vendredi 27 février 2015

Dernière séance de radiothérapie

12h00

Ce matin troisième et dernière séance de radiothérapie et je suis chaos, complètement au ralenti. Cette nuit j'ai été pris de vomissement par deux fois, effets secondaires des séances précédentes, et me suis levé vers 7h00 avec un bon mal de tête. A l'issu de ma séance, j'ai rencontré une radiothérapeute, histoire de réajuster mon traitement, d'éviter les vomissements et les maux de tête. Cependant je me sens bien, dans le sens de calme, détendu, ne sachant pas quoi faire pour autant, car je n'ai ni envie de me promener, de flâner, d'errer dans les rues, de marcher. Oui,je suis très bien assis, à écrire comme d'habitude, à une terrasse de café.

Les soins sont donc terminé, je n'ai plus que des médicaments à prendre, une partie pour palier aux effets secondaires des séances de radiation et des inflammations que provoquent mes métastases, l'autre partie pour me détendre à coup d'anxiolytiques et de neuroleptiques, mes médicaments de prédilection depuis mes vingt ans avec une interruption de dix ans seulement.

Aujourd’hui, peut-être du fait de mon état léthargique, j'ai envie de me shooté comme je le faisais au bon vieux temps, lorsque j'étais adolescent ou quand j'avais vingt ans, fumant joint sur joint jusqu'à atterrir sur une autre planète, ayant une vision des choses qui n'avait strictement rien à voir avec l'ordinaire. Mais aujourd'hui, ne prenant plus ces drogues depuis bien longtemps, je n'ai que le Xanax pour me shooter. Certes il me rend somnolent, état que j'apprécie, mais cela ne va pas plus loin. Il ne me dépayse pas, ne modifie pas véritablement ma perception des choses. Bref, c'est un calmant, il détend, il apaise, et il ne faut pas en attendre plus.

Je crois qu'aujourd'hui je ne vais pas rester longtemps à écrire. Je pense que je vais rentrer chez moi, m’affaler dans le canapé et comater devant la télé.


17h40

J'ai donc dormi toute l'après-midi et ne suis réveillé que depuis 17h00. Immédiatement, malgré mon estomac qui me joue des tours, j'ai éprouvé le besoin de sortir, de prendre l'air. Quelque part je ne supporte plus ma demeure où je suis inactif, avec pour seul ornement la télé et ses programmes qui, généralement, ne m'intéresse pas. Pourtant il y a la vaisselle à faire. Je la ferai tout à l'heure si je me sens un peu mieux réveillé, sinon ce sera demain.

Ma sœur, Ilham, m'a appelé ce matin pour prendre de mes nouvelles. Je lui ai dit que tout allait bien, ce qui n'est pas faux, et du coup ce sont de ses nouvelles dont nous avons parlé. A son boulot, la cadence, le rythme, le manque de personnel, la met sur les nerfs. Ce week-end elle devrait aller en Normandie avec Frank, un ami d'enfance, pour se changer un peu les idées. Une copine qu'elle hébergeait depuis un mois, Sandrine, une ex de mon frère, est enfin partie. Chez ma sœur, dans son petit trois pièces, tout le monde se marchait dessus. Sa fille vit là-bas avec son mec, il y avait Sandrine et en plus il y a leur gros chien, un bouledogue américain et les quatre chats. Comment ne pas étouffer au bout d'un moment, où s'isoler pour respirer ? Sandrine partie, ma sœur aura au moins sa chambre pour elle-seule, ce qui n'est pas un mal.

Ce soir le ciel est bien sombre. Après une journée ensoleillé, les nuages de pluie couvrent le ciel. Pleuvra-t-il dans les deux heures qui suivent, dans la nuit ou seulement demain ? Je suis d'avis que cela commencera dans la nuit, même si j'ai encore du mal à comprendre le fonctionnement du climat breton.

Je ne sais pourquoi, mais j'étais entrain de m'imaginer discuter avec ma fille de la liberté, lui expliquant que cette dernière n'existait pas. Tous les interdits, toutes les lois sont des murs à notre liberté. Ces derniers encadrent notre liberté ou, dit autrement, notre liberté ne réside que dans un cadre. Le totalitarisme est aussi un cadre, il permet également une certaine forme de liberté à ceux qui y sont assujettit, ne serait-ce que la liberté de mouvement, de manger ce qu'ils veulent, de choisir leur ami. Oui, la liberté n'est pas uniquement celle de l'expression et cette dernière, même si elle nous met le plus souvent dans l'illusion que notre avis peut avoir une importance quelconque dans le fonctionnement de notre société, celle-ci n'est généralement pas d'une grande utilité. En cela la démocratie, quel qu'elle soit, est une vaste fumisterie. Une fois votre bulletin de vote introduit dans l'urne, seul celui ou celle élu aura le droit à la parole, aura le droit de pouvoir agir ou non, votre parole, votre liberté d'expression et d'agir devenant néant si votre élu décide de ne pas l'entendre. Oui, la démocratie est bon système de musellement parce qu'il ne dit pas son nom, autorisant chacun à râler ou applaudir comme il le veut, mais dans les faits, seuls quelques milliers de personnes décident, dirigent, tout au moins en France, des millions d'autres personnes. Oui, la liberté, quelque soit le cadre, trouve rapidement ses murs. Nous qui sommes conditionnés, habitués à la démocratie, pensons que c'est le meilleurs des cadres. Je ne suis pas sûr que les russes, les chinois ou que les habitants des systèmes totalitaires arabes, tel le Maroc, la Jordanie, soient de cet avis. Je pense que comme nous, la majorité s’accommode du système, du cadre dans lequel il a grandi, ayant appris à en apprécier certains aspect et à en détester d'autre, comme nous nous comportons nous-même face à nos démocraties.

Là, de suite, peut-être parce que nous avons souvent parlé de ce sujet lorsque nous avions vingt ans, je pense à Dédel, mon meilleur ami de l'époque. Depuis il s'est suicidé il y a de cela six ou sept ans, laissant derrière lui sa femme, Laure, et leur deux filles. Pas plus que moi il n'a jamais aimé notre monde, ou plus exactement la société française. C'est pourtant un français de souche, mais ses parents étant coopérants français à Dakar, c'est là-bas, dans ce cadre qu'il a grandi. Il n'a du arriver en France qu'à l'âge de quinze ou seize ans et, comme il me l'a souvent dit, il avait l'impression de débarquer dans un autre monde, sur une autre planète. Bien entendue, sur le moment, je ne voyais pas à quoi il faisait allusion, pensant naïvement que nos anciennes colonies avaient été rebâtie sur notre système démocratique et qu'il ne devait pas y avoir tant de dissemblance que ça d'un côté ou l'autre de la méditerranée. Je regrette de l'avoir délaissé un jour, de l'avoir abandonner, d'avoir fais le choix de la mère de ma fille, une conne avec laquelle il est impossible d'aborder quelque sujet de fond que ce soit, surtout philosophique. Oui, j'ai préféré une histoire de cul, bancale dès son origine, à la relation d'amitié que me liait à Dédel et Laure. Nous avions alors vingt-six ou vingt-sept ans. Jusqu'à ce que je rencontre Tony, dix ans plus tard, je n'ai plus d'autres amis. J'avais certes beaucoup de relation et avec certaines personnes des relations mêmes profondes. Je pense à Isabelle surtout et à Élise. Cependant, le sexe, les sentiments amoureux sont venu foutre le bordel au bout du compte, et c'est ainsi qu'après trois années à nous côtoyer tous les jours, nous en sommes venus à partir chacun de notre côté. Mais revenons à Dédel. En 2003 ou 2004, alors que j'étais séparé de Nathalie et de notre fille, je l'ai recroisé par hasard dans les rues de Montrouge, ville où nous habitions tous les deux sans le savoir. Moi j'étais locataire et lui, avec Laure, avaient acheté un appartement. Le soir-même nous dînions ensemble et ce ft vraiment un moment agréable de se retrouver ainsi, après tant d'années de séparation, sans rancœur ni rancune à mon égard. Il me laissa sur un bout de papier son adresse et son numéro de téléphone, papier que j’eus le malheur d'égarer, et c'est ainsi que le perdu de vue à nouveau. Puis, six ou sept ans après Laure m'apprit son décès, son suicide dans sa baignoire. A l'époque j'étais à Lyon, mais sans me poser de question je fis le trajet jusqu'à Paris afin d'assister à la messe funéraire et aux funérailles. Oui, je regrette de ne pas avoir été là avant, d'avoir bêtement perdu ses coordonnées, coordonnées que j'aurai pu facilement avoir puisque je savais où travaillait Laure. Malheureusement à cette époque j'avais d'autre priorité en tête, ma fille et mes batailles pour accéder à elle. C'est la seule époque de ma vie où je suis entré dans le militantisme, dans une association qui défendait le droit des pères, droits des pères sur lesquels notre société crache comme l'on cracherai sur un sale connard. Puis j'ai du quitter Montrouge, n'ayant plus d'argent ni emploi me permettant de payer mon loyer. C'est ainsi que de fil en aiguille Dédel disparu petit à petit de mon esprit et que je fis la connaissance de Tony quelques mois plus tard. Je pense que le rêve secret de Dédel aurait été de retourné à Dakar, y habiter de nouveau, car je sentais bien lorsqu'il m'en parlait que c'était là-bas sa véritable demeure, pas la France. De toutes les personnes avec lesquelles je me suis réellement entendu et que je n'ai plus revu par la suite, il est le seul que je regrette, et comme je sais pour qui je l'ai quitté je ne peux m'empêcher de me dire quel con j'ai été. Comme moi, il était quelqu'un d'entier, peut-être plus entier que moi encore. Il n'avait pas la langue dans sa poche, ses avis étaient tranchés et avait une volonté de fer. Contrairement à moi qui suis plus enclin à suivre le mouvement, lui était quelqu'un d'entreprenant. Il aurait fait un bon dirigeant d'entreprise, mais il a préféré travailler en indépendant,  son compte, le plus souvent en travaillant au noir, exécutant du petit ou du gros œuvres chez les particuliers. Avec ses chantiers il gagnait bien sa vie. Seule sa relation avec Laure était un mystère pour moi. Elle aussi avait de la volonté, mais était d'une discrétion qui contrastait avec l'extraversion  de Dédel, de son vrai prénom Laurent. Vu de l'extérieur on avait l'impression que c'est lui qui dirigeait tout dans leur couple. Pourtant, cela ne pouvait être ainsi car Laure avait forcément ses propres désirs, ses propres souhaits, et ne la voyant pas malheureuse, c'est qu'elle avait une bonne latitude de liberté. Enfin, tout cela est le passé, un passé lointain qui a certes participé à la construction de celui que j'étais alors, avec ses bons côtés et ses travers. C'est la seule époque de ma vie que je regrette, où tout coulait de source, époque où j'étais avec Virginie qui était elle-même la meilleure amie de Laure, époque où nous rentrions tous les quatre dans la vie active, avec nos premiers salaires, nos premiers revenus, époque où nous étions presque toujours tous les quatre réunis, tantôt chez les uns, tantôt chez les autres. Oui, une époque bel et bien révolue, mais qui est quand même comme un soleil dans la nuit que fut ma vie par la suite.


(27 février 2015)

2 commentaires:

  1. Quand tu parles de liberté, cela me fait penser à la louve indomestique. elle tenait un blog il y quelques années (qui existe toujours du reste). T'en souviens-tu?
    zazou

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  2. Je ne connais pas le blog dont tu me parles, mais donnes-moi l'adresse si tu l'as encore, histoire de le découvrir à mon tour.

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