vendredi 6 mars 2015

Toute une histoire

Il est 11h00, je viens de quitter mon psychiatre et, ma foi, je me demande quelle utilité ais-je à poursuivre ces séances. Oui, plus ça va et moins j'ai de choses à lui dire. Je lui parle donc de banalité, telle que ce que j'écris chaque jours. Bref, rien de transcendant car en l'état, il faut bien dire les choses comme elles le sont, je me sens bien, vraiment. Suite au conseil de Mamy, une lectrice de ce blog, j'ai regardé ce matin l'émission « Toute une histoire » diffusée hier. Il y était question de témoignages de personnes qui savaient leurs jours comptés, que ce soit à cause d'un cancer ou d'une autre maladie mortelle. Pour ma part je me suis surtout attardé sur le témoignage du cancéreux, ainsi que sur le témoignage d'un mari dont la femme est morte du cancer en trois ans seulement. Étrangement, le mari semblait nettement plus affecté par la maladie que sa propre femme ou que l'homme qui témoignais sur son cancer actuel. Le seul point commun sur lequel je me suis retrouvé avec ces personnes condamnées à court ou moyen terme, c'est notre notion du temps qui se transforme radicalement. Comme le dit Mamy, tous, sans exception, voulons profiter à fond du moment présent car nous ne pouvons élaborer de projet sur du long terme. Comme le monsieur cancéreux, je fais comme lui, je projette des choses, entreprends ou non des actions en fonction de mes examens, de leur résultat et des soins qu'ils peuvent nécessiter en conséquence. Donc, à l'heure d'aujourd'hui, je vis en fonction de ma prochaine IRM, dans deux ou trois mois au plus tard, ne pouvant me projeter au-delà. Je me suis également rendu compte en écoutant les témoignages concernant le cancer que, bien souvent, le cancer initial, la tumeur initial, dans mon cas elle était au poumon, peuvent parfaitement être soignée, guérie, éradiquée, mais il n'en demeure pas moins que les métastases peuvent se faufiler dans notre corps, en divers endroit, et c'est ce qui arrive le plus souvent. Pour ma part, je ne sais pourquoi, mes métastases s’agglutinent dans mon cerveau, c'est leur point de rendez-vous, et j'attends le jour où mon radiothérapeute m'annoncera qu'une quatrième métastase est en cours de formation.

En attendant, depuis que je me suis remis à fumer, je constate que je ne fais réellement aucun effort pour arrêter de nouveau. En cela, pensant à Cynthia et à ma fille, je m'en veux. Effectivement je tente le diable, prends le risque d'accélérer à nouveau le processus de cancérisation, ailleurs, dans ce qui me reste de poumons. D'un autre côté, je n'ai plus envie de me prendre la tête et, comme je l'ai déjà écrit, vivre encore longtemps ne m’intéresse pas plus que ça. Là encore je suis égoïste, ne pense qu'à mon petit nombril, délaissant les souhaits, les désirs ou les besoin de ma compagne et de ma fille. Il faut croire que je ne suis pas si attaché à elles pour faire un tel choix, c'est à dire de faire celui qui ne me donne pas toutes les chances de m'en sortir, de faire ralentir la progression de la maladie. Oui, en ce sens je ne suis ni raisonnable ni attentionné, c'est le moins que l'on puisse dire.

Je repense encore à hier midi, lorsque Cynthia avons passé ensemble le début de l'après-midi. C'est si rare que je suis encore dans la joie de ce moment. Mais elle, à cause de la pression qu'imposent les devoirs et le mémoire qu'elle doit rendre pour obtenir son master 2, cet épisode est déjà loin, à se demander s'il a exister. Oui, nous ne vivons pas le temps et ses contraintes de la même façon. Pour ma part, quelque soit la contrainte, je la relativise vite et la remet à sa juste place. Effectivement, que peut-il y avoir de pire que de savoir que nos jours sont comptés ? A partir de là, la réussite ou l'échec ne sont plus une obsession, même si ces dernières concernent la maladie. Avec un cancer, dès lors que nous ne sommes pas en période de rémission, il ne faut pas se leurrer et accepter le plus sereinement possible que notre fin, à court ou moyen terme, est inévitable. Tous nous devons mourir un jour, c'est écrit dès le départ, mais il est différent de le vivre en ne sachant pas quand cela adviendra qu'en sachant que c'est pour bientôt. Du coup je me pose beaucoup de question sur les personnes âgées, celles qui ne sont pas concernées par une maladie mortelle, mais qui savent néanmoins parfaitement qu'elles sont dans leurs dernières années, leur dernière décennie. Comment vivent-elles le temps, comment vivent-elles les tracas que la vie peut mettre sur leur chemin, comment considèrent-elles les plus jeunes, les enfants ou les petits-enfants ?

Lorsque je pense à ma fille qui n'a que treize ans, je ne peux m'empêcher de m'en vouloir de lui infliger de vivre dans un monde tel que le nôtre. Aucun enfant ne demande çà, tout adulte sait la merde qu'est notre monde, et pourtant nous faisons des enfants. C'est pour cela qu'il ne faut me parler d'instinct maternelle, paternelle, car si vraiment nous pensions au bien-être des enfants, nous n'en ferions pas ou nous réorganisions le monde auparavant, afin que ce dernier ne puisse être susceptible d'être un enfer pour notre progéniture. Mais ce n'est pas ainsi que cela se passe, nous faisons des enfants pour nous faire plaisir avant toute chose, que l'on soit une femme ou un homme, égoïstement, et passons ensuite notre temps à tout faire pour qu'ils souffrent le moins possible dans ce monde où ils débarquent.

Mon cas est très différent des hommes et femmes qui désirent devenir parent. Je suis devenu père, du jour au lendemain, sans avoir été consulté par la mère de ma fille. Devant le fait accompli, voilà la situation dans laquelle je me suis trouvé. Si j'avais été courageux ou lâche, chacun son point de vue, j'aurai dû quitter immédiatement la mère de ma fille dès l'annonce de cette grossesse que, personnellement, je n'avais pas souhaité, ni même envisagé vu l'état lamentable de notre relation. Je me suis donc retrouvé piégé et parce que j'ai une certaine conception de l'enfant, j'ai décidé d'assumer cet enfant, de rester avec sa mère, car dans mon esprit il est indéniable qu'un enfant ne peut évoluer positivement, dans le bien-être, s'il lui manque un de ses parents, voire les deux. Cependant ce choix m'a conduit en enfer plus de dix ans du fait de la bêtise, de l’inconsistance de sa mère. Cela fait un an seulement que ma relation à ma fille s'est fondamentalement transformée. Oui, depuis l'annonce de mon cancer, depuis qu'elle a compris que je pouvais disparaître du jour au lendemain, sur du très court terme, elle s'est rapproché de moi, m'appelle mille fois plus souvent qu'auparavant et demande à me voir. Mais de même que je ne peux lire ce qui se passe dans l'esprit des octogénaires, je ne sais ce qui se passe dans la tête de ma fille. Que veux dire cancer pour elle ? Que veut dire le temps, notre temps, ensemble dans son esprit ? De même, elle qui n'a jamais habité avec moi plus de quinze jours, que signifie le terme de père dans sa tête ? Oui, un homme qui n'éduque pas son enfant, quel type de père est-il ? Cette dernière question, je n'ai cessé de la tourner et de la retourner dans mon esprit et, aujourd'hui encore, je ne sais qu'en penser. Je ne sais quelle importance j'ai exactement pour mon enfant, je ne sais ce qui la lie à moi, ce qu'elle apprécie ou non chez moi, oui je suis dans le désert face à toutes ces questions.


(6 mars 2015)

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