lundi 2 mars 2015

Michel

Ce matin j'écrivais donc sur Michel, une homme qui est mort par ma faute car si je n'avais pas été ivre ce soir-là, jamais je ne me serais battu avec lui, c'est une évidence. Certes, lui aussi était ivre, certes c'est lui qui m'a agressé le premier en me mettant une gifle et c'est suite à cette dernière que la bagarre démarra dans le café où nous étions alors. Cependant, alors que le gérant du café m'avait mis dehors, renvoyé de son café, c'est moi tout seul, comme un petit con esclave de son ego, qui ait pris la décision d'attendre que Michel sorte du café pour lui mettre une raclée. De même ; lorsqu'il est enfin sortie du café et que j'ai été le choper par le coup, c'est également moi qui ait pris l'initiative de l'emmener sur les quais de Seine, là où il n'y aurait personne susceptible de nous séparer. De même, une fois sur les lieux, c'est moi qui, de suite, ais commencé à le tabasser. Combien de temps dura tout ce manège ? Peut-être vingt minutes, peut-être plus. Et il y a eu ce moment où il est tombé à l'eau. Suite à l'un de mes coups ? Suite à une glissade de sa part ? Il faisait nuit, on ne voyait pratiquement rien car le quai où nous étions n'était pas éclairé. Quoi qu'il en soit il est tombé dans la Seine et n'en ai plus jamais ressorti. J'avais donc vingt-six ans, aurait dû être un peu plus sensé, avoir un travail, une vie normale, mais non, je me bourrai alors la gueule tous les jours car il est bien des choses que je n'arrivais ni à gérer ni à digérer en ce temps-là, dont ma rupture avec Virginie.

L'histoire de Michel dont je parle librement à présent, seule une minorité de personne la connaissait  auparavant, mais des personnes qui n'avaient rien à voir avec le monde dans lequel je vivais alors. Toutes ces personnes étaient des personnes saines, la mère de ma fille y compris, même si à côté de cela elle n'en demeure pas moins une conne, une limitée de l'esprit. Oui, tout au long du parcours de ma vie j'ai rencontré des personnes saines et, pour une raison que je ne m'explique pas, toutes s'attachaient à moi comme si mes actes, mes délits, mon ivrognerie ne comptait pas. Aujourd'hui, je serai le premier à m'éloigner de ce type de personnage que j'étais alors, toujours entrain de lorgner sur son petit nombril, ne voulant faire aucun réel effort pour m'insérer dans notre société, n'étant jamais satisfait de ma condition, trouvant toujours quelque chose à redire sur tout et n'importe quoi. Une plaie, voici ce que j'étais, une véritable plaie toujours insatisfaite. Oui, aujourd'hui je ne supporte plus ce type de personne et pourtant ce fut moi. Dans ces conditions comment ais-je pu intéresser autant de personnes, comment se fait-il que des femmes se soient attachées à moi, Cynthia y compris ? Tout cela est une énigme qui échappe à mon entendement, surtout que je sais qu'il est des personnes bien plus méritantes que moi qui sont désespérément seules, alors qu'elles n'ont jamais commis de délit et qu'elles ne sont à l'origine d'aucune mort.

Entre le moment où Michel est décédé et le moment de mon procès en cours d'assise, il s'était écoulé trois longues années où j'ai du passer par tous les états d'âme existant, et c'est seulement lors du procès que j'ai apprit qu'il avait une femme et deux enfants de moins de dix ans. Ce fût un choc car jusque là je ne mettais pas poser de question sur sa situation familiale. Pour moi, il était comme un célibataire sans famille, sans amis, sans attaches, ne manquant donc à personne. Mais quand j'ai appris qu'il avait deux enfants, j’eus encore plus honte que d'accoutumée, je me suis senti encore plus petit, plus misérable que d'ordinaire. Lors de mon procès je n'en menais pas large car j'étais convaincu que les juges, les jurées, l'assistance dans la salle avait de ma personne la conviction que j'avais de moi-même. Forcément j'étais coupable, forcément j'étais responsable de la mort de Michel et, de plus, je laissai deux enfants orphelins de leur père. Oui, dans ma tête tout était très clair, et je savais que j'allais faire de nombreuses années de prison, ce qui était la moindre des choses dans mon esprit. Psychologiquement, même si j'étais à cette époque bourrée de psychotropes en tout genre, je n'étais préparé à ma longue incarcération. Durant le procès, toutes les actes délictueux figurant sur mon casier judiciaire furent évoqués. Les jurés, les juges, l'avocat général, savaient parfaitement à qui ils avaient à faire, quel genre de sinistre merde ils avaient face à eux. Pourtant, à l'issue de ce procès qui dura trois jours, ils ne me condamnèrent pas à faire de la prison ferme. J'en ai été estomaqué et encore aujourd'hui je ne comprend pas leur clémence. Pour la vente d'un sachet d'héroïne, tu peux être condamné à six mois de prison ferme, voire plus, et moi qui était responsable de la mort d'un homme on me laissait en liberté. Comment comprendre cela et surtout l'accepter ? Je  crois qu’aujourd’hui encore je digère mal de ne pas avoir été jugé plus sévèrement. Effectivement, c'est comme un double mort pour Michel et sa famille. La première mort est du fait de mon imbécillité, de mon désir puéril de rendre justice à mon ego, moi la terreur du quartier, moi sur qui il avait osé lever la main. Son geste remettait ma virilité en cause, mon statut d'homme, voire de surhomme, bref cela remettait en cause toute mon éducation, celle qui est, peu ou prou, la même pour tous les garçons. Vous les filles, les femmes, c'est à d'autres critères que vous devez répondre, mais le temps de vous en apercevoir, comme pour nous les garçons, il est déjà trop tard et souvent le mal est déjà fait, en place dans nos natures réciproque, l'homme devant être fort, combatif, ambitieux, et vous les femmes devant être avant tout féminine, désirable, avec l'envie d'être mère un jour. Bien sûr je ne dresse là que des traits généraux, mais nous sommes bien esclave de notre conditionnement, qu'il soit celui de nos parents ou de notre environnement général. Donc à cause de mon conditionnement, de mon ego conséquent, déjà Michel était mort pour rien. Le fait que la justice me laisse libre, c'était comme signifier que sa mort n'était pas importante, en tous cas pas au point que l'on m'emprisonne. Certes, les jurés, les juges me laissaient une chance, on peut également le voir ainsi, en ne bouchant pas définitivement mon avenir, mon futur, avec une sanction trop lourde. Mais dans ma tête, dans mon cœur, j'en reviens toujours à Michel mort deux fois pour rien. Oui, à mes yeux justice n'a pas été faite, c'est ainsi que je l'éprouve depuis lors et je ne vois pas comment cela pourrait être autre dans mon cœur et dans ma pensée.

Après ce procès, mais sans aucune envie, il a fallu que je réapprenne à vivre, c'est à dire réapprendre à apprécier des choses, quel qu'elles soient, et aujourd'hui encore, vingt-trois ans plus tard, ce travail n'est pas fini. Oui, ma vie est bien étrange et si le destin existe, je serai curieux que l'on m'explique le mien. Lorsque je me droguai, entre l'âge de quinze ans et de mes vint-six ans, je traînais ou côtoyais évidement des drogués. Entre autre, trois de mes amis, dont un ami d'enfance avec qui j'ai fait ma scolarité dans le primaire, sont mort d'overdoses. Ils n'avait même pas vingt-deux ans. D'autres, du fait de leur addiction, ne pouvaient plus travailler, se faisait virer de leur logement, devenant alors des dealers malgré eux, histoire de pouvoir garder leur logement et se fournir leur dose quotidienne. Personne n'est allé vers eux pour essayer de les aider. Moi je suis passé à travers les mailles du filet. De même, une fois majeurs j'ai commis de nombreux délits. Je n'ai été condamné qu'une fois à de la prison ferme, alors que j'avais dix-huit ans, et seulement à quatre mois de prison pour un braquage. Là aussi les juges ont été clément à mon égard car ils auraient facilement pu me condamner à deux de prison, vu que mon braquage s'est fait avec une arme et que j'ai attaché la patronne de la boutique, histoire d'avoir la paix pendant que je m'emparai du contenu de sa caisse. Oui, là aussi j'ai eu beaucoup de chance. Avec l'histoire de Michel, c'est pareil, j'ai bénéficié d'une clémence surprenante. De même, à chaque fois que j'ai été incarcéré, mes petites amies d'alors sont restées avec moi. Aucune ne m'a abandonné, me laissant au sort que je méritais. Chaque jour elles m'écrivaient et chaque jour je répondais. Les seules années où je suis resté célibataire, par choix, sont celles qui tournent autour de la mort de Michel. De 1993 à 1996, date de ma rencontre avec celle qui allait devenir plus tard la mère de ma fille, je ne fais que côtoyer les hôpitaux psychiatriques, me shooter aux médicaments et dormir. J'étais comme mort, comme si je voulais accompagner Michel dans sa tombe, partager son sort, son destin scellé au mien. Même si j'ai mit sept ans à remonter la pente, à ne sortir de mon puits que dans les années 2000, là aussi je me dis que j'ai eu de la chance car je sais que pour une grande part, même si je n'avais plus d'affection que cela pour la mère de ma fille, je sais que sa simple présence a suffit, à aider à ce que j'ose aller de l'avant, que j'ose essayer de dépasser mes états d'âme d'alors. En cela je lui suis redevable de sa patience, car croyez bien qu'il n'est pas simple d'être la compagne ou le compagnon de quelqu'un de totalement shooté aux médicaments, qui dort presque toute la journée et qui ne fait quasiment rien avec vous. Mais le destin a plus d'un tour dans son sac, car après m'avoir permis de sortir de l'enfer dans lequel m'avait plongé la mort de Michel, cela en partie grâce à la présence de la mère de ma fille, en 2003 c'est elle qui commencé à me plonger dans un nouvel enfer, celui du vol de ma fille, de son kidnapping quelques années plus tard alors que ma fille avait quatre ans, et malgré que la justice ait remis bon ordre à tout cela, j'ai néanmoins perdu ma fille depuis le début, alors qu'elle n'avait que six mois et que sa mère décida de me quitter et de tout faire pour installer de la distance entre ma fille et moi. Si j'avais eu vingt-six ans à cette époque, il est clair que j'aurai tué la mère, aussi claire que deux et deux font quatre. Mais j'ai préféré pensé à ma fille, ne l'imaginant pas pouvoir s’épanouir si j'avais commis un tel acte. Alors j'ai dû faire le choix d'accepter de m'effacer, de la perdre. Est-ce un juste retour des choses de la part du destin ? Peut-être.


(2 mars 2015)

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