dimanche 15 mars 2015

Chacun est seul - Chapitre 20

XX


Tony et moi avons une vision du monde, ou plus exactement de notre place dans ce monde, qui n’est, à-priori, guère encourageante. Toute personne en questionnement qui se trouverait face à nous aurait intérêt à préparer sa pile de mouchoirs. Des réponses elle en aurait, mais quelles réponses! Vous aurez souvent l’impression de n’être qu’une simple horloge biologique, un conglomérat de cellules plus ou moins sophistiquées uniquement conditionné et dirigé par votre seul code génétique. Votre volonté là-dedans serait bien peu de chose, voir rien du tout. De même, nous pensons que nous sommes les otages, comme tout le monde d'ailleurs, d’un conditionnement social, économique et moral orchestré depuis la nuit des temps par ceux qui avaient le pouvoir, cette orchestration étant ensuite déléguée aux familles et à l’école qui ont la charge de la mettre en œuvre. Lourd fardeau à porter pour quiconque serait un parent s’il accordait à cette thèse un véritable crédit. Mais imaginons un instant que cela soit plausible. Accepteriez-vous l’idée de n’être qu'un simple relais dans le regard de vos enfants ? Car dans l’esprit de Tony et le mien il est limpide que les valeurs et les règles que nous apprenons à nos enfants ne sont pas du tout les nôtres, qu’elles ne sont pas notre invention. Sans l’ombre d'une hésitation nous vous signalerions que l’immense majorité de ces dernières existaient bien avant notre naissance. Puis, très rapidement, nous insisterions sur le fait que nous les tenons nous-mêmes de nos propres parents et, qu'à notre tour, nous ne faisons que les transmettre à nos propres enfants, machinalement, presque bêtement. Il est vrai que ni un fœtus, ni un bébé ou même un grand enfant n’a la capacité de définir tout seul, spontanément et magiquement, ce qui est bien, ce qui est mal et encore moins d'élaborer des règles ou des stratégies en conséquences. Il faut bien que quelqu'un les lui enseigne. Du coup nos interrogations me semblent assez légitimes. Evidemment je vous laisse apprécier la qualité de nos réponses. Mais quand même, comment ne pas s’interroger sur ce qui, en nous, est le fruit de notre seule personne et ce qui, toujours en nous, est le résultat de ce qui nous a été inculqué ? Allons plus loin dans ce questionnement. Si des pans entiers de notre personnalité correspondent effectivement à ce que l'on nous a transmis, comme l’usage de la politesse par exemple, celle-ci ne serait-elle pas plutôt à travers nous le reflet de ceux qui nous l’ont enseigné et uniquement cela ? Nous serions alors une espèce de reproduction plus ou moins fidèle de ce que nos parents furent en la matière. Pourtant nous ne sommes pas eux et nous ne pourrons jamais l’être. Mais sans eux, qui serions-nous aujourd'hui ? Qui sommes-nous en vérité ? Nous-mêmes ou parfois eux ? Je vous avoue que c’est lors de tel questionnement que je respire un bon coup et me réfugie dans le monde de l'art.

Même s’il est parfois très difficile de démêler l’innée de l’acquis, il me semble que la création artistique est la seule véritable expression de notre singularité. Créer c'est tenter de matérialiser l’immatériel, offrir une forme à ce qui, pourtant, est invisible à nos cinq sens. La création artistique n’est pas d’essence technique ou intellectuelle. Elle n’est pas non plus le « copier-coller » qui symbolise notre époque. Lui n’a de sens que sur des chaînes de productions, dans les tâches administratives ou ménagères. Voyez-vous, même si je ne connais rien à la mode, je suis néanmoins émerveillé par cette espèce de lumière qui habite certains couturiers. Certes un pantalon restera toujours un pantalon et une robe toujours une robe. Mais le talent est là je crois. Certains couturiers parviennent à métamorphoser un banal morceau de tissu en une atmosphère, en une ambiance. Elle n’est pas n’importe quoi, elle ne sort pas d’un chapeau magique. Cette ambiance est le créateur, ce qu'il est au fin fond de lui-même et qu'il nous jette à la figure. Qu’il s’agisse de musique, d’écriture, de peinture ou de sculpture, à chaque fois c’est un nouveau monde qui surgit. De même c'est rarement la forme d’une œuvre qui retient notre attention. C'est surtout son fond, son intensité, sa couleur qui nous captive. Çà nous subjugue ou nous dégoûte, mais ne nous laisse pas indifférents. Toute œuvre est l'expression d'un langage. Chaque créateur a le sien, qui lui est propre. En conséquence ces langages sont intransmissibles, inexprimables et ne peuvent donc être enseigné. Certes nous pourrons toujours disserter sur les aspects techniques de la création, les acquérir et parfois même les maîtriser. Mais ce qui donnera toute sa dimension à une œuvre est son langage personnel et intime, indépendant de toute technique. Mais d'où sort-il, d’où vient cette disposition à mettre au monde des langages qui n’existaient pas jusqu'alors ? Sommes-nous tous des artistes ? Je réponds catégoriquement oui, sans hésitation. Mais pour exploiter cette part de nous-mêmes, en avoir véritablement conscience, il faut accepter de passer du temps avec son nombril. Il faut s’écouter, s’examiner et regarder attentivement ce qui se passe en nous. Surtout il ne faut pas chercher à maîtriser ce que l’on y découvre. Il faut observer avec humilité chacune des sensations qui nous traversent et les accompagner. Concentrez-vous sur ce qui les stimule, un son, une couleur, un mot, une forme ou une odeur. Immanquablement vous constaterez qu’un ballet de sensations se déplace dans votre corps, que ce dernier n’est pas figé, immobile ou passif mais, au contraire, qu'il abrite un tas d'univers.

Nos sensations sont comme des avions qui vont sans cesse d’un point à un autre sans jamais atterrir. Pour comprendre leur langage et créer avec ces dernières, il faut les aider à atterrir. Choisissez-en une et concentrez-vous sur son mouvement, sur les figures qu’elle effectue. Elle va du cœur à l’estomac, de l’estomac à la poitrine, de la poitrine à votre ventre. Devenez ainsi son passager sans chercher à modifier sa trajectoire. Peut-être aurez-vous des hauts le cœur. Çà pourra être triste, violent ou irritant mais, dans un premier temps, acceptez-le patiemment. Ce voyage peut aussi être très doux, apaisant et véritablement envoûtant. Puis, petit à petit, vous constaterez qu’il y a une place pour vous dans la cabine de pilotage. Le dialogue avec vos sensations, avec vous-même pourra enfin débuter. Vous déciderez d’un nouveau plan de vol et vos sensations mettront à votre disposition toute leur puissance et leur intensité. A vous de faire atterrir cet avion si vous le désirez. Il se posera où vous le voulez, au bout de vos doigt si vous maniez le pinceau, le piano, l’argile, le stylo ou le tissu, à l’extrémité de vos cordes vocales si vous chantez, déclamez, susurrez ou criez. A leur manière vos sensations deviendront à leur tour votre passager. Les réactions de notre corps ont un sens, une bonne raison d'être là. En avoir conscience et les écouter c'est déjà commencer à les comprendre. Ainsi peut se construire votre propre langage, un langage qui n'a pas forcément besoin de mot, de grammaire ou de vocabulaire. Du coup notre raison, notre intellect, a bien souvent du mal à suivre, à s’y retrouver parmi ces plans de vols soudains. Notre corps nous parle bel et bien, il s’exprime et nous dit énormément de choses. Vous le savez, j’en suis sûr.
Il ne nous dit pas du tout les mêmes choses selon que nous regardons un film d'horreur ou une comédie sentimentale et, à la vérité, il nous fait la conversation du matin au soir. Mais nous ne l’écoutons que trop rarement.

L’inspiration artistique est le fruit d'un dialogue intime et personnel, uniquement cela, l’œuvre n'étant que la face visible de notre univers intérieur. En créant nous extirpons une partie de ce dernier et le projetons vers l’extérieur. C'est comme une synthèse de la découverte de nous-mêmes, un voyage que nous n'avons pu effectuer que grâce à l'écoute et l'accompagnement de nos sensations. Une seule chose est certaine, notre œuvre ne peut être issue de ce que ressentent les autres. Bien entendu notre entourage, notre environnement peut parfaitement être à l’origine de nos sensations. Mais il n’est que nous pour les entendre et en faire quelque chose ou non. Ce que nous créons est toujours l’aboutissement de notre seul regard sur nous-mêmes, avec nous-mêmes, de cette écoute qu'il faut accepter de s'accorder, qu'il faut désirer s'offrir.

Du cœur mon doigt effleure
Les nuances du doute
Alors s’éveille
Comme l’élan du printemps
La toile qui naît

D’un pas étésien j’ouvre
La palette de mes sens
Et boit l’arc-en-ciel
De leurs élans impérieux
Sur la feuille nue

Puis à petites touches
Se dessine l’horizon
Laissant entrevoir
Les couleurs neuves de mon
Profond sentiment

Se rapproche dès lors la
Liberté automnale
Fin provisoire
De l’énergie révélée
A ma conscience

Le pinceau de mes démons
Se repose désormais
Laissant au tableau
L’empreinte de mes neiges
Je me détache


2007 fût une année cruciale dans ma vie. Je ne travaillais alors plus, n’en avais plus l’envie, et me suis jeté à corps perdu dans la musique. Avec mes maigres économie j’achetai un synthétiseur et, enfermé dans ma chambre chez ma mère, je passai mon temps à composer, tantôt avec mes guitares, tantôt avec le clavier, et enregistrais tout cela sur le douze piste que m’avait laissé, offert, Isabelle. Mes compositions étaient fidèles à mon état d’esprit, à mes états d’âme, à ma fille, surtout elle, qui me manquait. Sa mère s’était installée à Chartres, à plus de cent kilomètres de Paris. Normalement ma fille aurait dû passer un week-end sur deux et un peu plus de la moitié de ses vacances avec moi. Mais pour se faire, il me fallait l’aval de ma mère, mère qui ne m’a guère soutenu lorsque Nathalie a enlevé ma fille, une mère pour laquelle l’évidence était qu’un enfant pouvait se passer de son père, mais certainement pas de sa mère. Ma sœur, à l’époque de l’enlèvement de Jade, a été aussi laxiste que ma mère et a même reçu Nathalie chez elle. Que pouvait-on reprocher à Nathalie, dites-le moi, cette si charmante mère qui, bien sûr, ne pensait qu’à l’intérêt de son enfant, tandis que moi, le père, le mâle, je ne pouvais évidement que vouloir du mal à mon enfant. Leur attitude, jamais je ne leur ai pardonné, car comment peut-on être aussi connes, là-aussi je vous le demande ?

Pour recevoir ma fille j’étais donc l’otage de ma mère, de ses humeurs envers moi. Si elle était satisfaite de moi, alors la porte était grande ouverte pour Jade, mais si par malheur je l’avais déçu, frustré, énervé, alors la porte était close. Ma mère ayant alors des problèmes financiers, comme ce fut toujours le cas depuis que l’entreprise de mon père avait fait faillite, elle me demandait régulièrement de l’aider financièrement, demande normale, légitime et logique puisque j’étais à sa charge. Cependant, comme je ne travaillais pas et ne bénéficiais que du RMI, je ne pouvais prendre en charge les coûts que me prenait la prise en charge de ma fille, billet de trains, nourriture et loisirs, mes quelques sorties au café pour rejoindre Tony, mes cigarillos, et les sommes que me demandait ma mère. Cela nous valut de nombreuse disputes, disputes violentes, au moins trois fois par mois. Suite à ces disputes, si les jours qui suivaient correspondaient à ceux où je devais prendre Jade, alors tout tombait à l’eau et était annulé. Voilà, en plus de Nathalie qui avait tout tenté pour que je ne vois plus ma fille, voilà que ma propre mère s’y mettait aussi. Depuis, que l’on ne me parle plus d’instinct maternelle, que l’on ne me dise plus que les femmes, mère ou non, sont mieux placé instinctivement, naturellement, pour comprendre où se trouve le bien-être de l’enfant et, surtout, agissent en conséquence. Ma mère, en voulant se venger de son fils, privait purement et simplement une enfant de son père et Nathalie, depuis la naissance de Jade, œuvrait dans le même sens. Quelle sage attitude…

N’ayant pas d’argent, je sortais donc peu et voyais en conséquence moins souvent Tony. Avec lui aussi, pour une autre raison, les premières disputes commencèrent. Effectivement il ne pouvait concevoir, admettre, accepter que je me laisse ainsi aller. Pour lui, travailler n’est pas qu’un mot ou une activité, c’était et est encore une véritable philosophie de vie. Comme il me l’a souvent dit, et en cela je suis d’accord avec lui, on ne peut s’en sortir dans ce monde de merde si l’on n’a pas d’argent. A partir de là son raisonnement est très simple, très logique, seul un travail fournit une rémunération et ce n’est que grâce à cette dernière que l’on peut dépenser pour construire, bâtir, qu’il s’agisse d’une famille ou d’autre chose. Bien entendu, lors de nos disputes véhémentes où il m’invectivait pour que je me reprenne en main, pour que je recherche un emploi, n’importe lequel, je lui répondais sans conviction, le contrariai dans sa logique avec une logique propre au sophisme, celle du fourvoiement, du paralogisme, voire du non-sens. Mais je n’avais sincèrement plus le cœur à me battre, encore et encore, à faire des efforts tant ma seule raison d’être, celle qui aurait pu être ma joie dans ma vie de merde, ma fille, m’était inaccessible, quel que soit le bien-fondé ou non de cette inaccessibilité. Alors, petit-à-petit, Tony commença à s’éloigner de moi, à espacer nos rencontres, mais comment lui en vouloir puisqu’il avait raison. Je me conduisais en lâche, en défaitiste, n’entreprenant strictement rien pour redresser la situation ou modifier un temps soit peut la situation, regardant plus mon nombril, mon cœur, ma douleur, que ma fille. Oui, si réellement c’est à elle que j’avais pensé, à son bien-être, celui d’avoir son père régulièrement à ses côtés, alors j’aurai cherché un emploi, alors je me serai démené pour avoir un revenu nous permettant d’être ensemble aussi souvent que la justice nous l’avait permis. Mais enfermé dans ma chambre, entre ses quatre murs, chambre qui était devenu ma nouvelle geôle et, de l’autre côté de la porte, ma mère et son caractère insupportable qui, dès qu’elle décide de vous prendre la tête, ne vous lâche plus, non, rien ne me donnait envie d’agir, de réagir ou de bouger.

Quant à ma fille, Jade, malgré cette année noire, une de plus, je ne peux que me souvenir de l’une de nos dernières sorties ensemble, alors qu’elle passait une week-end avec moi. Elle allait sur ses six ans. Déjà j’ai envie d’écrire que je l’aime, juste pour le plaisir et la joie de l’écrire, de le lui dire à travers ces mots, de le sortir, même si cela ne sortira jamais assez à mon goût. Ce samedi-là, il faisait enfin beau à Paris. Jade m’avait demandé de l’emmener à l’île st germain. Cette île située sur la seine abrite un immense champ de verdure. Ce n’est plus Paris, ni la ville, ni son stress... c’est une évasion. Des terrains de jeux sont à la disposition des enfants. Il y en a pour tous les âges. Il y a aussi les chevaux et les poneys. On peut s’inscrire à l’année dans leur petit haras et apprendre à monter et sauter les obstacles avec eux. Frontalier à ce haras, une immense étendu de gazon se propose à vous. Elle a la taille de quatre terrains de football. Dès les beaux jours des pique-niques s’y organisent au milieu d’enfants qui courent dans tous les sens. L’autre moitié de ce parc est beaucoup plus sauvage et le gazon n’est plus de mise, c’est l’herbe qui prend place, ainsi que quelques petits coins de forêts séparées les uns des autres par de petits jardins, ces derniers proposant une variété de fleurs presque infinis. Jade, vous vous en douterez, n’était intéressée que par les jeux. Elle voulait faire du toboggan. Nous avons donc été dans l’aire de jeux où se côtoient les nouveau-nés et les grands bébés, les débutants et débutantes sur leurs deux jambes, ainsi que tout enfant âgé de moins 10 ans. Depuis qu’elle est née, Jade connaît ce parc. Les jeux, ce qu’il faut y faire, ce qu’on peut en faire, tout cela n’a plus de secret pour elle. Ce jour-là elle tint à me faire voir qu’elle était capable de tous les faire. Alors je l’ai contemplé, sachant pertinemment qu’elle y arriverait, n’ayant absolument aucun doute à ce sujet, certain de ne pas être surpris. Pourtant je l’ai été, oui,  j’ai été surpris de mon admiration pour elle, de ses efforts et de sa volonté d’y parvenir, de sa volonté de me montrer sa volonté, ainsi que de son désir de me  démontrer, preuve à l’appui, tout ce qu’elle savait déjà faire pour son jeune âge. J’avais amené mon Ipod, histoire de m’occuper pendant qu’elle jouerait. Pourtant il n’est pas sorti une seule fois de ma poche. Non, j’étais dans l’action, les pas de ma fille, ses sauts, ses glissades, ses courses et son attention, cette attention toute particulière qu'elle porte à tous les autres enfants. Oui, j’avoue qu’elle m’émerveillait.

Ma sœur avait déjeuné avec nous le midi et m’avais remis un gros sachet de bonbons. Je n’en achetai jamais à Jade, elle était déjà trop Madame chocolat ! Dans l’aire de jeux, j’étais en hauteur, allongé dans l’herbe sur une petite butte. Jade était face à moi, en haut du grand toboggan, et s’apprêtait à faire sa longue glissade. J’ai alors sorti les bonbons. Elle a vu le sachet et de suite a compris ce que c’était. Cinq secondes plus tard elle était assise à mes côtés. Sur l’herbe, le sachet était grand ouvert, mais elle n’y toucha pas. Elle me regardait, le regardait puis me regardait à nouveau, ne sachant quoi dire, quoi faire. Pouvait-elle en prendre ? C’était là sa question, son dilemme du moment, mais elle n’osait l’exprimer. Ma fille n’aime pas les « non », je crois même qu’elle les déteste. Aussi, plutôt que de les provoquer lorsqu’elle doute de ce qu'il adviendra, elle préfère s’abstenir de demander. Connaissant ma position vis-à-vis des bonbons et autres sucreries, elle n'était donc sûre de rien.

Cela faisait trois semaines que nous n’avions pas été ensemble. Quinze jours plus tôt j’avais été la chercher à Chartres, là où habite sa mère, pour l’emmener avec moi à Paris. C’était alors le début des vacances scolaires et nous devions passer une semaine ensemble. Sur le quai de la gare, alors que notre train n’allait pas tarder à partir, je sentis qu’elle n’avait pas envie de venir avec moi. Je lui demandais donc pourquoi elle semblait si triste. Elle avait envie de me répondre, mais ça ne sortait pas, elle ne s’y autorisait pas. Aussi, j'ai pris les devants en lui demandant si elle préférait venir avec moi ou rester avec sa mère.  « Maman », répondit-elle immédiatement, sans même prendre le temps de réfléchir. A mon tour, et malgré ce coup de massue que je recevais, je lui répondis « d’accord ». Instantanément elle se mit à pleurer. Je lui demandais alors la raison de ses pleurs, car n'avait-elle pas eût ce qu’elle voulait ? En sanglot, elle m’expliqua qu’elle savait que j'allais être triste et qu’elle ne voulait pas que je sois triste. Ne sachant quoi répondre pour la déculpabiliser, je décidais de lui dire ma vérité. Non, jamais elle ne pourrait me rendre triste si je la savais contente. Déçu oui, comme lorsqu’elle ne m'obéissait pas par exemple, mais triste,  jamais si elle était  contente. Ses pleurs cessèrent d'un coup. Elle quitta alors les bras de sa mère pour venir se blottir contre moi. J’étais noué, coupé, partagé en deux, déception d’un côté et satisfaction d’avoir atténué son  chagrin de l’autre. C'est seul que je suis rentré à Paris ce jour-là, les larmes pleins la gorge.

Au parc je n’ai donc pas voulu faire attendre ma fille pour les bonbons. « Sers-toi, lui ai-je dis ». Je n’avais pas le cœur à lui dire non, je l’avais à l'aimer, à la vouloir heureuse, tout le temps et à chaque instant, avec ou sans moi. J’ai bien vu son petit air étonné qui cherchait à comprendre ce qui pouvait bien se passer dans ma tête. Alors je l’ai embrassé, puis elle m’embrassa à son tour. Longuement nous sommes regardés, fixés, sans aucune crainte ni peur. Le paquet de bonbon n’existait plus à cet instant. En lieu et place, allant de l’un à l’autre en un mouvement d’ondes continus, notre amour prenait toute la place. Revivre cet instant que j’écris en ce moment même entraîne des larmes vers mes yeux... Puis, sans aucune précipitation, nous avons commencés à manger les bonbons, à en parler,  les comparant, à dire nos goûts en la matière. Elle n’en a pas mangé beaucoup cependant, peut-être cinq ou six. Là, ce fut moi l’étonné. Puis elle repartit jouer, courir et se dépenser. Nous sommes rentrés vers dix-neuf heures. Avant d’aller au parc Jade m’avait demandé de lui télécharger un dessin animé, Shrek 2. Je téléchargeais aussi le 3, ce serait mon cadeau. Oui, je n’étais plus dans mes questions, ne cherchais plus quel était mon rôle ou pas en tant que parents séparé de son enfant. Je voulais juste lui faire plaisir, c’est tout, rien de plus, mais rien de moins... cela était très clair dans mon cœur et dans mon esprit. Aussi, arrivées à la maison je l’installai dans ma chambre, sur mon lit, face au grand écran de mon ordinateur, puis lançais le film. Je la laissai tranquillement le regarder et m’en allais dans une autre pièce.

Puis vint l’heure du dîner, suivie peu après par celle du coucher. Nous étions dans ma chambre à ce moment-là et soudain elle m’avoua son envie de me dire quelque chose, mais qu’elle n’osait pas. Je lui expliquai une fois de plus qu’elle pouvait tout me dire, même si elle pensait que cela ne me ferai pas plaisir. « C’est justement le cas me dit-elle ». Je lui précise alors ma pensée et lui dit ce que je crois d’elle envers moi, insistant sur ma certitude qu’elle ne désire absolument pas me faire de mal et, qu’en conséquence, il me serait impossible de lui en vouloir par rapport à ce qu’elle croit ou ce qu’elle pense. Certes, dis-je encore, je peux être en désaccord avec elle et le lui dirai le cas échéant mais, pour autant, ce n’était  pas une raison suffisante pour que je lui en veuille. Elle se mit alors à me  parler des tantes de sa mère, Rolande et Suzanne, de sa grand-mère maternelle et de sa mère évidemment. Une fois de plus elle abordait ces quatre mois où elle et moi fûmes séparés bien malgré nous, une année auparavant, du simple fait de la volonté de sa mère qui, pour se faire, bénéficia du soutien inconditionnel de sa famille. Une fois de plus ma fille éprouvait le besoin de me dire qu’elle avait demandé de nombreuses fois après moi à cette époque et, une fois de plus, je lui répondis que c’était le passé, que l’important était ce que nous vivions maintenant. C'est là qu'elle prononça ces mots qui me firent tant de mal, si mal. Elle faisait allusion aux tantes et à sa mère, celles-là même avec qui elle avait vécu pendant ces quatre mois qu’avait duré notre séparation. « Elles n’ont pas pensé à moi, à ce que je voulais. Avec elles, j’ai l’impression d’avoir été un papier que l’on jette à la poubelle. » J'étais paralysé, stupéfait, presque tétanisé. Je ne pouvais pas lui dire qu’elle avait raison, mais comment lui dire qu’elle avait tort puisqu’elle n’avait pas tort ?

Je lui ai donc expliqué que ses tantes l’aimaient, ainsi que sa mère, sincèrement et  profondément. Je lui ai également expliqué que tous les membres de sa famille, sans exception, ne désiraient que son bien, qu’ils soient de ma famille ou de celle de sa mère. Je lui avouais aussi qu’il arrivait aux adultes de se tromper comme elle aussi pouvait se tromper, commettre une erreur n’ôtant rien à l’amour que l’on éprouvait pour elle. Pendant cinq bonnes minutes, Jade m’écouta avec beaucoup d’attention. Pour autant ce n’était pas un silence religieux. A travers le mouvement de ses yeux qui allaient de moi au plafond, du plafond à moi, je la voyais entrain de chercher des objections dans sa petite tête. A la fin de mon petit argumentaire, je suggérai qu’il serait bien qu’elle dise à sa mère son sentiment de n’avoir été que du papier jetable. « C'est impossible, me répondit-elle, j'ai déjà essayé et elle n’a pas du tout apprécié ». Je n’insistai pas, il commençait à être tard et je voulais qu’elle aille se coucher. Elle termina en me disant que ce qu’elle appréciait avec moi, c'était de pouvoir tout me dire sans que cela ne dégénère pour autant. Ces derniers mots me firent autant plaisir qu’ils me rendirent amer, une fois de plus. Comment se faisait-il que sa mère et moi n’ayons pas sût l’épargner, la protéger de ce sentiment merdique qui peut vous bouffer toute une vie ? Ma fille s’endormit et j’espère qu'elle rêvait, loin de du sordide qu'était et est encore sa place entre sa mère et moi.

Que de rides chaque jour
Déceptions à tout instant
Et ce vide qui m’envahit
S’emparant de tout mon être
Ce vertige devenant lourd
Ma personne allant au vent
Et toutes ces formes ébahies
Qu’à chaque instant j’enverrai paître
Je pars seul sous ce dôme
M’évadant en solitaire
Vers un royaume
Où je pourrai enfin me taire

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