dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 7

VII


Cynthia, t’écrire, sortir les mots comme ils me viennent, surtout ne pas regarder l'écran, laisser le cœur s'ouvrir, parler, transmettre sans que la vue, terrible vue qui dé-expose ce qui s'expose, ne vienne gâcher cette alchimie naissante en moi.
Vous dire que je l'aime ? Combien de fois l'ais-je affirmé, ronronné, martelé au prince des cieux qui me contemple dans son silence ? Vous dirais-je tous mes élans, élans d'amour, élans charnels que la couleur et la texture de sa peau blanche éveillent en moi ? Vous dirais-je mon corps qui n'est plus corps, mais uniquement un océan qui me balance de vague en vague vers une plénitude achevée, si aboutie, majestueuse ? Union de chair, union des chairs, langage chimique de l'alchimie de nos deux cœurs qui interpellent dans le lointain le temps fini inexistant, transpercés de part en part par la violence de nos désirs, de notre plaisir, de haut en bas, sans droite ni gauche, laissant vacant le libre-champs de l'abandon de l'un à l'autre, de l'un vers l'autre, dans une profusion d'aller-retour à la rencontre de nous-mêmes. Que dire de plus tant la beauté de ces moments n'exige ni mots ni réflexions ? Ils sont à vivre, à déguster, à savourer de l'intérieur...
Pourtant tout n’a pas été rose les deux premières années de notre union, loin de là. A trois reprises nous avons même faillis nous séparer et ce, définitivement. J’étais l’objet de sa jalousie maladive tant le schéma du couple issu des contes de fée de son enfance lui avait déréglé l’esprit. Blesser, meurtrir, casser, jamais elle ne l’a fait, pas plus ces jours qu’un autre jour. M’offenser, m’affecter, me désolant de mon attente, cela oui. Mais elle n’était point la cause de mes espoirs, archange des songes de ma passion, mais bien la raison d’être d’une vie dans ce monde glauque de l’humain. Pulsions primaires qui m’envahissent, élans sauvages qui me réveillent, je redeviens l’homme-animal.

Rien à dire
Se taire, disparaître
Pyramide d’un cheminement
Je suis tombé


Certaines scènes de disputes restent ancrées dans ma mémoire. Le néant ouvre ainsi ses portes. Pas de Dieu là où je suis, personne n’existe car tout est mort... tu t’es parfois enfuie tu t’es démise… Je lançais mon cri dans l’univers pour qu’il se perde, se désagrège car je me perdais, exténué d’amour… Te dire mes mots, prendre ta main, tendre mon corps pour que tu m’abattes, oui je le voulais, je vous le dis, le lui affirme, mais pas ainsi, non, pas ainsi... Emportes-moi précieuse étoile, molestes-moi, étrangles-moi ou embrasses-moi, mais gardes mon corps auprès de toi pour l'enterrer dans tes soupirs. Malmènes mon cœur où vont tes pas, car quelques soient tes marécages, ma place est là, non vers l’ailleurs où tu n’es point.

Devenir mur, devenir sûr
C’est le bonjour à la torture
A la colère, à l’amertume
Je me refuse à cette coutume
Accoutumance de sombres brumes…


Suis-je si déçu par le parterre gluant du vide livide qui s'installe pour s'étaler et prendre place dans l'espace-même de mon cœur, las de mes bras aveugles de ton absence ? Tendre muse, je n’ose répondre à cette question…

La mort plante son drapeau
Premier des longs couteaux
Dans la chair vive de ma vie
C’est ainsi mais je me plie
Car te perdre pour un vœu
Ne sera jamais ce que je veux
Me rendre vers toi tu n’as voulu
Te tendre vers moi fût l'impossible
Mais l’instant noir est révolu
Car il nous reste les possibles


Quelle heure est-il à présent ? Quel temps faut-il pour accepter d'aimer vers la lumière ? Où est la courbe du mouvement qui nous enlace ordinairement ? A présent je suis ailleurs, parti de ma tanière pour voir le vent et l’intouchable, touchant la lune du bout des yeux dans un ciel vide de tout astre. J’ai ainsi rejoint les quais, ceux-là même de mon histoire, quais oubliés s’il s’en fût, quais du fantôme de l’au-delà. M’y épuiser, m’y achever, évacuer le moindre mal en transgressant cet interdit, oui tu le vaux car je l’affirme, même s’il n’est point d’acte assez grand pour oser prétendre à ton amour, même s’il n’est point d’acte assez fou pour te dire combien je t’aime. Fruit du mensonge, raisins d’espoir que je mûris avec nos rêves ? Et après? Puis-je oublier que tu es là, tant face à moi que près de moi ?  Demain n’est pas, hier n’est plus, mais aujourd’hui mon cœur est là, il n'est que toi, respirant ton seul parfum, aussi acide fût-il en certaines nuits. Mais cela est le passé à présent, lointain, à perte de vue, et à quoi bon y retourner ? Reste le présent et l’avenir, la perception d'un moi possible fidèle aux vœux d'antan, car jamais il n'est trop tard pour voir le jour même s’il n'est jamais assez tôt pour enfin pouvoir le vivre. Cruelle impatience humaine mise à l’épreuve…

Mil et une fois j'ai cherché à fuir ce monde, celui de l'homme, de ses principes, de sa morale aléatoire, variable, précaire, véritable agrégat de valeurs présupposées à durée limitée  n'engendrant qu'anémie et sclérose de nos capacités de réflexions, d’inventions ou de créations, un monde brumeux où elles s’empilent les unes sur les autres, s’entassant jusqu’à plus soif en un cordon nauséabond où même rêver d’une autre étoile devient un luxe, une barrière psychologique. De tous les chemins empruntés, visités ou imposés, nulle part je ne me suis retrouvé et, moins encore, trouvé. Face au miroir de mon image - car jamais je ne me suis vu et jamais ne me verrai - j'ai parcouru chaque ombre de ma folie sur le fin fil de ma raison, tentant vainement d’identifier  chacun de mes élans, chacune de mes pulsions à la lumière de ces valeurs que l’on nous donne comme vérités. Cruelle méprise, erreur fatale tant il est vain de vouloir croire que le bien-être peut émaner de ces dernières, de ces supports marécageux constitués de modes d’emplois pour  vie sociale ou vie privée, professionnelle ou sexuelle, cohabitant très tranquillement dans l’inconscient qui nous dirige, dans nos coutumes et dans nos actes, ces faisceaux d’inepties, d’incohérences et de contradictions qu’elles véhiculent lorsqu’elles sont les unes face sont face aux autres et ce, au détriment de la logique de notre raison. Il en est ainsi de l’ambiguïté de l'être…

Il n’y a plus de jours
Ni de nuits
Uniquement hier, aujourd’hui, voire demain
Imbriqués dans l’instant incessant
Bref, concis, placide
Sans fin cependant

Coudes à coudes
Jambes contre jambes
Y cohabitent
Deux sœurs jumelles
Irrémédiablement
Soudées, accouplées
Dos à dos cependant

Chacune sur leur terre
Ignorantes de l’autre contrée
Qui, pourtant, est le sens, l’origine,
La limite de leur monde
La fontaine et le puits
La vie ou la mort
Du commun paysage
Elles déploient des directions
Élaborant, échafaudant,
Chaque courant d’air de la raison
Imaginant, inventant
Des nuages gris ou un ciel bleu
Un soleil avant l’orage
Ou la tempête après l’été
Saisons diverses envisageables
Toutes virtuelles cependant

Sur le fin fil de la logique
De leurs courses effrénées
Subsistent clairement deux perspectives
Qui, jamais, ne se croiseront
Dans le regard de qui devra
Départager, punir ou réunir
A seule fin de contenir
Dans l’espace de son cœur
Ces deux folles qu’il abrite
Pour le meilleur et pour le pire
Bien malgré lui cependant


Il y a des ombres dangereuses. Je me suis perdu dans le monde, otage des souvenirs. Je voudrai être innocent, oui… un innocent. J’ai été trop loin dans le macabre et le soleil n’est plus le même sur ma route. D’ailleurs, quelle peut être ma route désormais ? Ais-je seulement le droit d’en désirer une ? Il faut que j’assume ce qui a été fait. Mais cela se peut-il ? Cà ne se peut. La mort vous brise, quelque soit la manière dont vous l’avez frôlé. Je me suis tué, seul, sans l’aide de personne. Je ne peux qu’être seul alors ? A tout jamais ? Je ne veux pas y croire et pourtant c’est là, dans mon cœur, par saccade, brusque convulsion qui m’éjecte là où je ne peux qu’errer et tourner dans une ronde infernale… ma tête ! Je ne m’apaise que lorsqu’il pleut. Le ciel pleure à ma place et ce sont mes larmes que je constate dans son déluge. Puis je les souille de mon pas lent, appuyé, je les écrase sur le bitume. Je n’ai plus de droit aux pleurs, jamais ils ne rattraperont hier, mais parfois c’est comme si j’étais dans la fin, sans appétit, sans but compréhensible.

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