mardi 3 février 2015

Eveil

3 février 2015


Il est tôt, je suis levé depuis une heure et déjà l’envie d’écrire, de poser mes mots sur le papier se fait pressente. Comme chaque matin, c’est avec toi l’inconnue que je me réveille. Cependant mon esprit n’est pas encore alerte, il sommeille encore, un état que j’apprécie grandement, raison pour laquelle j’apprécie toutes les drogues qui anesthésie plus ou moins l’esprit, la pensée, le raisonnement. Et là où je te rejoindrai l’inconnue, le raisonnement sera-t-il de mise ? Y aura-t-il là-aussi besoin de réfléchir, de se creuser la tête, des équations à résoudre ? Je ne peux le croire car si tel était le cas, quelle différence entre moi ici-bas ou près de toi ? Non, je crois que la mort sera la fin de tout ce cycle infernal du cerveau qui, certes, nous est bien utile pour survivre entre proies et prédateurs, instinct qui motive nos neurones à se concerter, à se réunir, pour tenter d’adopter la solution la plus adéquate face à une situation donnée.

Les neurones, notre cerveau, est une énigme pour moi, une de plus. Qui contrôle quoi exactement, qui contrôle qui ? Est-ce moi qui fait réellement des choix, ce que je m’évertue à croire sans grande conviction, ou est-ce toute cette alchimie cervicale qui décide, n’avertissant ma conscience qu’après-coup, une fois mon action ou mon inaction entamée ? Oui l’inconnu, plus d’une fois je me suis demandé si nous n’étions pas que des robots biologiques, car j’ai beau me penser être un tout, je n’ignore pas que mes cellules, quel que soit leur spécialité, leur spécificité, ne me demande pas mon avis pour se reproduire ou mourir, ne m’interpelle pas pour combler une cicatrice. De même, ces pensées que je pose sur le papier ne sont pas mûrement réfléchie, je ne suis pas concentré sur un fil directeur qui mènerait mes propos je ne sais où, je pose les mots tels qu’ils me viennent, sans me poser de question, et là-encore je me demande qui est le maitre de ces mots ? Ma volonté, si tant est que l’être vivant ait une volonté, ou n’est-ce que l’aboutissement de la réflexion interne, inconsciente ? J’ai lu beaucoup d’ouvrage sur le cerveau l’inconnue, un outil remarquable je dois l’avouer, mais je ne sais pourquoi, il me semble que le cerveau de l’homme, comparativement à celui des autres espèces, est détraqué. C’est comme si la course à l’évolution avait commis une erreur, nous dotant de facultés intellectuelles qui n’étaient pas prévu à l’origine, des facultés dont nous savons mal nous servir, preuve en est tous les dégâts engendrés par ces dernières. Oui, contrairement à toi l’inconnue qui se fond dans le tout, nous nous servons essentiellement de nos facultés intellectuelles pour discerner, distinguer, établir des différences, ce qui en soit n’est nullement et ne pose aucun problème, mais nous ne savons pas tirer de sages interprétations de tout ce que nous observons. Là encore, chacun avec sa petite lorgnette, tire ses propres conclusions, celles qui l’arrangent évidement, faisant fi des autres interprétations, faisant fi de les partager dans un débat serein, loin de toute lutte de pouvoir. Oui, aucun humain ne cherche à se fondre dans le tout, tant nous nous sentons unique, séparé des autres par cette terre et frontière que représente notre corps. Aussi, parce que nous sommes aveugles et méconnaissant du tout dont nous faisons partie, chacun de nous est finalement seul avec lui-même, entretenant souvent malgré lui cette solitude de l’être.

Hier soir je pensais à mon frère l’inconnue. Comme moi il a complètement raté sa vie professionnelle alors qu’il avait toutes les cartes en mains pour la réussir. Lui aussi tu le connais, comme tu nous connais tous, mais pour autant je ne crois pas que tu puisses savoir à l’avance quels seront nos chemins. Tu nous contemples, nous regardes et cela s’arrête là. Je me souviens de mon frère alors qu’il avait un peu plus de vingt-cinq ans. Il travaillait alors dans la PAO pour une agence de pub, était très doué, et très facilement il aurait pu obtenir un poste de directeur artistique, à court ou moyen terme. Puis un jour, deux ans plus tard si ma mémoire est bonne, il laissa tout tomber pour se reconvertir dans la restauration. Il voulait être barman dans des bistrots plus ou moins branchés, là où les gens vont pour se saouler la gueule. A cette époque il était déjà alcoolique, état qui me répugnait à cause du passé qui m’est propre, et je ne comprenais pas sa subite bifurcation. Longtemps et jusqu’à il y a peu j’ai jugé mon frère l’inconnue, et cela de manière très négative. Oui je ne supportais pas qu’il foute ainsi sa vie en l’air, par facilité, par commodité, à cause d’une certaine forme de fainéantise. Pourtant je n’ai pas fait mieux, loin de là, avec ma propre vie. Mais j’avais en lui des espoirs dont je ne saurai définir précisément la nature et il les a déçus. Oui l’inconnue, la frustration m’a toujours joué de sales tours, tu le sais, et là c’est l’estime que j’avais de mon frère qui en a pâtie.

A présent, comme sur tout le monde d’ailleurs, je n’ai plus le même regard sur lui, même si je regrette pour lui qu’il n’ait pas une vie plus facile, plus sereine. A présent je vois sa fin à lui-aussi, ainsi que celle de tout individu que je peux croiser. Oui, la vie est bien fragile, bien peu de chose, et personne n’est à l’abri du moment final, quel que soit son âge, qu’il soit malade ou non, qu’i soit riche ou pauvre, car l’imprévu peut à tout moment frapper à votre porte puis vous emporter au-delà de l’ici-bas. C’est ce qui est arrivé à Antony qui n’avait que deux ans. La mort, pour une raison que j’ignore, a décidé de le rappeler à elle. Sorti deux ans plus tôt d’un néant, deux ans plus tard il y repartait. Des exemples de morts précoces ne manquent pas, de morts accidentelles non plus, oui, elle est là, à chaque carrefour, sur chaque chemin, et c’est en toute légèreté qu’elle nous emporte ou non. C’est alors que nous te rejoignons l’inconnue et, sans que tu ais besoin de donner la moindre explication, nous comprenons subitement tout ce que cela signifie. Avec toi nous regardons ceux qui restent, ceux qui n’ont pas encore été emporté, et n’éprouvons pas le besoin de leur faire signe, d’entrer en contact avec eux, car nous savons alors que lorsque leur tour viendra, ils comprendront à leur tour, éprouvant enfin cette paix intérieur que toute leur vie ils n’auront cessé de chercher.

Depuis que je suis proche de toi l’inconnue, j’ai enfin compris que l’on pouvait trouver ici-bas la paix intérieure. Enfin de compte le mode d’emploi n’est pas si compliqué, il s’appelle le détachement, à commencer par le détachement de tout ce qui d’ordre matériel. Oui, bien plus que les individus, que les personnes, c’est le souhait, l’envie, voire le besoin pour certains, d’être propriétaire qui pollue tout, y compris et surtout notre propre esprit. La convoitise est la pire de nos tares, quoi que l’on désire, car c’est bel et bien l’assouvissement ou non de nos désirs qui fabrique notre état d‘esprit. Là encore, dès lors qu’il s’agit de propriété, qu’il s’agisse de notre pomme, d’un véhicule, de notre maison ou de notre argent, nous sommes dans l’individualisme, non dans l’unité. Alors dis-moi l’inconnue, comment deux comportements aussi dissemblables peuvent coexister dans ce tout où nous sommes, dans ce tout que nous sommes ?

En cet instant je pense à Cynthia l’inconnue. J’aimerai lui écrire comme je t’écris, lui parler comme je me confie à toi, car elle est mon parfait complément, celui que d’aucun recherche toute leur vie sans le trouver. Là aussi l’inconnue, est-ce écrit à l’avance ou n’est-ce que le fruit d’un concours de circonstances ? Là encore, est-ce notre volonté, si tant qu’elle existe, qui nous pousse vers tel individu plutôt qu’un autre, qui nous incite à désirer, préférer tel être plutôt qu’un autre ou, comme le dirait d’autres techniciens du corps, les biologistes, ce ne serait que la conséquence de nos hormones, phéromones et autres substances chimiques que dégagent nos corps qui seraient raison d’être de ces faits ? Encore une fois, ne sommes-nous que de la mécanique où autre chose en parallèle ? Donc oui, j’aimerai écrire de nouveau à Cynthia, mais que lui dire qu’elle ne connait pas déjà de ma personne, de ma pensée, de mon amour pour elle, de ma crainte de la penser malheureuse un jour, de ma crainte de ne pas la voir s’en relever, non parce qu’elle serait inapte à le faire, mais tout simplement par choix ? Lui dire mes mots me laisse à chaque fois un arrière-goût amer, car je me répète, je ne le sais que trop bien, même si un verbe ou deux changent dans ma forme d’expression, car dans le fond rien ne varie, rien n’évolue réellement. Alors je me sens redondant lorsque je m’exprime envers elle, routinier, ne la surprenant plus, l’installant dans une habitude, celle de mes idées et convictions, et l‘habitude, n’est-ce pas ce qui tue tout, tôt ou tard, y compris le sentiment amoureux, voire l’amour lui-même ?

Avec toi l’inconnue, il n’y aura pas d’amour entre nous, au sens où nous l’entendons, nous humain. Avec toi c’est la paix que je connaitrai, la véritable sérénité, état qui n’a strictement rien à voir avec l’amour, même si la paix intérieur, effectivement, offre l’opportunité d’aimer plus aisément, plus facilement l’autre. Oui, il est plus simple de donner à autrui, d’être à son écoute, d’être attentif à ses divers états d’âme, lorsque nous-mêmes sommes débarrassés de nos fardeaux.

Je regarde les femmes et les hommes passer dans la rue, chacun, chacune se donnant une allure, une constance, toute sorte d’attitude qui m’est depuis un an maintenant complètement étrangère. Mais finalement, cela est bien compréhensible puisque ne désirant plus nouer de relation avec quiconque, faisant le strict minimum syndical pour entretenir les relations que j’ai encore, à quoi me sert-il de me mettre en avant à travers je ne sais quel pose, quel comportement afin que l’autre me remarque. Non, je préfère désormais être en retrait, ne pas me faire remarquer lorsque cela est possible, et poursuivre mon petit chemin paisible vers toi l’inconnue. Les enjeux, les péripéties et les joies de notre bas-monde ne m’intéressent plus. Certes je me tiens informé, qu’il s’agisse de politique ou d’autres domaines, afin de ne pas être complètement perdu dans notre système, mais tout ce que j’apprends me laisse quasiment indifférent, ne me touche plus. Le FN pourrait accéder à la présidence de notre république que je m’en foutrai éperdument. Effectivement, tous les partis politiques, sans exception, me saoule avec leur stratégie politicienne, ne trouvant pas mieux à faire que de nous monter les uns contre les autres à seul fin d’obtenir des places de pouvoirs. Les organisations syndicales, même si c’est dans une moindre mesure, agissent également de la sorte. Oui l’inconnue, voici là encore un autre exemple de notre fonctionnement. Plutôt que de chercher des terrains d’ententes, d’accepter des compromis où personne ne se trouve lésé, nous construisons en lieu et place des systèmes, des stratégies où ne peut avoir raison qu’un groupe de donneurs de leçons faisant fi de toute autre forme de pensée, combattant ces dernières, n’hésitant pas à les dénigrer. Ils sont néanmoins la fidèle image de ce que nous sommes tous et toutes individuellement, dans nos propres vies respectives. Alors dis-moi l’inconnue, comment pourrais-je regretter de quitter définitivement un monde pareil, un monde qui divise bien plus qu’il ne tente d’unir, de réunir ? Oui, aucun être en quête de pouvoir, qu’il soit politique, économique ou familiale, ne trouve grâce à mes yeux, car qui dit pouvoir, entre nous les humains, dit stratégie, lutte et division. De cela j’espère être définitivement débarrassé en te rejoignant inconnue. Oui, j’espère que ce tout qui m’attend est régit par d’autre règles et, mieux encore, qu’il ne possède aucune règle car si le tout est harmonie, tel que je le crois, il n’est alors nul besoin de règles, de lois ou de directives, chaque émanation de ce tout sachant parfaitement à quoi s’en tenir, autrement dit à sa juste condition, l’acceptant paisiblement et posément. Oui, je ne crois pas que là-bas il existe des sentiments purement humains, telle la jalousie, la convoitise, l’envie, sentiments qui sont le socle de notre fonctionnement les uns envers les autres, y compris pour ceux et celles qui tentent de lutter contre cet état de fait, contre ce qui est notre nature naturellement parlant. Oui, si ces sentiments n’étaient pas la base de nos comportements, aucun chef n’existerait, même dans la plus petite des tribus, personne ne convoiterait une telle place, et c’est alors le partage qui serait de mise, la contribution, la donation. Même si je sais que tu ne nous juges pas l’inconnue, je me demande comment tu peux regarder notre spectacle sans dégoût, sans répugnance, sans amertume. Moi je n’y parviens plus, c’est devenu au-delà de mes forces cognitives.

2 commentaires:

  1. Je me pose parfois la question du libre arbitre. Commandons nous nos actes ou subissons nous une dictature biologique de la part de notre corps? Un toubib m'avait dit une fois que la déprime était due à un déficit en sérotonine et pas à une quelconque inadaptation mentale à notre société. Je ne sais que croire.
    Comme tu dis, la seule solution pour retrouver un peu de bonheur, c'est se défaire de tout ce matérialisme et consumérisme. Revenir aux sources comme on dit. Cette philosophie un peu bouddhiste me plait bien.
    Pour autant, qu'il est difficile de lâcher prise, de prendre le recul, de relativiser certaines tracasseries ou désillusions.
    En ce moment, je perds la foi en certaines choses et je n'arrive pas à relativiser. Peut-être que ça va trop bien pour moi finalement et que je ne fais pas la part des choses.
    Et puis j'ai un peu honte d'étaler ces petits coups de spleen ici alors que tu vis des choses autrement difficiles. Pardon.
    zazou

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  2. Tu n'as à avoir honte de rien Zazou et, sois-en assurée, je ne vis rien d’extrêmement difficile. Au début je l'ai cru, c'est vrai, mais je constate que je suis toujours là, un peu diminué seulement, mais ma vie est véritablement paisible et agréable. Quant à la mort qui m'attends tôt ou tard, n'est-ce pas notre lot commun? Qu'importe quand, voilà ce que je me dis à présent, et d'ici-là autant profiter et passer du bon temps, ce que je fais chaque jour en écrivant, car j'adore écrire, en retrouvant chaque soir ma compagne, ce qui est toujours un plaisir, et en organisant quelques voyages pour voir mes proches.
    Vois mon cancer comme un rhume, ni plus ni moins. C'est juste un rhume récurent, mais en l'état il ne me handicape pas plus que ça.

    Quant à la question du libre arbitre, comme toi je m'interroge toujours sur la question et, ma fois, j'ai opté d'y croire à défaut d'en savoir plus sur notre fonctionnement biologique.

    Enfin, tu me dis que tu perds la foi en ce moment, ce qui m'étonne et m'attriste. Naïvement je t'imaginais épanouie dans ta famille, avec tes enfants. De même, si tu travailles, j'imaginais que là-aussi ça allait. Mais peut-être es-tu à l'heure des bilans, ce qui nous arrive régulièrement au sein d'une vie, et que quelques constats ne te réjouissent pas. De même, si c'est bien une espèce de bilan qui te traversent actuellement, il est difficile de relativiser en même temps, parallèlement. Cela se fait dans un second temps je crois, lorsqu'on a tout passé au peigne fin, que les conclusions du bilan soient agréables ou non. Oui, pour avoir du recul, il faut au préalable avoir toutes les cartes sous les yeux, c'est plus simple.

    Quoi qu'il en soit, j'espère que ton moral va vite remonter, sincèrement, et que tu vas continuer à nous pondre de beaux poèmes, comme tu sais si bien le faire !

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