mardi 17 février 2015

Journée ordinaire

Cela fait quatre jours que j'ai quitté Paris, quatre jours que j'ai retrouvé ma demeure et ma ville actuelle, et pourtant rien n'y fait, je ne parviens pas encore à me remettre dans le rythme rénnais. Paris m'a bousculé et une semaine a suffit à ce que son mouvement ininterrompu s'empare de moi. Depuis mon retour, j'ai l'impression d'être en cure de désintoxication, tant de Paris que des personnes que j'y ai côtoyé, prisonnières qu'elles sont du rythme infernal de notre capitale. Oui, Paris est une ville à part qui ne ressemble en rien à tout ce que je connais du reste de la France.

Cynthia, quant à elle, est à Lyon. Même si c'est une grande ville, la seconde ou la troisième de France, son mouvement est amplement plus doux que celui de Paris. Étrangement, même si les gens y marchent aussi vite qu'à Paris, ils n'ont pour autant pas l'air d'être dans la précipitation. De même, si à Paris tout le monde s'ignore, à Lyon on a plutôt l'impression que les gens tentent de se cacher, de passer inaperçu, ce qui n'est pas du tout le cas des parisiens où chacun, à sa façon, tient à marquer sa différence, à signifier l'identité qui lui est propre.

Cynthia, après s'être pesé chez son père, a décider de maigrir. Lorsque je l'ai connu elle pesait une cinquantaine de kilo et, aujourd'hui, elle est proche des soixante-dix kilo. Autant vous dire que pour moi cela ne change strictement rien à mon attachement à sa personne, à l'amour que je lui voue, dû-t-elle devenir obèse un jour. Au cours de ces sept années j'ai appris à connaître son cœur, sa pensée, ses souffrances et ses plaisirs et c'est de tout cet ensemble que je me réclame, me donnant à elle comme je le peux. Je l'ai connu anorexique et au cours de ces dernières années revenait souvent sur la table le sujet des régimes qu'elle aimerait faire. Moi, dans ma peur qu'elle retombe dans le monde de l'anorexie, je n'ai jamais rien fait pour l'encourager à aller dans ce sens. D'ailleurs c'est plutôt le contraire que je m'employais à faire, la tentant régulièrement avec des plats qui, je le savais, ne pouvait que la tenter. Oui, Cynthia est une gourmande et pour peu qu'elle ait l'esprit un peu encombré par trop de contraintes ou de problèmes, sa motivation à suivre quelque régime que ce essouffle et la tentation prend alors le dessus. Depuis hier elle me parle donc du régime qu'elle a décidé d'entreprendre, régime qu'elle commence déjà chez son père, et à ma plus grande surprise je n'éprouve plus la peur qu'elle retombe dans l'anorexie. De même, en poussant mon raisonnement plus loin, de la même manière que je resterai à ses côtés si elle devenait obèse, je sais aujourd'hui que je ferai de même si elle devenait un tas d'os. Oui, quoi qu'elle fasse avec sa santé, son poids, à présent je lui fais entièrement confiance pour ne pas sombrer dans les extrêmes et, dorénavant, je l'aiderai à atteindre ses objectifs en matière de poids. Je ne la tenterai plus, ne lui prendrait plus la tête sur la quantité d'aliments contenue dans son assiette et accepterai sereinement qu'elle se pèse dix fois par jour si tel est son souhait.

Aujourd'hui, contrairement à hier, est une belle journée. Le soleil est pleinement présent et, comme pour beaucoup, sa présence a des vertus bénéfiques sur mon moral. Il est 15H00, l'après-midi bat son plein et, comme chaque jour, je suis assis à une terrasse de café, ordinateur sur la table, des cafés comme seuls boissons, et j'écris ce qui me passe par la tête. A cette heure, la place Sainte-Anne n'est pas encore empli de monde. Le quartier Saint-Anne fait partie du centre ville de Rennes. Seul le centre ville est vivant, tout le reste de la ville étant essentiellement résidentiel. D'ici deux ou trois heure le centre ville sera noir de monde et ce, jusqu'à 19H30. Après cette heure, la majorité des gens rentrent chez eux et seul une petite minorité, composée essentiellement de jeunes, restent ou ressortent pour aller boire un verre à droite ou à gauche. Oui, Rennes est une ville qui comporte énormément de jeunes. Avec ses deux universités, elle doit attirer tous les étudiants bretons. Cynthia, qui est professeur stagiaire cette année, sera certainement muté dans une autre académie pour la rentrée prochaine. Amiens ? Versailles ? Créteil ? Quoi qu'il en soit, ni l'un ni l'autre n'avons envie de quitter Rennes et je vais m'employer à monter un dossier faisant état de ma maladie, des soins dont j'ai besoin, des appareillages nécessaires au traitement de mes métastases au cerveau,  appareillages disponibles à Rennes et dans seulement quatre autres villes en France, dont Lyon, ville d'où est originaire Cynthia. Une fois ce dossier monté, lettres de mes médecins à l'appui, je l'enverrai directement à la ministre de l'éducation nationale car, comme le dit le dicton, mieux vaut s'adresser à Dieu qu'à ses saints. En parallèle j'essayerai d'obtenir un rendez-vous avec un ponte du rectorat de Rennes afin d'avoir un appui supplémentaire à notre demande. Aurons-nous gain de cause ? Je le souhaite car je ne me vois pas refaire un déménagement, cela m'épuise à l'avance et déjà je baisse les bras. De même, si Cynthia est affecté à une autre académie, cela impliquera également de rechercher un nouveau logement et, à distance, ce n'est vraiment pas commode. Enfin il faut tenir compte de tous les frais financiers qu'implique un déménagement et nous sommes loin d'en avoir les moyens. A coup sûr cela nous obligera à emprunter, à prendre un crédit pour que cela puisse se faire, car l'éducation nationale n'aide en rien dans ce cadre-là, nous n'avons pu que le constater lorsque nous sommes partis de Lyon pour venir à Rennes. Ma hantise est que Cynthia soit affecté quelque part en Ile de France. Non seulement la vie y est beaucoup plus chère que dans le reste de la France, Lyon y compris, mais de plus ce serait retrouvé le rythme et le bruit parisien, une atmosphère que je ne suis plus capable de supporter, qui m'épuise instantanément et, souvent, me déprime.

En ce moment je lis « Le meilleur des mondes » d'Aldous Huxley. Je le lis lentement, à raison de quatre ou cinq pages par jour, du fait de l'effort de concentration et d'attention qu'exige la lecture, effort que j'ai du mal à fournir. Actuellement je suis au tiers du roman et déjà il m'a inspiré une trame et un cadre que j'essayerai bien de transformer en roman. Quelque part ce serait un plagiat, car dans mon cadre il s'agirait aussi d'une histoire qui se passerait dans le futur, un autre meilleur des mondes, avec des castes hiérarchisées, mais où le contrôle des naissances serait tout autre que celui décrit dans le monde d'Aldous Huxley, De même, plutôt que de développer ce meilleur des mondes auquel je pense, ce serait surtout une critique de notre monde actuel, de l'histoire de l'humanité, de ses valeurs qui ont traversé tant de siècle sur lesquelles je m'attarderai, à commencer par tout ce qui est en rapport avec la sexualité, la domination, le pouvoir, la propriété. Pour l'instant j'ai déjà écrit les grandes lignes du cadre de mon histoire, ce meilleur des mondes et son fonctionnement, et il ne me reste qu'à trouver une ou deux trames comme fil conducteur à cette histoire. L'amour sera l'une des trames, bien sûr, quant à l'autre, car j'en veux au moins deux, je me tâte. S'agira-t-il de liberté, d'éveil des consciences ou d'autre chose ? Je verrai, je laisse tout ça décanter dans mon esprit et, tôt ou tard, j'aurai le déclic. Pour l'instant je m'attarde à fignoler le cadre de ce monde meilleur, son organisation, son but, sa finalité.


(17 février 2015)

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