dimanche 22 février 2015

En paix auprès de toi

22 février 2015


Bonjour l'inconnue, aujourd'hui nous sommes dimanche, jours de repos chez les terriens, jour du seigneur chez les chrétiens. Le jour du seigneur est-il le jour de la mort, car si le seigneur existe, selon la fable chrétienne, nous devrions le rejoindre à notre mort. Ce matin le soleil est présent et c'est agréable. De même, bien que ce soit les grandes marées sur les côtes bretonnes et normandes, il n'y a pas de vent, ce qui est d'autant plus appréciable. Quand reverrais-je les rivages, la mer, son sable, Saint-Malo ou une autre ville en bord de mer ? Tout cela dépend de Cynthia. Seul, il ne m'intéresse pas plus que ça de bouger, de visiter, un peu comme si j'avais déjà tout vu, un peu comme si les effets de surprises ne m'affectaient plus. Oui l'inconnue, je me sens un peu blasé, voire complètement parfois. Toi, du moins je veux le croire, tu n'es pas blasé, ne peut l'être. Je ne sais comment, mais je suis certain que tu éprouves à ta manière, que tu ressens et, même, que tu peux vibrer. Simplement, contrairement à nous les humains, êtres mal conçus, mal fabriqués, je te crois dépourvu d'intellect, cette tare de notre race. Du coup je me demande quel sera notre mode de communication, car je ne doute pas qu'il y en aura un lorsque, côte à côte, nous contemplerons le spectacle que représente la mort, qui est la mort. Dans un coin du tableau nous verrons le vivant s'acharner à exister, à perdurer, nous verrons ses univers, qu'ils soient à l'échelle microscopique ou cosmique. Dans un autre coin du tableau, ou peut-être superposé dans le coin de la vie qui s'exprime, nous verrons également les deux temps présents, le passé, le présent et, qui sait, peut-être l'avenir, même si je ne crois pas possible de voir l'avenir. Oui l'inconnue, je veux croire que nos vies humaines sont le résultat de nos choix, dans la limite des choix qui nous sont un temps disponibles, que nous sommes responsables de nos pensées et de nos actes, que rien n'est écrit à l'avance, absolument rien, et en cela je suis un Darwiniste convaincu qui pense que la nature fait des essais, des tentatives, des erreurs, et qu'elle ne garde que ce qui marche pour le bon fonctionnent de l'évolution. Nous autres humains, comme tu le sais si bien l'inconnue, nous œuvrons de la même façon. Ce qui marche, dans nos comportements, dans notre pensée, nous le gardons, le préservons, l'entretenons et parfois le perfectionnons. Ce qui ne marche pas, nous avons tendance à le jeter à la poubelle, essayant de modifier nos habitudes afin de ne pas retomber dans nos travers, afin de ne pas reproduire l'erreur. On appelle ce type de comportement, d'attitude, d'état d'esprit, la sagesse. Mais cette dernière, pour une raison que je m'explique mal, est très difficile à atteindre, mon propre parcours en étant une démonstration magistrale où, des années durant, je me suis entêté à ne pas modifier mes habitudes, des habitudes qui  me menaient dans des couloirs sans issues, sans perspectives, sans soleil à l'horizon. Oui l'inconnue, j'avais beau savoir que je m'engageai dans des impasses dont je ne pourrai sortir indemne, mon intellect l'analysant parfaitement bien, et pourtant je n'ai pu trouver en moi les ressources nécessaires pour sortir de ces guêpiers. Non, l'intellect ne suffit pas à nous rendre sage, il nous faut user d'autres ressources en parallèle pour atteindre cet objectif. Cependant l'inconnue, parce que notre vie n'est qu'un point de suspension dans l'univers, un moment éphémère qu'il n'est même pas utile de calculer, est-il si important d'être sage pour te rejoindre, là-bas, de l'autre côté de la vie ? Je pense que non, que la sagesse n'est utile qu'entre nous humains, afin d'essayer de vivre dans la meilleure harmonie possible, que cela soit dans la sphère privée ou publique.

Pour ma part, comme tu as pu le constater l'inconnue, je suis un gros fainéant et ne suis prêt à faire des efforts que si j'ai un but réellement attractif. Si tel n'est pas le cas, alors je laisse les choses aller, ne cherchant pas du tout à maîtriser quoi que ce soit, laissant à d'autres le soin de prendre des décisions s'il faut en prendre, me déchargeant de toute responsabilité dans les conversations ou les événements en cours. C'est pour cette raison et uniquement cette raison que je me suis retrouvé tant de fois dans des impasses, des couloirs sans fenêtres ou dans des caves sans lumière. Lorsque j'étais adolescent, je n'ai été délinquant que par fainéantise. La plupart des bêtises ou des délits que j'ai alors commis, j'aurai pu ne pas les commettre. Ces infractions nous les faisions le plus souvent en groupe ou à deux minimum. Bien souvent je n'avais pas envie de passer à l'action, mais c'était alors entrer dans un débat avec mes camarades, débat qui m'épuisait déjà à l'avance. Alors je ne disais rien et suivait le mouvement, comme un mouton, histoire de ne pas être rejeté par le groupe. Oui, déjà adolescent j'entendais les voix de la sagesse, mais je ne les écoutais pas. Plus tard, une fois adulte, ce fut la même chose. Je me noyais dans l'alcool, les drogues et les médicaments. La voix de la sagesse que j'entendais fort bien me disait que ce n'était pas la bonne direction, que ce n'était pas ainsi que l'on pouvait sortir de sa peine, de sa souffrance, et que loin d'agir dans ce sens j'entretenais un système, un comportement, des habitudes qui ne pouvaient qu'amplifier ce qui était alors mes douleurs. Oui, la fainéantise m'a joué plus d'une fois de mauvais tour dans ma vie.

L'autre ressource nécessaire pour parvenir à la sagesse est, je le crois, la volonté. Celle-ci est souvent en conflit avec la fainéantise car il est plus simple de se laisser aller que de se prendre en main, il est plus simple de dépendre d'autrui que de se prendre totalement en charge,  il est plus simple de se laisser tenter que de résister à la tentation. Il est des domaines où je ne manque pas de volonté, c'est vrai, mais ils sont rares.

Quoi qu'il en soit l'inconnue, je disserte encore et encore sur ma condition d'homme, condition qui n'est pas la tienne et qui, bientôt, ne sera plus la mienne, que ce soit dans un an, dix ans ou vingt ans. Tout cela est du pareil au même, le temps n'étant plus un facteur primordial pour la bonne marche de ma vie car, comme me le disait un internaute, avec un cancer on ne peut faire des projets qu'à court terme, voire très court terme. Le reste, l'avenir lointain, tout cela relève de l'illusion à présent, même s'il se peut très bien que j'y accède. Les progrès de la médecine sont tels et évolues à une vitesse si prodigieuse que je peux me hasarder à croire, à espérer, qu'ils me maintiendront encore longtemps en vie.

Il est tout de même étrange l'inconnue, toi qui symbolise la mort dans mon esprit, que je ne t'entretienne uniquement sur la vie. Mais que connais-je d'autre ? Et même sur cette dernière, puis-je dire que je la connais ? Je n'en sais que la surface, comme tous et toutes, mais méconnais complètement ses fondements, sa raison d'être, son utilité dans l'univers, le sens ultime de sa présence. Oui, la métaphysique est un sujet passionnant, mais malheureusement on en fait vite le tour car la question ultime se pose de suite et, à cette dernière, pas de réponse possible, pas de vérité écarlate dans laquelle se mirer.

Autour de moi, assis à d'autres tables, je vois des gens et me dis que lorsque je serai mort ils l'ignoreront, continueront leur petit bonhomme de chemin et que mon absence ne changera pas le cours fondamentale de leur histoire. A une autre table située juste à côté de la mienne sont assis une homme et une femme. Ils sont jeunes et me font sourire. A leur conversation. il est simple de comprendre qu'ils ne sont pas en couple, mais que la séduction est omniprésente dans leur propos. Aujourd'hui je trouve cela presque charmant et la complicité qu'ils tentent d'établir entre eux me confirme dans mon idée. De l'enfance à la mort, nous cherchons à plaire à l'autre et, peut-être, seul la maladie ou une immense souffrance nous fait nous détourner de ce chemin. En ce qui me concerne l'inconnue, c'en est fini de ces ballets sans fins, je ne cherche plus à séduire qui que ce soit ou, si cela se fait, c'est uniquement dans les strictes limites de la politesse. Oui, aujourd'hui seul m'importe d'être aimé et apprécié par les quelques êtres que j'aime, à commencer par Cynthia, ma fille et Tony. J'aurai pu mettre ma sœur, ma mère et mon frère dans cette liste, mais je suis au regret de constaté que je n'attends plus rien d'eux, même si je les aime et qu'ils m'aiment. Oui, trop de chose me sépare d'eux et, surtout, de mon frère. Nous n'avons pas du tout la même conception de ce que signifie la famille et, à vrai dire, il me semble ignorer complètement sa vue de la chose. Il ne prend ni ne donne jamais de nouvelle sauf s'il est dans le besoin. Je l'avoue, c'est un état d'esprit que j’exècre. Mais d'un autre côté, si je lui demande d'être présent près de moi et que son emploi du temps le lui permet, alors toujours il est là. Quoi qu'il en soit nous menons depuis toujours des vies qui n'ont entre elles qu'une ou deux passerelles bien fines, bien fragiles. Il est donc de ma famille, mais sans en faire partie pour autant dans mon esprit. Je le vois plutôt comme un étranger, comme un invité que l'on convie pour certaines occasions, que l'on appelle comme on téléphonerait à un ami de longue date sont on se souviendrai subitement l'existence. Enfin, sa dépendance à l'alcool est mon plus grand frein envers lui. Ayant été moi-même dans le passé dépendant de cette drogue, ayant pu constater à quel point, selon la quantité bu, elle pouvait modifier notre façon d'être, nos raisonnements, notre humeur et notre tournure d'esprit. Ceci étant, face à un alcoolique, on ne sait jamais vraiment à qui l'on a faire, ce que nous pouvons nous permettre ou non, et ce n'est donc pas une relation saine, apaisé et calme. Comme j'aspire à l'apaisement et la sérénité, moins je vois mon frère et mieux je me porte, même s'il m'est difficile de reste longtemps sans le voir en chair et en os. La dernière fois que nous nous sommes vus c'était en novembre 2013, lorsque j'ai appris que j'avais un cancer. Paniqué que j'étais alors, je lui ai demandé de venir me voir. De Toulouse il vint immédiatement à Lyon, sans se faire prier, et sa simple présence me fit énormément de bien.

Concernant ma sœur et ma mère, nos rapports sont différents. Nous avons la même notion de la famille, mais nous conduisons nos vies de manière totalement différente et la leur ne me correspond pas du tout. De même, elles sont toujours aux petits soins, ce qui souvent m’horripile, car j'aime mon indépendance, j'aime que l'on ne s'occupe pas de moi si je ne demande rien. Avec elles, c'est impossible, elles sont sans cesse entrain de devancer tout désir susceptible d'émaner de moi, me harcelant à coup de propositions qui partent certes d'un élan chaleureux, mais face auxquels je m'épuise à leur dire non, je n'ai besoin de rien, tout va bien. Enfin, elles ont une conception de la vie qui est au antipode de la mienne. Autant je ne vois pas l'intérêt de perdurer le plus longtemps possible en vie, autant c'est leur créneau. Donc là encore, parce qu'elles veulent que je vivent le plus longtemps possible, elles me harcèlent en conseils en tout genre afin que je prenne soin de ma santé et, ce, plus encore depuis que j'ai le cancer. Là aussi elles m'épuisent et, en conséquence, je met également de plus en plus de distance entre elles et moi. Seule ma sœur semble plus réceptive à ma pensée, acceptant le fait que je ne cherche pas à durer dans le temps, que ce n'est vraiment pas ma priorité. Parce que je sens qu'elle consent à me laisser vivre tel que j'en ai envie, peut-être vais-je me rapprocher d'elle dorénavant.

Quoi qu'il en soit l'inconnue, tout cela sera bientôt terminé, je serai enfin en paix auprès de toi, loin de toutes les attentes à mon égard. Comme je te l'ai déjà dit, les attentes d'autrui sont un fardeau que je ne veux plus porter. En cela mon frère est bien plus gérable que ma sœur et ma mère. Pour fuir ces attentes, je fuis donc les gens, qui qu'ils soient, proches ou non, et c'est ainsi que lentement mais sûrement je m'isole.

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