samedi 21 février 2015

Hier je sentais l'espace autour de moi

Hier je sentais l'espace autour de moi, comme un périmètre de sécurité au sein duquel je ne me sentais pas en sécurité. J'étais moi-même un espace vide au sein de cet espace où je me mouvait, cherchant désespérément à éviter la solitude, confondant solitaire et solitude, et je ne pouvais supporter de rester seul. N'importe qui était bon pour venir vers moi dès lors qu'il acceptait d'entrer dans mon espace fait, alors, de médicaments. Anxiolytiques, antidépresseur, neuroleptiques, cela a été mon ordonnance quotidienne pendant plus de 15 ans. A cette ordonnance, il y avait en plus mes nombreux séjours à l'hôpital psychiatrique, hôpital où je me rendais de moi-même, de mon plein gré, pour des séjour allant d'une semaine à un mois ou deux. En parallèle j'essayais de m'insérer dans notre société, dans son système, j'ai même travaillé deux ou trois années pendant ces quinze ans, mais force est de constater que la tâche était trop pénible pour moi. Par hasard je suis rentré dans le secteur de la vente. Ma première année professionnelle je vendais des auto-radios et avait comme compagne Virginie. J'avais alors vingt ans. Cette aventure dans le monde de l'auto-radio s'arrêta à Bordeaux où j'avais la gérance de la boutique. En plus de l'équipe des quatre mécanicien dont j'avais la responsabilité, j'avais également une secrétaire chargée de faire les factures. Elle était la maîtresse du directeur commercial en charge de la province et, sous ce prétexte, se permettais de remettre en question la manière dont je gérai ce magasin. Le groupe s’appelait EAF et possédait plus de 25 boutiques sur toute la France. Lorsque je pris la gérance du magasin  de Bordeaux, un mois plus tard j'avais doublé son chiffre d'affaire, un chiffre d'affaire qui stagnait depuis plus d'un an. Un jour, las de me prendre la tête avec la secrétaire, je décidais d'en référer au directeur commercial de la province. A ce moment-là, je ne savais pas qu'elle était sa maîtresse, c'est l'un des mécanicien qui me 'apprit quelques jours plus tard. Je compris rapidement que l'amant ne ferait rien pour obliger sa maîtresse à se soumettre à mon autorité et c'est ainsi que je donnais ma démission quelques jours plus tard. A l'époque je travaillais donc sur Bordeaux mais habitais à Arcachon, petite ville magique avec ses deux ou trois ponton, son sable fin et la dune du Pilat qui se trouvait à seulement quelques kilomètres. Cette demeure était celle du père de Virginie, c'est là qu'il avait grandi et vécu. Cette immense deux pièces devait faire 60m2 et les plafonds devait avoir une hauteur de trois mètres. A l'origine, ce deux pièces faisait partie d'une immense villa qui avait été compartimenté en divers appartements et notre demeure était alors la partie bibliothèque de cette villa. Nous étions dans les hauteurs d'Arcachon, là où il n'y a que des villas du même type, un quartier complètement résidentiel où il n'y avait pas un seul commerce. Les boutiques, les restaurants, les vidéos-club, la poste, tout cela se trouvait dans le bas de la ville, là où les touristes se ruent en été. A cette époque je n'avais pas mon permis de voiture et Virginie tentait de passer le sien, mais elle échoua à l'épreuve de conduite. J'avais donc pour tous moyens de transports la mobylette qui avait appartenu à son père et parfois, lorsque je travaillais encore à Bordeaux, plutôt que de prendre le TER je m'y rendais en mobylette. 80 km aller, 80 km retour, c'était long mais le trajet me plaisait. Je traversais ainsi toutes les landes, ses forêts de pins, longeait des terrains de camping de tout standing et, arrivé aux abords d'Arcachon, je traversais toutes les villes mitoyennes en passant par leur port de pèche, faisant ainsi le tour du lac jusqu'à arrivé à ma destination. De même, chaque soir après mon travail, que j'ai fait le parcours en mobylette ou en TER, je me posais sur la plage avant de rejoindre la maison. J'écoutais le bruit des flots, regardais au loin l'horizon infini et, instinctivement, je savais qu'il fallait que j'en profite car, tôt ou tard, Virginie et moi quitterions Arcachon. En effet, contrairement à moi, Virginie n'avait pas un tempérament à aller vers les gens pour essayer de nouer des relations. Pour ma part je m'étais déjà rendu à la Maison des Jeunes et de la Culture d'Arcachon, avait fait connaissance du directeur qui devait avoir cinq ans de plus que moi et l'avait invité à dîner un soir en compagnie de sa compagne. De même, avant notre départ pour Arcachon, Virginie m'avait offert ma première guitare. C'est donc à la MJC d'Arcachon que je pris les seuls cours de guitare de ma vie. Là encore j'avais invité le professeur qui avait sensiblement mon âge. Enfin, dans une villa situé à côté de la nôtre, j'entendais régulièrement quelqu'un joué de la guitare électrique, ampli à fond. Ma guitare, elle, était une guitare classique. Un jour j'allais sonné à la porte de cette villa et c'est une mère de famille qui m'ouvrit la porte. Elle m'expliqua que c'était son fils, un adolescent de seize ans, qui jouait de la guitare et elle me permit de le rencontrer. Par la suite, nous faisions en sorte de nous voir une fois par semaine, généralement le dimanche, pour jouer un peu ensemble. Mais Virginie, elle, était seule toute la semaine. Elle ne travaillait pas, ne cherchait pas à le faire, et je peux comprendre qu'au fil des mois cela entama son moral. Lorsque je démissionna d'EAF, je cherchais un autre emploi dans la région. On me proposa la gérance d'un entrepôt, La grande Farfouille, une autre chaîne de magasin où l'on trouvait de tout pour des prix pas cher. C'était un espèce d'immense bazar où l'on trouvait autant de l'outillage que des portes-clés, des couettes que des feutres, etc. J'avais sous ma responsabilité toutes les caissières, trois ou quatre si mes souvenirs sont bons, de faire les caisses et les comptes chaque soir et, raison pour laquelle je n'ai pas accepté le poste, de ranger en rayon toutes les marchandises qu'il y avait à vendre. Ce n'est pas tant de ranger qui m'a rebuté, mais c'est le salaire. Au mieux on me proposais un salaire supérieur à deux cent francs, car à l'époque l'euro n'existait pas, par rapport à celui des caissières. J'appelle cela se foutre de la gueule du monde et sitôt connu le montant de mon salaire, je disais adieu aux propriétaires de cette enseigne. Puis c'est à Bordeaux que je faillit travailler de nouveau, pour une compagnie d'assurance, mais n'ayant ni permis ni véhicule cela ne put se faire. C'est ainsi que deux mois après ma démission de chez EAF, Virginie et moi rentrions sur Paris.

A cette époque, même si je prenais déjà beaucoup de médicaments, je n'étais pas encore quelqu'un de complètement cassé. Je n'avais pas encore commis l'irréparable, j'étais encore avec Virginie, notre couple allait bien, et je retrouvais mon meilleur ami Dédel. Très rapidement je trouvais un travail dans une compagnie d'assurance et comme nous faisions du porte-à-porte, directement auprès des particuliers, l'absence de permis ou de véhicule n'était plus un problème. Même si je n'étais pas le meilleur des vendeurs, je faisais cependant parmi des meilleurs. Mon salaire net était alors de dix mille francs. Aujourd'hui, à pouvoir d'achat équivalent qu'à l'époque, cela correspondrait facilement à 3000 euros. Tous les soirs je dînais dehors et tous les week-end, avec Dédel, laure et Virginie, nous faisions la fiesta. Chaque semaine je faisais des cadeaux à Virginie qui, elle, de son côté, avait repris ses études dans un lycée publique afin de passer son BAC. Laure avait commencé à travaillé comme opticienne, ses études étaient terminées, et Dédel faisait des chantiers au noir chez des particuliers. Cette belle époque dura une année puis ce fut la rupture entre Virginie et moi suite à une histoire d'adultère. C'est à ce moment-là que j'ai senti le sol commencer à s'écrouler sous mes pas, c'est là que je pris encore plus de cachet, c'est là que je commençais à me faire hospitaliser régulièrement, car sans Virginie je n'étais plus rien. C'est également à cette époque que j'ai commencé à boire de l'alcool en grande quantité, non plus pour passer une bonne soirée entre ami, mais bel et bien pour me bourrer la gueule, histoire de ne plus penser que j'étais seul. Aucune autre fille ne m’intéressai, même si cela ne m'a pas empêcher d'avoir des aventures sans lendemains à droite ou à gauche. C'est également à cette même époque que je me mis à prendre de plus en plus souvent des drogues dures, de l'héroïne exactement, que je sniffais rail sur rail. Je voyais de moins en moins souvent Dédel et Laure qui était un couple, car il me rappelait à chaque fois Virginie, Virginie que je ne savais pas comment oublier, digérer, avaler. Je ne travaillais alors plus et passais le plus clair de mon temps avec des drogués, à fumer, à boire, à prendre de l'héroïne et, le soir, une fois seul chez moi, à pleurer Virginie.

Entre-temps je tirai également mes conclusions de mes expériences professionnelles. Il m'apparut alors évident que je n'étais pas fait pour suivre la voie dans laquelle je m'étais engagé, celle du secteur marchand, qui exige de ses employés un maximum de rentabilité afin de produire un maximum de bénéfices à leur entreprise. Cela demande de se donner à fond, d'accepter des challenges de plus en plus élevé, de ne pas hésiter à tronquer la vérité sur la marchandise proposée, qu'il s'agisse d'un ordinateur ou d'un contrat d'assurances. Bref, c'est un monde de requin, un monde fourbe qui ne correspondait pas du tout à mon caractère entier, trop entier d'ailleurs. Mentir, même par omission m'est quelque chose d’insupportable. De même, flatter dans le seul but d'attraper dans mes filets tel client potentiel m'est pareillement insupportable. Oui, je distingue clairement et nettement la flatterie du compliment, le mensonge de la vérité. Aussi, ne voulant plus travailler dans le secteur marchand et ne sachant vers quel autre type de secteur me diriger, je passais mon temps à me droguer, nouant des relations avec des personnes plus que douteuses, entretenant ainsi ma longue spirale vers le bas. C'était l'année 1991, année où j'ai commencé à me perdre et, ce, jusqu'en 1993, année du désastre suprême, année où un homme est mort par ma faute.

En ce moment je m’aperçois que je reviens beaucoup sur cette période dans mes écrits, comme si quelque chose n'était pas réglé, quelque chose qui pourrait l'être, mais je ne parviens pas à savoir quoi. Je ne sais ce que recherche exactement, mais je sais que le fait d'être malade, de ne plus être sûr de demain, m'incite et me pousse dans cette quête. Oui, quitte à mourir, je voudrai partir avec les idées claires, claires sur moi-même, sur ce que j'ai traversé, sur ce que je crois avoir compris de notre monde, afin de partir sans remords ni regrets. Le bonheur que je vis aujourd'hui avec Cynthia, que cela me plaise ou non, est tout de même hissé au sommet d'une montagne de désastres en tous genres. En cela, la base gâche quelque peu le paysage et, je le sais, je n'apprécie pas à sa juste valeur, à sa juste mesure, mon bonheur actuel. Je ne sais si le destin existe, si notre vie est programmée à l'avance, mais le fait que je sois malade à présent, après avoir enfin goûté au bonheur tant d'années après, me fait l'effet d'un pirouette du destin, comme s'il me disait « tu as souffert longtemps, plus de vingt-cinq ans et avant que tu ne quittes ce monde, je t'ai accordé ces sept années de bonheur totale. Je ne te dirais pas combien de temps il te reste à vivre, mais profites-en au maximum, voici le mieux que je te souhaite car je pense que tu as payé toutes tes erreurs passées. »

Aujourd'hui je ne sens plus l'espace autour de moi, plus de frontière invisible entre moi et l'autre, entre moi et la nature. Je me sens un, solide et entier, avec mes défaillances certes, mais plus décomposé. Cela, je le sais, je le dois pour une grande part à Cynthia et à ses parents. Je parle de ses parents car, contrairement à toutes les belles-familles que j'ai pu avoir pour un temps plus ou moins long, ils sont les seuls à nous avoir accompagné, soutenu, encouragé dans nos projets, malgré l’appréhension qui fut la leur lorsque notre couple se forma. Même si je suis le plus souvent seul, je n'éprouve plus la solitude. La dernière fois que j'ai éprouvé ce sentiment, ce fut lors de l'annonce de ma maladie, de ce cancer qui me terrorisait, le verbe n'est pas trop fort. Mais de l'eau a coulé sous les ponts depuis, je me suis familiarisé avec ma maladie, avec ce nouveau moi-même, et j'ai pleinement retrouvé ma compagne dans mon cœur et dans mon esprit. A nouveau je suis avec elle et non plus à côté d'elle, à nouveau je me veux avec elle et non plus à l'écart.


(21 février 2015)

2 commentaires:

  1. Tellement important d'avoir quelqu'un à ses côtés.
    Bonne soirée.

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