samedi 28 mars 2015

Ecrire sur sa maladie

28 mars 2015


Il est 16h20, je suis levé depuis une heure seulement car j'ai passé toute la matinée et le début d'après-midi à dormir. Cependant, cela ne s'est pas fait sans raison. Je me suis d'abord réveillé vers 7h30 et, par faim, j'ai mangé un paquet de gâteau, des tartelettes aux fraises exactement. Une heure plus tard, du fait d'un petit coup de fatigue, j'ai été me recoucher et sous les coups de 10h00 des nausées m'ont réveillé. Cela n'a pas loupé, elles ont été suivi de vomissement, une fois encore, une fois de plus. Ayant la tête qui tournait je me suis donc recouché pour la seconde fois de la journée, dormant ainsi jusqu'à 15h30. Il me semble que je n'ai plus le choix, que je vais être obligé de reprendre rendez-vous avec mon médecin généraliste ou mon radiothérapeute afin qu'il ajuste mon traitement médical envers les nausées et vomissement. Effectivement, si je fais les comptes de la semaine, je n'ai mangé et pu digérer que deux repas. Cela fait peu et m’affaiblis.

En ce moment, Cynthia et Estelle se promènent dans Rennes, visitent ses églises et ses parcs, tandis que moi, comme à mon habitude, je suis entrain d'écrire tout en me réveillant à une terrasse de café, juste sur la place Sainte-Anne. Comme nous sommes samedi, il y a pas mal de monde qui traverse ou flâne sur la place, mais comme le temps est tout de même très nuageux, même s'il ne pleut pas, les terrasses de café ne sont pas bondées. Ce soir, Cynthia et Estelle ont prévu de manger des crêpes dehors, dans un bon petit restaurant situé près de la gare et, si mon estomac me le permet, je les accompagnerai. Quoi qu'il en soit, même si je ne mange pas, je serai avec elles.

Estelle est donc arrivé hier soir, c'est la première fois que Cynthia accueille l'une de ses proches chez elle, dans sa maison, ce qui me ramène au bon vieux temps où nous nous sommes connus, alors qu'elle habitait chez ses parents et que moi je dormais dans des foyers pour SDF. Même si cette époque n'était pas la panacée point de vue hébergement, elle est néanmoins gravée à tout jamais dans mon esprit. Oui, c'est l'époque où j'ai vu pour la première fois Cynthia de mes propres yeux, non plus en photo, où j'ai pu la toucher, entendre le son de sa voix ailleurs qu'au téléphone, époque où je l'ai découverte presque totalement, car entre l'image que j'avais d'elle à travers les mots et textes de son blog et la jeune fille fluette que j'avais sous les yeux, une jeune fille douce et réservée, il y avait quand même un décalage. Sur son blog, ses textes étaient durs, acerbes, raides, sans compromissions et je m'attendais à rencontrer un état d'esprit de cette trempe dans le ton, le vocabulaire ou les idées de Cynthia. Mais elle n'est pas cela du tout dans la forme. Certes, dans le fond, ses opinions sont toujours assez tranchées, mais elle est assez fines pour les exposer posément, presque gentiment. Même s'il lui arrive d'avoir des points de vue brutaux, elle n'est pas une femme brutale pour autant, loin de là. Tout ce qu'elle fait, qu'il s'agisse de préparer ses cours, de préparer de bons plats, de s'occuper de son chat ou de ses plantes, de sa manière de se déplacer, de se mouvoir, oui, tout ceci elle le fait dans la délicatesse, sans aucune brusquerie, même lorsqu'elle est énervée parce qu'elle ne trouve pas un papier qu'elle recherche. Oui, elle est douce et cela m'est d'un grand réconfort.

Je repense à mon frère et à ce que j'écrivais hier à son sujet, disant que quelque part il ne méritait pas que je reste en relation avec lui, que je fasse l'effort d'entretenir cette dernière alors que lui ne le faisait pas. D'un autre côté, à chaque fois que j'ai eu besoin de lui et qu'il l'a pu, il s'est montré présent, soit pour venir me voir là où je me trouvais, soit pour m'écouter patiemment entrain de geindre sur mon sort, voire d'en pleurer. Oui, je ne peux pas dire qu'il ne m'était pas disponible, ce serait mentir effrontément, et peut-être est-ce là sa manière à lui d'entretenir une relation, en répondant présent dès qu'on le sollicite. Pour autant il ne donne pas de nouvelles de lui si on ne l'appelle pas et il est rare qu'il sollicite sa famille pour une aide matérielle. Pour cela, il se tourne en général vers ses copains et copines, ce que je peux comprendre puisque dans notre famille personne ne roule sur l'or. En l'état, malgré que je n'ai que l'allocation adulte handicapée, je suis peut-être celui qui s'en sort le mieux financièrement. Évidement, c'est ainsi parce que je suis en couple, ce qui n'est pas le cas des autres membres de ma famille, et que Cynthia travaille, ayant un revenu correct.

Je repense également aux effets secondaires de mes séances de radiothérapie, surtout à la perte d'une partie de mes cheveux. Vous dire quel effet cela m'a fait et me fait encore, je ne le peux. Ce que je ressens est bizarre, étrange, c'est comme si j'étais partagé entre différents sentiments, mais je ne sais lesquels. Par contre je sais que je n'éprouve aucune peur, c'est comme si j'étais incrédule face à cet état de fait, la perte de mes cheveux sur un périmètre parfaitement défini, là et uniquement là, pas un poil plus loin, par un centimètre plus loin. Depuis je me suis donc tondu, mais j'ai l'impression que mes cheveux repoussent plus vite dans les zones qui n'ont pas été irradié. Cela me fait penser que je n'ai toujours pas été sur internet pour me renseigner plus précisément sur les rayons X, sur leur impact réel sur les tumeurs, les métastases, les neurones.

Enfin de compte, écrire sur sa maladie, c'est comme raconter une aventure, écrire un roman, dont le fil conducteur est justement la maladie et son évolution, narrer comment elle change notre rapport à nous-même et aux autres, raconter comment notre perception du temps et du monde alentour se modifie, expliquer, si tant est que cela se peut, pourquoi nous prenons du recul avec beaucoup de choses, presque du jour au lendemain, dire comme il n'est pas simple de se reconnaître là encore, du jour au lendemain, dans le corps, l'identité d'une personne malade, voire condamnée, alors que quelques jours plus tôt nous nous regardions comme des personnes saines, à l'abri de tout danger. Oui, à travers tout ce que l'on éprouve, toutes les phases physiques et psychologiques par lesquelles nous passons, la réalité dépasse bien souvent la fiction. Moi-même j'ai vécu des états d'âme, surtout au début, lorsque j'ai appris ma maladie, que je n'aurai jamais pu imaginer possible. Auparavant, même dans mes pires histoires, jamais je n'avais éprouvé que toutes les parties de mon univers, absolument toutes, s'écroulaient d'un coup, subitement, en l'espace de quelques heures seulement. Plus rien n'avait le même visage, pas plus moi que l'hôpital, pas plus Cynthia que le personnel hospitalier, pas plus ce que je pensais du cancer avant et après son annonce. De même, ma fille, sa mère, ma famille, mes amis, tous devenaient nouveaux pour moi, comme si je les regardais pour la première fois. Mon domicile d'alors n'avait plus du tout le même sens. Auparavant il était mon toit, mon refuge, et là, subitement, il ne devenait qu'un vulgaire lieu de transition, des murs sans réelles importances où il état clair que je n'étais pas chez moi. C'est comme si je prenais d'un coup conscience de ce que signifiait le terme « locataire ». Oui, cette période où j'ai appris mon cancer est elle-aussi indélébile, même si je ne me souviens pas de tous les détails, même si je ne me souviens que de peu de chose au final, mais l'état d'esprit, lui, est gravé au fer rouge dans ma mémoire. Vous dire que je me sentais seul serait un doux euphémisme. C'était bien au delà. Je revois Cynthia dans la chambre d'hôpital où l'on m'avait plongé dans un coma artificielle après mes trois crises d'épilepsies consécutives, crises dû à ma métastase au cerveau. Lorsque je me suis éveille, elle était là, assise sur une chaise, et moi j'étais attaché avec un tuyau dans la bouche pour m'aider à respirer. Je ne pouvais pas parler, me demandai où j'étais, qu'est-ce qui c'était passé et voulais que l'on me délie les mains. Je ne me rappelle plus quand cela fut fait. Le jour-même, le lendemain ? Et Cynthia était donc là, assise sur une chaise, face à moi, ne disant mot. Je pouvais voir sur son visage le reste des larmes qu'elle avait du verser, comme si ces dernières avaient laissé des traînées sur sa peau, et à l'expression de ses yeux, de son regard, je me doutais que les nouvelles ne devaient pas être bonne. Cependant, à mon réveil, même si j'étais complètement perdu, déboussolé par ce cadre que je découvrais, pas une minute je n'ai pensé que j'avais contracté une maladie grave. D'ailleurs je ne sais même plus qui m'a annoncé que j'avais un cancer. Fut-ce Cynthia, un interne ? Quoi qu'il en soit, quelques jours plus tard, j'étais transféré dans un autre hôpital, nous étions au mois de novembre 2013, y restant un mois pour passer toute une batterie d'examens. Oui, raconter sa maladie c'est raconter une histoire et, à travers elle, l'histoire de tous ceux et celles qui partagent malgré eux cette aventure. Oui, tout s'imbrique ou se ré-imbrique, des choses se défont pendant que d'autres se créent, la forme et parfois le fond des relations changent. Nous en balayons certaines d'un revers de main et en choyons d'autres que, jadis, nous n'entretenions pas tant que ça. Oui, c'est comme si quelque part nous allions à l'essentiel, sans bien le savoir au début, mais c'est bien cela le chemin. Cet essentiel, bien souvent, est incompris par notre entourage. De même, notre rapport à notre maladie et donc à nous-même, n'est pas toujours compris, voire assimilable par nos proches. Nous changeons de comportement, de priorité, de centre d'intérêt et je veux bien croire que si nous ne nous en expliquons pas, l'entourage ne peut comprendre.

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