lundi 27 octobre 2014

Etape

Il y a malaise dans la cité, l’édifice s’ébranle, vacille, je ne sais plus de quel côté tomber. Nous sommes lundi, début de semaine, mais cela m’est étranger car pour moi chaque jour est un lundi, un mardi ou un dimanche, faites votre choix.

Je regarde mon alliance, celle qui m’allie à Cynthia. Cependant je ne me sens plus allié ou lié à qui que ce soit, mais relié uniquement à elle, ce qui ne signifie pas du tout la même chose. Jamais auparavant je ne m’étais symboliquement allié, lié ou relié à quelqu’un par un signe distinctif que nous porterions en commun. Cynthia est la première et, très certainement, la dernière personne pour laquelle j’accepte de dévoiler au premier lambda croisé dans la rue, ouvertement et publiquement, mes sentiments et mon attachement. Cela a commencé il y a six ans, époque où je la découvrais. Elle portait alors un collier en mailles métalliques où pendait une petite croix. Quelques jours plus tard c’est moi qui le portais. C’était un moyen comme un autre de la sentir proche de moi en tout moment. Nos alliances sont un acte récent, directement lié et influencé par ma maladie. La peur de ma mort, de part et d’autre, nous a convaincu de nous unir plus encore. Pour tout vous dire, alors que je suis fondamentalement contre le mariage du fait de ma connaissance des origines de ce pacte, de ce contrat de merde, aujourd’hui je suis pourtant prêt à me marier avec elle afin de sceller de manière définitive mon attachement à sa personne. Ainsi, même si je meurs dans quelques mois, elle pourra conserver, porter, emmener avec elle mon nom de famille si elle le souhaite. Certes, ce ne sera pas un grand legs, mais il lui restera au moins çà.

Il est donc 9H30, je me suis levé vers 6H00 et à l’instant je viens de prendre mon troisième Xanax de la journée. Et oui, elles sont bien loin les prescriptions du médecin, prescription que je ne respecte pas. Mais l’idée de toute cette journée à venir que je ne sais comment combler pour me vivre sereinement m’angoisse. Le simple fait d’y penser me stress, alors je me shoote une fois de plus, sans remord, mais avec regret. Mentalement je ne suis plus aussi fort qu’auparavant, avant ma maladie, et je n’arrive plus à gérer les tensions, qu’elles soient internes ou externes. Le moindre désaccord m’apparait désormais comme une guerre de tranchées, un champ de bataille similaire à ceux de la guerre 14-18, avec son gaz moutarde, ses masques à gaz, sa boue et ses morts. Oui, ma maladie me met face à un mur, celui du temps, une perspective que je ne sais plus comment concevoir, aborder, approcher.

Aujourd’hui je comprends mieux l’avantage d’être jeune et en bonne santé. A cet âge le temps est une notion indéfini tant, accoudés sur le rebord de notre fenêtre, nous ne voyons pas les derniers jours de notre fin. Du coup, puisque le temps semble sans limite, on peut tout se permettre, absolument tout. Agir ou ne pas agir, prendre des risques ou non, reporter à demain ce qui nous emmerde le jour-même, embrasser l’autre ou lui faire un magistral doigt d’honneur, poursuivre ou abandonner ses études, consolider nos relations ou les détruire, etc. Enfin de compte touts nos choix n’ont pas de réelle importance puisque le temps nous semblant infini, tout ce qui n’a pas été possible aujourd’hui se réalisera peut-être, voire forcément, demain. Il n’y a donc aucune raison de s’alarmer ou de désespérer.

Cette chimère n’étant plus mon apanage, je commence donc à m’enfoncer dans un marécage qui ne veut pas dire son nom. C’est celui de la déprime, voire de la dépression, car il m’est invivable d’être là, d’exister, de vivre et respirer sans pouvoir me projeter dans le temps, le futur, l’avenir, le lointain, bien au-delà de mon seul horizon que constitue la semaine en cours. En conséquence j’ai pris ma décision, non celle du suicide qui est pourtant un couloir bien tentant, mais celle de me shooter un peu plus encore aux médicaments. Rendez-vous est donc pris avec mon médecin généraliste à 16H30 afin qu’il me prescrive d’autres pilule, en plus de celles que je prends déjà bien sûr. Peut-être s’agira-t-il d’un antidépresseur, d’un autre neuroleptique. Quoi qu’il en soit je prendrai le psychotrope qu’il me suggèrera. Puis en fin de semaine je verrai mon psychiatre en vacance actuellement et, ensemble, nous feront le point sur cette nouvelle ordonnance, quitte à la réajuster ou à la modifier. Il n’empêche, l’idée su suicide me parle bel et bien. En finir avec l’attente, l’incertitude, notre monde merde, le capitalisme qui bouffe jusqu’à la moelle les employés, ouvriers, cadres supérieurs et autres sbires exploités jusqu’à ce que mort s’ensuive, un capitalisme qui s’assoit et fait son lit sur ces montagnes de morts, n’ayant cure ce qu’avait pu être la vie de ces défunts. Je pense également aux médias, à ces pseudo-journalistes, analystes ou experts de toutes sortes qui, à longueur de journée, nous chantonnent le même refrain, la même rengaine, remplissant notre temps de cerveau disponible de cette marche funèbre qui voudrait que sans le capitalisme et la démocratie qui est son bras armé,  touts bords politiques confondus, ce serait le chaos. Le capitalisme n’a même pas deux siècles d’existence alors que la civilisation humaine a plus de cinq millénaires. Comment faisait-il auparavant ? Était-ce plus le chaos ? Certainement pas. Les injustices d’hier sont simplement remplacées par de nouvelles injustices et, comme hier, l’homme exploite toujours l’homme. Comment ne pas avoir envie d’en finir une bonne fois pour toute avec ce monde hypocrite, craintif, frileux, où quatre-vingt dix pour cent de l’humanité se comporte comme des moutons, moi y compris ?

Même si je n’adhère pas du tout aux idéologies djihadistes, terroristes, que j’exècre leurs formes d’action, je comprend néanmoins parfaitement cette colère, cette rage de vouloir détruire ce qui mène le monde actuellement, autrement dit le fric, le capital, le rendement, les dividendes. Si j’avais vingt-cinq ans aujourd’hui, il est fort probable que j’aurai suivi ce chemin. Mais ayant quarante-sept ans et ayant un bagage culturel assez large pour pouvoir méditer sur l’histoire humaine, même si j’imaginais que tel ou tel groupuscule extrémistes parvenait à prendre le pouvoir, que se passerait-il ensuite ? L’histoire nous l’a appris à maintes reprises : Les régimes changent, mais les injustices restent !

Plus de pluie
Plus de larmes
Morne espoir
En ce soir
C’est l’ennui
Une belle arme
Rien à voir
Tout est noir


Je veux écrire pour me défouler, comme l’on cogne sur un punching-ball, que ma plume écrase de mes lettres la poussière qu’est cette feuille blanche. C’est plus jouissif que de frapper un homme à coup de poing, à coup de masse, jusqu’à ce qu’il tombe dans l’inconscience. Ma colère est sans borne mais, j’espère que vous l’aurez compris, c’est une colère contre moi-même dont, je le sais, je ne pourrai sortir indemne. Est-ce l’hôpital psychiatrique mon horizon ? Peut-être…


(27 octobre 2014)

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