vendredi 20 février 2015

Nos débuts

En ce moment c'est à toi que j'ai envie d'écrire, mais pour te dire quoi que tu ne saches déjà ? Souvent, très souvent même, je me souviens de notre rencontre si improbable, si folle quelque part, et je me demande alors si tout cela est bien vrai, si je suis bien là et toi pas loin. Je repense souvent à ton blog d'alors, à tes textes acerbes, à travers lesquels je n'ai pas imaginé un seul instant que nous avions vingt ans d'écart, que tu n'avais que dix-huit ans tandis que j'approchais la quarantaine. Oui, magie des mots, de tes mots, je pensais que tu avais au moins trente ans. Ais-je la nostalgie de ma découverte de ta personne à travers tes mots ? Non, mais l'évidence est que celle que j'ai rencontré à Lyon, trois mois plus tard, ne correspondait pas à celle que je m'imaginais. Autant à travers tes textes tu mettais les pieds dans le plat, crachant à la gueule du monde et à qui voulait te lire ton dégoût de l'autre, surtout de l'homme, autant je n'ai trouvé face à moi à Lyon qu'une jeune fille silencieuse et discrète. Le contraste était totale et, sur le moment, j'avoue que je ne savais plus quoi penser de toi. Étais-tu silencieuse parce que je t'impressionnais ? Étais-tu silencieuse parce qu'il plus aisé de crier sur des pages blanches, loin de tout, sans interlocuteur ou contradicteur, et que dans ta vie quotidienne il ne t'importait pas de convaincre qui que ce soit sur tes positions ?

Je ne peux non plus oublier Messenger, ces premières fois où nous étions connectés ensemble, au même moment, où nous discutions en direct en non plus en différé tel que c'était le cas à travers nos commentaires sur nos blogs réciproques. Il y a peu, tu me disais que tu avais désacralisé les blogs. Je ne comprends pas ce que cela veut dire pour toi, mais pour ma part ils restent un formidable moyen d'échanges si l'on veut se donner la peine de s’investir dans la rencontre avec autrui. N'est-ce pas ainsi que notre couple a pu se faire ? Pour autant je ne dresse pas une statue en leur honneur, mais c'est bien grâce à cette technologie que nous avons fait connaissance. Il y a vingt ans, l'internet n'existait pas et jamais je n'aurai pu savoir que tu existais, là, quelque part. Moi je rends hommage aux blogs, à ce nouveau moyen de communication où souvent les gens sont plus sincères que dans leur vie privée.

Je me souviens également des mois de juillet et août 2008 lors desquels nous nous retrouvions régulièrement dans les jardins de la Dûchère. Nous étions allongé dans l'herbe comme des amoureux peuvent l'être en pleine campagne, oubliant que nous étions au cœur même de ta cité, une cité où les délinquants étaient omniprésents. Mais tout cela n'existait pas, n'existait plus tant nous étions dans la découverte de l'un l'autre. Je me souviens également de notre première journée à l'hôtel. Avec Nasser, nous voulions être ailleurs que dans le foyer où nous étions hébergé et avions pris une chambre pour la nuit, histoire de nous dépayser. Tu es venu le lendemain et c'est là, pour la première fois, que nous nous sommes vus nu, que nos corps se sont touchés, sentis, éprouvés, mais nous n'avons pas fait l'amour ce jour-là. J'ai été le premier surpris tant je n'avais pas prévu cela.

Je me souviens également de ma première rencontre avec tes parents qui, on peut le comprendre, s'inquiétait de notre relation. Comme une enfant tu avais alors des heures de sorties et de rentrées à respecter afin qu'ils soient rassurés. Je me souviens parfaitement, moi qui n'ai pourtant pas de mémoire, de ce que je leur ai dit lors de cette rencontre. Je leur demandai de nous faire confiance, de me faire confiance, et d'entrée de jeu ton père a été d'accord. C'est ta mère qui a été la plus réticente, mais comment lui interdire d'avoir peur pour toi ?

Puis il y a eu notre emménagement à Décines, une sous-location que j'avais trouvé. Nasser habitait avec nous, t'en rappelles-tu ? Je me souviens de notre grande chambre, notre antre, où chaque soir nous regardions un film sur mon ordinateur. Nasser était dans le salon de ce deux pièces, installé par terre sur un matelas. Je me souviens des courses que nous faisions à l'Intermarché du coin, amenant parfois jusqu'à deux caddies pleins à notre demeure. Une fois les courses montées à l'appartement, nous laissions les caddies à l'abandon. De même, te souviens-tu de la camionnette qui stationnais sur la petite place, près de notre arrêt d'autobus ? Ses propriétaires faisaient des pizzas et, presque toute les semaines, nous en prenions au moins une. Combien de temps sommes-nous restés là-bas ? Six mois parce que le locataire était rentré et qu'il n'y avait plus assez de place pour tout le monde. Nous nous sommes alors mis en quête d'un appartement et, les loyers étant trop chers sur Lyon, c'est à Saint-Étienne que nous nous sommes installés en mars 2009.

Oui, tout ça ce sont nos débuts, lorsque tout coulait comme une lettre que l'on poste. Comment oublier, comment regretter, cela m'est impossible ? Et aujourd'hui nous sommes à Rennes. Où serons-nous demain ? Notre entente sera-t-elle toujours aussi bonne ? Je ne peux que le croire, à moins que mon cerveau et toutes les métastases qui s'y forment ne détraquent complètement ma personnalité, faisant de moi quelqu'un d'autre, un inconnu et pour toi et pour moi. Mais en l'état, non, je ne vois pas ce qui pourrait gripper notre couple. Te dire que je tiens à nous serait un piètre euphémisme, bien éloigné de ma réalité et de ce que j'éprouve pour toi, toi qui m'a redonné le sourire, le courage, la volonté et l'envie de vivre. Il est seulement dommage que ma maladie soit arrivé si tôt, mais peut-être est-ce un mal pour un bien, qui sait ?

(20 février 2015)

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