dimanche 15 février 2015

Retour à Rennes

Je suis enfin dans le calme, éprouvant au plus profond de ma chair la volupté de la sérénité. Rentré hier soir de Paris, je retrouve Rennes et sa tranquillité. A cette heure, nous sommes en début d'après-midi et, de plus, un dimanche, les terrasses de café sont presque désertes. En semaine, c'est tout le contraire. Autour de moi, passant sur la place Sainte-Anne, beaucoup de personnes se promènent, tracent leur chemin, mais contrairement aux parisiens, aux parisiennes, cela se fait dans un pas lent et mesuré, une véritable balade dans un rythme nonchalant, léger, et pour couronner le tout pas un bruit de moteur, pas un véhicule, car autour de cette place il n'y a pour ainsi dire que des rues piétonnes. Oui, ici je me sens vivre, je me sens être, j'existe, le ressens et le perçois, c'es une véritable jouissance.

De Paris, je garde néanmoins de bons souvenirs. Le premier est d'avoir revu Tony, lui aussi malade suite à une greffe du foie qui lui pose régulièrement quelques soucis, voire des hospitalisations, mais j'ai vu de mes yeux qu'il allait plutôt bien, gardait le moral, allait de l'avant, s'interdisant la moindre nostalgie, le moindre regret de ces années où son corps n'était pas en danger. Oui, de le voir ainsi m'a rassuré et j'espère qu'il continuera à aller de mieux en mieux, que son nouveau foie lui foutra la paix et que sa vie maritale, quelque peu bancale depuis deux ans, reprendra un nouveau souffle. J'ai également revu Luc, mais ce fut trop bref, une petite heure à peine, son travail oblige. Tout est allé si vite que je n'ai même plus souvenir de notre conversation. Tony et ma fille était là quand nous nous sommes vu. Ça parlait dans tous les sens et je ne crois pas m'être exprimé beaucoup. Effectivement, je parle de moins en moins, je préfère écouter, entendre, c'est plus reposant et, bien souvent, instructif. Parler de moi ne m'intéresse plus et comme je n'ai pas de projet, je n'ai donc presque plus rien à dire. Alors je pose des questions, m'intéresse aux projets des autres, à leur vie, sachant néanmoins que ma vie est ailleurs, ne les accompagne plus, qu'elle est une voie parallèle qui, exceptionnellement, comme en temps de vacance par exemple, croise la leur pour un temps limité. Enfin, j'ai également revu un ami d'enfance, Frank, qui m'a retrouvé sur Facebook il y a quelques semaines. Il a l'âge de ma sœur et était dans sa classe à l'école primaire. Nous avons seulement une année d'écart et c'est avec lui, alors que j'avais douze ans, que j'ai fait ma seconde fugue. Deux années plus tard il me présentait Georges et toute sa bande et pendant trois ans ce fut l'insouciance la plus totale. Nous n'allions plus à l'école, enfreignons les lois, les règles, contestions nos parents, les adultes et leur monde, prenions toutes sortes de drogues et n'avions qu'un seul désir : profiter à fond du moment présent, nous éclater, s'amuser et draguer les filles. Nos chemins se sont séparé alors que nous avions vingt ans et, jusqu'à la semaine dernière, nous ne nous sommes plus jamais revu. Même s'il n'enfreint plus la loi, il n'a pas changé pour autant, contrairement à moi. Il est toujours aussi rebelle, aussi enragé, comme s'il avait une revanche à prendre sur la vie, tout comme c'était le cas lorsque nous étions adolescent. Il s'est engagé dans le militantisme syndicale, siège aux prud'homme, aide qui en a besoin à faire valoir ses droits. Comme hier il se bat contre le système, mais cette fois de l'intérieur.

J'ai également revu Nicolas, José, Martial et quelques autres. Entre tout ce beau monde et ma famille à voir, j'avais l'impression d'avoir un agenda de ministre, sans temps pour souffler, respirer, me détendre. Ma fille et moi avons donc passé cinq jours ensemble, mais ce fut un séjour étrange. A elle aussi je ne parlais pas et, de son côté, elle n'avait pas grand chose à me raconter si ce n'est des anecdotes propres à son âge. Elle a bien mis sur la table les rapports qu'elle entretient actuellement avec sa mère, des rapports conflictuels selon elle, car sa mère ne lui laisse pas la liberté que je lui laisse. A treize ans, elle entre dans le monde de l'adolescence et commence à vouloir plus d'indépendance. Avec sa mère, je le sais, ce n'est pas gagné tant sa mère gère mal toutes ses peurs, quelque soit la nature de ces dernières. Parce qu'elle n'a que treize ans et craint encore sa mère, ma fille accepte encore d'être la prisonnière de la volonté de sa mère, mais qu'en sera-t-il dans deux ou trois ans ? En m'exposant ses soucis relationnels, ma fille attendait que je prenne position en sa faveur et, cela, clairement. Si j'avais voulu me venger de sa mère, l'occasion était trop belle de pouvoir cracher sur elle, de lui signifier quel type de merde était sa mère, mais cela n'aurait pas aidé ma fille dans son avenir, un avenir qui se joue avec et chez sa mère, très loin de moi et des quelques jours par an où nous nous voyons. Je l'ai donc incité à faire tout ce qu'elle pourrait pour s'entendre avec sa mère, que tôt ou tard elle aurait cette liberté qu'elle réclame déjà, et que l'important en l'état était de se concentrer sur son travail scolaire. Oui, je lui explique régulièrement que la clé de la liberté, de l'indépendance, de l'autonomie, c'est l'argent. Parce qu'à l'école elle est assez douée, je l'encourage donc à devenir meilleur encore, l'informant sur l'importance des notes lorsqu'on passe ses diplômes, les portes que ces derniers ouvrent selon que l'on fasse partie des meilleurs éléments ou que l'on reste dans le peloton de queue, lui apprenant l'existence des grandes écoles, celles qui ne prennent que la crème des étudiants, essayant tant bien que mal de lui faire comprendre que le marché du travail était une véritable jungle, que la majorité des employés, qu'ils soient cadres ou non, avaient des salaires leur permettant de vivoter plus ou moins bien, mais que pour accéder à des emplois réellement rémunérateurs il fallait obtenir les diplômes les plus reconnus, autrement dit ceux des grandes écoles, qu'il s'agisse de l'ENA, de science Po, d'HEC ou de quelques autres. Ma fille, comme tout enfant, a des rêves de grandeur. Elle voudrait pouvoir offrir une maison à sa mère, à son père, à sa grand-mère, en plus de la sienne. Elle veut aussi des enfants et, aussi certainement qu'elle aime se faire plaisir, elle voudra leur faire plaisir. Alors je lui dis que tout cela à un coût et que ce n'est pas en gagnant deux mille ou cinq mille euros par mois qu'elle atteindra ses objectifs. Fais-je bien d'essayer de la conditionner ainsi, moi qui suis le premier à critiquer ce système dans lequel je veux qu'elle rentre absolument ? Mais mes intérêts ne peuvent être ceux de ma fille, elle qui n'a encore rien gâché dans courte vie, et je crois plus sage de l'inciter à prendre les armes nécessaires à un bel avenir, ce qui passe par un travail assidu à l'école pour commencer. Quoi qu'il en soit, durant ces cinq jours passé ensemble, je retiens surtout que nous étions côte à côte, mais pas ensemble, qu'elle cherchait un partenaire pour inciter sa mère à lui laisser plus de marge de manœuvre et que j'ai refusé de l'être.

A Paris, tel que c'est le cas lorsque je suis à Rennes, j'ai souvent voulu penser au sujet de ma mort, mais cela fut impossible, tant à cause de tous mes rendez-vous que du rythme et du bruit propre à Paris. Impossible de me concentrer, d'entrer en moi en profondeur pour laisser monter à la surface ce qui voudrait immerger. Aussi, une fois de plus, je me demande comment j'ai pu vivre tant d'années là-bas, comment ais-je pu trouver en moi les ressources nécessaires pour parvenir à mettre noir sur blanc ce qui étaient mes états d'âme des diverses périodes noires de mon histoire ? Aujourd'hui il est clair que cette ville m'épuise à peine arrivé dans l'une de ses gares et, je l'espère, plus jamais elle ne sera mon antre. Mais tout cela, l'avenir, dépend entièrement de Cynthia dorénavant, de son affectation dans telle ou telle académie. Moi, je ne pourrai que suivre, prendre un wagon dans son train et suivre les rails de son destin.


(15 février 2015)

1 commentaire:

  1. J'étais à Paris hier. Il est clair que je n'y habiterai jamais. Je préfère la douceur et le calme de ma campagne.
    zazou

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