jeudi 5 février 2015

De tout et de rien

5 février 2015


J’ai envie de t’écrire l’inconnue, mais je ne sais plus quoi te dire. Je crois que ces derniers temps j’ai vidé entièrement mon sac, m’adressant à toi afin d’exorciser ma peur, celle de la mort bien entendu, et à force de t’écrire il me semble l’avoir apprivoisé, m’être familiarisé avec cette idée, mais quand sera-t-il le jour où, pour de bon cette fois, je serai dans mes derniers instants ? Serais-je aussi serein, aussi tranquille ? Ne regretterais-je pas à ce moment-là de sentir que je quitte tous mes proches, à commencer par Cynthia et ma fille, que je quitte la vie, l’humanité que je ne cesse de critiquer mais qui est néanmoins ma famille ? Oui l’inconnue, me comporterais-je comme je le crois aujourd’hui ou sera-ce totalement différent.

De même, face à ma maladie, je suis également serein en ce moment. Certes, des métastases apparaissent à intervalle régulier, mais comme c’est toujours au même endroit, au cerveau, je me suis habitué à leur présence et aux soins que l’on me procure en conséquence. Mais si demain c’est ailleurs dans mon corps qu’elles ressurgissent, au foi par exemple, comment prendrais-je la chose ? Serais-je toujours tranquille ? Car selon l’endroit où se manifestent les tumeurs, les métastases, le traitement n’est pas du tout le même. La chimiothérapie, lorsque je fus astreint à ce traitement, est ce qui a été de plus pénible, de plus épuisant à vivre, tant les effets secondaires vous handicapent. A côté de ce traitement, la radiothérapie est presque une partie de plaisir. Si effet secondaires il y a, je ne les vois pas, ne les éprouve pas. De même, lorsque j’ai été opéré du poumon, lorsque le chirurgien m’a retiré le lobe supérieur droit, étant sous anesthésie générale, ce ne fut pas non plus pénible. C’est simplement au réveil, parce que mes côtes avaient été écarté afin d’accéder au poumon, que j’ai senti ma douleur. J’étais alors branché sous morphine, en intraveineuse, et suis resté deux ou trois jours dans le service de soins intensifs, service aseptisé au possible dont je garde un excellent souvenir tant les infirmières, les infirmiers étaient à l’écoutent, prévenant et souriant. Je me souviens qu’après avoir quitté l’hôpital, une semaine plus tard, je suis revenu dans ce service afin d’offrir des boites de chocolats à tout ce beau monde. Oui, même si aujourd’hui encore j’ai des séquelles de cette opération, des douleurs plus ou moins gérables dans mes côtes, je suis néanmoins amplement satisfait des soins que j’ai eu jusqu’à présent.

Mais je m’éloigne de mon sujet l’inconnue, celui de ma mort à venir entre autre et, surtout, celui de la gestion quotidienne de ma vie en conséquence, que ce soit avec moi-même ou les autres, à commencer par mes relations avec ma compagne et ma fille. Je t’avoue que je n’ai pas d’idées bien arrêtées sur le sujet et que pour l’instant je me laisse vivre là où le vent m’emporte, là où mes pas m’entrainent sans chercher à savoir où je vais, sans chercher à savoir où j’aimerai aller. Je constate simplement que j’apprécie de plus en plus la tranquillité, loin du bruit des voitures et autres, que le silence de la nature m’apaise énormément et que plus ça va et plus je me sens en osmose avec elle, un peu comme un retour aux sources, loin des villes et de leur bétons qui, à force d’y résider depuis toujours ou presque, nous font oublier que c’est avant tout de la Terre, de la nature que nous sommes issus. Lorsque je serai à l’aube de ma mort, c’est aussi elle que je quitterai et, là encore, n’éprouverais-je pas un regret ?

Parisien depuis toujours, je n’ai pour ainsi dire connu que cette ville, ses us et coutumes, j’avoue que la nature n’était pas un sujet d’intérêt pour moi, pas plus que je ne m’intéressai aux animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvage. Dans cette ville on ne côtoie pas la mort. Certes on peut voir la pauvreté de certains et certaines, le dénuement dans lequel ils sont, le fardeau que semble être leur propre corps pour quelques-uns. On y croise également beaucoup de personnes âgées, canne à la main, marchant si lentement que l’on se demande si elles arriveront au bout de leur chemin, mais la mort, les derniers instants, le dernier moment, non, on ne le voit pas. Dois-je en conclure que plus personne ne meurt dans ses rues ? La mort de SDF en hivers nous dit le contraire, mais vite ils sont ramassé et emmené je ne sais où ? Oui, nous ne voyons aucun mourant dans nos rues et, du coup, n’avons pas de rapport avec la mort, hormis si l’un de nos proches se trouve dans ce cas de figure. Sans cesse nous parlons de la vie, de ce qu’il faut y faire ou non, de ce que nous en désirons, comme si cette dernière était sans fin, occultant complètement dans nos conversations, dans nos pensées, le sujet de la mort lorsque nous regardons aujourd’hui et demain. Pourtant c’est notre vision de la mort, notre opinion à son sujet, car tout le monde y pense un jour, tout le monde a sa propre réponse sur la question, c’est donc notre représentation de la mort qui mène nos vies, nos pensées et nos actes. L’exemple le plus simple est la manière religieuse de répondre à cette question. Pour ses fidèles, le livre est leur mode d’emploi pour vivre, mode d’emploi étrange puisque les religions monothéistes affirment que la vraie vie n’est pas ici-bas, tout de suite et maintenant, mais qu’elle ne débutera réellement qu’après notre mort, lorsque nous serons auprès de notre créateur. Enfin de compte, ces livres, qu’il s’agisse de la thora, de la bible ou du coran, sont des modes d’emploi pour apprendre à mourir de la bonne manière, de la bonne façon, car si le fidèle ne suit pas les préceptes, les commandements, les règles qu’elles instaurent, alors le créateur le rejettera.

Oui l’inconnue, j’écris et pense beaucoup aux religions, surtout à leurs adeptes. C’est plus fort que moi, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi tant de personne adhérent à ces contes pour adultes. Cela dépasse mon entendement et lorsque je me retrouve face à eux je suis désemparé, désabusé, tant ils me rappellent des enfants qui croient au père noël. Auparavant j’acceptai de discuter avec eux, de leur faire part de mon point de vue, mais j’ai très vite compris que lorsque quelqu’un avait la foi, total mystère pour moi, aucun discours, aussi rationnel soit-il, ne pouvait les faire douter. Ne sachant ce que me réserve l’après-mort l’inconnue, je me garde bien d’essayer de les raisonner avec mon point de vue qui, pas plus que le leur, n’est une vérité établie, indéniable et incontournable. J’ai donc appris à vivre à leur côté, prenant mon mal en patience dès qu’ils posaient leur Dieu sur la table, mais je t’avoue que cela me contrariai. Tous et toutes, sans exception, ont essayé au moins une fois de me convertir. Je ne comprends pas cette attitude car, de mon côté, je n’ai jamais éprouvé le besoin d’essayer de convertir qui que ce soit à l’athéisme. Du coup, je me demande pourquoi eux, spécialement eux, ont ce besoin de faire adhérer l’autre à leur conviction religieuse. Est-ce parce que, au fin fond d’eux-mêmes, ils doutent de leur vérité et que plus nombreux seront ceux qui la partageront, plus ils se sentiront encouragés dans leur croyance ? Est-ce parce que, ce qui serait alors pire, ils sont absolument certain de détenir la vérité et, en conséquence, ils ne pourraient me prendre que pour un con, un ignare n’ayant rien compris à rien ? Oui l’inconnue, je ne parviens pas à comprendre qu’ils puissent croire qu’une poignée d’être humain, Abraham, Moïse, Jésus, Mahomet, aurait conversé avec un Dieu qui serait l’origine et le créateur de tout ce qui est, vitesse de la lumière y compris. Si cette poignée d’hommes était nos contemporains, ils seraient internés dans des hôpitaux psychiatriques avec, comme diagnostique, la schizophrénie.

Plus d’une fois l’inconnue, juste pour le plaisir de créer, je me suis dit que j’allais à mon tour inventer une nouvelle religion. Sommes toutes, l’exercice ne serait pas si difficile car qu’est-ce qu’un texte religieux au final ? Il n’est qu’un manuel qui met en avant certaines valeurs à travers le parcours d’une ou plusieurs personnes. Il me suffirait donc de choisir quelles valeurs je désire mettre en avant, d’affirmer à qui veut l’entendre que mon Dieu m’a parlé, que ce soit par signes ou directement, le tout à travers ma propre histoire, voire à travers l’histoire de l’humanité. Si j’écrivais ce livre, il est certain que je mettrai la sexualité en avant, mais, contrairement aux livres existants, ce ne serait pas pour la dénigrer, l’accuser ou la diffamer. Dans ma philosophie, les plaisirs de la chair seraient loin d’être un pécher, bien au contraire. De même, il ne serait être question de monogamie à proclamer, d’insinuer ou d’affirmer que l’autre peut nous appartenir. La fidélité, pourquoi pas, mais dans un libre consentement entre partenaire, certainement pas comme une obligation. Il en irait de même de l’avortement, je ne pourrai être contre, car pour qu’une femme ou un homme vivent pleinement leur liberté sexuelle il ne faut pas que le risque d’enfantement soit un frein à cette dernière. Toujours dans la perspective de la libération du corps, j’instituerai la nudité afin que dès l’enfance personne n’ai honte de son corps, n’ai honte du regard de l’autre sur sa personne.

Mais bon, là encore je m’éloigne de mon sujet initial, de mon rapport à ma propre mort et à ce que je dois ou non faire d’ici-là. Et oui l’inconnue, même si je sais que tout cela n’est que vent, religions, philosophie, métaphysique, je ne peux m’empêcher d’y plonger. C’est presque malgré moi. Mais quel sujet est plus digne d’intérêt que celui du sens de l’existence. Nous vivons et ne savons même pas pourquoi, à quelle fin. Nous faisons des enfants et, là aussi, nous ne savons même pas pourquoi, à quelle fin. Même la réponse Darwiniste ne répond pas à cette question. La reproduction pour la reproduction n’explique rien, ne résout pas l’énigme du sens de la vie. La théorie du big bang ou toute autre théorie physique, astrophysique, ne répondent pas non plus à ce mystère. Oui, nous sommes dans le flou le plus total et c’est peu de le dire.

Mais revenons au temps qu’il me reste encore à vivre. Je ne sais comment l’entrevoir. En mois, en année, en décennie ? Il y a néanmoins ce que j’aimerai faire et ce que je peux faire ou non, car mes souhaits nécessitent de l’argent. J’aimerai voir plus souvent ma fille, beaucoup plus souvent, mais cela nécessite des billets de trains, des nuits d’hôtels et, matériellement, je ne pourrai pas le faire plus d’une fois par an. Alors je dois me contenter des vacances scolaires, l’accueillant alors chez moi, dans cette demeure qui n’est malheureusement pas la sienne. Oui, ma fille aura peu connu son père et inversement, ce qui est bien dommage. Comme je le lui ai dit une fois, je connais mieux sa cousine, la fille de ma sœur, que ma propre fille. N’y a-t-il pas là comme un problème ? Sa mère ayant agi comme une conne depuis le début, voulant m’éloigner au maximum de notre enfant, ma fille en est désormais réduite à consulter des psychologues à force d’être tiraillé entre ses deux parents, deux visions différentes de son histoire, deux visions différentes de la vie et de comment s’y comporter, s’y faire respecter, s’y faire une place. Aujourd’hui elle va sur ses treize ans, commence à entrer de pleins pieds dans l’adolescence, période aussi cruciale que l’enfance quant à la construction de soi. Connaitrais-je ses vingt ans, serais-je toujours là pour l’accompagner si elle le désire ? Si mon cancer poursuit sa progression, dans le rythme qui est le sien actuellement, même si je serai alors fortement diminué du cerveau, peut-être serais-je néanmoins là, mais dans quel état exactement ? Et si je suis trop invalide, comment pourrais-je l’accompagner en quoi que ce soit ? Je serai alors un fardeau supplémentaire sur ses épaules. Déjà en tant que père absent je suis un poids pour elle, ma maladie en rajoutant une couche.

Mais ainsi va la vie l’inconnue, n’est-ce pas, avec ses bons moments et ses déboires, avec ses joie et sa tristesse car toute chose amène, construit avec elle son envers. Je ne sais pourquoi c’est ainsi, mais c’est comme cela que tout se passe. S’il y a des riches c’est parce qu’il y a des pauvres et inversement. Si l’on parle de l’amour, on ne peut ignorer son envers, la haine, la colère, le mépris. S’il y a du vivant, c’est parce qu’il y a la mort. Mais dans ce dernier cas, peut-on dire « et inversement » ? La mort engendre-t-elle la vie ? Et si oui, où se niche la vie dans le reste de l’univers ? Peut-on dire d’une planète, d’un satellite, d’une comète, d’un soleil qu’ils sont du vivant ? Qu’ils existent est une évidence, mais est-ce que la vie et l’existence sont une même chose ? Oui je m’en pose des questions l’inconnue, tu l’auras remarqué, et inlassablement tu continues à m’écouter néanmoins. Pourtant, en ce qui me concerne, j’en ai marre de ces questions sans réponses qui n’ont de cessent de m’assaillir régulièrement depuis que je suis adolescent.

2 commentaires:

  1. Ta fille ne te vois pas souvent mais elle sait que tu l'aimes, c'est le plus important.
    zazou

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  2. Certes Zazou, mais j'aimerai le lui montrer, le lui démontrer plus souvent de manière concrète, ne serait-ce qu'avec un sourire à échanger...

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