dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 5

V


J’en veux au destin de la vie qu’il m’a donné.  J’en veux à Dieu de ne pas exister et au Malin de sa présence dans mon esprit. Pourquoi ai-je tant fait souffrir ma mère, mon père et quelques autres ? Pourquoi ais-je perdu tant d’années à ne point m’aimer ? Combien de mois, combien d’années ais-je passé mon temps dans des hôpitaux psychiatriques du fait de mon inconstance, de mon souci de savoir qui j’étais, en quête d’une identité, d’une photo claire qui me dirait enfin ce que je suis ? Les allées et retours n’ont pas manqués. Parfois une semaine, parfois quinze jours, jusqu’au moment où, du fait de la mort d’un homme qui croisa malheureusement ma route une sale nuit, je m’y installais pour des semaines, voire des mois. L’hôpital Sainte-Anne, haut lieu de la psychiatrie parisienne, m’a ainsi ouvert ses portes régulièrement et ce, pendant une dizaine d’années. C’est un hôpital de secteur comme il en existe un peu partout dans les mégapoles et métropoles. Peut importe votre pathologie, une fois admis, introduit dans les lieux, vous êtes mêlés, mélangés à toutes sortes de pathologies, de l’hystérique à l’anorexique, du cleptomane au schizophrène, des névrosés aux déprimés. J’ai ainsi rencontré Napoléon, Jules César, des prophètes, des shamans et des mères de familles persuadées qu’elles n’étaient que des merdes ambulantes, indignes d’exister encore quelque temps. Bref, même si j’allais me reposer dans cet univers quelque peu farfelu, récupérer afin de reprendre des forces pour affronter plus tard le monde extérieur, supporter ses incohérences et, surtout, tenter de m’apprécier, de m’aimer un peu, l’ambiance était bon enfant et le personnel, psychiatres y compris, bienveillants à notre égard. Puis arriva ce jour où, las de me faire voler mes affaires dans la chambre que l’on m’avait attribué, je m’en suis pris physiquement au cleptomane du moment, le tabassant, le ruant de coups comme l’on casserait un mur à coup de massue. Immédiatement mon traitement médical changea. Je ne me souviens plus si je fus mis en chambre d’isolement ou non, chambre similaire à une cellule de prison, barricadée, avec un lit pour seul ornement. Nouvelles pilules, des injections et peut-être même une séance ou deux d’électrochoc, de çà aussi je ne me souviens plus. Je ne tenais plus debout, mais voulant résister à l’effet de ces drogues je me forçais à marcher, vacillant, titubant, manquant de me casser la gueule tout les deux mètres. Mais le changement de traitement ne s’arrêta pas là et, deux ou trois jours plus tard, on me transférait dans un autre lieu, une autre antre de la psychiatrie.

Fuyant les murs de l’angoisse
La pilule, élixir de ta poisse
T’accoutumes à nier tout effort

Entretenant l’illusion de ton sort
En tentant le creux de tes mains
Elle signale au miroir l’être vain

Société chaotique
Génératrice de ma fuite
Je ne suis qu’une relique
Sans grande suite
Mais ton message est si flou
Que je préfère rester fou


Hôpital indigne de ce nom, tu as semé la peur sur ma route. UMD, Unité pour Malades Difficiles, j’ai laissé des cendres de moi en tes murs, des parcelles de courage à venir, mes limites du supportable. C’est bien la peur de tes bras qui me pousse à présent. Est-ce le nouveau décor de ma faiblesse qui me rend ainsi amer ?

J’avais donc vingt-neuf ans en cette année 1996 et si je te montre à l’aide du glaive de ma crainte, c’est pour punir et dénoncer ton système grave qui ne respecte pas plus l’homme que l’animal. Tu abolies notre dignité qui, seule, pourrait nous élever un peu plus haut face à nos cœurs. Le moindre privilège que tu délivres n’est qu’un caprice de ta part, fut-il rire ou cigarette. Comment oublier cette chambre close, symbole de cette « bienvenue » que tu me livras où, m’enfermant pendant deux jours dans un silence des plus macabres, tu m’exposas ta théorie de l’existence ?

« Tu ne sais point ce que tu fais ici, tu ne sais pourquoi tu es là, tu ne sais ce qui s’y passe ni comment cela s’y passe. Demandes-toi seulement combien de temps tu resteras en te rappelant que chaque jour ne sera jamais ton dernier jour entre ces murs. »

Néanmoins le troisième jour tu pris soin d’ouvrir la porte de ma cage. Était-ce enfin la délivrance ? C’était bien mal connaître le côté mesquin et plaisantin de ta si grande sollicitude. Tu m’invitais ainsi dans la communauté de tes fidèles, ceux dont les cœurs n’avaient plus la moindre odeur, dont j'ai respiré les peurs jusqu’à en perdre haleine. Mais que pouvais-je comprendre, tu venais à peine de m’accueillir... Tous nous étions en pyjama bleu, tu sais, de cette couleur de l’espoir que tu t’appliquerais à nous ôter à coup de seringues, de cachets et autres sévices ? Et lui là, avec sa barbe de Moïse, qui était-il ? Une corde nouée autour de la taille, il était  ligoté à un banc d’école, ses fesses pouvant à peine se décoller. Que faisait-il avec sa main droite, qu’essayait-il de choper autour de lui ? Se croyait-il un chat désireux d’arrêter une souris d’un coup de patte ? Puis brusquement et comme un fauve il sauta vers un autre perdu, bouche en avant, toutes dents dehors, lançant ce cri terrible de la mort qui veut s'abattre, rugissement glacial que je ne peux effacer de ma mémoire. Manger, il voulait manger, le désirait, de la chair humaine comprenez-vous, voilà pourquoi il était là. Mais où étais-je ? Qui étaient-ils autour de moi ? Était-ce encore des hommes ? Quant à lui, ce cannibale, il ne pouvait parler. Ne possédant ni le langage ni les mots, il serait donc  voué à vivre en laisse jusqu’à sa fin, une corde nouée autour de la taille où qu’il voyage dans sa jungle mentale.
Et toi, combien m’as-tu dis en avoir tué du haut de tes vingt-cinq ans ? Trois m’as-tu confié nonchalamment. Tu m’as raconté ton histoire comme je parlerai de la pluie et du beau temps. Je t’ai écouté parce que tétanisé, sidéré par ta folie, ce dérèglement total de ta personne, une démence dont tu n’avais aucune conscience. Policier tu avais été et un jour, sans raison précise selon tes dires, mais avec cette envie irrépressible de tenir en joue quelqu’un dans ta ligne de mire, n’importe qui, là, tout de suite, tu as sorti ton arme. Une femme passait par là. Était-elle heureuse ou malheureuse ? De suite tu as tiré et c’en fut fini de cette question. Cela t’a plus, je l’ai lu et bu dans tes pupilles, ne pouvant que l’entendre à travers l’émotion de ta voix. Oui, je t’ai vu jouir en direct ce jour-là à la pensée de cette sinistre évocation. Tu n’étais plus dans  l’hôpital à cet instant. Puis, ta délectation terminée, tu as crû bon en rajouter une couche sur ma stupeur, sur ma sueur. Tu m’as alors entretenu sur les deux autres, deux anonymes également levés ce matin-là sans savoir que déjà ils vivaient leurs dernières heures. Et pourtant tu ressemblais à un enfant, tu n’étais qu’un enfant... mais un enfant dangereux, scabreux et inquiétant. Combien d'autres y en avait-il comme toi entre ces murs ? Qu’allais-je faire, mais que faisais-je ici ? 
Et toi, autre détenu, autre patient avec qui j’ai partagé des nuits et des nuits sans le vouloir, uniquement parce que mon lit était dans la même pièce que le tien, dans le même cachot, une oubliette parmi tant d'autres que notre société sait si bien cacher à nos regards ? Que dois-je penser de toi également ? Depuis quatorze ans ta vie était ici. Tu ne t’aimais pas et ne le pourrai jamais m’as-tu fait comprendre dès le départ. Ta fille grandissait avec sa mère, dehors, dans un ailleurs que tu ne connaissais plus. Alors qu’elle avait cinq ou six ans, un autre enfant de son âge a croisé ton chemin. Tu l’as violé puis tué. Je n’ai plus voulu t’entendre et, de suite, t’ai demandé de te taire, de m’épargner, d’arrêter ma torture.

Voilà Hôpital à quoi tu m’as confronté pendant six mois, six longs mois dont je ne comprends toujours pas le pourquoi. Ce fût une longue marche vers le bas, toujours plus bas, encore plus bas dans l’abnégation de soi, une soumission totale à ta seule volonté. Tu m’avais pris entièrement sous ta « protection » inquiétante, glauque, éprouvante, et je me devais de résister pour contenir mes défaillances, te les cacher,  c’était le prix à payer pour quitter au plus tôt ton antre si maléfique. Si le paradis est le salut pour certains, t’avoir dans mon dos est le mien à présent. Jamais plus je ne serai ton adepte.

Toi « Judith », car je ne connaissais pas encore Cynthia au moment de notre rencontre, toutes ses facettes et son cœur bienveillant que tu dissimulais si bien, j’avais également cela dans ma valise, cette indigestion chronique que je ne parvenais pas à digérer, à porter sur mes épaules, même si douze années avaient passé. Toi, tu étais dans ton délire, dans ta propre folie, te pesant dix fois par jour afin de bien t’assurer que tu pesais cinq gramme de moins que la veille, dix grammes de moins que l’avant-veille, pesant également le poids de tes aliments avant chaque repas, aliments que tu ne choisissais pas au hasard, où protéines, calories, glucides et autres éléments nutritionnels formaient le dictionnaire de tes repas, la carte de tes encas. Un quart de tomate le midi, deux biscottes le matin, une pomme ou une compote le soir et quelques carrés de chocolat dans la journée, dans quoi t’étais-tu embarquée ? Le savais-tu seulement ? Comme tant d’autres, hommes et femmes confondus, tu avais succombé au diktat de l’apparence, celle des magazine de mode, des revues féminines, des clips publicitaires où diverses poupées Barbie sont en concurrence, aux films et séries en tout genre où chaque actrice est une bombe sexuelle en puissance, seule capable de faire nous faire bander, comme si l’émotion, le sentiment, le désir à ton égard n’était possible que par ce biais. Il y aurait beaucoup à dire sur ces images, sur cette vision de la femme, de son corps, sous lesquelles nous croulons où que se porte notre regard. D’exceptions, elles sont vécues comme une généralité, comme si à chaque coin de rue, forcément, évidement, il y en avait une. Nos esprits sont tellement imbibés par cette propagande de l’élégance, du charme, du sex-appeal et de l’esthétique, que nous ne savons même plus ce que nous voyons sur nos trottoirs, qui nous croisons, n’arrivant plus à distinguer que la masse des personnes est bien loin de correspondre à ces stéréotypes. Pourtant chaque homme rêve, espère en rencontrer une, tandis que chaque femme meure d’envie de leur ressembler. Que tu étais loin de la réalité « Judith », mais je veux croire que cela était du à ton jeune âge, ces dix-huit petites années qui ne cessèrent de m’étonner, de me surprendre et de me plaire au fur et à mesure que le temps défilait. Oui, derrière tes braises m’attendaient de merveilleux jours…

Quelques mots pour dire le beau
Si rares sont ces moments
Où je m’éloigne si calmement
De l’ordinaire de tous mes maux

Étranges sont ces instants
Où l’on souhaite freiner le temps
Où les silences se font caresses
Et nous transportent vers l’allégresse

C’est lui, c’est elle,
Comme l’hirondelle
Offre ses ailes

Elle interpelle
Puis nous épelle :
La vie est belle...

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