jeudi 26 février 2015

Deuxième séance de radiothérapie

Voilà, je suis sorti de ma deuxième séance de radiothérapie et, contrairement à hier, je n'éprouve aucune gène dans mon cerveau. Tout à l'air clair, je peux penser, réfléchir un peu, et ne me sens pas du tout assommé. Je me suis également renseigné pour savoir si les rayons que l'on m'envoyait étaient radioactifs ou non. Il en découle que non, ils ne le sont pas. Enfin de compte ce sont des rayons X qui irradient mes métastases, rayon X qui servent à faire des radios, mais dans mon cas ils sont mille fois plus puissants. Je me demande donc qu'elle est la nature des rayons X, de quoi sont-ils faits, quelles sont leur capacité puisqu'ils peuvent tuer des métastases, du chimique, des cellules ? Oui, en quoi le proton, le neutron, l'électron agissent-ils ou inter-agissent-ils avec du chimique, de la molécule, du vivant ? Si j'y pense, si je ne n'oublie pas cette question comme j'en oublie tant d'autres, je ferai des recherches pour essayer d'obtenir un semblant de réponse.

Ce matin, j'ai également reçu un appel de Fouzzia, ma cousine qui habite à Paris avec ses deux enfants, deux jumeaux, un garçon et une fille. Son appel m'a surpris car depuis que nous nous sommes revus à Paris il y a maintenant quinze jours, j'ai régulièrement de ses nouvelles. Auparavant, nous nous appelions au maximum une ou deux fois par an, mais depuis qu'elle a appris maladie, elle m'appelle régulièrement et, de mon côté, je fais de même car c'est une femme courageuse que j'apprécie beaucoup. Comme Cynthia elle est aussi professeur, mais d'anglais. Depuis un an elle est en arrêt de travail, elle est en dépression et, d'après ce que j'ai compris, a déjà fait deux tentatives de suicide lors de ces dernières années. J'aimerai pouvoir l'aider à retrouver le moral, à repartir dans la course de la vie, car je pense que tant que nous ne sommes pas mourant ou face à une mort inéluctable, tel le cancer, il faut tout faire pour se battre, combattre, afin d'atteindre les objectifs qui nous sont chers, qui seuls nous épanouissent. J'ai proposé à Fouzzia de venir un week-end, car j'aimerai qu'elle connaisse Cynthia, qu'elle rencontre celle qui m'a donné tant de bonheur ces dernières années, celle qui est responsable de ma résurrection.

J'ai connu Fouzzia vers la fin des années 90, pas longtemps après mon procès en cour d'assise. A cette époque elle était célibataire et moi j'étais encore dans mes cachets, dans mes médicaments, tous des psychotropes, et entamais parallèlement une psychothérapie, psychothérapie qui dura trois ans à raison de trois séances par semaine les premiers temps. Oui, je me suis investi à fond dans cette thérapie, voulant sortir définitivement du gouffre dans lequel j'étais alors. Ce furent trois années intenses pendant lesquelles, intérieurement et psychologiquement, je suis passé par tous les états. Au début mon psychiatre, Cahn, ne voulu pas s'occuper de mon traitement médical. Pour cela j'allais donc consulter un autre psychiatre et, même si j'ai changé souvent de traitement, je prenais toujours et invariablement du Xanax 0,50. La posologie. Cahn, toujours aussi imperturbable, me fournissait les ordonnances nécessaires pour que j'ai ma dose quotidienne. Il ma fallait une ordonnance par semaine, ordonnance prescrite pour un mois de traitement, afin que j'ai assez de boite pour ma semaine. De même, je devais chaque semaine changer de pharmacie pour que me soit délivrer toutes ces boites. Puis un jour j'ai réalisé que si je prenais autant de Xanax c'est qu'il ne me faisait plus d'effet. C'est alors que germa en moi l'idée de faire un sevrage complet de tous les médicaments que je prenais alors. J'en parlai à Cahn et il me dirigea vers une clinique privée spécialisée située en banlieue parisienne. Mon séjour dura trois semaine et le sevrage eu bien lieu. Cela me valu néanmoins deux crises d'épilepsies, les premières de ma vie.

Je ne sais pourquoi je parle de tout ça maintenant, je ne sais pourquoi ce souvenir remonte en moi en ce moment précis, mais je suis certain qu'il y a une raison, raison qui ne me saute pas aux yeux en l'état, mais ma certitude est que mon esprit, ma conscience ou mon inconscient, veut que je comprenne quelque chose, que j'ai de cette expérience une leçon à tirer. Peut-être est-ce une manière détournée de me faire comprendre que je devrais de nouveau faire un sevrage, mais un sevrage de tabac cette fois. Effectivement, je me suis remis à fumer depuis deux ou trois mois et j'ai du mal à envisager d'arrêter. Mais si je n'arrête pas, risquant ainsi de déclencher une nouvelle tumeur au poumon, à quoi aura servi tout ce qui a été fait jusqu'à présent pour tenter d'éradiquer mon cancer ? A cela je répondrai prosaïquement que cela m'a permis de gagner quelques mois, voire une année de vie supplémentaire, mais que cela ne change en rien le fond de l'affaire. Mon cancer n'est pas éradiquer, des métastases se forment régulièrement dans mon cerveau et ma certitude est que cela va se poursuivre. Puisque je vis mes dernières années, de cela je suis également certain, pourquoi me priverais-je d'un plaisir, pourquoi m'imposerais-je la contrainte, l'effort à la place ? Vous me répondrez qu'il faut que je le fasse pour les gens qui m'aiment, qui désirent me voir vivre le plus longtemps possible. A cela je répondrai que ce serait donc leur plaisir contre le mien, leur plaisir qui n'empêchera cependant pas ma mort prochaine et, quelque soit cette date, de toute les façons elle ne leur conviendra pas. Non, en l'état, je ne vois aucune raison valable de privilégier le plaisir d'autrui au détriment de l'un des miens. Cependant je sais que le plus sage serait que j'arrête de nouveau de fumer, au moins par respect du travail fournit par mes médecins. Je vais donc prendre mon temps pour bien réfléchir à la question et, tôt ou tard, je prendrai ma décision. D'un côté je penche pour cesser car, en tout cas en ce moment, je trouve ma vie agréable et sereine et si elle peut perdurer ainsi le plus longtemps possible, j'en serai fort content. Alors pourquoi tenter le diable et ne pas se donner les chances qu'il en soit ainsi ? D'un autre côté, comme je vis vraiment au jour le jour et que fumer amplifie mon plaisir d'écrire, écriture qui est ma seule activité quotidienne, j'ai bien du mal à résister à la tentation. Oui, dans mon état d'esprit, demain n'est plus qu'un rêve, une chimère. Tant mieux si je vois le jour de ce lendemain, ce sera encore une journée agréable que je passerai, je n'en doute pas, mais il est vrai également que je ne suis plus en quête de ces lendemains, de l'avenir, du futur.

Plus le temps et les jours passent, plus je me détache un peu plus chaque jour de tout. Cela se fait sans effort de ma part, de manière tout à fait naturelle, comme si c'était une évidence qu'il en soit ainsi. La conséquence première que je constate est que cela me rend de plus en plus serein face à tout ce que je peux rencontrer, il n'y a plus en moi de sentiment extrême, hormis l'attachement qui me lie à certaines personnes, dont Cynthia évidement. Il y a bien longtemps que je n'ai pas éprouvé de colère ou d'empathie. J'ai juste çà et là parfois quelques frustrations qui génèrent sur le moment une réaction d'agacement, mais dix minutes plus tard j'ai relativisé tout çà et, dès lors, cela n'a plus d'importance. De même, j'ai parfois de petit accès de compassion, mais tellement je ne me sens plus concerné par les autres, par leur vie, ma compassion disparaît presque aussi vite qu'elle est venue. Oui, seule la vie des personnes que je connais et auxquelles je suis attaché m'importe, les autres ne m'intéressent plus. Par exemple je pense tous les jours à ma belle-mère, mais je n'ai plus de compassion à proprement parler. Avec elle, du fait que nous ayons la même maladie, je me sens plutôt en emphase et n'ai aucune attente à son égard. Quoi qu'elle décide de faire ou non pour se soigner, pour perdurer, je l'accepte sereinement, y compris si certaines de ses décisions devaient précipiter sa mort. Par contre je compatis pour sa famille qui, elle, ne peut se résoudre à l'idée de sa fin. Je compatis parce que je sais à présent qu'il souffre plus que nous, qu'ils sont dans l'inquiétude alors que nous le sommes beaucoup moins, voire plus face à certaines nouvelles, certaines situations conséquentes de notre maladie. Oui, notre maladie est plus difficile à vivre pour notre entourage que pour nous-mêmes, en tout cas pour ce qui me concerne car je ne sais pas du tout ce qui se passe dans la tête de ma belle-mère. Veut-elle vivre ? Le plus longtemps possible ? A-t-elle peur de la mort ? Croit-elle encore en un demain pour elle ? Et si oui, quel type de lendemain et où ? Oui, il se peut parfaitement que nous ne vivions pas le moment présent de la même façon et que notre rapport à la mort soit fort différent. Parce que je ne l'ai plus vu depuis septembre dernier, jamais nous n'avons parlé de ces sujets ? Mas le désirerait-elle ? C'est là aussi une autre inconnue.


(26 février 2015)

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