lundi 27 octobre 2014

Chacun est seul

Chacun est seul. Je n’y vois là que la seule vérité. Une seule conclusion s'impose alors, ne sois jamais dans la merde. Quelque soit les gens qui t’entoure personne ne bougera pour toi si d'aventure trop de problèmes se trouvaient sur ta route. Qui que soit ton entourage, quoiqu’il fasse, quelque soit les fonctions, le statut de ceux et de celles qui te témoignent leur estime, leur respect ou une quelconque marque de considération, qui semblent même parfois t’apprécier au point de se dire ami de ta personne, ils te délaisseront tôt ou tard si ta situation te dotait d'un compteur financier inférieur ou égal à zéro, quelque soit l'heure ou le jour de la consultation de tes comptes.

Bien sûr tous se diront accablés par ta situation mais c’est surtout gêné qu'ils seront. Tu auras mis sous leurs yeux, tu seras face à eux l’incarnation vivante et réelle de ce qu'ils redoutent de devenir. En d'autre terme c'est l'échec que tu symboliseras, cet état inadmissible et inacceptable, totalement incompatible avec les valeurs économiques qui guident aujourd'hui tous nos modes relationnels. De ton entourage tu ne dois donc rien attendre si tu es dans la merde, si ce n’est beaucoup de soupirs et une quantité non négligeable de diverses formes de désintérêts.

Qu’attendre alors du reste, de tous ces autres que tu ne connais pas et que tu ne connaîtras jamais, de tous ces autres qui, planqués derrière leur écran d'ordinateur, ne te penseront jamais hormis sous l'un de tes quelconque numéros (Sécu, CAF, Assedic, compte bancaire, etc.) ou sous l'une de ces nombreuses étiquettes radicales à consonance pré définitive, voire définitive au vrai parfum de l'exclusion (chômeur, rmiste, sans papier, invalide, sans lieu fixe, handicapé, etc.) étiquette sociale qui te seras de suite affublée si par malheur, suspect maudit, le début du fond commençait à s'étaler sous tes pieds.

Comment t'y es-tu pris questionneront-ils? Qu'as-tu fait de ta chance? Ne mérites-tu pas ce qui t’arrive? As-tu fait ce qu'il fallait? Mais savais-tu seulement ce qu'il fallait faire?! Ils sont là les prémisses de ta relégation, amorces effectives des modifications en cours de ton statut toujours précaire. Rien n'est jamais donné te diront certains, rien n'est jamais acquis reste mon unique certitude.

Avec ou contre ton gré tu es ainsi catalogué. A peine installé dans le ventre de ta mère, dépourvu de toute conscience du vivant, il existait déjà une case pour ta personne. Tout était prêt tout était là dont la liberté et ses formules chimériques qui, pourtant, restent le cœur de ta pensée. Tu n'es qu'un acteur dans le système, un matricule parmi tant d'autres. Quoi qu'il t'arrive n'oublie jamais cette évidence. Passif, actif, insignifiant ou signifiant tu ne peux être que ce que le système te permet d'être. Il instaure le bien et décrète le mal à l'attention de chacun d'entre nous, il élabore des règles et des lois indistinctement applicables à tous et à toutes, qui que tu sois et où que tu sois sur son territoire. Mais rien, absolument rien dans cet échafaudage gigantesque n'est la conséquence directe de ta personne, de celui ou de celle que tu es intrinsèquement, qui existe bel et bien, indépendamment de tout concept. Le système trace des lignes, décide sans toi des perspectives, impose des mœurs et définit ce qu'est un Homme, ce qu'est une Femme telle une colonne vertébrale qui impose à tes mouvements la moindre forme de leurs courbes. Que pèsent alors tes simples vertèbres ? Crois-tu vraiment que tu es libre dans ta pensée, que tu es libre de tes actes ?

Le système, ou la société, ce concept générique qui n'est pensable qu'en théorie, bien qu'il soit au cœur même de toutes nos gymnastiques quotidiennes, fait de toi quelqu'un qui ne peut exister, qui jamais ne sera dans sa galaxie « théorétique » ou tu baignes néanmoins de la tête aux pieds. Pourtant la présence de ton image dans le miroir sous-tend clairement que tu existes, que tu es là et vraiment là! Mais ce « là » que tu contemples chaque matin devant ta glace ne sera jamais ton « là » dans le système. Il est le « là » de ta conscience, il est un « là » avec toi-même, inaccessible au reste du monde.

La machine est partout, c'est vrai, tu dois t'y adapter et non le contraire. Le coup est rude pour l’ego lorsque l'implacable mécanique de cette logique amène un jour ton détriment. Mais ne le savais-tu pas depuis toujours? Car aucun dé n'était pipé. Dès le premier souffle de ta carcasse dans le royaume du monde vivant toute ta vie était pliée, pesée, postée et emballée. Tu te plieras à la machine, tu avaleras son règlement ou sa matrice te détruira. Ton père, ta mère, puis tous et toutes, consciencieusement, se sont souciés de le graver au plus profond de ta mémoire. La méthode est bien huilée, elle est parfaite en chaque point, nauséabonde mais efficace, aucune issue ne t’est laissée. L’impasse est prête à t'accueillir, à t'encercler de tous ses bras.

Comment manger, comment parler, comment dormir, comment apprendre, ainsi seraient les bases de ton dressage. Tous ont tendance à l'oublier, certains sont prêts à le nier mais tu n'es qu'un animal, un animal domestique et paresseux. Comme lui tu as appris à obéir, à te soumettre en t'appliquant plus ou moins consciencieusement. N’était-ce pas là le prix de tes desserts, de tes bonbons et autres câlins de ton enfance?

Le carré de chocolat, comme n'importe quel sucre donné au chien, n'est qu'un outil de récompense parmi tant d'autres. De la poupée à ton ballon, de la gamme boy à ton scooter, tout sera bon pour t'allécher, pour t'incruster dans les neurones le bien fondé et les bienfaits de ce que tu vis. Les stock-options, le 13ème mois, les primes diverses de nos salaire et toutes les soldes des 4 saisons ont exactement cette même fonction. Sois également conscient que l'objet même de ton dressage n'était pas de t'amener à être l'enfant modèle de notre imaginaire collectif. Jamais il n'en fût question et jamais ce ne le sera. L'unique objet de la méthode consistait à te rendre, une fois adulte, entièrement soumis et dépendant du seul système, assujettit à sa vindicte quelque soit ta place hiérarchique dans ses circuits!


(2008)

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