samedi 7 mars 2015

A Mamy

Je vois le lagon bleu qui m'interpelle
Les colombes emportant dans leurs ailes
Mon corps mort infidèle
Au vol des hirondelles

Ça en sera fini du cancer
De l'attente, de l'espoir
Loin de l'enfer
Pour vivre encore un soir

La poésie, celle que j'ai désapprise, m'envoie des messages subliminaux pour que je revienne vers elle. Elle est la source, l'origine, car lorsqu'à seize ans j'ai commencé à écrire, c'est à travers des poèmes que j'exprimai ma douleur, mon amour, mes questionnements. Rien n'est plus beau à écrire que la poésie, là est mon point de vue, même si sa lecture n'est pas forcément des plus captivantes. Oui, surtout lorsque l'on veut des rimes, il n'est pas toujours aisé de décrire ce que l'on éprouve, ce que l'on ressent. Parfois la poésie en prose est alors plus adéquate pour s’épancher, pour pleurer si nécessaire. Effectivement je ne vois la poésie que comme un grand mur des lamentations, qu'il s'agisse de celles qui nous sont propres ou qu'elles soient le fruit de ce que nous observons autour de nous. Mais comment exprimer mon dégoût de la politique de manière poétique ? Comment exprimer mon dégoût du monde financier qui mène notre monde en rime ou en prose ? C'est que là, sur ces thèmes précis, je n'éprouve aucune lamentation, au sens premier du terme, mais simplement de la colère. Mais la colère n'est-elle pas aussi une forme de lamentation, certes plus virulente, mais néanmoins bien réelle ?

En ce moment précis j'aimerai être ailleurs, dans un ailleurs que je ne connais pas, une autre ville, un autre lieu où j'aurai tout à découvrir. Cet après-midi je suis dans le quartier de la république, toujours dans la rue piétonne où je vais habituellement, et je contemple les gens passé, se promener devant moi. L'ambiance, l'atmosphère est détendu, personne ne se presse, les commerces ne sont pas pris d'assaut, chacun mène sa petite vie et ici, contrairement à Paris ou Lyon, on a l'impression que toutes ces petites vies que je contemple sont sans soucis, sans problème. Bien entendu cela ne peut pas en être ainsi, certains rennais, peut-être même beaucoup, ont forcément des problèmes, qu'ils soient d'ordre affectifs, financiers ou autres. Mais cela ne se voit pas, ne se lit pas sur leurs visages.

Demain est un autre jour comme tout à l'heure sera un autre instant. Le temps passe, impassible, indifférent à tout état, qu'il soit le votre, le mien ou celui du soleil. J'aimerai être ce temps qui semble couler sur tout, quoi qu'il arrive. Peut-être est-ce là la destinée de la mort, devenir ce temps, devenir du temps et uniquement cela. Nous serions alors partout et nul part à la fois, irrattrapable, invisible, plus léger que l'air, plus léger que tout apesanteur, hors d'atteinte de quiconque mais accompagnant néanmoins tout le monde, tout astre, toute lumière, dans leur course quotidienne.

Je pense également souvent à vous Mamy et, comme vous, j'ai perdu des proches d'un cancer. La première fut ma grand-mère maternelle, alors que j'avais onze ans. Je me souviens combien j'ai pleuré sa mort. Ensuite, alors que j'avais 23 ou 24 ans, ce fut le tour de ma tante, la petite sœur de ma mère. Toutes deux sont mortes suite à un cancer du sein. On dit aujourd'hui que la médecine a fait de grand progrès dans les soins de ce type de cancer, ce que je veux bien croire. Mais à l'époque, surtout celle de ma grand-mère, on mourrait du cancer en une année. J'ai également mon meilleur ami, Tony, qui avait un cancer du foi il y a trois maintenant. Depuis on lui a greffé un autre foi et il semblerait qu'il n'y a plus de trace de cancer dans son corps. Vous, vous avez le privilège d'avoir vu vos enfants devenir adultes, construire et bâtir leur vie. Moi j'en suis à me demander si je vivrai assez longtemps pour voir ma fille atteindre sa majorité. Vous avez aussi le privilège d'être grand-mère. Moi qui ne connais pas cette condition, je n'arrive pas à imaginer ce que l'on peut éprouver en devenant grand-parent. Comment voit-on ses petits-enfants ? Certainement pas de la même manière que l'on voit nos enfants. Alors de quelle manière, c'est un mystère de plus à mon entendement ? De même, vous me dites que depuis 2011 la maladie s'est incrusté en vous. Avez-vous eu de la chimiothérapie ? En avez-vous encore, comme c'est le cas pour ma belle-mère ? Vous a-t-on opéré ? Oui, que de question aurais-je à vous poser. Quoi qu'il en soit la maladie vous a accordé quatre année de répit et je ne peux qu'en être content pour vous. Puisse-t-elle vous épargner encore longtemps, c'est tout ce que je vous souhaite. Enfin, si vous êtes la mère de Zazou et même si je ne la connais qu'à travers ses écrits, sachez que vous avez une fille bien, mais cela, je ne crois pas vous l'apprendre. De même, d'après ce que j'ai compris de vos dires, vous m'avez l'air d'être une famille soudée, ce que la mienne n'a pas toujours été. Cela aussi me fait plaisir de me dire que dans toute les famille ce n'est pas le chaos. Je me demande également quelle a été votre première réaction lorsqu'en 2011 vous avez appris votre cancer ? Moi j'ai été totalement paniqué et pendant au moins trois mois j'ai cru que je vivais me derniers jours, mes dernières heures. Ce n'est que petit-à-petit que ce sentiment a disparu, laissant peu à peu la place à ce que je vis aujourd'hui, c'est à dire apprendre à vivre le moment présent. Néanmoins j'ai tout de même besoin d'une béquille, les calmants. Et vous, en prenez-vous ? Arrivez-vous à gérer tout cela sans aide médicale, psychotrope ou psychiatre ? Oui, nous avons pas tous la même force, la même volonté face à l'adversité, surtout lorsqu'elle nous concerne directement. De même, comme pour moi, beaucoup doivent s'inquiéter autour de vous, à commencer par vos enfants. Cela ne vous épuise-t-il pas de devoir constamment rassurer tout le monde ? Moi si. Mais comment faire autrement, là est la question ?

Plus j'écris et quoi que j'écrive, je m'aperçois que tout tourne autour de ma maladie, que je parle de moi-même, de ma compagne, de vous, de la société, de ma vision du monde, de l'existence. Mon cancer est devenu mon nouveau prisme pour dire les choses, les analyser, les juger le cas échéant. Alors j'essaye de me rappeler de mes prismes d'antan afin de constater, de prendre l'ampleur du grand écart que je fais depuis plus d'un an dans mon regard sur les choses. Avant mon cancer, mon prisme était mon couple avec Cynthia et je jugeais de tout à travers cela, je ne voulais voir que notre avenir et agissais en conséquence, pour que ce dernier puisse avoir lieu, pour que ce dernier soit. Avant de connaître Cynthia, mon prisme était ma non-relation avec ma fille. Il n'était que frustration, que désire de vengeance, vengeance que je devais ranger dans mon sac pour ne pas porter trop de préjudices à ma fille les rares fois où je la voyais, les rares fois où je l'avais au téléphone. Avant que ma fille naisse, tandis que j'étais en couple avec sa mère, mon prisme était la mort de Michel, comment me sortir de là, m'évader des divers états d'âmes dans lequel ce drame m'a plongé. Avant la mort de Michel, mon prisme était Virginie, notre rupture. Là aussi, comment me sortir de cet enfer, comment parvenir à l'oublier, la digérer, à accepter la rupture ? Avant Virginie, alors que j'étais majeur, mon prisme était mon souhait de m'insérer dans la société. Mais comment faire, comment trouver un emploi, comment m'y construire une place honorable ? Enfin, lorsque j'étais adolescent, mon prisme était mon constat de la société, de tous les travers sur lesquels elle était bâtis. Avais-je envie de participer à ce monde-là, monde le plus souvent injuste, inéquitable, fourbe ? Quoi qu'il en soit, tous ces prismes incitaient à la projection, à s'imaginer demain et après, vivre le temps présent étant presque d'un autre monde. Pendant toutes ces années, même si j'ai eu de réels moments de bonheur, avais-je pour autant pleinement conscience de vivre le moment présent ? Je crois que non. J'ai passé la majorité de ma vie à avoir l'impression de subir le présent, cela oui, mais je n'ai jamais réellement cherché à trouver dans ce présent de quoi me satisfaire, de quoi me contenter, d'y trouver de l'agréable. Oui, je m'en rends compte aujourd'hui, même les pires situations ne durent pas 24h/24, seconde par seconde, minute par minute. Il y a toujours dans ce laps de temps un moment plus agréable qu'un autre, un moment moins pénible, et c'est à celui-ci qu'il faut s'accrocher, s'agripper, car il est le seul capable de nous faire tenir.

A écrire ainsi tous les jours, Cynthia me dit souvent que j'ai de l'inspiration. Je ne pense pas comme elle puisque je ne fais qu’étaler ce qui me traverse, qu'il s'agisse de sentiment ou d'idée, et je ne vois pas où est l'inspiration dans tout ceci. C'est plutôt un long déballage, sans quête ou but précis, tout comme l'on ferait une promenade en forêt. L'avantage de ma forêt, c'est que je peux aller n'importe où sans m'y perdre. Pour autrui, il n'est peut-être pas aussi simple de me suivre, j'en suis conscient, mais néanmoins je ne pense pas être si tortueux à suivre dans mes élucubrations. Oui, l'esprit de chacun est une forêt, certains s'y perdent et d'autres pas, et comme chacun de nos arbres est à multi-facettes, il est vrai qu'il n'est pas toujours simple d'y voir clair. De même, certains arbres cachent les buissons, certaines fleurs que nous portons en nos cœurs, et du coup nous sommes aveugles de nous-mêmes, ne nous envisageant que sous un certain angle, occultant tous les autres parce que nous les méconnaissons ou ne les voyons pas. Souvent, ce sont ceux qui sont face à nous qui nous les révèlent et, interloqués sur le moment, nous nous demandons de qui ils parlent. Est-ce bien de nous qu'il s'agit ? N'y a-t-il pas erreur sur la personne ? Du coup nous nous demandons parfois qui nous sommes, celui que nous pensons être ou celui que désigne cet autre ? Sans doute sommes-nous un mixte des deux.


(7 mars 2015)

2 commentaires:

  1. Cyntha a raison; vous écrivez bien et c'est une bonne psychothérapie. Je suis contente de savoir que vous avez pu parler avec votre maman et que vous allez revoir votre fille; moins que vous refumiez à nouveau
    Ne râlez pas trop après les gens qui demandent de vos nouvelles, c'est un peu fatigant d'accord mais dîtes vous bien qu'ils vous aiment et ont peur aussi
    Comment ai je abordé mon cancer? mal bien sûr. Je me souviens de m'être dit: "ma petite Dinah n'a pas un an, je veux la voir grandir. Et puis, le jour de l'opération, mon mari et Zazou (qui était venue de Montauban) étaient à l'hôpital
    Oui, j'ai eu une très lourde chimiothérapie avec pertes de cheveux, ongles très abîmés, plus de cils, plus de sourcils. Mais en décembre de cette année, le médecin m'a dit que je pouvais attendre une année avant de retourner au
    centre de cancer; une éternité quoi
    J'ai néanmoins une autre maladie, épuisante: une hémochromatose qu'on traite en faisant des saignées. Mais comme m'a dit mon plus jeune fils:" tu as eu de la chance qu'on soigne ton hémo autrement tu n'aurais pas connu ton cancer!". Rien que ce genre de phrase me met en joie, ça dédramatise
    Nous sommes une famille normale, ni parfaite, ni trop moche. Je vous ai dit que j'avais deux belles filles marocaines; les différences de culture posent parfois problèmes mais je les aime beaucoup toutes les deux. Ce n'est pas toujours facile pour elles aussi. Elles nous ont donné toutes les deux cinq beaux petits enfants
    Je confirma aussi: Zazou est bien notre fille et c'est une belle personne tant physiquement, que moralement. Je lui souhaite tout le bonheur
    Voilà, j'ai fait une chose que je n'aime pas trop: parler de moi. Mais je me dis que si quelque part, cela peut vous aider un peu
    Autre chose: ne rêvez pas trop d'ailleurs; on échappe pas à ses problèmes en fuyant; profitez du présent et de l'endroit où vous êtes
    Allez je me permets de vous faire la bise ainsi qu'à votre amie. Profitez de ce beau dimanche ensoleillé

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  2. Bonjour Mamy et merci de me répondre ainsi. D'échanger avec vous, avec quelqu'un qui est dans une situation similaire à la mienne, me fait beaucoup de bien. Effectivement, sans avoir à donner la moindre explication sur ce que je peux éprouver en ayant un cancer, je me sens de suite compris, ce qui n'est pas forcément le cas avec des personnes qui ne sont pas directement concernées par la maladie.

    Je constate que votre cancer a été découvert suite à la révélation d'une autre maladie, l'hémochromatose. Cela me rappelle mon ami Tony. Son cancer du foi a été découvert après un test d'alcoolémie. Sans ce test, il ne saurai peut-être toujours pas qu'il avait un cancer. J'ai été lire sur internet ce qu'était l'hémochromatose et, d'après ce que j'en ai compris, c'est une maladie génétique héréditaire. Du coup, je me demande si vos enfants se font suivre depuis? J'ai également lu comment se faisait les saignées et pourquoi. Est-ce toute les semaines, une fois par mois? J'ai également lu qu'un traitement moins lourd était envisagé pour le futur à base d'hepcine. Peut-être pourrez-vous en bénéficier, qui sait?

    Quant à la chimiothérapie, j'en suis passé par là aussi, pendant quatre mois, juste avant mon opération du poumon. Ces quatre mois, à cause des effets secondaires, ont été les plus terribles. J'espère ne plus jamais avoir à en refaire. Je constate que de votre côté, même si c'est dans un an, vous devrez encore subir ce traitement fatiguant. Mais peut-être sera-ce une chimiothérapie légère, avec des produits qui ne seront pas trop agressifs? En tout cas, c'est ce que je vous souhaite.

    A mon tour je me permet de vous embrasser, vous et votre fille et, promis, je vais réfléchir à l'arrêt de la cigarette !

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