samedi 28 février 2015

Un samedi de corvée

Un samedi de corvée ce matin, courses, vaisselles, puis enferment chez moi. Oui, je ne supporte vraiment pas d'être enfermé chez moi, seul ou avec Cynthia. De loin je préfère être dehors, sentent et respirant l'air frais, peu importe qu'il pleuve ou non, qu'il fasse froid ou pas, je me couvre en conséquence et part, solitaire, au milieu du monde, au milieu de la foule, anonyme et tranquille.

Depuis mercredi, début de mes séances de radiothérapie, je ne me sens pas à l'aise. Aujourd'hui j'ai compris pourquoi. C'est parce qu'inconsciemment j'étais déjà dans l'attente des résultats de l'IRM que je passerai dans trois mois, IRM qui me dira si ma tumeur régresse ou non. En fait j'ai peur qu'elle ne régresse pas ou que l'autre, ma seconde métastase, se remette à grossir. J'ai donc tout un travail qui m'attend sur moi-même les prochains jours pour relativiser tout çà, ne repoussant aucune éventualité et acceptant que le pire arrive.

Ce matin, avec Cynthia, nous parlions de notre emménagement à Besançon ou alentour. L'affaire est entendu et c'est là-bas que nous irons, qu'elle achètera peut-être sa première maison. Moi qui ne suis pas très montagne, même si je n'y vais pas à reculons, je n'y vais pas pour autant avec enthousiasme.
Oui, j'aime mes petites habitudes dans les cafés, j'aime les fréquenter, habitude que j'ai commencé à prendre à l'âge de quinze ans, dans mon quartier de la porte de Saint-Cloud à Paris. Le café s'appelait « Le Vélodrome » et c'est là que j'ai croisé pour la première fois Luc Césard, autour du flipper, et que par la suite nous sommes devenus les meilleurs amis du monde. Je me souviens qu'il fallait avoir seize ans pour entrer dans un café et pouvoir consommer. Alors je mentais sur mon age, commandait un café et commençais à jouer au flipper. Pendant deux ans, ce fut le café où je me rendais journellement. A cette époque j'avais définitivement quitté le circuit scolaire, pourtant obligatoire jusqu'à seize ans, traînais la journée avec Georges, Frank et toute la bande et, sous les coups de 17h00, je me rendais au vélodrome pour rejoindre Luc et ses copains qui, eux, sortaient du  lycée. Un soir, Luc me proposa de l'accompagner chez des amis  à lui, des musiciens. Ils habitaient juste au-dessus des « Trois Obus », un autre café de la porte de Saint-Cloud. Ils étaient trois. L'un était à la guitare électrique, le second à la Bass et le dernier au clavier. Ce fut une véritable révélation pour moi d'écouter en direct des instruments de musique, moi qui n'avais jamais été à un concert de ma vie. Le trio jouait leurs propres compositions et je sais que c'est là, à leur rencontre, que j'ai également voulu me mettre à jouer d'un instrument. J'avais une prédilection pour la guitare car je trouvais que cela faisait plus viril. Malheureusement, ma mère étant alors au chômage et mon père ayant disparu de la circulation, je n'avais ni les moyens de m'acheter une guitare ni de me payer des cours. C'est également à cette époque que j'ai commencé à fréquenter la Maison des Jeunes et de la Culture de notre arrondissement. Elle était situé juste en bas de chez moi et comme avec la bande du flipper nous cherchions un lieu autre que le Vélodrome pour nous réunir, je proposais justement la MJC. C'est ainsi que du jour au lendemain, tout le staff de la MJC nous vit débarquer. Nous étions une bonne dizaine et, ma foi, ils nous firent plutôt un bon accueil. La MJC proposait beaucoup d'activité, certaines sportives, d'autres artistiques et enfin des activité musicales, dont le piano. Le responsable avec qui nous étions souvent en contact s’appelait Léon. Il était professeur de judo et sous-directeur de la MJC. Pendant les deux années que j'ai passé là-bas, en compagnie de Luc et des autres, il a été comme un guide spirituel pour moi. Il savait que je faisais des conneries, que je me droguais, que je n'allais pas  l'école, que je volais, etc. Néanmoins il essayait de m'aider, de m'empêcher d'aller plus loin encore dans mes conneries et souvent nous parlions ensemble, profondément et sans tabou. C'est lui qui me dit un jour de mettre par écrit toute la rage, toute la colère que j'avais en moi. Je ne sais pourquoi, mais je l'ai écouté et c'est ainsi que je me suis mis à écrire et, depuis, je ne me suis plus jamais arrêté. Pourtant, au début, je n'en voyais pas l'intérêt. Je n'ai compris l'utilité de cette exercice que quelques mois plus tard, car une fois étalés mes divers constats sur le rôle des parents, sur la place des jeunes dans notre société, sur nos rapports avec le monde adulte, cela m'incita à aller plus loin dans la réflexion, à essayer de comprendre pourquoi il en était ainsi et pas autrement, pourquoi on cataloguait les gens aussi facilement et durablement, etc.
C'est également Léon qui accepta que j'essaye de faire du piano en dehors des horaires de cours. Mes débuts furent laborieux, ne connaissant ni le solfège ni la manière dont était conçu un piano. Effectivement je n'imaginais pas une seconde que les touches d'un piano, comme n'importe quel autre instrument de musique, n'étaient qu'une succession de sept notes, toujours les mêmes, dans le même ordre, seule la tonalité changeante. C'est ainsi que je fis la connaissance d'Hélène. Elle prenait des cours de pianos depuis de nombreuses années et était également répétitrice, c'est à dire qu'elle faisait répéter leurs cours de piano à des débutants. Elle me proposa de me donner des cours gratuitement et c'est ainsi que j'ai pu mieux me familiariser avec cet instrument. Le premier morceau qu'elle m'apprit et que je connais encore par cœur a été « Let it be » des Beatles.

De même, entre mes quinze ans et mes dix-huit ans, mon obsession était les filles. Toutes, je les voulais toutes, qu'elles soient belles ou non, grosse ou pas, n'importe laquelle faisait l'affaire dès lors qu'elle acceptait de coucher avec moi. Je les draguai donc toutes, sans exception, et lorsque je connus Hélène, celle-ci ne dérogea pas à ma règle. Seulement Hélène n'était pas du tout comme les filles que j'avais l'habitude de côtoyer. Déjà elle s'appelait Hélène De Gaulle, de la famille de l'illustre général dont je ne connaissais que brièvement l'histoire, et cela en imposait déjà dans mon esprit. De même, les filles que je fréquentais habituellement étaient déjà sorties du circuit scolaire après un CAP ou un BEPC. Même si elles n'étaient pas des délinquantes, elles étaient néanmoins aussi larguées, aussi paumées que moi, ne se voyant pas plus d'avenir que çà. Hélène, quant à elle, était déjà dans les études supérieures, même si je n'ai plus mémoire de la filière dans laquelle elle était. Enfin, une ou deux fois je fus réunis avec ses amis et j'avoue que je me suis senti complètement étranger à ce monde-là. Tous et toutes étaient issus de ce que l'on appelle les bonnes familles, aisées, et avaient un langage châtié, à mil lieux de celui de la rue. Moi et mes potes, nous ne parlions jamais de politique. Eux, on avait l'impression qu'il n'y avait que ça qui les intéressait. Quoi qu'il en soit, je draguai donc Hélène, première fille avec qui je pouvais avoir des conversations profondes, tant sur le sens de l'existence, de notre présence ici-bas, que de l'utilité ou non d'enfreindre les règles, les lois,etc. Un mois après notre première rencontre, nous étions donc en couple et je n'allais pas tarder à avoir dix-huit ans. Comme Léon, je senti qu'elle voulait vraiment m'aider, que je trouve une voie autre que celle de la délinquance, mais moi je ne me voyais pas d'autre issue. Sans diplôme, sans aucune formation, comment pourrai-je trouver un emploi et, surtout, dans quel secteur. Non, je voyais mon avenir bouché et imaginais que mon futur serais fait de vols divers, voire de braquage de boutique ou de banque. Un temps j'ai même pensé me lancer dans le business de la drogue, de l’héroïne exactement, car j'ai vite compris qu'avec cette drogue qui partait comme du petit pain dans mon quartier, il aurait été rapide de me constituer un bon magot. Mais comme pour tout business, il faut une somme de mise au départ pour investir dans l'achat de la marchandise que l'on veut vendre, et cet argent je ne l'avais pas. Alors à cette époque je volais essentiellement des auto-radios que je refourguais à un patron de bar, histoire d'avoir quelques liquidités.Ainsi, de mes seize à dix-huit ans, ce fut deux années relativement calme. Mes parents s'étaient enfin séparés, le calme était revenu à la maison, avec tous mes potes tous se passait bien, excepté avec George qui n'appréciait pas que je délaisse sa bande au profit d'autres personnes, dont Luc. Nous en sommes même arrivé aux mains, à nous battre pour cela, ce que j'ai trouvé bien dommage. Mais bon, visiblement j'avais vexé son ego et ce dernier voulait réparation.

Quoi qu'il en soit, même si je commettais ponctuellement des délits, la fréquentation de Luc, d'Hélène et de Léon me tempérait. Je devenais de moins en moins insolent, provoquais de moins en moins les gens. On peut dire que dans un certain sens je m'assagissais, que je devenais plus sociable, acceptait plus facilement que les autres soient différents de moi, qu'ils soient sages ou érudits. Non, je n'éprouvais plus de jalousie ou d'envie envers eux.


(28 février 2015)

4 commentaires:

  1. De belles rencontres, des cadeaux.
    zazou

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    1. Oui, de belles rencontres j'en ai eu plein dans ma vie, mais il m'a fallu près de trente ans avant de saisir leur importance et de m'y consacrer.

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  2. Oui les rencontres sont des cadeaux; profitez de ces trois mois de répit pour VIVRE. Besançon est une jolie ville et la région pas mal du tout; mais je ne quitterai jamais ma Normandie pour elles malgré tout
    Profitez aussi d'avoir une maman même si parfois elle est pesante...comme toutes les mamans qui voudraient voir leurs enfants toujours heureux; la mienne, que j'ai perdue très jeune, me manque toujours mais heureusement je suis une maman embêtante très certainement mais ravie d'avoir eu trois loulous que je voudrais voir toujours heureux
    Non je n'ai pas de blog

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  3. Oui certaines rencontres sont des cadeaux, mais dans mon cas il a fallu que j'en passe par le tragique pour m'en rendre pleinement compte. Même si tu n'as pas de blog, tu as surement un prénom ou un pseudo. Je serai heureux de le connaitre, tu serais ainsi un peu moins anonyme. De même, je m'interroge sur ton rapport au cancer et s'il te plait de m'en parler, c'est avec plaisir que je prendrai connaissance de ce que tu en penses, de sa manière de la gérer, que cela t'ai touché toi ou quelqu'un d'autre (peut-être ta mère).
    Quoi qu'il en soit, merci beaucoup de t'attarder sur mon blog journal et de me laisser quelques mots.

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