dimanche 1 février 2015

Plénitude II

31 janvier 2015


Une fois de plus en ce jour je reviens vers toi l’inconnue car, comme d’accoutumé depuis un ans, accompagné ou non, je me sens isolé, mais non pas seul. Il n’est qu’auprès de toi que j’éprouve une véritable compagnie, comme si tu étais devenue ma seule amie, ma seule écoute, ma seule tendresse. Ici-bas, dans ce lieu fermé où je réside, la Terre et son univers, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. L’activité humaine poursuit son petit train-train, toujours aussi monotone, toujours aussi pitoyable, que cela soit en bien ou en mal. Certains aident les pauvres, les démunis, d’autres tuent à la chaine des veaux, des bœufs, des poules, d’autres encore se font la guerre pour des raisons que toi, l’inconnue, tu sais parfaitement futiles. Quoi qu’il en soit, rien n’arrête cette marche pour l’instant et, malheureusement, notre descendance prendra le relais, inventant de nouvelles raisons de détruire, saccager, mépriser, qu’il s’agisse de leur semblables ou de leur environnement. Mais de tout cela tu n’as que faire l’inconnue, j’en conviens, car tu sais que le sens se trouve bien au-delà de nos sinistres pitreries. Tu dois rire de nous, bien souvent, mais avec bienveillance néanmoins, de cela je suis également certain, car tu sais qu’il n’est nul besoin de mépriser quoi que ce soit dès lors que nous formons un tout néanmoins, ce tout qui nous englobe toi, nous et bien d’autre chose encore.

Si tu étais une femme, j’essayerai de te séduire afin que tu m’apportes les réponses et si tu étais un homme, très certainement je te torturerai pour obtenir ces réponses. Oui, même si je sais cela complètement absurde, je ferai de la discrimination, n’employant pas instinctivement les mêmes méthodes pour parvenir à mes fins. Mais de cela je sais que tu me pardonnes aussi car, comme tu l’as si bien compris depuis toujours, mon espèce est tributaire de son conditionnement et le mien fût qu’il fallait ménager la femme et ne pas hésiter à marcher sur l’homme. Donc oui, je suis d’accord avec toi, ma démarche est complètement absurde, régulée avec un deux poids deux mesures, ce qui est complètement incohérent lorsque l’on se penche deux seconde sur la question. Mais tu nous pardonnes parce que tu sais pertinemment que nous ne savons pas ce que nous faisons, comme le disait le Christ en son temps, non en s’adressant à toi qu’il méconnaissait, mais à un Dieu, un créateur qui serait origine et fin de tout.

Cependant, comme tu me le rappelle si bien, il n’y a ni origine, ni début, ni fin, mais simplement un tout où le temps n’existe pas. Le temps n’est qu’une composante du monde d’ici-bas, de celui que croit discerner l’humain, et dès lors il projette cette composante dans l’avant et l’après de la vie, comme si la mort emportait avec elle une nouvelle horloge, un autre jardin et une autre perspective qui, à son tour, prendrait un jour fin pour repartir sous une autre forme vers un autre monde,  vers un autre lieu déjà inventé par nos soins ou que nos descendant créeront de toute pièce. Oui l’inconnue, tu dois sourire plus d’une fois lorsque tu constates notre quête frénétique à la recherche du sens et, surtout, lorsque tu prends connaissance des réponses que nous y accolons. Aujourd’hui, et de bon cœur, je souris avec toi de tout cela et serai même presque prêt à pardonner la bêtise, l’ego démesuré de mes semblables. Cependant je ne suis pas toi, je ne suis qu’un être limité qui aurait souhaité ne pas l’être, comme mes semblables, et il est hors de question que je pardonne notre bêtise, même si je la comprends. Effectivement nous commettons trop d’erreur qui, bien souvent, se transforment en horreur pour que je pardonne à notre espèce son inconsistance et ce qu’elle croit être sa supériorité sur le reste du vivant, les plantes y compris.

Oui inconnue, en ce moment je commence seulement à comprendre ce que signifie mourir, alors que c’est ainsi que cela se passe depuis que je suis devenu un fœtus, il y a fort longtemps maintenant, et jamais je n’avais compris ce que cela signifiait. Enfin de compte, chaque jours passé, chaque seconde estompé est une mort, c’est indéniable, mort de ce que je fus, bébé, enfant, adolescent, etc. Et pourtant je suis toujours là, à dialoguer avec toi, même si notre conversation sera à son tour morte dans quelques instants. Il est donc évident que ce que j’appellerai ma mort « définitive », lorsque mon cœur ne battra plus et qu’aura cessé cette forme de pensée qui est la mienne, forme de pensée spécifique à mon espèce, oui, il est évident que ce moment ne sera la mort que d’un instant enfin de compte, d’une forme qui fût et ne sera plus sous la même forme que j’ai encore actuellement, une forme effectivement dépendante du temps qui semble régir l’univers que je connais, mais un temps qui disparaitra avec moi, qui ne sera plus là, dans ce monde où je m’apprête à te rejoindre. Donc, si souvent mort depuis ma naissance, ma dernière mort ne sera ni un drame ni une catastrophe, mais juste la dernière sous cette uniforme que je porte en t’écrivant. Mais de tout cela, de nos conversations, nous aurons bien le temps d’en parler, d’en discuter, nous remémorant ce discours improbable que je te tiens car, là encore, il fera partie du tout dont nous sommes membres, il restera une trace de lui dans l’un des recoins de ton monde.

Ma mort définitive sera un mal, voire un malheur, uniquement pour ceux et celles qui resterons, qui, le temps aidant, se seront attaché à moi plus ou moins profondément. Je voudrai leur épargner cette douleur, sincèrement, nettement et franchement. Je voudrai leur dire de cet endroit où je serai, c’est-à-dire partout et nulle part en même temps, autrement dit à tes côtés l’inconnue, que tout va bien, que je me sens bien et que quand viendra leur tour, eux-aussi apprécieront ta compagnie et tout ce qui ira avec. Je veux qu’ils sachent que te rejoindre sera pour moi une véritable délivrance et que si larmes il y a, il faut que ce soit des larmes de joie. Comme moi, ils savent pertinemment quel monde je quitterai, celui qui sera encore le leur, un monde où il est peu aisé de trouver le bonheur dans la durée, un monde qui apporte plus de désagréments que d’agréments, un monde où le plaisir, quel qu’il soit, est toujours éphémère, à durée limitée tant nous nous habituons à tout, y compris à l’agréable qu’au bout d’un moment nous ne discernons même plus, ne l’appréciant ainsi plus à sa juste valeur du simple fait de l’habitude prise. Cela aussi est un mystère pour moi l’inconnue, pourquoi l’habitude nous fait perdre la valeur du plaisir, de l’agréable, presque aussitôt que nous l’avons connu, découvert, embrassé de toute nos force ? C’est exactement comme jouir, sexuellement parlant. Sitôt le temps de la jouissance passé, nous oublions très vite le plaisir qui fut le nôtre, sa pleine intensité éprouvée dans notre corps, comme s’il y avait une baisse de courant et que cette intensité fugace ne fut, sommes toutes, qu’une espèce de rêve. Quoi qu’il en soit, lorsque je ne serai plus de ce monde, je ne veux pas que l’on me pleure, ce serait une perte de temps pour du plaisir, de l’agréable, du bonheur, seuls sentiments dignes d’exister dans nos cœurs pour supporter, endurer, accepter les vies pénibles que nous nous infligeons. Lors de ma mort, je veux qu’ils pense à toi également si cela leur est possible, s’ils sont parvenu à accepter que la mort était aussi naturel que la naissance, manger ou boire.

L’être humain, sans doute comme n’importe quelle espèce vivante, d’ordre animal ou non, est comme une bulle. Nous sommes seul avec nous-même, même si nous échangeons sans cesse avec notre environnement, à commencer avec nos semblables, mais notre bulle est impénétrable en cela qu’un cœur ne peut se placer à la place d’un autre cœur, que ce que nous éprouvons à un moment donné et dans un temps donné est unique, intransmissible dans sa totalité, sauf à travers la poésie, cette forme d’expression qui, à mes yeux, est seule capable de donner à autrui, si ce n’est l’immensité des sentiments qui peuvent nous traverser, tout au moins leur intensité. Oui, ce que nous éprouvons est un champ sans fin, s’étalant au-delà de l’infini, un terrain si immense que nous ne pouvons contrôler tout ce qu’il contient, comprendre tout ce qu’il nous dit. Notre propre bulle est déjà notre premier mystère, alors que nous sommes elle et qu’elle est nous. Alors tenter de comprendre toutes les autres bulles qui sont autour de nous est un chemin bien ardu, semé d’embûches et d’incompréhension, car si nous-même avons déjà du mal à nous comprendre, à saisir le sens de ce que nous éprouvons au point de, parfois, ne plus savoir quoi faire, que faire, que ce soit avec soi-même ou autrui, c’est dire qu’il a mal aisé de bien interpréter l’autre et ce qu’il éprouve. Tout comme chaque cellule de mon corps, y compris cancéreuses, cohabitent côte à côte, étant chacune sa propre bulle avec son mode de fonctionnement, ses impératifs, voire ses devoirs, tout le royaume du vivant est à cette image. Donc avec toi l’inconnue, je pense qu’il en sera de même, que nous serons également côte, mais contrairement à nous, êtres humains, qui ne cessons de nous poser des questions, je suis persuadé qu’avec toi ce seront des réponses que j’obtiendrai. Encore une fois, te savoir là, quelque part, m’attendant moi et les autres sans aucune impatience, me rend fort, plus résistant face à l’adversité, plus solide face à mes doutes, face à mes questionnements sans réponses, interrogations sans fin qui, je le sais à présent, ne trouveront aucun éléments tangibles capables d’y répondre ici-bas.

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