dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 12

XII


Il n’y a plus de digne fantaisie. Mais où est-il dit qu’il est digne d’être fantaisiste ? Il n’y a pas de roue parfaite dans mon esprit. Mais où était-il écrit qu’il me fallait à tout prix la trouver ? Il n’y a plus de silence bruyant dans mon espace. Mais où ais-je pu croire qu’il existait un espace pour mes spasmes ? Il n’y a plus de nuit de liberté car chaque jour le matin se lève et me crève. Il n’y a plus de ton dans mes couleurs car seul le noir est permanent, effondré le reste du monde. La soupe populaire ne m’attire pas car qui pourrait me la peindre populaire ? Les chants du rossignol sont une énigme bien mystérieuse car jamais je ne les ai entendus sur ma branche. Le divin m’apparaît encore plus paradoxal car ses yeux me fuient toujours ou, tout au moins, m’évitent avec habilité. Je ne suis que le passager d’un mystérieux navire dont la destination définitive m’échappe totalement. Alors, de vague en vague, je vogue par-ci, par-là, sans bien comprendre où mes pas me portent dans cet espace réduit, espace réducteur pour mon être physique et mon esprit encombré qui n’a de cesse de lorgner sur mes lacets pour bien comprendre la forme de leur boucle. Captivant, non ? Ma fatigue naît de mon ennui. Mon ennui n’est que conséquence de mon inactivité. L’inactivité naît de mon manque de motivation à agir. Ce même manque n’est que l’expression de mon impression que rien ne vaut vraiment la peine, ne mérite vraiment l'effort, cela parce que je pense en terme d’utile et d’inutile et que beaucoup d’actes me semblent vains dans l’absolu, l’absolu étant ce résultat qu’un acte engendre dans la durée, dans le temps. Il doit être pour moi une source de satisfaction proche du plaisir, voire le plaisir lui-même tout simplement. Alors il est certain que contempler les boucles de mes lacets en permanence ne pourra pas vraiment me procurer ce que je recherche. Peut-être faudrait-il que je contemple autre chose, mais quoi ?

Début septembre 1996 s’ouvre mon procès en cour d’assise. Ma mère est là, toujours fidèle au poste pour me soutenir dans mes épreuves, ainsi que Nathalie que je ne connaissais que depuis deux mois. De tout temps j’ai voulu que ma vie aille dans un certain sens, de mon enfance à ces jours sombres, mais au lieu d’aller dans la direction désirée, tout est allé de travers. C’est comme si la corde de mon destin ne pouvait rester droite, tendue, et que régulièrement s’y formait des nœuds dans lesquels je m’emmêle, m’enlace, loin de la direction originelle. Ma rencontre avec Nathalie n’a évidemment pas échappé à cette règle. Mon frère, Chaff, qui lui aussi habitait chez ma mère à l’époque, arriva un soir de juillet 1996 avec elle. Chaff, que je connais par cœur pour ses mœurs sexuelles, ne l’avait pas amené par hasard. Il était même rare qu’il ramène une femme à la maison car ses coucheries se faisaient en général chez ces dernières. La maison de ma mère était le dernier recours, lorsqu’aucun autre endroit n’était disponible pour ses parties de jambes en l’air. Nathalie était donc là pour baiser avec mon frère, l’affaire était entendue. Chaff, bien qu’il ait des qualités incontestables dans le domaine de la réflexion, de la rhétorique et de l’esthétique, est par contre incapable de se contrôler dès qu’une femme accepte de lui ouvrir ses cuisses. Le problème est que cette femme peut être la vôtre, la mienne, celle de son meilleur ami, mais rien n’y fait, il y va tête baissé. Tout comme je pense que les pédophiles, les violeurs récidivistes obéissent à des pulsions qu’ils ne peuvent contrôler, même si ces derniers peuvent être parfaitement intelligent par ailleurs, je pense que mon frère est doté d’une pathologie similaire. Certes il ne viole pas et n’est pas attiré par les mômes, mais il est incapable de résister à l’acte sexuel dès lors que cela se peut, avec le consentement de sa partenaire évidement. En cela il reste un être étrange à mes yeux tant je ne fonctionne pas comme lui. Une autre caractéristique de son caractère en la matière est qu’il ne cherche pas non plus à créer de couple, même si dans le fond je suis intimement persuadé qu’il souhaiterait rencontrer son alter ego. Il couche donc à droite, à gauche, partout où c’est possible et l’âge ou les formes de ses partenaires d’un soir ou deux lui importe peu. Je savais donc que sa coucherie avec Nathalie ne serait qu’une passade, une de plus, le temps pour lui de rencontrer la suivante. Parce que Nathalie était mignonne, facilement abordable et que je n’avais plus connu de femme depuis trois ans, je m’enquerrai auprès de mon frère pour connaître sa position exacte vis à vis d’elle. En guise de réponse il m’informa que la porte était grande ouverte, qu’elle ne représentait affectivement rien pour lui et que j’avais libre champs pour la draguer. Une semaine plus tard j’organisais un déjeuner chez ma mère. Y étaient présents tous mes amis de l’époque, mon frère et bien sûr Nathalie. A l’exception de Nathalie, tous étaient au courant de mon histoire avec Michel, mais cela ne plomba nullement ce déjeuner convivial. A son arrivée Nathalie m’offrit une rose rouge doté d’une longue tige pleine d’épine. Était-ce un signe avant-coureur de tous les obstacles que j’aurai à surmonter si d’aventure nous nous mettions en couple ? Par la suite nous commençâmes à nous voir trois à quatre fois par semaine. Entre nous elle voulait un amour platonique. Cela ne me dérangeait point car c’était juste d’une présence agréable dont j’avais besoin. En effet, à deux mois de mon procès lors duquel je serai certainement condamné à des années de prison, à quoi rimait-il de faire des projets sur le court-terme ou le long terme ?

Puis vint ce fameux soir, début août, où installé au bureau de mon frère je m’apprêtais à appeler Nathalie. A côté du téléphone, bien en évidence, se trouvait un courrier ouvert adressé à mon frère. De suite je reconnu l’écriture de Nathalie et me suis mis à lire cette lettre. Elle voulait mon frère, c’était très explicite, et pendant que ces deux salopards entretenaient une relation pour le moins ambiguë dans mon dos, j’étais prié de resté dans un monde platonicien, à attendre sagement le dénouement de leurs tergiversations. Vous dire que je fus pris d’un coup de sang serait peu dire. Si Chaff avait été là, immédiatement je lui aurai mis mon poing dans la gueule, c’est certain. Quant à elle, cette salope, je ne savais quelle attitude adopter. Cependant, quelque soit l’issu de ce nouveau nœud tordu de la corde de mon destin, il m’apparaissait limpide que je n’avais rien à perdre à clarifier la situation. J’appelais donc Nathalie, lui révélais ce que je savais et la somma de faire un choix. C’était moi ou Chaff, mais pas les deux. Quelques heures plus tard mon frère rentra et, là aussi, je lui passais un savon. Se sont-ils parlé ensuite, ont-ils trouvé un terrain d’entente, je ne le sais pas, mais Nathalie fit le choix de ma personne. C’en fût alors fini de son amour platonique et rapidement nous consumâmes notre union.

Voilà qui était assise à côté de ma mère lors de mon procès, une étrangère en qui je n’avais pas confiance et dont je ne comprenais pas pourquoi elle désirait assister à ma sentence. Résumé notre couple est très simple. Déjà il n’y avait eu ni amour ni coup de foudre, simplement une bonne entente et, d’un côté, vous aviez l’hypocrisie et le mensonge et, de l’autre, ma totale désinvolture envers elle. Les sept années qui suivirent ne furent qu’une succession sans fin de ce laisser-aller qui ne pouvait mener à rien de bon. Pour elle je ne sais ce que je représentais, mais en ce qui me concerne elle était une commodité, un moyen de ne pas être seul. Si une infirmière à domicile m’avait suivi, aidé, je m’en serai accommodé de la même façon, car entre mes tourments, mes angoisses et la culpabilité qui me rongeait, il n’y avait pas de place pour une Blanche-neige ou une Cendrillon dans ma vie d’alors. Ainsi, la voir accompagner ma mère à chaque séance de mon procès me semblait étrange, presque un non-sens.

Une cours d’assise n’a rien à voir avec un tribunal correctionnel. Dans ce dernier vous avez trois magistrats face à vous et, généralement, le procès est expédié dans la journée, voire la matinée. Tout se passe entre les avocats et le procureur, l’accusé n’ayant que peu de temps pour s’exprimer. En cours d’assise le procès dure au minimum deux jours et l’accusé doit souvent s’expliquer. Mon procès dura trois jours et en plus des trois magistrats, douze jurés, des citoyens comme vous ou vos voisins, avaient la lourde tâche de me juger. Entre ma mise en liberté provisoire et l’ouverture de mon procès, il s’était donc écoulé deux ans  et demi, des mois où je n’avais cessé de faire des allers et retour en hôpital psychiatrique dont les six derniers en UMD, UMD qui m’a largement fait passer le goût de la psychiatrie en général.  Je suis heureux que Cynthia n’est pas connu tout çà et la suite, car il a certainement fallu que j’en passe par toutes ces épreuves, que je les surmonte, pour pouvoir correspondre en partie à ses attentes lorsque nous nous sommes un jour croisé sur la toile. Celui que j’étais en 1996 ne cessait de se morfondre, de se confondre en mil excuses auprès des milliards d’abimes de l’univers, n’ayant de cesse de chercher une étoile qui lui pardonnerait sa faute irréparable. Mais à défaut de trouver cette lumière, celle d’un espoir quelconque capable de me faire rebondir, je continuais à boire, à m’enivrer jusqu’à m’endormir, me shootant également aux médicaments matin, midi et soir.

Effectivement, même si je passai l’essentiel de mon temps à l’hôpital Sainte-Anne, j’y allai de mon plein gré et, en conséquence, j’avais la permission de sortir librement de huit heures à dix-huit heures. Chaque journée était rythmée de la même manière. On nous réveillait vers sept heures pour avaler nos médicaments, nous laver puis prendre notre petit-déjeuner. A partir de huit heures, pour ceux et celles qui avaient la permission de sortir du bâtiment, on demandait à un infirmier de nous ouvrir la porte qui nous coupait du monde extérieur. Pour ma part j’allai directement au café le plus proche, m’installais au bar et commandais bière sur bière. Complètement ivre, je rentrai à l’hôpital sous le coup des dix heures et m’endormais jusqu’à midi, heure à laquelle nous prenions notre seconde prise de médicament puis déjeunions. Une fois le déjeuner terminé,  je redemandais à ce qu’on m’ouvre la porte, me rendait à nouveau au café, m’y saoulant encore et encore puis, généralement sur le coup de seize heures, je rejoignais mon pavillon pour y prendre le goûter et ma troisième prise de médicament. Enfin, je ressortais une dernière fois, me rendant toujours au café, buvant quelques bières et, juste avant de rentrer pour la dernière fois à l’hôpital, j’allais m’acheter un pack de bière que je cachais sous mon manteau. Une fois dans ma chambre, je planquai ces bières dans mon placard, ce sont celles que je consommerai après le diner, après la dernière prise de médicaments, sous les coups des vingt heures. Deux fois par semaine je rencontrai le psychiatre en matinée. Ce sont les seules matinées où je ne buvais pas, mais ce n’était que pour mieux me rattraper par la suite.

Lorsque je n’étais pas hospitalisé, c’est ma mère qui m’hébergeait, mais le train-train était le même. Si j’avais assez d’argent, j’achetais des packs de bières, du whisky et me bourrait la gueule dans ma chambre toute la journée. Lorsque je n’avais pas ou plus d’argent je piquai alors l’alcool de ma mère. Tout était bon pour que je sois ivre, des liqueurs aux alcools bruns, des digestifs aux alcools blancs. Lorsque ma mère s’en aperçu, elle commença par cacher les bouteilles, mais cela ne m’arrêta pas dans ma démarche. Tel un junkie en recherche de sa dose de came, j’ouvrai toutes les armoires de la maison, tous les tiroirs, fouillais les cagibis et, tôt ou tard, trouvais ce que je cherchais. Cela me valut plus d’une dispute avec ma mère, de réels  conflits, et au final elle décida un beau jour de ne plus acheter d’alcool. Lorsqu’elle prit cette mesure je me suis replié sur toutes les bouteilles de parfums alcoolisés que contenait la maison. Je les ai toutes bues, à la limite du vomissement. Cela me valut de nouvelles disputes violentes avec ma mère et, ne supportant plus cette mésentente, je faisais systématiquement le choix de me faire hospitaliser à nouveau. Puis il eut l’UMD, un an exactement avant mon procès, où pendant six mois je n’ai pas vu une seule fois le dehors. Du coup je n’eus plus les moyens de me procurer de l’alcool et ce fût le sevrage forcé. Depuis ce jour et jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais plus bu une seule goutte d’alcool. C’est en mars ou avril 1996 que je quittais l’UMD, les institutions psychiatriques et ce, définitivement. J’étais chez ma mère, Colette, certes plus calme, mais toujours aussi peu serein intérieurement, ne parvenant pas à me remettre de la mort de Michel. Je passais donc mes journées devant la télé, prenais médicament sur médicament, calmant sur calmant, et dormais presque toute la journée. Je ne sortais presque pas, persuadé que tout mon quartier était au courant de ce que j’avais fait, et la honte qui s’emparait de moi à la seule idée de croiser le regard de l’un de ses habitants suffisait à me convaincre de ne pas sortir, de ne pas me montrer. Les rares fois où je sortais, c’était la nuit. Je prenais le bus et me rendais dans le centre de Paris, là où personne ne me connaissait, là où je n’étais qu’un anonyme parmi tant d’autres. Oui, drôle de période que cet entre-creux que furent ces cinq mois entre ma sortie de l’univers psychiatrique et l’ouverture de mon procès.

Tout laisser et sombrer
Tout détruire et errer
Dormir dormir et encore dormir
Ne plus jamais se réveiller
Ne plus créer ne plus penser
En terminer une bonne fois
Avec ce monde de violence
Qui m’encercle, intérieur
Toujours fuir et encore fuir
D'ambition persévérance
Car tout un jour se terminera
Totalement et si pleinement
Que je ne sais où est le sens
Mais je m’accroche à l’infini
Pour supporter toute la bêtise
La vôtre la mienne
Car il le faut pour la raison
Oui il le faut oui il le faut
Mais avouons un petit peu
Que vienne enfin la douce mort
Me reposer une bonne fois
Je ne prie que pour cette chose
Je la souhaite comme fin de tout
Que l’on me foute enfin la paix
Que je puisse rester seul
C'est bien là l’unique souhait
Je patiente donc dans cette attente
Même si pénible c'est souvent
Reste mon lit en attendant

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