais plus de t’ignorer
Tu as pris soin de moi un peu plus tard

Enfin celle qui n’existait pas
S’est un jour posée là, sous mes yeux
Oui mon cœur en a pris un coup
Mais un de plus, qu’est-ce que c’était ?
De par son corps, de par ses lèvres
Je la voulais comprenez-vous ?
Pour toute la vie, pour toute la mort
  Nous ne fûmes ensemble que quelques jours

Puis j’ai franchis la première porte d’un café
Drôle de marais que cet endroit
Drôle d’impression quand tu renifles
Les maîtres étranges de ces lieux
Deux trois putains en petit cercle
Deux hommes pleurant avec leur bière
C’est qu’à cette heure
Les gens stressés sont tous partis

J’avais l’âge mais pas l’argent
Pris un café pour compenser
Observé le manège de cette foire
  Ne pas être écrasé par un puissant
Il me fallait être du cercle
Près de ces putes bonnes qu’à une chose
A faire sortir les gros billets car chacun sait
Que là se terre le nœud final de tout pouvoir

J’ai découvert un autre monde
Plus pernicieux, plus décadent
Car quand l’argent est si présent
L’interdit en devient sourd, bien plus subtil
Tout est légal en apparence
Les faveurs sont, elles, gratuites
Même la came que tu t’injectes
Même la pute que tu baiseras
Ta parole aura valeur
De l’un des comptes que tu possèdes
N’en ayant pas je me suis tus
Bénéficiant des largesses de ces Messieurs
Devenant en quelque sorte un homme de main
Suscitant les besoins de certains
Ecrasant un peu plus la marmaille du quartier
  Récompensée à coup de pièces trébuchantes

Mais il manquait une femme dans mon décor
Au moins une pour prendre mon cœur
  Egoïstement serré entre ses doigts vernis
Mais où était-elle cette connasse ?

A  observer et à me taire
J’ai perdu la main et le doigté
La prison m’a accueillit
J’étais adulte, j’étais majeur
J’ai eu le temps pour le bilan
J’ai eu le temps pour voir mes pairs
Le résultat n’est pas bien gai
J’ai tout gâché comme un morveux
Le monde est fou, le monde est boue
Tout est truqué, même les couleurs de l’arc-en-ciel
Quand par malheur nous écoutons nos instincts bas
Il en faut des coups sordides pour s'en rendre compte

Même le poisson qui nage
Stagne dans un périmètre bien défini
Tout comme l’oiseau et bien sûr l’homme
Qu’avons-nous donc de supérieur, dites-le moi ?

J’aimerai être une plante
Inaccessible aux proies humaines
Ce que nous sommes les uns aux autres
Quand tu regardes ton voisin
Une plante qui serait vie
Sans  bonheur et sans malheur
Cherchant soleil et un peu d'eau
Pour grandir et non survivre

Je laisse donc à qui le veut la politique et autres affaires
Qu'ils sachent seulement que ma confiance s'est bien éteinte
Je voterai, manifesterai sans aucune conviction
Sachant l’absurdité de prétentions si orgueilleuses

Le bon Dieu doit sourire sur son perchoir
Observant ses fourmis pinailler
Pour définir un ordre systématique
A ce qu’elles sauront ne jamais devoir venir

Quant au Diable il se morfond de constater
La misère mentale de ses recrues
Il ne sait plus que faire, je vous le dis,
De moi y compris évidemment

Si Bouddha était un sage, il se serait tût
Si Christ était amour, il se serait tût
Et si je parle aujourd’hui
C’est que je ne suis ni l’un ni l’autre

Il n’y a pas d’espoir me dites-vous
Dans ce roman vulgaire de chaque jour
Pas de lumière dans le creux sans rimes de ces phrases
Mais pourquoi colorer ce qui toujours sera du noir ?

Mon cœur a trop souffert
Vous répondrais-je sans hésiter
A croire possible du possible
Mais n’y trouvant que du néant

S’il me reste un seul espoir, je le garde précieusement
Le préservant de votre monde, peut-être même de moi-même
Il est ma seule énergie pour lutter un peu chaque jour
Dans ce qui n’est plus une simple jungle mais uniquement un abattoir


(1997)

Etape

Il y a malaise dans la cité, l’édifice s’ébranle, vacille, je ne sais plus de quel côté tomber. Nous sommes lundi, début de semaine, mais cela m’est étranger car pour moi chaque jour est un lundi, un mardi ou un dimanche, faites votre choix.

Je regarde mon alliance, celle qui m’allie à Cynthia. Cependant je ne me sens plus allié ou lié à qui que ce soit, mais relié uniquement à elle, ce qui ne signifie pas du tout la même chose. Jamais auparavant je ne m’étais symboliquement allié, lié ou relié à quelqu’un par un signe distinctif que nous porterions en commun. Cynthia est la première et, très certainement, la dernière personne pour laquelle j’accepte de dévoiler au premier lambda croisé dans la rue, ouvertement et publiquement, mes sentiments et mon attachement. Cela a commencé il y a six ans, époque où je la découvrais. Elle portait alors un collier en mailles métalliques où pendait une petite croix. Quelques jours plus tard c’est moi qui le portais. C’était un moyen comme un autre de la sentir proche de moi en tout moment. Nos alliances sont un acte récent, directement lié et influencé par ma maladie. La peur de ma mort, de part et d’autre, nous a convaincu de nous unir plus encore. Pour tout vous dire, alors que je suis fondamentalement contre le mariage du fait de ma connaissance des origines de ce pacte, de ce contrat de merde, aujourd’hui je suis pourtant prêt à me marier avec elle afin de sceller de manière définitive mon attachement à sa personne. Ainsi, même si je meurs dans quelques mois, elle pourra conserver, porter, emmener avec elle mon nom de famille si elle le souhaite. Certes, ce ne sera pas un grand legs, mais il lui restera au moins çà.

Il est donc 9H30, je me suis levé vers 6H00 et à l’instant je viens de prendre mon troisième Xanax de la journée. Et oui, elles sont bien loin les prescriptions du médecin, prescription que je ne respecte pas. Mais l’idée de toute cette journée à venir que je ne sais comment combler pour me vivre sereinement m’angoisse. Le simple fait d’y penser me stress, alors je me shoote une fois de plus, sans remord, mais avec regret. Mentalement je ne suis plus aussi fort qu’auparavant, avant ma maladie, et je n’arrive plus à gérer les tensions, qu’elles soient internes ou externes. Le moindre désaccord m’apparait désormais comme une guerre de tranchées, un champ de bataille similaire à ceux de la guerre 14-18, avec son gaz moutarde, ses masques à gaz, sa boue et ses morts. Oui, ma maladie me met face à un mur, celui du temps, une perspective que je ne sais plus comment concevoir, aborder, approcher.

Aujourd’hui je comprends mieux l’avantage d’être jeune et en bonne santé. A cet âge le temps est une notion indéfini tant, accoudés sur le rebord de notre fenêtre, nous ne voyons pas les derniers jours de notre fin. Du coup, puisque le temps semble sans limite, on peut tout se permettre, absolument tout. Agir ou ne pas agir, prendre des risques ou non, reporter à demain ce qui nous emmerde le jour-même, embrasser l’autre ou lui faire un magistral doigt d’honneur, poursuivre ou abandonner ses études, consolider nos relations ou les détruire, etc. Enfin de compte touts nos choix n’ont pas de réelle importance puisque le temps nous semblant infini, tout ce qui n’a pas été possible aujourd’hui se réalisera peut-être, voire forcément, demain. Il n’y a donc aucune raison de s’alarmer ou de désespérer.

Cette chimère n’étant plus mon apanage, je commence donc à m’enfoncer dans un marécage qui ne veut pas dire son nom. C’est celui de la déprime, voire de la dépression, car il m’est invivable d’être là, d’exister, de vivre et respirer sans pouvoir me projeter dans le temps, le futur, l’avenir, le lointain, bien au-delà de mon seul horizon que constitue la semaine en cours. En conséquence j’ai pris ma décision, non celle du suicide qui est pourtant un couloir bien tentant, mais celle de me shooter un peu plus encore aux médicaments. Rendez-vous est donc pris avec mon médecin généraliste à 16H30 afin qu’il me prescrive d’autres pilule, en plus de celles que je prends déjà bien sûr. Peut-être s’agira-t-il d’un antidépresseur, d’un autre neuroleptique. Quoi qu’il en soit je prendrai le psychotrope qu’il me suggèrera. Puis en fin de semaine je verrai mon psychiatre en vacance actuellement et, ensemble, nous feront le point sur cette nouvelle ordonnance, quitte à la réajuster ou à la modifier. Il n’empêche, l’idée su suicide me parle bel et bien. En finir avec l’attente, l’incertitude, notre monde merde, le capitalisme qui bouffe jusqu’à la moelle les employés, ouvriers, cadres supérieurs et autres sbires exploités jusqu’à ce que mort s’ensuive, un capitalisme qui s’assoit et fait son lit sur ces montagnes de morts, n’ayant cure ce qu’avait pu être la vie de ces défunts. Je pense également aux médias, à ces pseudo-journalistes, analystes ou experts de toutes sortes qui, à longueur de journée, nous chantonnent le même refrain, la même rengaine, remplissant notre temps de cerveau disponible de cette marche funèbre qui voudrait que sans le capitalisme et la démocratie qui est son bras armé,  touts bords politiques confondus, ce serait le chaos. Le capitalisme n’a même pas deux siècles d’existence alors que la civilisation humaine a plus de cinq millénaires. Comment faisait-il auparavant ? Était-ce plus le chaos ? Certainement pas. Les injustices d’hier sont simplement remplacées par de nouvelles injustices et, comme hier, l’homme exploite toujours l’homme. Comment ne pas avoir envie d’en finir une bonne fois pour toute avec ce monde hypocrite, craintif, frileux, où quatre-vingt dix pour cent de l’humanité se comporte comme des moutons, moi y compris ?

Même si je n’adhère pas du tout aux idéologies djihadistes, terroristes, que j’exècre leurs formes d’action, je comprend néanmoins parfaitement cette colère, cette rage de vouloir détruire ce qui mène le monde actuellement, autrement dit le fric, le capital, le rendement, les dividendes. Si j’avais vingt-cinq ans aujourd’hui, il est fort probable que j’aurai suivi ce chemin. Mais ayant quarante-sept ans et ayant un bagage culturel assez large pour pouvoir méditer sur l’histoire humaine, même si j’imaginais que tel ou tel groupuscule extrémistes parvenait à prendre le pouvoir, que se passerait-il ensuite ? L’histoire nous l’a appris à maintes reprises : Les régimes changent, mais les injustices restent !

Plus de pluie
Plus de larmes
Morne espoir
En ce soir
C’est l’ennui
Une belle arme
Rien à voir
Tout est noir


Je veux écrire pour me défouler, comme l’on cogne sur un punching-ball, que ma plume écrase de mes lettres la poussière qu’est cette feuille blanche. C’est plus jouissif que de frapper un homme à coup de poing, à coup de masse, jusqu’à ce qu’il tombe dans l’inconscience. Ma colère est sans borne mais, j’espère que vous l’aurez compris, c’est une colère contre moi-même dont, je le sais, je ne pourrai sortir indemne. Est-ce l’hôpital psychiatrique mon horizon ? Peut-être…


(27 octobre 2014)

dimanche 26 octobre 2014

Une journée mitigée

9H00

Plus de trésor, plus de Centaure, les molécules se déchainent et tourbillonne la maladie dans le vertige de mon corps. Ainsi soit-il puisqu’il en est ainsi. Derniers instants, derniers moments, et pourtant je ne peux y croire. Reste une flamme, espoir inquiet qui néanmoins éclaire de sa bougie l’immense caverne où tout est noir. Mais je bloque sur la bougie, sa petite flamme rachitique, anorexique,  une flamme droite dans ses bottes malgré ses quelques vacillements lorsque subitement je me mets à tousser.

Avant de connaître Cynthia j’avais le souhait d’écrire un jour un livre qui serait lu par le plus grand nombre. A travers ce nombre je pensais avoir enfin l’occasion de m’apprécier, voire de m’aimer. Tout cela m’a passé depuis que je suis avec elle. Oui, depuis je m’aime parce qu’elle m’aime comme j’en ai besoin. Je n’aurai pu rêver plus belle et meilleure rencontre dans ma vie et si chacun d’entre nous avait cette même chance, nulle doute que notre monde serait complètement meilleur, voire bon. Après ces quelques mots sur ma chance, affirmés, vindicatifs, il n’en reste pas moins vrai que la galaxie de ma maladie se rappelle à mon bon souvenir, comme pour me signifier que le temps presse, qu’il faut donc que je profite de ma chance au maximum. Malheureusement le temps est rarement au beau fixe dans mes cartes synaptiques et il est toujours une partie de mes neurones pour me rappeler la maladie. Alors le ciel se couvre subitement et complètement, le temps est à la pluie et, contemplant ce plafond de nuages, j’attends que les gouttes tombent. Mais à chaque fois rien ne vient. Il m’arrive parfois d’avoir les yeux humides, de sentir monter un fleuve qui prend sa source à l’estomac, mais lors de son ascension vers mes pupilles, il ne reste qu’un filet d’eau.


16H00

Assis une fois de plus à l’une des tables d’une terrasse de café, toujours place Sainte-Anne à Rennes, je regarde les gens déambulés. Aujourd’hui il fait beau et bon, les nuages étant relativement absents. J’observe donc touts ces gens et tous, sans exception, on l’air d’avoir un but en tête. Certains pressent le pas comme s’ils avaient un rendez-vous à ne pas manquer, mais l’immense majorité marchent nonchalamment, c’est la promenade du dimanche. Dans cette petite foule il y a aussi quelques touristes, appareils photo en bandoulières autour de leur cou. Tous semblent profiter du moment, du présent, de la vie, et cela m’interpelle, me questionne, m’interroge, car pour ma part je ne comprends plus ce que signifie « profiter de la vie ».

Je tourne en rond, c’est peu de le dire, et seul l’acte d’écrire trouve encore grâce à mes yeux. Tout le reste ne m’intéresse plus, ne m’attire plus. Je me sens comme neutre, imperméable à toute activité potentielle. Une certaine routine s’est installée dans mes journées. Je me lève à l’aube, il fait encore nuit, je prends mon premier café tout en préparant le tas de pilules que je vais devoir ingurgiter,  une oie que l’on gave, et si j’ai écrit la veille je me rends à mon ordinateur afin de recopier avec un logiciel de traitement de texte ces écrits. Une fois la copie effectuée je la publie sur mon blog, blog qui n’est autre que mon journal intime en ligne et dont seuls Cynthia, ma compagne, et mon frère ont connaissance. Dans le passé j’ai eu plusieurs blogs, mais aujourd’hui je ne publie plus dans le même but. Je n’affiche plus mes états d’âme avec le souci d’être lu par le plus grand nombre et ce, dans l’espoir d’être un être compris. Non, si je me remets à écrire c’est uniquement pour me vider et si je publie sur un blog plutôt que de partager oralement tout ce qui me traverse, c’est simplement parce que je n’ai plus envie de parler. Ainsi, par le biais de ce blog, ma compagne peut suivre le cheminement de ma pensée, de mon évolution intérieure, elle n’est pas complètement larguée. Et ma famille me direz-vous ? Et mes amis ? N’ont-ils pas le droit eux-aussi à quelques éclaircissements ? Sincèrement j’aimerai qu’il en soit ainsi, mais les connaissant ils n’auraient de cesse de m’abreuver de paroles avec le secret espoir de me faire voir les choses autrement que je les vis. Par ce comportement ils m’épuiseraient et, parce que je me connais, je serai alors capable de leur fermer complètement tout accès à ma personne afin d’obtenir un peu de paix.

Donc, une fois mon article publié sur mon blog je peux dire que ma journée, pourtant à peine commencée, est terminée. Heureusement les cachets que je prends au levé agissent rapidement et efficacement. Ainsi, si rien ne m’accapare en dehors de la maison, je fais ma première sieste aux alentours de 10H00. N’allez pas croire qu’elle est une nécessité, pas du tout, elle est juste un moyen de faire passer le temps en faisant, justement, que je ne le sente pas passer. En général j’émerge de nouveau vers midi et selon que mon esprit est un peu assommé ou pas, je reprends ou non un calmant, histoire de rester mentalement dans un état semi-léthargique. Il faut me comprendre, se mettre un peu à ma place. Comment supporter de ne rien faire toute une journée et ce, tous les jours ? A peu de chose près cette condition me replonge dans l’univers de la prison, de la détention, endroit où j’ai séjourné quelques mois il y a maintenant vingt ans. De tourner ainsi en rond, de n’avoir aucun but, aucun objectif peut me rendre fou. Mon esprit s’excite, cherche quoi faire et, très rapidement, constate qu’il n’y a rien à faire ou qu’il ne veut rien faire. Il accélère alors la cadence, tourne en rond de plus en plus vite, telle une pirouette, et je n’arrive plus à suivre cette cadence effrénée qui instaure en moi des hauts le cœur, des débuts de nœuds à l’estomac, avec une grosse caisse en guise de cœur qui martèle la marche infernale de mon esprit qui cherche, recherche de quoi s’occuper. Le Xanax et d’autres neuroleptiques sont le remède parfait pour arrêter cette démente escalade, pour stopper net je ne sais quelle explosion potentielle à l’affût dans mes neurones.


(26 octobre 2014)

samedi 25 octobre 2014

Sexualité

Ce matin je pense au sexe, à la sexualité, un univers qui ne fait plus partie de mon quotidien depuis un an. La maladie, les traitements, les médicaments et ma fatigue ont eu raison de ma libido. Cette dernière étant absente, je n’éprouve aucun manque de l’acte sexuel, mais me remémorant mes ébats avec ma compagne, une union plus forte que l’union, j’éprouve néanmoins quelques regrets.

Coucher ensemble, se donner du plaisir l’un l’autre, est une forme de relation. C’est comme converser, échanger, discuter pour le plaisir de tout et de rien avec un être qui vous est cher. Coucher ensemble, faire l’amour, jouir, c’est comme élaborer un projet commun, faire des projections qui, du simple fait de les évoquer, vous enivre de plaisir. Oui, coucher ensemble, faire l’amour, baiser, appelez cela comme vous le voulez, est une forme de relation qui peut se suffire à elle-même pour unir ou réunir des individus. Il n’est nul besoin ou obligatoire d’être en couple ou de s’acharner à en créer un pour que, de part et d’autre, chacun y trouve son compte. Voilà pourquoi je maudis et crache sur les diktats qui veulent absolument associer l’acte sexuel à des couples préalablement construits ou en cours de construction. Ces morales de merde qui exigent l’existence du couple comme condition sine qua non à l’acte sexuel sont d’un autre âge. Hors couple cette pratique, cette forme de relation est toujours pointé du doigt, marqué plus ou moins au fer rouge sur les épaules des protagonistes et là, selon que vous serez né mâle ou femelle, votre réputation se fera malgré vous. L’homme sera un tombeur, summum du compliment viril, et la femme sera traitée de salope, de chienne en chaleur, de pute ou de nymphomane. Puisque nous en sommes toujours là, au moyen-âge et bien au-delà, mieux vaut donc être un homme, la cause est entendue.

Aussi je rigole lorsque j’entends périodiquement parler de révolution sexuelle, de libération sexuelle puisqu’en la matière, nos comportements le prouvant, nous agissons et jugeons de la chose comme avant-guerre. Même si je concède que nous avons un peu évolué dans la pratique depuis les années 70, il n’en va pas de même de nos mentalités. Ici, en France, nous somme toujours sous le joug des interdits judéo-chrétiens, sous la coupe de cette morale puritaine qui ne peut concevoir que l’on ait des rapports sexuels pour le simple plaisir de les avoir, à mil lieux d’un but procréatif ou maritale. Le philosophe Michel Onfray ayant démontré cet état de fait bien mieux que je ne le ferai, je m’arrête là dans mes considérations sur la question. Par contre, construire un couple c’est autre chose et, à dire vrai, son existence, sa pérennité, ne dépend pas de l’acte sexuel. Nombreux sont les couples au sein desquels il n’existe aucune complicités sexuelles, au sein desquels l’un des deux partenaires, voire les deux, ne s’épanouisse nullement à travers l’acte sexuel. Enfin, il y a tout ces couples au sein desquels les rapports sexuels ont purement disparus, où il n’y a plus d’ébats, mais où aucun des deux partenaires n’envisage la séparation.

Pour un homme, éjaculer ne signifie pas forcément plaisir, jouissance extrême ou nirvana. Pénétrer, bander, tout faire pour maintenir en érection son pénis peut même s’avérer laborieux, ennuyeux, sans aucune saveur. Certes l’éjaculation est au bout du chemin, mais elle n’est alors qu’une conséquence mécanique sans aucune âme. N’étant pas une femme je me garderai bien d’essayer de définir les différents paliers de votre libido, mais étant un homme il m’apparait utile de vous signaler les nôtres. Rares sont les femmes qui comprennent la libido masculine et, évidement, inversement. Mais cela n’est-il pas normal tant le sujet est l’ultime tabou des tabous, qu’il ne vient que très rarement dans nos conversations, ou alors exceptionnellement, impliquant que nous nous méprenons très souvent sur le plaisir que nous procurons ou pas à notre partenaire. Aussi, le jour où parler de cul deviendra aussi banal que de parler gastronomie, musique ou cinéma, alors ce jour seulement l’humanité aura fait sa révolution sexuelle, franchissant ainsi un grand cap.


(25 octobre 2014)

vendredi 24 octobre 2014

Trajectoire

La solitude c’est se sentir seul, ce qui n’implique pas d’être seul, isolé dans son coin, loin de tout et de tous. Être solitaire c’est préférer être seul sans pour autant se sentir, s’éprouver isolé des autres. Un solitaire peut pleinement se sentir participer à la marche du monde, s’éprouver comme faisant partie de ce monde. Par contre cela ne se peut pas pour celui qui se vit dans la solitude. Dans mon cas, selon les jours, je me sens parfois l’un, parfois l’autre. Pour être honnête, surtout depuis mon arrivée à Rennes, c’est le plus souvent dans la solitude que je m’éprouve.  Dans « éprouver » il y a « épreuve » et, du fait de la nature de ma maladie et de la personne handicapée que je suis actuellement, il est vrai que je vis une épreuve. Parfois je me dis qu’elle n’en est qu’une de plus dans la trajectoire de ma vie, une encore, une supplémentaire, comme si je n’en avais pas eu assez dans mon passé. Mon parcours de vie, ce destin, le hasard peut-être, est pour moi un questionnement sans fin. Pourquoi en a-t-il été ainsi et pourquoi, aujourd’hui encore, persistent encore  des épreuves, des nouveaux obstacles à surmonter, affronter, endurer ?

Bien qu’il ne fasse nul doute que je suis le principal acteur de cette farce sinistre, qui parfois fût même macabre, et que je suis forcément le premier responsable des aléas et joies de mon existence, je ne suis pas pour autant le maitre incontesté et incontestable de toute mon histoire. Ais-je choisi de rencontrer celui-ci ou celle-là qui, par un curieux hasard qui ne veut s’expliquer, s’est trouvé un jour face à moi ? De toutes mes premières rencontres, jamais je n’ai été le maitre. Tout au plus j’étais un acteur dans des situations que je n’avais pas véritablement prévu et, ce, neuf fois sur dix. C’est là qu’intervient ma responsabilité, ce seul pouvoir sur ma propre vie, seule marge d’action sur mon histoire, consistant à entamer ou non des relations avec des personnes qui m’étaient jusqu’alors parfaitement inconnues, voire impensables.

Si je mets en avant les personnes que l’on rencontre dans ce qui constitue l’histoire d’un individu, c’est parce que je pense que leurs présences ou leurs absences ont bien plus d’impact sur nos trajectoires que l’environnement matériel dans lequel nous sommes né et avons évolué. Face à quelqu’un que l’on découvre ou que l’on connait, il n’y a pas d’effet neutre. Que nous en ayons conscience ou pas, nous réagissons à sa présence. Parfois nous allons vers lui, parfois nous préférons nous en éloigner. Il est des personnes avec lesquelles nous acceptons d’être en présence et, parmi ces dernières, il en est certaines avec lesquelles nous sommes prêts à construire quelque chose. C’est à partir de ces souhaits que naitront et se bâtiront nos relations.  Parfois elles seront uniquement de bon voisinage, d’autres fois elles seront amicales ou d’amour.  Dans cette même logique, vis-à-vis de personnes qui ne nous plaisent pas, qui nous indisposent, nous agirons également en conséquence afin de les éviter, de les tenir à distance, quitte à faire usage de diverses formes de violence pour atteindre notre objectif.

Ainsi, bien plus que l’argent que nous avons ou pas, bien plus que nos rêves et idéologies, c’est notre rapport aux autres, à leurs personnalités et à la forme des liens que nous relient à eux qui, influençant forcément nos choix, idées et surtout nos actes, sera le socle de notre trajectoire. Les autres sont les fondations de ce que sera notre histoire.


(24 octobre 2014)

mercredi 22 octobre 2014

Réveil

Premiers mots, premières lettres, premières pensées en construction. Levé depuis une dizaine de minute je sens déjà sous mon crâne s’agiter quelques filaments – embryons de pensées non structurées – qui, telles des méduses en eaux profondes flottent, se laissant porter par les courants marins. Tôt ou tard un filament en rencontrera un autre, ils s’assembleront et, bien malgré ma conscience, ils commenceront à structurer la première de mes pensées. Sera-ce une question ? Sera-ce un constat ? Je ne le saurai qu’une fois leur œuvre achevé car il n’est que là, à cet instant, leur osmose étant enfin construite, que cela se révèlera compréhensible à ma conscience.

Quelques mots traversent mon esprit en mode disparate, sans aucune cohérence apparente les uns avec les autres et, n’étant pas assez réveillé pour pouvoir faire preuve d’attention, de concentration ou de compréhension, je ne m’arrête sur aucun d’eux. Comme un cheval au galop traversant l’étendue de mon crâne, je vois filer ces mots : ma fille, médicaments, Cynthia, le jour se lève, rennes, docteurs, cancer, IRM, Chaff, et tant d’autres. Touts ces filaments sont reliés dans ma vie quotidienne et il est évident que ce n’est pas un hasard si ce sont eux plutôt que d’autres qui flottent dans ma tête ce matin.

Cynthia vient d’entrer dans la pièce où j’écris ces lignes. Ce simple fait casse l’alchimie qu’est mon étrange désir d’écrire, de poser sur le papier les composantes de ma personne. Alors je cesse d’écrire par crainte d’être dérangé car je ne peux écrire que dans l’élan, telle une course effrénée qui ne pourrait supporter la moindre halte.


(22 octobre 2014)

mardi 21 octobre 2014

IRM

IRM, examen de merde, machine de merde qui a tous les aspects d’un cercueil où l’on enterre vivant des gens. J’ai foiré cet examen la semaine dernière car dès que ma tête s’est trouvée encastrée dans la machine, de suite j’ai fait une crise de claustrophobie. Ce matin, afin d’éviter que ne se reproduise cet incident, je me shooté au Xanax 0,50. L’IRM était prévue à 8h40. Levé à 7h00, j’ai avalé quatre Xanax dans ce laps de temps, sachant qu’ordinairement je n’en prends qu’un matin, midi et soir.

A présent il est 9h30 et j’attends toujours. Du coup l’effet du Xanax, de l’état léthargique de l’esprit qui va de pair se dissipe lentement. Donc je suis bon pour prendre un autre de ces bonbons afin de me donner un maximum de chance pour résister à l’examen, affronter ma claustrophobie car, tel est mon souhait, mon esprit devrait être tellement anesthésié qu’il ne pourra entretenir aucun schéma de peur, aucun film où j’aurai le sentiment de suffoquer, de ne plus pouvoir respirer, où l’happy end ne serait pas ma mort probable, quasi certaine, à cause d’un manque d’air. Il faut que je respire, que je le sente, l’éprouve et, cela, sans doute aucun. Je reprends donc à l’instant un Xanax supplémentaire, il ne sera que le cinquième de cette courte matinée. Il est ainsi fort probable que je m’endorme lors de l’examen. Peut-être même ronflerais-je lorsque je serai allongé, tête coincé dans la machine, ce qui s’est déjà produit dans le passé. Cela perturbera donc le bon déroulement de l’examen, mes ronflements interférents avec le système de récupération de mes données cérébrales. Comme cela est déjà arrivé, le personnel n’aura d’autre choix que de me réveiller afin que cessent mes ronflements.

J’apprends à l’instant que la machine IRM ne sera pas fonctionnelle avant deux bonnes heures, ce qui reporte mon rendez-vous après 12h00. Je me suis donc shooté pour rien ce matin et tout sera à refaire tout à l’heure. Aujourd’hui je vais donc planer toute la journée et l’effet du Xanax étant tel, il est évident que de nombreuses phases d’assoupissement s’empareront de moi. Face à ces dernières je devrais lutter, lutter pour ne pas plonger dans un sommeil profond. A présent l’équipe médicale nous informe que leur machine ne sera pas réparée avant 12h00, voire 13h00, et qu’en conséquence tous les rendez-vous de la matinée doivent être reportés à une autre période. Mon examen est maintenant prévu le 30 octobre et, sincèrement, je commence à croire qu’il aura du mal à se faire.

Vie de merde lorsque rien ne se passe comme prévu, vie de merde lorsque l’imprévu vous oblige à revoir touts vos plans, qu’il s’agisse de ceux du jour présent, des semaines ou des mois à venir. Je réalise que si planifier sa vie n’est pas une tâche aisée, planifier sa mort ne l’est pas plus. Même dans ce dernier cas, alors que le trou est là, à quelques pas de couchers de soleil, même là la pérennité n’est pas de mise. Le monde du vivant fait, fabriqué et entretenu pour que le vivant persiste, perdure, sème embûches et contretemps dans l’ultime ligne droite de ceux et celles qui, en toute conscience,  se savent engagés dans le monde de la mort, un monde qui ne supporte plus les « peut-être », les « possibles », les actes ou incidences qui sont sans réelle importance aux yeux de ceux et celles qui se portent bien, sans sérieux impact pour ceux et celles qui participe de l’illusoire monde du vivant. Un condamné, qu’il soit dans le couloir de la mort, sujet à une maladie mortelle ou soldat sur un champ de bataille, a parfaitement conscience de la finalité qui l’attend, la mort, dont seule la date reste l’élément inconnu. A partir de là rien ne se construit de la même façon, ni l’individu ni ses actes, projets ou constructions. On ne se vit pas et l’on ne vit pas sa trajectoire personnelle selon que nous savons la fin de notre horizon imminent, à court terme, à moyen terme ou à long terme. Les jeux de cartes ne sont pas les mêmes et la donne, la partie elle-même, s’en ressent en conséquence.

Autre sujet, autre problématique du jour dont la forme d’approche signifie par elle-même qu’aucune réponse indiscutable, non sujet à polémique n’est possible, est celui de ma décision de rompre définitivement le peu de lien que j’entretenais avec ma fille âgée de douze ans, sa mère et la majorité des personnes qui, de près ou de loin, ont participé à ce que j’appelle un désastre. Comme il est bien évident que je ne saurai être partial vis-à-vis de cette histoire qui est plutôt une non-histoire, je peux néanmoins m’appuyer sur des faits indéniables, avérés, connus ou reconnus par les uns et les autres, des faits sur lesquels tout le monde sera d’accord. Le souci réside donc dans l’interprétation de ces derniers, dans l’interprétation des actes qui ont été commis et, à leur tour, sur l’interprétation que les uns et les autres avons fait, faisons et ferons encore sur leurs fameuses conséquences. Si d’emblée la première spirale du cercle d’interprétation diverge d’un individu à l’autre, alors il est clair, malgré des faits reconnus par tous, que c’est à une ribambelle d’histoires différentes que nous sommes exposés. Cependant, à cause de l’effet soporifique de tout ces Xanax que j’ai ingurgité ce matin, je ne me sens pas pour l’heure d’entrer dans le détail de ma séparation avec ma fille ou, plus exactement, de m’expliquer sur ma décision de rompre définitivement un lien quasi-inexistant, lien que j’ai essayé de construire et d’entretenir et ce, pendant douze ans, avec la fille de mon ex-compagne.


(21 octobre 2014)

vendredi 17 octobre 2014

Le chat et la souris

Libre est ma pensée qui, comme un souffle, un courant d’air, traverse mon esprit. Mais face à elle, face à ce qu’elle soulève, révèle ou tait, je ne suis qu’un prisonnier. N’étant que le miroir de ma conscience, conscience qui n’est qu’émanation de verbes, des mots ou des phrases que met en pleine lumière ma pensée qui les transporte, je n’ai d’autre choix que de prendre en compte ou balayer d’un revers de main touts ces messages que je m’adresse à moi-même. Effectivement, pas plus que je ne peux décider de quoi sera fait le contenu de ma pensée tout à l’heure, pas plus je ne peux décider qu’elle ne sera qu’un sac vide. Lorsque les mots arrivent, lorsqu’ils s’impriment dans votre tête et que vous faites le choix de voyager avec eux de réflexion en réflexion, de questionnements en réponses, c’est le petit manuel de vos valeurs morales, éthiques, spirituelles, qui est votre seul moyen de transport. Impossible d’aller à droite ou à gauche, impossible de comprendre ou de tenter de comprendre ce que veulent nous dire ces pensées qui s’installent dans notre esprit, à notre insu, sans autorisation ou permission préalable, impossible de les prendre en main, de les organiser ou de les réajuster en l’absence du manuel de nos valeurs.


(17 octobre 2014)

mardi 14 octobre 2014

Blues

Depuis quelques jours, une semaine peut-être, une morne déprime s’installe en moi. J’essaie de lutter, de résister, de repousser l’envahisseur, mais rien n’y fait et petit-à-petit j’abdique. Je n’ai plus envie de parler, plus envie d’entendre, de bouger, à petit feu ma curiosité s’éteint et plus rien ne m’émerveille. Ceci m’installe dans une espèce de silence, un monde imperméable au reste du monde, une bulle qui laisse filtrer quelques sons, quelques formes et visages, mais ces derniers, je l’éprouve, même s’ils me touchent ils ne m’atteignent plus, ne me pénètrent plus.

D’un côté je veux ce silence puisque j’agis en conséquence, mais de l’autre j’en suffoque. Alors je me pose la question, question quasi-quotidienne, qu’ais-je donc dans la tête, que s’y passe-t-il ? Immédiatement s’imprime le mot « cancer ». Il prend toute la place et s’étale même au-delà. Cependant, derrière le mot ce n’est pas la maladie en tant que telle que je rumine, pas plus que les traitements ou examens qu’elle impose. Non, ce que je vois c’est la fin, les derniers moments, le dernier instant.

Jusqu’à il y a peu j’appréciai chaque nouveau jour comme un don, une grâce de la nature, un cadeau que mon corps malade, handicapé, m’octroyait en me permettant justement de vivre un jour encore, un jour de plus en attendant mon dernier jour. Mais en ce moment ce n’est plus du tout cela. Chaque journée est une attente supplémentaire où, constatant dès le réveil qu’hier ne fût pas mon dernier jour, je m’interroge dès le lever sur quand il adviendra. Après, jusqu’au coucher, çà tourne en boucle. Quand ? Quand ? Quand ?

Pour une raison que j’ignore et peut-être à tort, je pressens que cela est proche, imminent, que je ne passerai pas à travers les mailles du filet. La maladie aura raison de moi et parce qu’elle aussi veut vivre elle n’aura de cesse de tout faire pour se développer, grandir, se nourrir, tout comme le ferait n’importe quel fœtus dans le ventre d’une femme, quitte à ce que cette logique implacable, détruisant le tout que je suis, l’emmène à son tour à sa propre mort. Parfois je me dis que la logique du vivant est étrangement faite, mais quelque soit le niveau auquel on l’étudie, microscopique, macroscopique ou cosmologique, elle est partout la même. Le microscopique que représentent les cellules cancéreuses, juste par volonté de vivre, d’exister, de subsister en se reproduisant, tuent à petit feu le corps qui les abritent, créant par là-même les conditions de leur mort certaine. De la même façon, à l’échelle de la terre, de notre galaxie, les êtres macroscopiques que nous sommes agissons de manière similaire et ce, pour les mêmes raisons. Inévitablement, inexorablement, nous créons également les conditions qui, tôt ou tard, mèneront à l’extinction de notre espèce et de bien d’autres dans notre sillage.

 J’aimerai écrire des choses plus gaies, mais encore faudrait-il que je sache ce que veut dire le mot « triste », s’il signifie encore quelque chose dans mon esprit. Certes je vois et constate des aberrations, voire des abjections. Pour autant rien ne m’indigne plus vraiment, pas plus le sort des victimes militaires ou civiles mortes en Irak ou ailleurs, que le sort des journalistes décapités au nom d’un idéal religieux. De même, bien qu’il n’y ait qu’à eux que je puisse encore m’identifier, je n’éprouve plus de profonde empathie envers tous les malades de ce monde, les malades porteurs d’une maladie mortelle. Est-ce à dire que tout m’indiffère pour autant ? Cela y ressemble, mais ce n’est pourtant pas ce que j’éprouve.

Imaginez une autoroute, ses six ou huit voies, de longues lignes droites dont on ne voit ni le début ni la fin. Moi je suis une voiture à l’arrêt sur la seconde voie, une voiture en panne qui ne peut plus démarrer, avancer ou reculer et, autour de moi, ne cessent de circuler toutes sortes d’engins, voitures, tracteurs, camions, motos, vélos, trottinettes, etc. Je vois tout cela passer, parfois en un éclair, parfois en ayant le temps de m’attarder sur quelques détails, mais plus rien ne s’imprime réellement dans ma mémoire. Au final tous passent, sans exception, et je reste là, seul, à attendre, contemplant le temps qui passe, devenant imperceptiblement impassible à toute cette circulation alentours. Dans ce contexte la joie et la tristesse n’ont pas leur place tant, enfermé dans mon véhicule, je suis déconnecté de mes semblables, vous-mêmes enfermés dans votre propre véhicule, menant vos vie comme vous le pouvez, mais avançant néanmoins vers un horizon dont vous avez l’espoir qu’il correspondra plus ou moins à vos attentes. Mon véhicule étant en panne, aucun mécanicien de génie ne pouvant le réparer, je suis pour ma part condamné à rester sur place, à faire du sur place, ma seule distraction étant de faire le tour du véhicule, le regardant, l’examinant et parfois le scrutant. A certains moments de la journée quelques personnes viennent à ma rencontre et, pour un temps limité, s’assoient à mes côtés. Il est vrai que je me sens alors moins seul, moins isolé, mais cela n’efface pas le pénible constat de l’état de mon véhicule, donc de mon histoire et de mon présent qui ne participent plus à la circulation de ce monde. Puis, pour ces personnes qui m’accompagnent quelques heures par jour, qui sont à mes côtés, qui sont avec moi pour ce que je suis, vient le moment de reprendre leur route, leur propre véhicule, afin de mener la vie qui est la leur, afin d’essayer d’atteindre les horizons qui leurs sont chers et, de nouveau, je me retrouve seul dans ma voiture. C’est ainsi que, de fil en aiguille, je constate que je ne suis plus d’aucune réelle utilité dans leur histoire, hormis d’ordre affective, car ma voiture ne pourra plus jamais leur servir d’escorte, de guide ou de remorqueur le cas échéant. Si un jour elles se sentent perdues, larguées ou simplement égarées sur cette autoroute, c’est à d’autres individus qu’elles devront faire appel, des individus dont la voiture fonctionne. Un corps entrain de mourir est un frein à main levé à jamais.

Bref, je disserte et disserte alors que tout ceci n’est que vent, ne changeant strictement rien à ce qui est notre juste condition, une réalité sans relief aussi plate qu’une feuille de papier pour laquelle, pourtant, nous nous arrachons maintes fois les cheveux dans notre parcours de vie. Rien n’échappe à la mort, rien n’est éternel, nous ne sommes que des nuages errant dans un ciel qui se moque éperdument de notre présence, de notre absence ou de notre disparition en son sein.

Je comprends que tant de philosophe et écrivains se soient penchés sur la question. Je comprends aussi que certains individus aient inventé des Dieux, cherchant par là un moyen de comprendre, d’obtenir un semblant de réponse quant à ce mystère qui nous dépasse si totalement, cette énigme qui instaure que l’on nait pour mourir. Pour ma part, du fait de mon état d’esprit actuel, cette quête effrénée à la poursuite du sens de la mort ne m’intéresse plus. C’est terre à terre que je suis en ce moment et ma seule préoccupation quotidienne consiste en la gestion de ma personne, sur le contrôle que j’ai ou non sur les émotions qui me transpercent, sur l’interprétation que je dois faire de ces dernières et sur le choix des actes que je dois accomplir ou non en conséquence. Pour l’heure j’ai fais le choix des médicaments prioritairement, même si je n’exclue pas que le fait d’écrire, de coucher sur du papier mes états d’âme comme ils viennent ou s’en vont, écriture que j’accompagne parallèlement de rencontres avec un psychiatre deux fois par semaine, oui, peut-être que l’écriture et le dialogue seront un jour suffisant à maintenir debout mon esprit, un esprit quelque peu bancal ces derniers temps.


(14 octobre 2014)

lundi 6 octobre 2014

Un train passe

J’encaisse car je n’ai pas d’autre choix. Ma nuit a été courte. Couché vers deux heure du matin, c’est un rêve qui m’a réveillé vers six heure trente. J’avais un nouveau cancer, une nouvelle tumeur, mais je ne saurai vous dire quelle partie de mon corps était attaquée. Par contre on m’opérait à cœur ouvert, une seconde opération chirurgicale, je voyais mon thorax déchiré en deux et les chirurgiens faire leur besogne. J’éprouvais de la peur et c’est bien elle qui m’a réveillé. Je n’ai pas tenté de me rendormir, désireux de faire passer d’une manière ou d’une autre le malaise qui m’habitait alors.

Je me suis donc levé, ai pris un café et de suite j’ai allumé mon ordinateur, chose que je ne fais pas ordinairement. Effectivement, quitte à avoir peur, peur du cancer, de ses conséquences et de son évolution, j’ai enfin osé aller chercher l’information, les chiffres et les statistiques que je refusais de connaître jusqu’à présent. En la matière je m’étais astreint, cantonné, obligé à rester sur les dires de l’oncologue et du chirurgien qui me soignaient à Lyon. Mais ce matin j’ai décidé de voir cela plus en détail et, via internet, j’ai pris connaissance de diverses études dont, en particulier, un certain rapport clair, précis, fournis et instructif sur l’espérance de vie des cancéreux, un classement par type de cancer. L’intégralité du corps humain y passe, aucune zone ne semble être épargnée et, dans l’ensemble, la sanction est assez désespérante car quelque soit la forme de cancer traitée, c’est une véritable hécatombe de morts qui s’ensuit entre le diagnostic et les trois années qui suivent.

Je me suis donc intéressé aux chiffres qui concernent les deux formes de cancer qui me préoccupent actuellement. Le mien, celui du poumon, et les statistiques confirmant ce que je savais déjà, je n’ai donc pas été surpris. Par contre, concernant le cancer du péritoine, celui dont est atteint ma belle-mère actuellement, il n’y avait aucune information. Avec un cancer du poumon, il y a à peu près 17% de survivants au-delà de cinq ans. Quant est-il lorsque le péritoine est atteint ? Certes l’étude à laquelle je me réfère date de l’année 2007 et des progrès médicaux ont certainement été réalisés depuis, mais je ne pense pas qu’ils aient révolutionné le sort des cancéreux en 2014.

Alors j’encaisse, j’encaisse pour elle, pour moi, mais surtout envers elle. Je réalise ce matin qu’il ne nous reste que peu de temps, peut-être, seul l’avenir nous le dira, pour nous retrouver. Michèle, ma belle-mère donc, est à Lyon et moi à Rennes. La distance ne va rien faciliter et du fait de son état, car elle ne peut plus se déplacer, se mettre debout ou s’asseoir seule, c’est à moi qu’il incombera de faire ces trajets qui nous permettront d’être à nouveau réuni, ensemble côte à côte. Je pensais monter à Paris au mois de novembre afin de voir ma famille et mes amis. Je ne les ai pas revus depuis un an. Ce matin je suis désormais d’avis que c’est à Lyon que je me rendrai car dans le doute, l’incertitude quant à son devenir, la crainte qu’elle décède plus ou moins prématurément, je sais avec pertinence que je m’en voudrai de l’avoir fait passer au second plan dans le seul souci de rencontrer auparavant des personnes qui, actuellement, ne sont pas en phase de mort programmée à court ou moyen terme.

Ce matin fût une matinée triste même si nul désespoir ou semblant de déprime ne m’a habité. Bizarrement c’est une certaine forme de nostalgie que j’éprouve, mais nostalgie de quoi exactement, je ne saurai l’exprimer. C’est comme un monde qui s’efface, petit-à-petit mais sûrement. C’est indolore, incolore et même si cela ne fait aucun mal, il est également évident qu’il ne procure aucun bien. C’est une espèce d’état second, un état de choc où, pourtant, nulle violence n’est assénée, aucun coups bas ni sournoiserie, à l’image d’un ciel bleu, tranquille et serein, où passent nonchalamment des nuages gris et blancs poussés par des vents indépendants, indifférents à leurs présences. Je crois que c’est simplement l’histoire de la vie, celle que tous et toutes connaissons depuis l’enfance, une histoire qui ne ment pas, qui est sans tromperie ni supercherie et qui, dès l’origine, nous a honnêtement signifié qu’un jour sera notre fin.


(6 octobre 2014)

dimanche 5 octobre 2014

De l'identité

Assis à une terrasse de café en ce dimanche matin, il est 10h00, la ville de Rennes est calme. Les gens commencent seulement à sortir de chez eux, certains pour acheter leur pain, d’autres pour entamer leur promenade du jour. Je les regarde passer, se comporter, j’observe les alentours, l’église Sainte-Anne, les brasseries et les restaurants qui la jouxtent et, comme ce qui n’est plus une surprise pour moi, je me sens étranger à cet univers, un étranger dans le sens ou aucune racine identitaire ne me lie à cette ville, à la Bretagne ou à tout autre endroit sur notre terre.

Chacun pourra dire ce qu’il veut et croire ce qui l’arrange, mais il me semble manifeste, évident, que la construction de notre identité est directement liée à notre environnement. N’en déplaise aux adeptes des thèses raciales, voire eugénistes, il est clair que l’ADN d’un individu ne le prédispose à rien de particulier, que ses gènes ne peuvent nous éclairer sur qui il sera, sur qui il deviendra et, surtout, pourquoi il en sera ainsi. C’est bien notre environnement qui nous façonne, à commencer par notre cellule familiale, son atmosphère, les personnalités qui la composent, les actes et idées qui y sont véhiculés, ainsi que les lieux où nous résidons, qu’il s’agisse du foyer, du quartier, de la ville ou du pays. C’est au contact des individus qui participent de cet environnement que nous nous construisons et ce sera en fonction de leurs attitudes à notre égard que nous nous estimerons ou non, nous appréciant ou pas, prêt à croire telle chose plutôt qu’une autre, entretenant en conséquence certaines valeurs plutôt que d’autres, etc.

Pour ma part, enfant d’une femme française et d’un homme marocain, je n’ai pas d’identité au sens « identitaire », je n’ai pas de racines vis-à-vis de quelque lieu que ce soit et donc avec l’histoire de ces lieux, même si je me revendique être parisien et uniquement un parisien. Cependant cela ne constitue pas une identité à proprement parlé, c’est plutôt une forme de personnalité. Être parisien, c’est surtout une façon de vivre, une manière de se comporter, d’appréhender et d’envisager les choses, mais toute cette alchimie se fait sous un angle qui n’a strictement rien à voir avec l’histoire de Paris ou de sa région. Paris est une ville sans traditions, sans us et coutumes aux contours bien définis, raison pour laquelle toute personne qui y réside, qu’elle y soit née ou non, qu’elle y ait grandie ou non, peut aisément se fondre dans le paysage et, très rapidement, s’y sentir chez elle. D’une certaine manière Paris appartient à tout le monde et à personne du fait de la densité et de la diversité de sa population, population originaire d’un peu partout, faisant de cette ville un bouillon multiculturel où aucune coutume, aucune religion, aucune croyance ou idée ne peut à elle seule résumer l’ensemble.

Effectivement ce qui distingue une identité « identitaire », se sentir breton par exemple, d’une simple forme de personnalité est le recours à la tradition, à l’us et à la coutume, pour justifier de son appartenance à un groupe de personnes, pour justifier qu’il y aurait des lieux ou des coins de terre qui seraient plus à soi qu’à ceux qui n’y sont pas nés, voire qui n’y ont pas grandi, mettant ainsi une frontière, une barrière, ou parfois excluant de son microcosme tous ceux et celles qui ne s’y apparentent pas.


(5 octobre 2014)

vendredi 3 octobre 2014

Mutation

Me remettre à penser, à réfléchir, est ardu. Cela fait presque une année que je ne m’étais plus plié à cet exercice, à cet effort qui nécessite attention et concentration. Effectivement, mil et une pensées m’ont traversé l’esprit depuis novembre dernier, date de l’annonce de mon cancer, mais du fait du choc psychologique engendré par cette réalité et des lourds traitements qui se sont ensuivit jusqu’à récemment, soins qui m’ont fatigué et parfois épuisé physiquement, je n’ai pu trouver en moi les ressources nécessaires, l’énergie, la volonté minimale pour me mettre à distance de moi-même, de ma maladie, de toutes les peurs et craintes qu’elle a généré, ainsi que de la fatale remise en question quant au sens à donner à ma vie présente et à venir.

Le chemin ne peut plus être le même, c’est l’évidence, ne serait-ce qu’à cause de l’ampleur de la diminution physique à laquelle je suis assujetti maintenant. Un morceau de poumon en moins et ce sont toutes vos capacités physiques qui se métamorphosent. La respiration est plus lente, l’essoufflement vous guette à chaque pas comme s’il se tenait en embuscade derrière un arbre, prêt à sauter sur vous afin de vous empêcher de poursuivre tranquillement votre marche. De même, d’être pour ainsi dire resté alité pendant onze mois, constamment allongé ou presque, sans faire le moindre effort musculaire si ce n’est ceux de mes mains prenant les cachets indispensables au bon déroulement de mon parcours de soin, cela a aussi participé de ma diminution physique. Aujourd’hui tirer un caddie, porter un sac de courses, une planche ou une chaise sur un temps trop long me surprend par sa pénibilité. D’un quelconque commerce à mon domicile, quelque soit la ou les choses que je transporte, je n’ai plus le choix, je dois faire des haltes plus ou moins fréquentes car ni mon souffle ni mes bras ni mes jambes ne parviennent à me maintenir debout sans dommage, sans accros, sans tremblements, dès lors que je pèse plus que mon propre poids.

Enfin il y a mon cerveau, organe qui n’est pas le moindre de notre corps. Avec deux métastases cérébrales, les crises d’épilepsie qu’elles ont généré, ma mémoire qui se disloque, les souvenirs qui disparaissent et tous ces moments qui s’évaporent de ma tête aussi vite qu’ils sont apparus, oui, tout ceci n’aide pas vraiment à pousser la réflexion, la concentration ou l’attention. Depuis quelques jours seulement je réalise que je suis devenu un handicapé. C’en est fini de l’élan vital propre à la jeunesse, élément essentiel de tout corps sain de maladie, élan de vie que nulle barrière ne semble pouvoir stopper à-priori. Celui que j’étais hier n’existe plus car lorsque le corps se grippe, c’est également l’esprit qui se réajuste.

Jusqu’à présent le terme « handicapé » et son sens profond m’était complètement étranger. Il désignait l’autre, celui ou celle qui n’est pas viable physiquement ou psychologiquement, et en aucun cas je ne pouvais m’y reconnaitre. Aujourd’hui tout est inversé, j’ai changé de famille, de celle des individus sains, valides, je suis entré dans celle des invalides. Pourtant, à ma plus grande surprise, je n’en éprouve aucune amertume, aucun regret. Aussi étrange que cela puisse paraitre il me semble être satisfait de ma nouvelle condition. Du coup j’en cherche les raisons tant je croyais, auparavant, que l’invalidité, le handicap, ne permettait pas de rendre un être heureux, faisant forcément de ce dernier une victime destinée à souffrir plus ou moins, que cela soit dans sa chair ou sa pensée. Mais je ne me sens nullement une victime, force est de le constater. Néanmoins, même s’il ne serait être question de victimisation dans cette histoire, cela n’en reste pas moins une épreuve, une véritable épreuve, car elle exige de combattre tant avec des actes que par la forme de ma pensée. Jamais bien loin, le désespoir, le découragement, voire la déprime, sont prêts à devenir mes partenaires tels un bateau errant au gré des vents et des marées, totalement tributaire du temps et du climat, et pour lequel la destination n’importe plus. Oui, le laisser-aller est une réelle tentation lorsque l’on se pense proche du terme, que ce sentiment soit fondé ou non, lorsque l’on ne discerne plus d’ouverture, d’entrebâillement ou de fissure dans le mur qui, subitement, se dresse face à soi. Au premier abord c’est bel et bien la sensation d’être complètement démuni qui vous submerge…


(3 octobre 2014)

jeudi 2 octobre 2014

Xanax

Ce matin j’ai envie de me shooter. Je n’ai pas encore décidé de le faire, de passer à l’acte, bien que j’aie déjà avalé deux de ces pilules miracles, miracle de l’industrie chimique, pharmaceutique et que sais-je d’autre, deux amas de molécules qui perturbent le fonctionnement naturel de mon cerveau. Xanax, tel est leur nom magique, Xanax comme la promesse d’atteindre une galaxie, un univers autre que terrien.

La vie sur terre, tout au moins en occident, en France, m’est devenue d’une platitude sans nom, sans bornes, sans au-delà. Le capital, l’économie, le marché, le profit ou les bénéfices à trouver ou retrouver, la déroute, les faillites et le chômage, les licenciements ou la course à l’emploi, ce job à trouver, à conserver coûte que coûte, bref, ce système arbitraire que l’on nous présente comme inéluctable, inévitable, seul viable et digne de subsister, de résister, d’exister au détriment d’autres systèmes, tout cela m’endort à présent. J’écoute les informations ou, plus exactement, ce que l’on nous présente comme être l’information, la seule digne d’intérêt, la seule digne d’être débattue, controversée ou approuvée, tout le reste, tout ce que les médias, leurs journalistes et leurs experts ne pointant pas du doigt n’étant que merde, futilité, à ignorer ou oublier. Prendre plaisir à contempler des poules menant leur vie, expliquer en long, en large et pas de travers que nous n’avons qu’une vie, pas deux, qui que nous soyons et où que nous soyons, qu’en conséquence il s’agirait d’éviter de la gâcher, de réfléchir à ce qui pourrait donner, sinon le bonheur, tout au moins le plus grand bien au plus grand nombre, tout cela n’est pas de l’information, n’est ni d’actualité ni l’actualité car totalement incompatible avec les logiques du profit et du bénéfice, qu’il s’agisse de taux d’audimat, de dividendes, de rentes ou d’argent sonnant et trébuchant dans nos bas de laine.

Qui que l’on soit dans ce système, quelque soit notre place, notre statut, notre renommée ou notre invisibilité dans ce dernier, quelques décennies suffisent à chacun d’entre nous pour discerner ses principaux contours, ses lignes directrices et son pouvoir de destruction. Effectivement, il faut être sot ou aveugle pour voir en lui le salut du plus grand nombre. Pourtant, comme vous, je le regarde et ne fais rien, le critique mais m’en accommode, participant directement de cette sinistre tragédie. Jamais l’Eden ne sera, les anciens avaient raison, tant nous sommes lâches, fainéants et si sournois.
Parfois il faut appeler un chat un chat, accepter l’image que nous renvoi notre miroir et, lucidement, nommer les choses tels qu’elles le sont, même si cela coûte à notre égo.

Cependant jamais la nuit n’est totalement noire et il est quand même des minorités, dont je ne fais pas partie, qui s’efforcent de modifier ce triste panorama, cet enlisement dont nous sommes tous responsables. A ceux-là, du fait de ma couardise et de la vôtre, je dis bonne chance et bon courage car si ce matin je veux me shooter au Xanax, c’est bien pour oublier que nous sommes des pleutres.


(2 octobre 2014)