jeudi 26 février 2015

Le syndrome de la page blanche

Le syndrome de la page blanche, le vide, le nul part, où l'on ne sait quoi imprimer, quoi écrire, quoi rédiger, quoi raconter, parce que rien ne surprend l'esprit, n'éveille l'attention, l'intérêt, mais l'on reste fixé sur sa page, écrivant ce qui traverse alors l'esprit tout en se demandant ce qui l'en sortira au final, si tant est qu'il en sorte quelque chose.

A priori Cynthia et moi d'accord pour aller à Besançon, déménager une nouvelle fois, quitter Rennes, la mer, pour la montagne et ses rigoureux hivers. Ce n'est pas fait pour me déplaire, amis une fois sur place, dans la place, que ce soit à Besançon ou alentour, qu'en sera-t-il ? Comment sont les jurassiens ? Renfermés, ouverts, accueillants ?

Il est 15h30 et je suis sortie de ma séance avec mon psy il a 1h30. Je ne suis pas satisfait de cette séance. Est-ce parce que je l'endormais, mes propos étant sans doute sans intérêts ? Est-ce parce qu'il m'a posé une question que je n'ai relevé qu'à la fin de notre entretien, question pour laquelle je n'ai pas de réponse particulière ? Je lui parlais du roman que j'ai le projet d'écrire et lui décrivait le décors de ce nouveau monde que j'ai en tête. Il me demanda alors pourquoi j'éprouvais le besoin de lui en parler. Sur le moment je n'ai pas relevé sa question et j'ai continué dans ma description. Je lui ai simplement répondu que je voulais dénoncer la merde qu'était notre monde actuel à travers mon roman, mais que le nouveau monde que j'imaginais ne valait pas mieux. Certes mon nouveau monde est un monde sans guerre, sans violence, où tous et toutes vivent en parfaite entente, mais la discrimination y est néanmoins présente, ainsi qu'une certaine forme d'injustice. Mais cela ne répond pas à la question qu'il m'a posé : pourquoi éprouvais-je le besoin de lui en parler ? Pour l'heure, je n'ai toujours pas de réponse et ne sais si je vais me triturer la tête pour en trouver une.

Ainsi, comme chaque après-midi et matinée, je suis en terrasse de mon café habituelle afin d'écrire, de me vider, comme si je voulais rentrer chaque soir chez moi la tête vide de questionnement. Pourtant des questions il y en a toujours, sur tout et sur rien, sur du futile et de l'important, sur le choix du programme télé ou sur le plat à manger, etc. Oui, ne m'est véritablement agréable que le moment où je me couche. Je met un documentaire en fond sonore sur mon ordinateur, me couche et m'endort quasi-instantanément. De tomber ainsi, d'un coup, sans que la moindre pensée ne traverse mon esprit, est un véritable régal. Le sommeil en lui-même est moins agréable car, contrairement à hier, avant ma maladie, je me réveille une à deux fois par nuit et j'ai toujours peur de ne pas arriver à me ré-endormir, tel que ce fut souvent le cas ces derniers mois.

Je pense également à demain, à ma troisième séance de radiothérapie et à la prochaine IRM, dans trois mois, qui dira si oui ou non la taille de la troisième métastase diminue ou non. L'IRM dira également ce qu'il en est de la seconde métastase, si elle stagne toujours ou non. Bref, pendant trois mois ce va être l'incertitude, voire parfois de l'inquiétude, et il va falloir que je gère tout ça, car même si je me fais fort de tout faire pour vivre uniquement le jour présent, je sais néanmoins que dans trois mois je ne serai pas mort, quelque soit la tournure que prendra mon cancer d'ici-là.

Depuis hier, depuis que le traitement par radiations a commencé, je ne pense plus la mort comme avant. Je ne perçois plus l'inconnue à mes côtés, pas loin de moi, m'attendant patiemment et gentiment. Non, avec le traitement, c'est comme un retour brutal dans le processus de la vie, les médecins et leur médecines me reprenant en main pour que je vive, non pour que je meurt, et du coup je suis entre deux eaux. En me rendant à ces séances j'agis donc pour vivre, alors qu'en parallèle, dans ma tête, je me prépare pourtant à mourir. Curieux paradoxe, non ? Peut-être arrivera-t-il un jour où je cesserai de me déplacer pour quelque soin que ce soit. Je crois que cela finira ainsi, lorsque j'aurai l'intime conviction que l'on ne plus rien faire pour moi, hormis atténuer mes douleurs physiques. Oui, il est étrange de se sentir, de s'éprouver mourant et non plus vivant, allant de l'avant, ressentant en soi l'énergie, la force propre à l'élan de vie. Je ne sais s'il y a un élan de mort, mais je sais ce qu'est ressentir la vie nous quitter, de palier en palier, par petite touche successive. C'est en même temps une sensation étrange, presque paralysante parce que sentir l'élan de vie nous quitter fait peur, tout du moins au début, le temps que l'on s'y habitue, et c'est en même temps euphorisant car d'une certaine manière tout, absolument tout, y compris soi-même, sa propre vie, perd du poids. Oui, il y a de moins en moins de fardeau, ce qui l'était avant-hier ne l'est plus et pourtant les problèmes sont toujours les mêmes. Ce peut être des factures, un découvert, un manque d'argent, un proche qui ne va pas bien, mais c'est comme si les conséquences, quel qu'elles soient, devenaient sans importance, n'étaient plus dérangeante, devrais-je me retrouver à la rue. Oui, c'est cela, les conséquences, heureuses ou non, ne me parlent plus ou, plutôt, me parle de moins en moins. Ma belle-mère va mourir, pas forcément avant moi, mais je sais que la maladie aura raison d'elle. Si sa vie présente m'affecte, pour autant son avenir ne m'inquiète plus du tout, je le sais tout tracé et seul la date m'est inconnue.

D'un côté je suis content de me soigner, mais je le suis parce que je sais que cela fait plaisir à mon entourage. D'un autre côté je trouve cela inutile et je serai plutôt favorable de laisser la nature, mon corps en l’occurrence, faire ce qu'elle a à faire, sans intervention extérieure. Là aussi, tous ceux et celles qui mettent sur un piédestal la nature, les animaux, l'agriculture bio, etc, sont également dans le paradoxe. Tous sont pour ce qui est naturel, sauf si cela touche à la mort d'un proche. Mourir d'un cancer est pourtant comme mourir de vieillesse, c'est une mort somme toute naturelle. Mais pour lutter contre la mort, ils seront pourtant prêt à accepter le chimique, les opérations chirurgicales,etc. Oui, nous sommes remplis de paradoxe et certainement plus encore dès que le sujet est la mort. Elle nous fait si peur que nous ne savons quoi inventer ou faire pour essayer de la contrer. Toujours je me suis demandé comment réagissaient les autres formes de vie face à cette fatalité. Est-ce qu'un chat est conscient qu'il va mourir ? Sent-il sa fin venir ? Et si oui, qu'éprouve-t-il en conséquence ? Il en va de même pour les plantes. L'arbre sait-il qu'il va mourir ? Est-ce qu'une plante peut éprouver quelque chose ? Faut-il être un corps organique pour sentir, ressentir, éprouver ? Oui, le monde du vivant est bien mystérieux, tant d'une variété à l'autre, notre rapport à la vie et la mort sont dissemblables. Les animaux s'interrogent, je l'ai remarqué. Mais comment se formule leur interrogation dans leur esprit dépourvu de vocabulaire. Pourtant un chat ou un chien reconnaît son prénom. Est-ce à dire qu'il peuvent posséder des rudiments de vocabulaire propre à leur espèce, ou est-ce uniquement une reconnaissance de sons ? De même, parce qu'ils s'interrogent, c'est qu'ils ont forcément une notion, aussi vague soit-elle, de l'avenir, du futur, de tout à l'heure. ? De même, si un chien voit un autre chien mort à ses côtés, aura-t-il conscience que lui aussi connaîtra ce sort ? Est-il capable de faire ce rapprochement ? Parfois je me dis que plutôt que d'étudier l'homme, ce que j'ai passé mon temps à faire, j'aurai également du m'intéresser de plus près à la nature des animaux. La seule fois que je l'ai fait, c'était pour étudier leur forme de sexualité, qu'ils soient oiseaux, mammifères ou reptiles, afin de la comparer à la nôtre. J'avais alors une trentaine d'année et voulait me faire une idée claire de la sexualité humaine et j'en arrivais à la conclusion que nous n'étions pas fait naturellement pour la monogamie, que l'on soit mâle ou femelle. Depuis ceci est mon intime conviction et le restera, je le pense, jusqu'à ma mort. Comme quoi, nous avons bien été conditionné par notre environnement, à commencer par nos parents, pour arriver à croire que la monogamie était non seulement la seule relation respectueuse envers l'autre, mais de plus de croire que cela était naturel. Rien n'est rien moins naturel que ce genre de relation, c'est une évidence dans mon esprit, et de plus elle n'implique pas le respect de son partenaire dans la majorité des cas. Si la monogamie était le café au lait de notre nature, il n'y aurai pas autant de séparation, c'est là aussi une évidence. Dès lors que nous sommes capable de changer de partenaire, c'est bien que nous sommes tous interchangeable en la matière et qu'il n'est pas un mâle ou une femelle prédestiné à qui que ce soit, n'importe qui pouvant faire l'affaire en matière d'ordre sexuel. Bien entendu, je ne parle pas de l'amour, qui est complètement autre chose à mes yeux, même si dans une relation d'ordre amoureuse le sexe est souvent présent, mais pas toujours, pas forcément. L'amour est un attachement, un lien bâti dans le temps, dans la durée, dans la fréquence et qui n'a rien à voir avec l'acte sexuel en lui-même. Ceux et celles qui mélangent les deux, qui ne savent pas dissocier ce qui relève de notre nature de ce qui relève de notre conditionnement, sont dans l'erreur. C'est parce qu'il y a cette méprise que la jalousie existe. Coucher avec quelqu'un d'autre que son compagnon n'implique pas du tout que nous aimons cet autre. Cela indique seulement que nous avons une attirance physique, naturelle, pour quelqu'un d'autre et c'est tout. De là à aimer cet autre, c'est une toute autre paire de manche car, encore une fois, il faut qu'il y ait entre eux un minimum d'affinité, de concordance d'esprit dans les idées, voire dans les actes. Là encore, aimer n'est pas aussi simple que ça. Il ne faut pas confondre apprécier quelqu'un et aimer quelqu'un. Ces deux sentiments n'ont rien de comparable car celui que nous aimons, contrairement à celui que nous apprécions, est comme une partie de nous, l'est devenu avec le temps. De même, si nous l'aimons c'est également parce que nous pouvons partager des choses entre nous, raison pour laquelle où il est des familles ou certains frères et sœurs ne se voient jamais ou ne voient plus leurs parents. Certes  il reste souvent une petite trace de lien affectif, en souvenir du bon vieux temps dirai-je, mais l'amour n'est pas là. L'amour est si difficile à construire et à entretenir que c'est la raison pour laquelle nous avons si peu d'ami au cours d'une vie. Par contre nous croiserons souvent et régulièrement des personnes que nous apprécierons pour telle ou telle facette de leur personnalité ou tout simplement pour leur physique. Mais cela ne suffit pas à bâtir une relation d'amour, car l'amitié est une relation d'amour, n'en déplaise à ceux et celles qui veulent faire un distinguo. Mais à sexualiser l'amour, cela génère plus de confusion que d'éclaircissement sur le sujet. Le sexe est une chose naturelle, l'amour ne l'est pas.

(26 février 2015)

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