jeudi 12 mars 2015

4 décembre 2013

4 décembre 2013


Pour une fois j'ai passé une nuit où je n'ai pas eu envie de vomir. Hier soir, vers 22h00 peut-être, je me suis endormi, d'un coup. C'est un peu normal puisque la nuit passée avait été une nuit blanche et vers 1h00 du matin ou 2h00, l'heure justement où je me réveille d'habitude avec l'envie de vomir, je me suis réveillé paniqué, apeuré. Je sentais les fils, les tuyaux qui me retenaient, qui me maintenaient à mon lit. Je ne pouvais pas bouger, je voulais bouger. J'avais peur. Immédiatement j’appuie sur la sonnette d'alarme pour que l'infirmière vienne me voir. Très rapidement elle est arrivée. Entre temps, je ne sais comment j'ai fait, de mon lit j'étais adossé contre le mur, les mains en croix, un peu comme le Christ, et toujours avec ces fils, ces tuyaux qui me maintenaient prisonnier, je ne pouvais pas aller plus loin. L'infirmière rentre dans la chambre et me demande : « mais que se passe-t-il Mr Tazi ? » Je lui dis je suis attaché, il y a plein de fil, enlevez-moi tous ces fils, enlevez-moi tous ces tuyaux.
- Mais Mr Tazi, vous n'êtes pas attaché, il n'y a pas de fil.
- Mais si mais si, regardé...
- Mais non Mr Tazi, vous rêviez, vous dormiez. Réveillez-vous, calmez-vous, détendez-vous, il n'y a aucun fil, aucun tuyaux.
Et alors avec ma main j'ai commencé à sentir mon corps, mon ventre, à parcourir ma peau, et effectivement je ne sentais aucun fil, aucun tuyau, je ne comprenais plus rien. Comment ais-je pu croire, alors qu'entre mon lever et l'arrivée de l'infirmière je n'avais pas arrêté de me toucher, comment n'ai-je pas pu réaliser qu'aucun fil, qu'aucun tuyau ne me maintenait enfermé dans cette chambre, ni à mon lit, ni au mur ni à quoi que ce soit.

Donc ce matin, comme beaucoup de matin, comme à beaucoup de réveil, je me sens en stress, complètement sous tension, tendu, prêt à exploser, alors que franchement, franchement, aucune raison légitime qui justifie cet état de tension. C'est comme si j'étais dans une grande pièce. Au fond de cette pièce, au fond de la salle, une table, et je suis assis derrière la table sur une chaise. A ma droite, mes deux mains sont d'ailleurs posées sur la table, à côté de ma main droite un pistolet. C'est comme si le premier ou la première qui allait entrer dans cette salle et qui me contrariait, immédiatement je prend le flingue et je la bute. Voilà dans quel état je me sens, voilà dans quel état je me sens, un état de tueur.

Depuis tout à l'heure, depuis le moment où l'infirmière m'a donné le café que je lui réclamais, obsessionnellement, il faut le dire là-aussi, j'ai donc regagné ma chambre. Immédiatement je me suis habillé et suis descendu en bas. Depuis tout à l'heure, donc, je fume cigarette sur cigarette, je suis à mon deuxième café, j'ai froid, très froid, j'aurai du prendre un autre manteau, mais je n'ose pas remonter dans le service. Pourtant, là il est l'heure où les soins démarrent, débutent, il est l'heure des médicaments, il est l'heure du petit-déjeuner, il est l'heure des prises de tension, de température, etc, etc. Mais je n'ose pas remonter, car je le sens, je l'entends bien, mon ton est brutal, violent, et j'ai peur là-haut... je ne veux pas leur parler sur ce ton, et là-haut, forcément, ils me poseront des questions et j'ai peur de leur répondre sur ce ton. De même, peut-être vont-ils m'annoncer des nouvelles qui me contrarieront, peut-être me refuseront-ils une demande, et j'ai peur que s'amplifie encore la violence et la brutalité de mon ton. De même, même si aujourd'hui, contrairement à la semaine dernière, j'ai moins peur de mes actes ou des conséquences de mes contrariétés, néanmoins j'ai peur là-aussi, comment dire, oui, de les choquer, car il m’apparaît évident qu'une tension comme la mienne ne peut que choquer.

Vu mon état, en croisant le cadre infirmier, immédiatement je l'ai accosté et après qu'il m'est poliment dit bonjour, je lui ai dit que je voulais voir le psychiatre. Oui, il faut qu'il m'aide.
Ce matin je me sens comme un mafieux qui observe son territoire et qui réfléchit en se demandant ce qu'il va faire aujourd'hui, à qui il va s'en prendre, qu'est-ce qu'il va attaquer, qu'est-ce qu'il va modifier, qu'est-ce qu'il va brûler, qu'est-ce qu'il va faire exploser. Je regarde les voitures, le ballet des voitures sur le parking, les taxis qui vont et viennent, les employés, le personnel de l'hôpital qui, comme tout les matins donc, vont et viennent, chacun à leur poste. Je regarde le bâtiment, le bâtiment de l'hôpital, le bâtiment I, le bâtiment T. En face de moi se dresse la chapelle...et le ciel, le ciel, le ciel bleu que je vois enfin, seulement maintenant, juste au-dessus. Le voir d'ailleurs m'apaise, oui, quelque brin de nuage, les oiseaux qui volent, légèrement, ils sont sereins, apaisés. Je vais donc changé de place je crois, prendre un autre point de vue sur cette journée qui démarre, une autre place où le ciel sera plus grand.

Je ne vois pas ce que je vois, je regarde, c'est vrai, mais je ne vois pas ce que je vois. Je n'arrive pas à réaliser ce que je vois. Là, mon regard est posé sur du gazon, de l'herbe, elle est gelée, la givre est dessus tellement il fait froid déjà ce matin. Pourtant je ne vois pas ce que je vois, je ne prends pas conscience, je n'arrive pas à prendre conscience de ce gazon qui est là étalé sous mes yeux... je suis dans un état trop tendu, je suis trop en tension pour intégrer, conscientiser tout ce qui est autour de moi. Je suis dès lors dans l'incapacité de me concentrer sur une chose, un objet, un brin d'herbe, une feuille, une fleur... incapable de me concentrer sur autre chose que ma tension.

Je crois que l'explosion est terminée. Je n'arrête pas de fondre en larme depuis dix bonnes minutes. A intervalles réguliers, ça me prend, ça monte, en un bloc, et ça pète, ça sort, et je pleure, et je pleure, et ça cesse, et je reprend mon souffle, ça m'apaise une, deux, trois secondes, et à nouveau la tension revient, çà remonte, en un bloc, et ça re-pète, et ça ressort, et je pleure, je pleur, je pleur, ça m'essouffle, me fait du bien... ah, je crois trop de chose, je crois trop trop de chose... il faut arrêter de croire, il faut que je cesse de croire... il faut que ça cesse... mais déjà, même s'il est vrai que ce n'est pas encore le nirvana, déjà je suis moins tendu.

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