lundi 9 mars 2015

Nostalgie

Ce matin je me sens d'humeur nostalgique, absent, mais pas ici, dans le moment présent. Je crois que plus je m'habitue à vivre sans signe manifeste de ma maladie, qu'il s'agisse d'examens ou de soins, plus elle me paraît absente. Tout à l'heure, mon entretien avec mon psychiatre n'a pas duré longtemps, juste un quart d'heure. En commençant la séance je lui signifiais mon souhait de le voir moins souvent, une fois par semaine au lieu de deux. Il me demanda pourquoi. Je lui répondis que pour l'instant j'arrivais à gérer mes peurs, mes angoisses, grâce aux Xanax avec lequel, je l'admet, j'abuse un peu en ce moment, dépassant amplement les doses qui me sont prescrites. Mon psychiatre, à juste titre, m'a alors demandé si je ne ferai pas mieux de faire l'inverse, diminuer le Xanax et continuer à le voir deux fois par semaine, voire plus. A cela je lui ai répondu qu'effectivement ce serait peut-être le plus sage à faire, mais qu'il ne m'importait plus de vivre dans un corps sains, loin du chimique. Oui, chaque matin lorsque je me lève, je n'ai qu'un but. Ne pas déprimer, ne pas angoisser lorsque je pense à ma maladie, à ma condition, et me coucher le soir en tant satisfait de ma journée, une journée que je veux sans avoir à sentir l'ennui. A partir de là, peut importe les moyens que je me donne, que ce soit le Xanax ou la thérapie par la parole. Mon psychiatre me rétorqua alors que nous n'étions pas que du chimique. Que sommes-nous d'autre, lui demandais-je ? Même l'acte de parler est contrôlé par notre cerveau, tout est d'ailleurs contrôlé par ce dernier. Sur ce il interrompit la séance et m'incita à le revoir cette semaine. Rendez-vous est donc pris pour jeudi matin et se dira ce qu'il se dira.

Cette anecdote étant racontée, il n'en demeure pas moins que je me sens dans un état nostalgique, ce qui n'est pas fait pour me déplaire, au contraire, mais je ne sais pas encore exactement dans quelle nostalgie je suis. Évidemment je pense au passé et, tout de suite, c'est Saint-Étienne qui me revient en mémoire, en image. Je revois nos débuts là-bas, en mars 2009, Cynthia et moi. Ce fût notre premier logement et à cette époque elle n'était pas encore à la FAC. Elle était en année sabbatique et ce n'est qu'en septembre suivant qu'elle attaqua sa première année en Lettres Modernes. Je me souviens de la fenêtre du salon, seul fenêtre de l'appartement donnant sur l’extérieur. Nous habitions un deux pièces sous les toits et toutes les autres fenêtres étaient des mansardes coulissantes. L'été, je prenais ma guitare, m'installait sur le rebord de la fenêtre et jouais. Dans le salon il y avait également une belle cheminée. Elle servait uniquement d'ornement. Je me souviens de la rue que nous habitions, une avenue en pente et lorsqu'il neigeait, il fallait faire attention pour ne pas glisser, pour ne pas tomber. Oui, j'ai la nostalgie de cette époque, de notre couple qui en était à ses débuts, à ses balbutiements, juste avant que les premières vraies crises n'apparaissent. Toutes, sans exception, tournaient autour de la jalousie. Oui, en tout cas à cette époque, Cynthia était d'une jalousie maladive. Par deux fois au moins nous avons failli nous séparer à cause de cela. Cependant, je ne lui en tient nullement rigueur car à dix-huit ans, ce qui était son âge, que comprenons-nous à ces choses-là ? Nous sommes plein d'illusions, d'espoirs, de certitudes quant à ce qu'est un couple, quant à ce qu'il devrait être. Nous sommes également plein de certitudes sur la manière dont l'autre et nous-même devons nous comporter, penser, agir. Oui, barricadé dans toutes nos certitudes à ce si jeune âge, nous ne pouvons voir à quel point nous sommes dans l'ignorance, le non-savoir. Seul l'expérience nous permet de passer au-delà, seul l'expérience nous montre véritablement les failles de notre pensée. A cette époque nous étions de véritables amoureux. Tout était neuf, attrayant, attirant, autant elle, moi, que notre environnement. Mais l'amour est autre chose et le nôtre s'est construit patiemment au fil des mois et des ans qui ont passé depuis. Est-ce à dire que le sentiment amoureux a disparu pour autant ? Non pour ma part. Il m'arrive encore de la regarder, de la contempler et d'éprouver à nouveau ce sentiment, comme si c'était la première fois que je la voyais. C'est surtout lorsque je la vois heureuse, contente, que je retombe amoureux tel un petit puceau qui découvrirai subitement sa muse. D'ailleurs, ma muse elle le fut, mais cela était avant notre première rencontre physique, avant que je ne quitte Paris pour la rejoindre à Lyon, alors que nous avions nos blogs respectifs. Oui, elle m'a inspiré bien des écrits qu'aujourd'hui encore je relis avec plaisir. Et dire qu'à cette époque, celle des blogs et des pseudos, elle voulait se détruire, elle se détruisait. Je suis content qu'elle ait fait la paix avec son corps, la paix avec le regard de l'autre sur ce dernier. Effectivement, faire des régimes est une chose, tomber dans l'anorexie en est une autre. Mais je ne sais pourquoi, je me sentais de taille à la sortir de là, de cet enfer dans lequel elle s'était plongée, un enfer qui n'en était pas un pour elle, malgré qu'elle était déjà presque rachitique. Parfois je me demande quel aurait été son parcours si nous ne nous étions pas rencontrés. Serait-elle toujours anorexique ? Vivrait-elle encore ? Aurait-elle repris ses études ? Serait-elle professeur aujourd'hui ? Oui, que de questions sans réponses.

Depuis ce matin je pense également à la mort, à la vie, aux oiseaux qui chantent, aux feuilles de l'arbre qui tanguent portées par une léger vent. Je vois également un ciel noir, ses orages et ses éclairs, comme l'annonce d'une fin programmée, la mienne par exemple. Oui, aujourd'hui je trouve étrange de vivre, de me sentir vivre, tout en sachant que c'est provisoire, éphémère, le temps d'un souffle, puis d'un second, mais que très tôt mon souffle s'éteindra à son tour. Oui, ce mélange de sentiments, d'impressions, de sensations qui me permettent de me sentir vivant génère en parallèle le sentiment de futilité de tout ce qui s'anime autour de moi. Tout devient vent, autant les êtres que les choses, le son comme le silence, ces écrits ou le néant. Je me laisse ainsi bercer par cette mélancolie, ne cherchant pas un instant à la fuir, car je trouve en elle l'idéale compagne de ma maladie. Toutes deux sont en osmoses, se comprennent l'une l'autre, et cela me fait penser à l'amour, non celui que l'on garde caché au fond de son cœur, mais celui qui s'exprime, qui est dit, signifier, que ce soit par des mots ou un sourire. Oui, dans nos vies misérables ou non, heureusement qu'il y a l'amour, heureusement que ce sentiment existe, car quel autre émotion pourrait nous soulager de nos fardeaux. Aussi je plaint sincèrement tous ceux et celles qui n'ont pas trouvé l'âme sœur, le complice de son cœur, la porte ouverte à son rayonnement. Penser à la mort me fait du bien, bien plus que de penser à la vie. De savoir qu'un jour tout s'arrêtera pour moi est un soulagement, un souffle d'espoir qui me permet, paradoxalement, de supporter hier, aujourd'hui et demain. Un jour tout sera  fini, je n'aurai plus de pleurs ni de souffrance à gérer, plus de joies ou de plaisirs à contempler, plus de remords ou de regrets à éprouver, plus de personne à regretter. Oui, je considère la mort comme le salut et même si je sens que je tiens néanmoins à vivre, il me tarde d'être enfin en sa présence. D'ici-là je n'ai que le temps à contempler, à compter, à remplir, mais je sais bien que tout cela n'est qu'une occupation, comme tout ce que nous faisons depuis toujours, qu'il s'agisse d'apprendre, de grandir, de former des couples, d'avoir des amis, des enfants, d'entretenir toutes ces relations, de travailler, faire carrière, de faire de l'art, de contester, manifester, oui, tout cela n'est qu'occupation. Nous ne pouvons supporter de ne pas bâtir, de ne pas construire, de laisser le temps vide, de nous ennuyer. Et pourtant tout cela n'est que vent, nous n'emporterons rien avec nous de tout ce que nous laisserons derrière nous. Cela sera le fardeau des survivants qui, à leur tour, transmettrons leur propre fardeau le jour venu. Le mot « mort » est un terme qui me plaît, me séduit et m'attire. Il est l'infranchissable de notre vivant, la frontière inconnue, au-delà même de tout ce que nous ne connaissons pas. De quel immense corps faisons-nous partie, là est ma question ? Dans notre propre corps, à chaque seconde, des cellules meurent et naissent. Je suis d'avis que nous sommes à leur image, que tout ce qui relève du vivant est  leur image. Faisant partie d'un corps immense, appelons-le univers, pourquoi pas, c'est le même processus qui est à l’œuvre. Des naissances et des morts, chaque minute, chaque seconde, pour que le corps immense dont nous ne sommes que l'une des briques  puisse vivre, perdurer.


(9 mars 2015)

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