lundi 23 février 2015

Verdict

Il est 11H00, je sort de ma consultation avec mon pneumologue et, je dois le dire, j'ai une petite baisse de moral. Nous avons essentiellement parlé de mon cerveau et des trois métastases qui y sont. La première, découverte en novembre 2013, a complètement disparu. La radiothérapie de l'époque a eu raison d'elle. La seconde, découverte en août 2014, ne régresse plus. Depuis ma dernière IRM, début février, sa taille n'a pas varié. Que dois-je en conclure ? Qu'elle va rester en l'état ad vitam æternam, qu'elle va se remettre à régresser jusqu'à disparaître une jour ou, ce qui serai le tableau le plus sombre, va-t-elle recommencer à grossir, au quel cas aucune opération ne serait envisageable vu sa localisation ? Quoi qu'il en soit le traitement par radiothérapie, identique à celui que j'ai suivi pour la première métastase, n'a pas des effets aussi probants. Enfin il y a la troisième métastase, découverte en février 2015. En un mois elle est passé de 1,2mm  à 2mm. Pour cette tumeur, 3 ou 5 séances de radiothérapie sont prévues. J'attends à présent que le service de radiothérapie m'appelle pour me fixer les dates des séances.

J'ai donc une baisse de moral, mais cela est-il étonnant ? Quelle bonne nouvelle aurait pu me donner mon pneumologue ? Aucune. Avec cette maladie, c'est comme vivre constamment en sursis. Il y a les moments d’accalmie, les moments d'agression et les moments de défense. Quoi qu'il en soit, lorsque le cancer s'est manifesté une fois, il est bien rare qu'il s'arrête en si bon chemin.

Dans deux heure j'ai rendez-vous avec mon psychiatre. De quoi vais-je lui parler moi qui n'ai envie de parler de rien ce matin ? Comme à chaque fois ce sera la surprise. Il y a quinze jours je lui avais remis une copie de mon autobiographie. L'a-t-il lu ? En parlerons-nous ? Mais même sur ce sujet je pense n'avoir plus rien à dire. Il me semble ne faire que çà depuis que je me suis remis à écrire, rédiger en large, en long et en travers les moments de ma vie. Mais quel autre sujet me préoccupe plus que moi-même, quel autre individu connais-je autant que moi-même ? Et qu'ais-je à dire sur autrui, qui qu'il soit, qui soit si primordial, si essentiel ? De même, qui suis-je pour juger de l'autre, quoi que j'en pense par ailleurs ?

Si je n'avais pas ce rendez-vous chez mon psychiatre, je rentrerai chez moi et me coucherai, histoire d'oublier cette matinée et ses mauvaises nouvelles.

Ah, la vie. Mais que dire de la vie ? Ce matin je ne trouve aucun mot, sinon qu'elle est un lourd fardeau. Sans cesse nous devons faire des choix, sans cesse ou presque nous faisons ces choix en fonction de l'autre, d'autrui, nous oubliant ainsi bien souvent, faisant parfois des choix à notre détriment. Est-ce cela la vie ? A côté de ça je pense aux campagnes, aux forêts, aux plages, aux animaux, à tout les reste du vivant, ce vivant dont nous nous sommes plus ou moins complètement écarté, surtout au XXème siècle et, plus encore, aujourd'hui. La vie devrait être plaisir, surtout pour nous les humains, car nous avons absolument tout pour qu'il puisse en être ainsi. Malheureusement nous ne sommes plus des êtres partageurs, nous sommes devenus des individualistes et chacun d'entre nous ne cherche qu'à préserver, voire agrandir, son pré carré. C'est ainsi que la pauvreté, la misère existe et c'est elle et elle seule qui est le maux de toutes les dérives, terroristes par exemple, que nous vivons. Les guerres, quel qu’elles soient, ne sont que des prétextes à un peu plus de propriété, que l'on se batte pour du pétrole ou au nom d'une nation, tel que c'est le cas actuellement en Ukraine. Il y a aussi les guerres économiques, aussi dévastatrices et génératrices de pauvreté que les guerres traditionnelles. A coup d'actions, de devises, de monnaies, on construit ou détruit des pans entiers de l'économie réelle, celle des usines ou on licencie, celles des entreprises qui mettent la clé sous le paillasson. Oui, nous avons tout pour vivre dans le plaisir, mais notre choix collectif est autre. A force, je ne sais même plus si je suis écœuré ou non par le spectacle lamentable de notre monde et, quelque part, je n'ai de cesse de me demander si mon cancer n'est pas une aubaine pour le quitter au plus vite. Oui, si j'étais seul, sans Cynthia, je me prendrai un petit studio, fumerait à nouveau cigare sur cigare, histoire de précipiter la machine cancéreuse, continuerai à  disserter par écrit, ne verrait pratiquement plus personne, délaisserait tôt ou tard mon téléphone, ma famille, bref tous ceux et celles qui ne pourraient tolérer que je me laisse aller, que je fasse tout pour précipiter ma mort au lieu d'essayer de l'endiguer.

Longtemps je me suis interrogé sur le suicide, longtemps et souvent j'ai pensé à commettre cet acte, mais comme j'avais peur de la mort, peur de mourir, jamais je ne suis passé réellement à l'acte. Aujourd'hui, même si j'ai toujours peur de mourir, l'idée de la mort ne m'impressionne plus. J'ai pris acte que nous ne savons pas ce qu'elle est, ce qu'elle signifie si tant est qu'elle signifie quelque chose quant au sens de la vie, et je pense que la mort ne fait pas de mal. Nous pouvons mourir dans d'atroces souffrances, c'est vrai, mais ces souffrances sont de la vie et non la mort. La mort est le point final d'un roman et il n'y a même pas de couverture de fin, d'index ou de mode d'emploi. Lorsque le personnage principal du roman, vous, moi ou un autre, est mort, alors ce qui fut sa vie ne lui appartient plus. Elle est laissé à libre appréciation de qui veut se pencher dessus, mais rares sont les vies disparues sur lesquelles on se penche, y compris celles de notre propre famille. Il est plus simple d'oublier, comme si l'on voulait oublier l'existence de la mort, et de tracer son chemin.

Après 46 ans de lune miel avec la vie, ses hauts et ses bas, j'ai le sentiment que celle-ci est terminée, laissant place à ma lune de miel avec la mort. Depuis plus d'un an, je la regarde chaque jour, m'entretiens avec elle, essaye d'apprendre à l'aimer et il se peut qu'arrive ce moment où, las du cirque du monde et du pacte de paix que j'aurai fait avec la mort, je me suicide alors. Parce que mon ciel est aujourd'hui la mort et le vôtre la vie, nous sommes incompatibles. Vos luttes, vos efforts, n'ont plus aucun sens pour moi. Dans mon esprit, et avant même que vous ne les entrepreniez, ils sont vains. Cioran dirait tout ceci mieux que moi.


(23 février 2015)

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