mardi 31 mars 2015

Radiothérapie

31 mars 2015


A toi, l'ange de mes nuits, l'ange de mes jours, à laquelle je m'accroche comme d'autres se raccrochent à la vie, c'est à toi et toi seule que je pense en cet instant. Pendant que tu te débats dans ton quotidien, cherchant à remplir le temps entre deux leçons, entre deux cours ou dans l'attente d'un cours à donner, je sens le vent souffler sur mon visage, agréable sensation, un vent qui s'agite, bien plus puissant qu'une simple brise, rafales qui respirent en faisant s'envoler cheveux et bonnets. Aujourd'hui n'est pas un jour comme un autre, c'est ainsi que je le ressens et ne me demande pas pourquoi, mais c'est bien ainsi que je le vis. Est-ce parce que nous sommes le dernier jour du mois, un mois de plus qui est passé comme filent les hirondelles ? Est-ce parce que Avril sera le mois de ma rencontre avec ma fille ? Est-ce parce qu'aujourd'hui c'est l'anniversaire de ma nièce ? Est-ce parce que le temps change, se faisant plus doux, avec un peu plus de soleil ? Est-ce parce que ce matin, vers 5h00, un rêve où je mourrai m'a réveillé brutalement ? Dans ce dernier, je me noyais et mourrait donc de suffocation, ce qui me renvoi encore au poumon, au souffle, au cigare que je fume, au cancer. Aujourd'hui est-il particulier parce que demain nous serons au mois d'avril et que le 7, dans une semaine, je rencontrerai à nouveau mon radiothérapeute ? D'ailleurs, je me demande à quoi va servir cet entretien puisque je n'ai fais aucun examen depuis février, moment de mes séances de radiothérapie. Cela me fait penser à mon crâne que, certes, j'ai complètement tondu, mais je m'aperçois que mes cheveux repoussent nettement moins vite dans la zone qui a été irradiée. Si dans la brasserie où je suis installé il y avait la wifi, j'irai de suite sur internet afin d'en savoir plus sur les effets secondaires de la radiothérapie, des rayons X. Enfin, est-ce que ce jour est particulier parce que je passerai la moitié du mois prochain à Paris, une période longue pour moi à présent, car cela fait au moins quatre ans que je n'y aurait pas passé autant de temps. Oui, juste le bruit constant parisien me fatigue, je ne parle même pas de son mouvement que je ne pourrai ignorer car, comme à Rennes ou quelque endroit où j'habite, je ne peux rester enfermer toute une journée entre des murs. Donc je sortirai chaque jours, c'est une évidence inévitable et, que cela me plaise ou non, je devrai faire avec le mouvement parisien, le rythme de ses habitants, la cadence de ses voitures, de ses taxis, de ses bus ou de son métro. Même si je ne pense pas quitter souvent le quartier où habite ma mère, la Porte de Saint-Cloud, là-bas le mouvement est déjà cinq fois plus dense que dans le centre de Rennes. Pourtant, hormis le parc des princes et Roland Garros, ce n'est pas un quartier fait pour sortir ou y flâner. Effectivement, un peu à l'image de tout l'arrondissement, c'est surtout un quartier résidentiel avec quelques commerces et beaucoup de brasseries.

Étrange coïncidence, mais tout à l'heure je parlais de wifi et de consultation sur internet, et il s'avère que je peux me connecter en wifi au café où je suis. J'ai donc été cherché des informations sur les effets secondaires de la radiothérapie au cerveau et voici ce que l'on en dit : « Il est assez fréquent d'observer dans les semaines ou les premiers mois qui suivent l'irradiation une certaine aggravation de la gêne neurologique, en particulier une somnolence, un état dépressif, une irritabilité, une perte d'appétit ou des nausées, ainsi qu'une difficulté à fixer son attention et à mémoriser. » Ma foi, cela correspond bien à ce qui m'arrive. Même si je ne me sens pas dans un état dépressif à proprement parlé, il est vrai que je suis souvent d'humeur nostalgique empreinte d'une certaine forme de lassitude. Cependant, cela ne me dérange pas puisque je m'occupe en les décrivant, les peignant, ce qui m'aide à supporter ces divers état d'âme. Oui, l'écriture est une arme qui peut se révéler redoutable contre toutes formes d'états dépressifs. C'est une psychothérapie avec soi-même, dont l'interlocuteur est soi-même et, même si c'est plus long qu'avec un interlocuteur tiers, on parvient au fil des mots que l'on pose à dénouer tout le chambardement qui peut secouer son cœur ou son esprit. Oui, je crois en la vertu de l'écriture, de l'écrit, des mots qui sortent du plus profond de nous et peu importe le sujet traité, comme je crois en la vertu de la parole dès lors que nous essayons de sortir verbalement nos maux, nos malaises ou nos doutes. Le dialogue, qu'il soit avec soi-même ou avec un tiers, est toujours salutaire, c'est là ma conviction.

En faisant mes recherches sur les effets secondaires de la radiothérapie du cerveau, je suis tombé sur une vidéo où une psychologue parlait de son expérience auprès des malades concernés. A plusieurs reprises elle a fait allusion à « la perte d'élan vital » que beaucoup éprouvait suite à leurs séances. Là-aussi je me retrouve dans cette définition. Peut-être est-ce pour cela que l'idée de me battre, de combattre mon cancer ne me parle pas. Comme je l'ai déjà écrit  mainte reprise, je laisse plutôt les choses aller, les prends comme elles viennent, ne cherchant pas le moins du monde à contrôler quoi que ce soit, acceptant d'être complètement tributaire de l'évolution de mon cancer, des soins que l'on me prescrit et des effets secondaires qui se manifestent en conséquences. Mais de mieux connaître, mieux comprendre ma maladie et ses traitements ne me requinque pas pour autant, ne me donne pas plus ou pas moins le moral. Je prends ces informations comme je lirai un livre de grammaire, sans enthousiasme, sans être spécialement content de ce que j’apprends, découvre, comprend. A contrario, cela ne me mine pas le moral non plus, peu importe ce qui est dit, c'est comme si j'étais en mode électroencéphalogramme plat. Oui, depuis août dernier, date où j'ai appris qu'une seconde métastase se formait dans mon cerveau, nouvelle qui me mit un coup au moral, j'ai commencé à sombrer dans la perte de mon élan vital, ne croyant plus en une guérison possible, ce que je croyais encore après mon opération du poumon en mai dernier. Enfin, lorsque j'ai appris en février qu'une troisième métastase se formait dans mon cerveau, là encore j'ai perdu un peu plus de mon élan vital.

Mais qu'est-ce que cet élan vital exactement ? Dans mon esprit, il est l'instinct de survie, celui qui nous pousse, nous incite à tout tenter pour rester en vie. La perte de cet élan vital, c'est ne plus chercher à tout tenter pour vivre, c'est même se préparer psychologiquement, psychiquement, à notre fin, c'est un peu comme la préparer. Dans mon cas, pour l'instant, cela se fait tranquillement, sans crise d'angoisse, sans stress et, lentement mais sûrement, je me fais à l'idée de ma mort prochaine, que celle-ci survienne l'année prochaine en dans deux ou trois ans. Oui, je ne me vois pas au-delà du moyen terme, cinq ans au maximum, car d'ici-là, je le pressens, il se passera encore bien des choses dans l'évolution de ma maladie ou de ses effets secondaires.

Le café où je suis est celui des jeunes, celui qui est situé dans le quartier Saint-Anne. Je m'attarde sur leur vêtements, qu'ils soient celui des garçons ou des filles, sur leur manière de s'asseoir, de se comporter les uns envers les autres, et que vois-je si ce n'est le monde de la séduction ? Cela me fait sourire car moi aussi j'ai baigné dans ce monde, surtout à Paris, mais également à Saint-Étienne. Ce monde n'est plus le mien, mais alors plus du tout le mien, depuis l'annonce de mon cancer. C'est comme s'il était devenu un monde superflu, surfait, où rien n'est vrai, où tout se joue sur un fil, celui de parvenir à séduire ou non, à plaire ou non, à amener l'autre à s'intéresser à nous ou pas. Oui, le monde de la séduction est le monde des quêtes et, ce, de l'enfance jusqu'à un certain âge, âge que je ne saurai définir, un monde de quêtes qui prend immédiatement fin dès lors que nous sommes confrontés à la mort, qu'il s'agisse de la nôtre ou de celle d'un très proche. Oui, il n'est que face à la mort, dans cet état d'esprit, que nous ne cherchons plus à séduire, que ce mode de relation devient accessoire, inopérant, dont on se dispense sans même s'en rendre compte. D'avoir quitté ce monde, et donc tous ceux et celles qui y sont encore, est pour moi un soulagement. Effectivement je ne suis plus dans l'attente depuis, dans l'attente de la réaction de l'autre en fonction de ce que je suis, de qui je suis ou de ce que je fais ou non. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas envie de faire plaisir à quelques personnes, mais c'est surtout pour me faire plaisir que je le fais, n'attendant rien de plus qu'un sourire en retour. Je ne donne plus pour être accepté, ne tends plus la main pour que l'on se mette à quatre patte devant moi, comme si j'étais un messie, non, tout cela n'est plus mon monde, mon état d'esprit, ma manière d'envisager mon présent et l'avenir.

Tout à l'heure, alors que je passais devant une boutique de lingerie féminine, elle affichait ses promotions avec comme slogan « faites-vous plaisir ». Du fait du produit vendu, a qui s'agit-il de faire plaisir ? Au partenaire ou à soi-même ? Et de fil en aiguille, je me rappelais de tout ce temps où je voulais me faire plaisir en étant content de moi physiquement, que ce soit avec ou sans vêtements. Cela participait du monde de la séduction dont je parlais précédemment, car en étant satisfait de ma prestance physique, j'avais plus confiance en moi et, en conséquence, en mes capacités de séduction, que cette séduction soit d'ordre physique ou intellectuelle. A présent, cela aussi n'est plus. Je ne me préoccupe plus de mon apparence, ne cherche plus à ce que mes chaussures soient assorties à mon manteau, à savoir si je suis bien coiffé ou non, si ma barbe n'est pas trop longue, etc. Oui, quelque soit l'aspect que je vois de ma personne aujourd'hui, avec ou sans vêtements, il me convient, j'en prend mon partie et ne cherche pas à modifier quoi que ce soit. Là aussi, c'est un peu d'élan vital qui disparaît ou, peut-être plus justement, mon élan vital se concentre à présent sur d'autres aspects de la vie, des aspects que je juge plus importants, plus sensés, plus sage. Par contre, en écrivant mon autobiographie, en sachant tout ce qu'elle contient, en sachant qui était l'être que j'ai tenté de décrire, d'expliquer, de faire comprendre, je ne peux apprécier cet aspect de ma personne. Depuis que j'ai rédigé cette autobiographie qui me rend mal à l'aise à chaque fois que j'y pense, je me demande pourquoi je l'ai faite avec autant d'insistance, pourquoi j'ai tant tenu à l'écrire. Effectivement, à part le malaise qu'elle déclenche en moi, qu'est-ce que cela m'a apporté ? J'ai l'impression d'être tout nu depuis, n'ayant nul endroit où pouvoir me cacher, étant obligé d'admettre, d'accepter, de faire avec ce qui a été, avec ce que j'ai été, un être qui me déplaît profondément. Est-ce à dire qu'aujourd'hui je suis mieux, plus fréquentable, plus respectable ? Je sais seulement que je suis devenu plus calme depuis que je connais Cynthia, plus détendu, plus serein, moins penché sur mon petit nombril et, depuis la maladie, encore plus détaché du rare qui m'importait encore hier. Il n'empêche, repensant à mon autobiographie, que je ne m'explique pas que durant toute cette période, près de trente ans, il y ait eu des êtres pour me faire confiance, m'aimer, m'apprécier, au point de rester à mes côtés dans mes pires moments. Oui, cela est une énigme, quelque chose qui dépasse mon entendement tant, moi, je me serai éloigné d'un tel être. Oui, jamais je n'ai aimé ou fréquenté longtemps des personnes qui étaient trop à problèmes et peu importe quel type de problème. J'allais uniquement avec des personnes qui étaient dans le même délire que moi, que mon délire soit soft ou non, et il était hors de question que s'insère dans notre relation des problèmes, des actes ou une idéologie dont je n'étais pas partie prenante. De la même façon, je n'ai jamais apprécié ceux ou celles qui m'impliquai malgré moi dans des problèmes qui leur était propre, me prenant à témoin pour tel ou tel raison, faisant appel à moi pour régler des comptes ou jouer les entremetteurs. Oui, j'éloignais de moi toute cette catégorie de personne car seuls m'intéressaient ceux et celles qui assumaient leurs dires, leurs faits et gestes, sans avoir besoin d'une bouée de secours en permanence. Bref, pour en revenir au portrait que je dresse de moi dans mon autobiographie, il est clair qu'il me déplait. Bien entendu, personne n'est jamais tout blanc ou tout noir, j'en ai bien conscience, mais on peut être plus ou moins sombre, plus ou moins lumineux, plus ou moins appréciable, et mes choix de vie, au moins jusqu'à mes trente ans, ont tous été de bien mauvais choix la majorité du temps et, ma vie dans son ensemble, jusqu'à ma rencontre avec Cynthia, n'a rien d'une vie enviable, encore moins glorieuse ou exemplaire. Certes, il y a des épreuves que je n'ai pas choisie, comme la rupture avec ma fille, épreuve qui m'ont bien laminé la tête, les neurones, la raison, mais peut-être ne sont-elles qu'un juste retour des choses, le retour de tout le mal que j'ai pu faire volontairement. Oui, je n'ai pas une bonne image de moi, c'est vrai, et c'est peut-être pour cela que quelque part j'apprécie l'arrivée de ma maladie, de ce cancer, de ses métastases, de ses tumeurs, qui semblent sonner la fin de la partie, la fin de cette vie débridée, sale, dans un monde sale où pourtant tout le monde ne l'est pas. Quand je crache sur ce monde, quelque part c'est sur moi-même que je crache, car ce sont des êtres comme moi qui le salissent, peu importe la méthode, en n'apportant d'attention qu'à leur nombril, que ce soit à travers le montant de leur compte en banque ou des preuves de leur virilité, excluant d'entrée de jeux tous les êtres qu'ils jugent faibles de leur univers, prêt à marcher sur eux, à les écraser si besoin est, voire parfois par simple plaisir de les voir ramper, quémander, se lamenter. Une grosse merde, oui, voilà ce que j'ai été si longtemps et rien ne rattrapera jamais çà.

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